CA PAPEETE (ch. civ.), 8 octobre 2020


CERCLAB - DOCUMENT N° 8606
CA PAPEETE (ch. civ.), 8 octobre 2020 : RG n° 19/00063 ; arrêt n° 335
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Sous des présentations et articulations différentes, les parties développent en réalité des moyens opposés sur une même question : une exception de nullité d'une clause du contrat de prêt entre le débiteur et la banque peut-elle être opposée à la caution ?
Il résulte des articles 2028 et 2029 du code civil, devenus 2305 et 2306, dans leur version applicable en Polynésie française, qu'une caution qui a exécuté son engagement peut exercer contre le débiteur principal deux recours, un recours personnel fondé sur l'article 2305 et un recours subrogatoire fondé sur l'article 2306. Or si le débiteur peut opposer au créancier subrogé toutes les exceptions inhérentes à la dette (selon la jurisprudence ancienne, l'article 1346-5 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 n'étant pas applicable en Polynésie française), ce n'est pas le cas lorsque la caution exerce son action sur le fondement du recours personnel et non du recours subrogatoire.
En l'espèce, le contrat de prêt entre la banque de Tahiti et Mme X. (pièce n°1 de l'intimée) stipule au titre des garanties : « En cas de défaillance de l'EMPRUNTEUR dans le remboursement du présent prêt et, consécutivement, d'exécution par la Caution de son obligation de règlement, la Caution exercera son recours contre l'EMPRUNTEUR, conformément aux dispositions de l'article 2305 du Code Civil, sur simple production d'une quittance justifiant du règlement effectué. » Les parties ont donc clairement prévu dans le contrat de prêt l'exercice d'un recours personnel de la caution, soumis à la seule obligation pour celle-ci de produire une quittance justifiant du règlement effectué.
C'est ce qu'a fait la CEGC qui fournit la quittance subrogative de la banque de Tahiti (pièce n°4 de l'intimée), étant précisé que l'établissement d'une quittance subrogative à seule fin d'établir la réalité du paiement est sans incidence sur le choix de la caution d'exercer son recours personnel en application de l'article 2305 du code civil.
La nature personnelle du recours de la caution en ce qui concerne les sommes acquittées auprès de la banque ne permet donc pas à Mme X., débitrice, d'opposer à la CEGC les fautes qu'elle impute à la banque, et en particulier le caractère abusif allégué de la clause d'exigibilité anticipée mise en œuvre par la banque, pas plus qu'elle ne lui permet de remettre en cause ce recours du fait de la mise en œuvre injustifiée de la clause d'exigibilité anticipée.
Par ailleurs, il résulte de l'article 2031 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française (devenu article 2308 du code civil) que la caution qui a payé le créancier sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur, quand celui-ci disposait, au moment du paiement, de moyens de faire déclarer la dette éteinte, est déchue de son recours contre ce débiteur, lequel est fondé, dès lors que ce recours a néanmoins été exercé, à demander la répétition des sommes versées. En l'espèce d'une part la CEGC montre que la banque de Tahiti l'a poursuivie pour obtenir le paiement (pièce n°7 de l'intimée), d'autre part Mme X. ne prétend pas que la CEGC ne l'a pas informée du paiement qu'elle entendait effectuer, pas plus qu'elle ne soutient avoir informé la caution des exceptions à opposer à la banque de Tahiti ou du caractère faux de la défaillance alléguée par la banque pour mettre en œuvre la clause de remboursement anticipé. »
2/ « La caution est libre de choisir le recours qu'elle souhaite exercer entre celui prévu à l'article 2305 et celui prévu à l'article 2306 du code civil. Elle peut même choisir d'exercer les deux recours successivement ou simultanément et même en changer en cours d'instance. Elle doit cependant choisir à l'issue de l'instance lequel a sa préférence, ne pouvant cumuler le produit des deux actions. Or la CEGC a clairement fait le choix d'exercer son recours personnel, notamment pour ne pas se voir opposer par Mme X. les exceptions inhérentes à la dette, en particulier celle qui résulterait du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée. Elle ne peut donc opter pour l'exercice d'un recours subrogatoire uniquement pour une partie des sommes qu'elle entend réclamer à Mme X.
C'est donc à tort que la somme de 28.618.514 FCP a été assortie par le tribunal des intérêts au taux conventionnel de 7 %. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAPEETE
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/00063. Arrêt n° 335. Décision déférée à la Cour : Arrêt n° 951 F-P+B de la Cour de Cassation de Paris du 10 octobre 2018, ayant cassé l'arrêt n° 63, RG n° 15/00159 de la Cour d'Appel de Papeete du 2 mars 2017, suite à l'appel du jugement n° 779, RG n° 13/00633, du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 17 décembre 2014 ; Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 5 mars 2019 ;
Appelante :
Mme X.
née le [date] à [ville], de nationalité française, demeurant à [adresse] ; Représentée par Maître Placide B., avocat au barreau de Papeete et Maître Jérôme T., avocat au barreau de Paris ;
Intimée :
La SA Compagnie Européenne des Garanties et Cautions (CEGC)
immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° XXX dont le siège social est sis [adresse] ; Représentée par Maître Gilles G., avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 18 mai 2020 ;
Composition de la Cour : Vu l'article R. 312-9 du code de l'organisation judiciaire ;
Dit que l'affaire, dont ni la nature ni la complexité ne justifient le renvoi en audience solennelle, sera jugée, en audience ordinaire publique du 27 août 2020, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, Mme DEGORCE et M. SEKKAKI, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire : Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ; Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
ARRÊT :
Exposé du litige :
Faits :
Par offre de prêt du 21 mars 2011 acceptée le 20 mai 2011, la Banque de Tahiti a consenti à Mme X. un prêt immobilier n° 201XXX901 d'un montant de 30.000.000 FCP remboursable en 240 mensualités pour financer la construction d'une maison d'habitation à usage de résidence principale située sur la [...].
Le prêt était assorti, au titre des garanties, d'un cautionnement de la Sa Compagnie Européenne de Garanties et Cautions (ci-après dénommée « la CEGC »).
Il était stipulé, au titre des conditions particulières, que les fonds seraient débloqués en plusieurs fois, sur le compte de l'entreprise justifiant d'un numéro au registre du commerce et des sociétés, sur présentation d'une facture TTC validée par l'emprunteur, indiquant la ou les prestations faites, au fur et à mesure de l'état d'avancement des travaux.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 août 2012, la Banque de Tahiti a dénoncé le prêt immobilier au visa de l'article 9 des conditions générales du contrat stipulant l'exigibilité anticipée des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur.
Par courrier enregistré le 25 octobre 2012 au parquet du procureur de la République, la banque a déposé plainte contre Mme X. pour escroquerie et faux au motif que les fonds avaient été débloqués :
- le 24 juin 2011, pour un montant de 10.560.000 FCP, sur présentation d'une facture n° 02/2011 établie par la Sarl Z. pour des travaux de terrassement et de talutage ;
- le 25 octobre 2011, pour un montant de 10.037.314 FCP, sur présentation d'une facture n° 06/20011 établie par la Sarl Z. pour des travaux de gros œuvre de la maison ;
- le 26 mai 2012, pour un montant de 8.021.200 FCP, sur présentation d'une facture n° 104/2012 établie par la Sarl Z. pour des travaux de construction de la structure, de la charpente et de la toiture de la maison, alors qu'il résultait d'une visite de contrôle effectuée le 16 août 2012 par la banque que seule la partie terrassement avait été réalisée alors que le gros œuvre et la construction qui avaient justifié les deux derniers déblocages étaient inexistants.
Le 20 juin 2013, la Banque de Tahiti a établi une quittance subrogative au bénéfice de la CEGC après avoir reçu de celle-ci, le 30 mai 2013, la somme de 239.823,15 euros (28.618.514 FCP) au titre du remboursement du prêt de 30.000.000 FCP. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mai 2013, la CEGC a mis en demeure Mme X. de lui payer la somme de 256.672,53 euros correspondant au principal de 239 823,15 euros, aux intérêts de retard au taux de 4,70 % et à une indemnité de 16.787,62 euros.
Par ordonnance du 12 juillet 2013, le président du tribunal de première instance de Papeete a autorisé la CEGC à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur la parcelle de terrain formant le lot n° [...] et les constructions érigées sur celle-ci en garantie d'une créance totale de 30.669.717 FCP (257 012,23 euros).
Procédure :
Par requête enregistrée au greffe le 27 août 2013, et suivant acte d'huissier du 21 août 2013, la CEGC a assigné Mme X. en paiement de la somme correspondant à la créance garantie, soit 30.699.717 FCP (257.012,23 €) arrêtée au 4 juin 2013, outre les intérêts au taux contractuel de 4,70 %, ainsi que 150.000 FCP au titre des frais irrépétibles, ainsi que les dépens y incluant les frais d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ainsi que les frais d'hypothèque définitive à intervenir.
Par jugement n°13/00633 en date du 17 décembre 2014, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
- déclaré recevable la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions en ses demandes,
- condamné Mme X. à payer à la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions la somme de 28.618.514 FCP arrêtée au 30 mai 2013, outre les intérêts au taux contractuel de 4,70 % l'an, jusqu'à parfait paiement,
- débouté les parties du surplus de leur demande,
- condamné Mme X. à payer à la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions la somme de 150.000 FCP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile,
- condamné Mme X. aux dépens, y compris les frais relatifs à l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, de dénonciation de l'ordonnance l'autorisant, ainsi que les frais relatifs à l'inscription de l'hypothèque définitive.
Par requête enregistrée le 27 mars 2015 au greffe de la cour d'appel, Mme X. a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt n° 15/00159 en date du 2 mars 2017, la cour d'appel de Papeete a confirmé en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel.
Par arrêt n° 951 (pourvoi n° V 17-20.441) en date du 10 octobre 2018, la cour de cassation, première chambre civile, a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel, remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée.
La cour de cassation a jugé, au visa de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation violé par la cour d'appel, qu'il lui incombait de rechercher d'office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'importance de l'inexactitude de cette déclaration et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme.
Mme X. par requête enregistrée au greffe le 5 mars 2019, a saisi la cour d'appel sur renvoi après cassation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mai 2020, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 2 juillet 2020.
A l'issue de celle-ci, les parties ont été informées que le décision, mise en délibéré, serait rendue le 10 septembre 2020 par mise à disposition au greffe.
Prétentions et moyens des parties :
Mme X., appelante, demande à la Cour par dernières conclusions régulièrement déposées le 27 mars 2020, de :
- INFIRMER purement et simplement le jugement déféré, rendu par le Tribunal de première Instance de Papeete le 17 décembre 2014 ;
STATUANT à nouveau :
- JUGER qu'elle a respecté les conditions particulières et générales du contrat de prêt souscrit auprès de la Banque de Tahiti, aux droits de laquelle vient la CEGC ;
- JUGER que l'article 9 des conditions générales du contrat de prêt en date du 20 mai 2011, en ce qu'il autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, est abusive ;
- DECLARER non écrite la clause figurant à l'article 9 des conditions générales du contrat de prêt en date du 20 mai 2011 ;
- JUGER qu'elle n'était pas défaillante à la date de la quittance subrogatoire ;
- DEBOUTER la CEGC de toutes ses demandes ;
- Subsidiairement REJETER les demandes de la CEGC en vertu du recours subrogatoire prévu à l'article 2306 pour les sommes excédant le montant qu'elle a effectivement réglé à la Banque de Tahiti, hors intérêts de retard, et la DEBOUTER de ses prétentions pour les intérêts au taux conventionnel et de l'indemnité conventionnelle de 7 % à titre subrogatoire ;
En conséquence :
- ORDONNER la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prononcée par l'ordonnance du Tribunal de Première Instance de PAPEETE du 12 juillet 2013 ;
- CONDAMNER la CEGC à lui payer la somme de 8.000.000 FCP à titre de dommages et intérêts en réparation du dénigrement personnel qu'elle subit ;
- ORDONNER la parution du dispositif de la décision à intervenir dans un journal quotidien diffusé en Polynésien aux frais de la CEGC ;
- CONDAMNER la CEGC à lui payer la somme de 3.500.000 FCP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
- CONDAMNER la CEGC aux entiers dépens.
[*]
La CEGC, intimée, par dernières conclusions régulièrement déposées le 12 mars 2020 demande à la Cour de :
- la RECEVOIR en ses écritures et les dires bien fondées,
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de première instance de Papeete le 17 décembre 2014,
- DEBOUTER Mme X. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNER Mme X. au paiement de la somme de 600.000 FCP au titre de l'article 407 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. L'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou à « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
I. Sur le recours de la caution pour les sommes payées à la banque :
La CEGC entend opposer qu'elle ne vient pas aux droits et obligations de la banque mais lui est subrogée conformément aux article 2305 et suivants du code civil (2028 ancien). Les moyens tirés du contrat principal entre Mme X. et la banque lui sont donc inopposables.
Elle précise encore qu'elle ne pouvait elle-même opposer au créancier les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur, ce qui est le cas de l'existence d'une clause abusive dans le contrat, sans commettre une faute et alors même qu'elle n'a pas le loisir de juger du caractère valable de l'exigibilité, pas même contesté par l'emprunteur en justice.
Elle indique exercer un recours personnel conformément à l'article 2305 du code civil en ce qui concerne les sommes acquittées auprès de la banque. Elle argue ainsi de ce que dans le cadre de l'exercice du recours personnel, le débiteur n'est pas recevable à opposer à la caution quelque défaut que ce soit tiré du rapport originel le liant avec le créancier, qu'il soit personnel ou inhérent à la dette.
Elle fait valoir en dernier lieu que les seules exceptions que le débiteur peut opposer à la caution résultent de l'article 2308 du code civil, or elle considère qu'aucune des trois conditions cumulatives prévues à cet article n'est caractérisée.
Mme X. indique que dans le cas du recours personnel, la caution agit en remboursement des sommes qu'elle a payées pour le compte du débiteur en vertu d'un mandat implicite.
Elle précise ensuite que la question de la validité de l'exigibilité de la dette est inhérente aux conditions préalables et juridiquement nécessaires pour l'exercice de l'engagement de la garantie et donc de la validité du recours de la caution qui est personnellement opposable à la CEGC.
Elle affirme ainsi que si la clause d'exigibilité anticipée était abusive et donc inapplicable, la CEGC n'était pas fondée à exercer son recours.
Elle argue subsidiairement de l'absence de défaillance justifiant la mise en œuvre de la clause litigieuse, de l'invalidité du paiement de la caution à la banque et, partant, du caractère abusif de son recours.
Sur ce :
Sous des présentations et articulations différentes, les parties développent en réalité des moyens opposés sur une même question : une exception de nullité d'une clause du contrat de prêt entre le débiteur et la banque peut-elle être opposée à la caution ?
Il résulte des articles 2028 et 2029 du code civil, devenus 2305 et 2306, dans leur version applicable en Polynésie française, qu'une caution qui a exécuté son engagement peut exercer contre le débiteur principal deux recours, un recours personnel fondé sur l'article 2305 et un recours subrogatoire fondé sur l'article 2306.
Or si le débiteur peut opposer au créancier subrogé toutes les exceptions inhérentes à la dette (selon la jurisprudence ancienne, l'article 1346-5 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 n'étant pas applicable en Polynésie française), ce n'est pas le cas lorsque la caution exerce son action sur le fondement du recours personnel et non du recours subrogatoire.
En l'espèce, le contrat de prêt entre la banque de Tahiti et Mme X. (pièce n°1 de l'intimée) stipule au titre des garanties : « En cas de défaillance de l'EMPRUNTEUR dans le remboursement du présent prêt et, consécutivement, d'exécution par la Caution de son obligation de règlement, la Caution exercera son recours contre l'EMPRUNTEUR, conformément aux dispositions de l'article 2305 du Code Civil, sur simple production d'une quittance justifiant du règlement effectué. »
Les parties ont donc clairement prévu dans le contrat de prêt l'exercice d'un recours personnel de la caution, soumis à la seule obligation pour celle-ci de produire une quittance justifiant du règlement effectué.
C'est ce qu'a fait la CEGC qui fournit la quittance subrogative de la banque de Tahiti (pièce n°4 de l'intimée), étant précisé que l'établissement d'une quittance subrogative à seule fin d'établir la réalité du paiement est sans incidence sur le choix de la caution d'exercer son recours personnel en application de l'article 2305 du code civil.
La nature personnelle du recours de la caution en ce qui concerne les sommes acquittées auprès de la banque ne permet donc pas à Mme X., débitrice, d'opposer à la CEGC les fautes qu'elle impute à la banque, et en particulier le caractère abusif allégué de la clause d'exigibilité anticipée mise en œuvre par la banque, pas plus qu'elle ne lui permet de remettre en cause ce recours du fait de la mise en œuvre injustifiée de la clause d'exigibilité anticipée.
Par ailleurs, il résulte de l'article 2031 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française (devenu article 2308 du code civil) que la caution qui a payé le créancier sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur, quand celui-ci disposait, au moment du paiement, de moyens de faire déclarer la dette éteinte, est déchue de son recours contre ce débiteur, lequel est fondé, dès lors que ce recours a néanmoins été exercé, à demander la répétition des sommes versées.
En l'espèce d'une part la CEGC montre que la banque de Tahiti l'a poursuivie pour obtenir le paiement (pièce n°7 de l'intimée), d'autre part Mme X. ne prétend pas que la CEGC ne l'a pas informée du paiement qu'elle entendait effectuer, pas plus qu'elle ne soutient avoir informé la caution des exceptions à opposer à la banque de Tahiti ou du caractère faux de la défaillance alléguée par la banque pour mettre en œuvre la clause de remboursement anticipé.
Sur ce dernier argument, Mme X. opère une confusion dans la lecture de la clause précédemment citée entre la défaillance ayant entraîné l'application de la clause litigieuse et la défaillance dans le remboursement du prêt, qui sont deux étapes distinctes, la première concernant la banque, la seconde la caution dès lors qu'elle n'exerce qu'un recours personnel.
En effet, l'application de la clause relative aux garanties, impose seulement de s'interroger sur l'existence d'une défaillance dans le remboursement du prêt, quelle qu'en soit la cause. Or, par courrier recommandé avec accusé de réception, la banque de Tahiti a dénoncé le prêt immobilier par application de l'article 9 « exigibilité anticipée », lui réclamant le remboursement du capital restant dû soit 28.618.514 F CFP. Puis Mme X. s'est trouvée dans l'impossibilité de procéder à ce remboursement avant le 30 septembre 2012, de sorte que la banque en a réclamé le paiement à la caution.
L'ensemble des conditions contractuelles entre Mme X. et la CEGC pour l'exercice du recours de cette dernière étant réalisées, le tribunal a justement condamné Mme X. a payer à la CEGC la somme de 28.618.514 F CFP acquittée par la caution à la banque et dont elle a reçu quittance.
Le jugement du tribunal doit donc être confirmé sur ce point.
II. Sur le recours de la caution pour l'indemnité conventionnelle et le taux conventionnel :
La CEGC indique exercer, en complément de son recours personnel pour le principal, son recours subrogatoire conformément à l'article 2306 du code civil en ce qui concerne l'application du taux conventionnel aux intérêts de retard et le paiement de l'indemnité conventionnelle de 7 %.
Elle explique bénéficier d'un cumul des recours personnel et subrogatoire.
Mme X. réplique que le droit de recours de la CEGC résulte des dispositions du contrat de prêt qui le limite uniquement à celui prévu à l'article 2305 à l'exclusion de celui prévu à l'article 2306 du code civil.
Elle cite d'ailleurs le premier de ces textes pour expliquer que la caution n'a de recours que pour les frais faits par elle depuis qu'elle a dénoncé au débiteur principal les poursuites dirigées contre elle.
Ainsi, les intérêts ne sont pas, selon Mme X., ceux payés par la caution au créancier et dont le remboursement est dû à titre principal dans le cadre de l'action subrogatoire, mais les intérêts moratoires, au taux légal, à compter du versement effectué par la caution.
Sur ce :
L'article 2028 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française (article 2305 nouveau) dispose que :
« La caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal, soit que le cautionnement ait été donné au su ou à l'insu du débiteur.
Ce recours a lieu tant pour le principal que pour les intérêts et les frais ; néanmoins la caution n'a de recours que pour les frais par elle faits depuis qu'elle a dénoncé au débiteur principal les poursuites dirigées contre elle.
Elle a aussi recours pour les dommages et intérêts, s'il y a lieu. »
La caution est libre de choisir le recours qu'elle souhaite exercer entre celui prévu à l'article 2305 et celui prévu à l'article 2306 du code civil. Elle peut même choisir d'exercer les deux recours successivement ou simultanément et même en changer en cours d'instance. Elle doit cependant choisir à l'issue de l'instance lequel a sa préférence, ne pouvant cumuler le produit des deux actions.
Or la CEGC a clairement fait le choix d'exercer son recours personnel, notamment pour ne pas se voir opposer par Mme X. les exceptions inhérentes à la dette, en particulier celle qui résulterait du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée.
Elle ne peut donc opter pour l'exercice d'un recours subrogatoire uniquement pour une partie des sommes qu'elle entend réclamer à Mme X.
C'est donc à tort que la somme de 28.618.514 FCP a été assortie par le tribunal des intérêts au taux conventionnel de 7 %.
Il convient par conséquent d'infirmer le jugement du tribunal sur ce point et d'assortir la condamnation à rembourser la somme principale des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013, date à laquelle Mme X. a reçu la lettre recommandée avec accusé de réception de la CEGC dénonçant les poursuites dirigées contre elle par la banque de Tahiti.
En revanche, s'agissant de l'indemnité de résiliation, le tribunal l'a écartée à juste titre, la cour substituant au motif tiré de l'absence de justification de la nature de l'indemnité, celui lié au choix de la nature du recours exercé par la caution et développé précédemment. La décision du tribunal ayant débouté la CEGC de cette demande doit par conséquent être confirmée.
III. Sur les autres demandes :
Mme X. qui sollicite la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le fondement d'un rejet éventuel des prétentions de la CEGC.
La CEGC sollicite l'irrecevabilité d'une telle demande nouvelle à hauteur d'appel.
Cette demande est toutefois connexe à la demande principale, donc recevable, mais Mme X. en sera déboutée, le jugement la condamnant étant confirmé pour l'essentiel ce qui justifie le maintien de ladite hypothèque nécessaire à garantir les sommes dues par elle à la CEGC.
Par ailleurs, Mme X. estime avoir subi un préjudice du fait de la condamnation de première instance, de la plainte pénale déposée contre elle et de l'arrêt du concours de la banque. Elle entend par conséquent réclamer la condamnation de la CEGC pour son préjudice financier et moral.
La CEGC réplique ne pas être le cocontractant de Mme X., aucune faute de sa part ni aucun lien avec les préjudices allégués n'étant établis.
Mme X. ne justifie pas en effet du lien entre ces préjudices allégués et le comportement de la CEGC, à l'encontre de laquelle aucune faute n'est démontrée par l'appelante, ni relevée par la cour. Mme X. sera donc déboutée de sa demande.
IV. Sur les frais et dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la CEGC les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent de condamner Mme X. à lui payer la somme de 300.000 francs CFP par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Les dépens d'appel seront supportés par Mme X. qui succombe conformément aux dispositions de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant sur renvoi après cassation, par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
CONFIRME le jugement n° 13/00633 en date du 17 décembre 2014 du tribunal civil de première instance de Papeete SAUF en ce qu'il a assorti la condamnation de Mme X. à payer à la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions la somme de 28.618.514 FCP des intérêts au taux contractuel de 4,70 % l'an ;
Statuant de nouveau,
DIT que la condamnation de Mme X. à payer à la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions la somme de 28.618.514 FCP est assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013 ;
CONDAMNE Mme X. à payer à la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions la somme de 300.000 francs CFP (trois cent mille francs pacifique) par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE Mme X. aux dépens d'appel.
Prononcé à Papeete, le 8 octobre 2020.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL