CA BORDEAUX (ch. soc.), 26 novembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8655
CA BORDEAUX (ch. soc.), 26 novembre 2020 : RG n° 18/01324
Publication : Jurica
Extraits (argument de l’appelante) : « En tout état de cause, Mme X. soutient que la note de service devrait être réputée non écrite car elle créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties conformément à l'article 1171 du code civil. »
Extraits (argument de l’intimée) : « S'agissant de la note de service, la société « Aux meubles réunis » prétend, d'une part, que l'article 1171 du code civil ne serait pas applicable à l'espèce car le contrat de travail de Mme X. a été conclu avant la mise en œuvre de ce nouvel article du code civil qui n'est applicable que pour les contrats signés ou renouvelés à partir du 1er octobre 2016 et, d'autre part, que la note de service ne faisant pas partie du contrat de travail de Mme X., l'article 1171 du code civil ne serait nullement applicable à la note de service rédigée par l'employeur. Elle affirme ainsi que la note de service serait conforme aux dispositions de l'article L. 3141-16 du Code du travail qui prévoient que les modalités de prise de congés sont déterminées, à défaut de convention collective et d'accord d'entreprise, par l'employeur. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/01324. N° Portalis DBVJ-V-B7C-KKBY (Rédacteur : Monsieur Yérard Pitti, vice-président placé auprès de la première présidente). Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 1er février 2018 (R.G. n° F17/00057) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 7 mars 2018.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, Profession : Caissière, demeurant [...], Assistée et représentée par Maître Alain P. de la SELARL CABINET D'AVOCATS ALAIN P., avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SA S370 CENTRE DE GESTION BUT « AUX MEUBLES RÉUNIS »
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [...], Assisté et représenté par Maître Christophe B. de la SELARL B. ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 8 octobre 2020 en audience publique, devant Monsieur Yérard Pitti, vice-président placé auprès de la première présidente, chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Eric Veyssière, président, Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère, Monsieur Yérard Pitti, vice-président placé.
Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Madame X. a été engagée par la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis » dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, en qualité d'hôtesse de caisse, du 9 novembre 2015 au 9 février 2016, avec comme motif un surcroît temporaire d'activité.
Par avenant du 8 février 2016, son contrat de travail a été renouvelé jusqu'au 9 mai 2016.
A partir du 10 mai 2016, ce contrat s'est transformé en contrat à durée indéterminée.
Madame X. s'est absentée de son poste le 29 octobre 2016.
Par courrier du 3 novembre 2016, la société « Aux meubles réunis » a convoqué Mme X. à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 15 novembre 2016.
Par courrier du 18 novembre 2016, la société lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse en raison de son absence injustifiée du 29 octobre 2016.
Par courrier du 7 décembre 2016, Mme X. a contesté son licenciement. La société « Aux meubles réunis » a répondu à sa contestation le 4 janvier 2017.
Le 12 janvier 2017, Mme X. a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de :
- voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- voir condamner la société « Aux meubles réunis » au paiement des sommes suivantes :
* 9.500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
* 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens,
- voir ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
A titre reconventionnel, la société « Aux meubles réunis » a sollicité la condamnation de Mme X. au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens et frais éventuels d'exécution.
Par jugement du 1er février 2018, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :
- jugé le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme X. justifié ;
- débouté Mme X. de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté Mme X. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SA « Aux meubles réunis » de sa demande d'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme X. aux entiers dépens.
Par déclaration du 7 mars 2018, Mme X. a relevé appel du jugement en ce qu'il a jugé son licenciement pour cause réelle et sérieuse justifié et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
[*]
Par ses conclusions signifiées le 27 mars 2018, Mme X. sollicite de la cour qu'elle déclare recevable et fondé son appel et, y faisant droit :
- infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau ;
- répute non-écrite la procédure interne de prise de congé ;
- écarte des débats l'attestation de M. Y.. ;
- dise que la sanction de licenciement est disproportionnée in abstracto aux faits reprochés ;
- dise que le doute in concreto quant à la procédure de prise de congé à suivre lui profite ;
- dise que son licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse ;
- condamne la société 'Aux meubles réunis' au paiement des sommes suivantes :
* 9.500 euros à titre de dommages et intérêts,
* 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.
Madame X. expose qu'elle n'avait pas été informée de la note de services relative à la procédure à respecter en cas de demande d'absence. Elle indique que l'employeur ne prouve pas que cette note de service lui a été remise en main propre contre émargement et qu'il ne saurait ainsi lui imputer une violation de cette note de service.
S'agissant de son jour d'absence le samedi 29 octobre 2016, elle expose qu'elle avait remplacé une collègue durant un jour de repos, le 3 octobre 2016, et qu'elle avait demandé à M. Y., son supérieur hiérarchique, de récupérer ce jour le samedi 29 octobre 2016 en remplissant un formulaire de demande de congés. Elle précise qu'il n'aurait pas refusé ce jour de congé avant que sa collègue, Mlle Z., ne retombe en arrêt maladie et que M. Y. lui demande de la remplacer le 29 octobre 2016. Elle ajoute qu'elle avait répondu à son employeur qu'elle ne pouvait pas remplacer sa collègue car elle avait déjà réservé un hôtel avec ses parents pour un week-end et qu'elle avait d'ores et déjà versé des arrhes de 400 euros pour la location d'un studio. Elle fait valoir que le délai de 4 jours aurait été suffisant pour l'employeur pour trouver un autre remplaçant à Mme Z. Elle prétend que son employeur n'aurait pas formellement refusé son jour de congés le 29 octobre 2016, faute pour l'employeur de remettre le formulaire de congés avec la mention du refus, et que son employeur avait été pleinement informé de son absence ce jour.
En tout état de cause, Mme X. soutient que la note de service devrait être réputée non écrite car elle créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties conformément à l'article 1171 du code civil.
[*]
Par conclusions signifiées le 25 juin 2018, la société « Aux meubles réunis » demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
en conséquence,
- dire et juger que le licenciement de Mme X. repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- débouter purement et simplement Mme X. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- reconventionnellement, la condamner au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de la présente procédure et éventuels frais d'exécution.
La société « Aux meubles réunis » expose que Mme X. s'est absentée le samedi 29 octobre 2016 sans avoir été préalablement autorisée par son employeur à prendre ce jour de congés. Elle précise que la salariée était parfaitement informée de la procédure interne de prise de congés car elle avait d'ores et déjà respecté cette procédure lors d'une précédente demande de congés en été 2016 qui avait été acceptée par l'employeur. S'agissant de la journée d'absence litigieuse, la société fait valoir qu'elle avait prévenu le 25 octobre 2016 Mme X. qu'elle devait remplacer Mme Z. le 29 octobre 2016 et que Mme X. savait ainsi qu'elle devait être présente ce jour. Elle affirme ainsi que la demande de congés de Mme X. n'avait pas été acceptée. Elle ajoute que la salariée ne l'avait pas tenue informée de son absence et que le directeur du magasin, M. Y.., se serait retrouvé devant le fait accompli le 29 octobre 2016 en découvrant son absence.
S'agissant de la note de service, la société « Aux meubles réunis » prétend, d'une part, que l'article 1171 du code civil ne serait pas applicable à l'espèce car le contrat de travail de Mme X. a été conclu avant la mise en œuvre de ce nouvel article du code civil qui n'est applicable que pour les contrats signés ou renouvelés à partir du 1er octobre 2016 et, d'autre part, que la note de service ne faisant pas partie du contrat de travail de Mme X., l'article 1171 du code civil ne serait nullement applicable à la note de service rédigée par l'employeur. Elle affirme ainsi que la note de service serait conforme aux dispositions de l'article L. 3141-16 du Code du travail qui prévoient que les modalités de prise de congés sont déterminées, à défaut de convention collective et d'accord d'entreprise, par l'employeur.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2020.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 8 octobre 2020 et mise en délibéré ce jour.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
Sur le bien-fondé du licenciement :
En application de l'article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, le doute profitant au salarié.
Aux termes de l'article L. 1232-1 du même code, le licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse inhérente à la personne du salarié et fondée sur des éléments objectifs, personnellement imputables à ce dernier.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 18 novembre 2016 de Mme X., qui fixe le cadre du litige, expose notamment :
« Nous vous avons reçu le 15 novembre 2016, dans le cadre d'un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, vous y étiez accompagnée par Mme D.
Au cours de cet entretien, nous vous avons reproché votre absence injustifiée du samedi 29 octobre 2016.
Vous nous avez expliqué que le lundi 3 octobre, vous êtes venu travailler votre jour de repos pour remplacer Mlle Z., tout en demandant à votre Directeur de pouvoir récupérer ce jour travaillé un samedi. Ce qu'il accepta tout en vous soulignant, comme vous le savez d'ailleurs fort bien, que le samedi est un jour de grosse fréquentation et qu'il ne pourrait vous l'accorder qu'à la condition expresse que votre collègue ait repris.
Courant octobre, vous remplissez une demande de congés pour le samedi 29 octobre. Monsieur Y. ne vous valida pas cette demande, tout en vous rappelant ses précédents propos et lia son accord à la reprise de votre collègue.
Le lundi 10 octobre, Melle Z. reprit son travail, vous en avez conclu qu'il vous était donc possible de prendre votre samedi 29 octobre.
Malheureusement, Mlle Z. rechuta le mardi 25 octobre, votre directeur s'empressa de vous en informer le jour même, c'est à ce moment-là que vous l'avertissez que vous ne pourrez pas être présente, que vous aviez réservé et déjà versé un acompte de 400 euros. S'en suivit une altercation que votre Directeur conclua en confirmant sa position et en exigeant que vous soyez présente le samedi.
Sans autre nouvelle, il s'étonna de votre absence le samedi 29 octobre, c'est à ce moment qu'il apprit d'une de vos collègues, mais visiblement tout le monde semblait au courant que vous aviez pris votre week-end car cela était organisé, faisant fi des intérêts du magasin et des difficultés qu'il allait rencontrées.
Même si lors de notre entretien, vous avez reconnu l'ensemble des faits, admis que tant le fond que la forme n'était pas acceptable et que vous nous avez demandé de vous excuser, il n'en va pas de même vis-à-vis de votre Directeur auquel vous n'avez pas formulé d'excuses, allant même jusqu'à lui reprocher de ne pas avoir embauché quelqu'un.
En conséquence, en raison de ces motifs, nous avons pris la décision de vous licencier. »
Il est établi que Mme X. s'est absentée le samedi 29 octobre 2016 sans avoir respecté la procédure de demande de congés et en passant outre le refus de son supérieur hiérarchique, Monsieur Y., qui lui avait expressément refusé cette autorisation en raison de l'absence pour arrêt maladie de l'autre hôtesse de caisse, Mme Z. Les juges ont exactement relevé que Mme X. connaissait la procédure de demande d'absence, nonobstant ses dénégations, puisqu'elle avait préalablement respecté cette procédure pour une absence durant les vacances d'été 2016 lors de ses congés entre le 3 et le 15 août 2016. Dans ces conditions, les faits imputables à Mme X. sont bien fautifs. Toutefois, alors que Mme X. n'avait jusqu'à présent reçu aucun avertissement de la part de son employeur et qu'elle avait pu remplacer Mme Z. lors d'un de ses jours de repos au début du mois d'octobre 2016, la faute unique de Mme X. n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le caractère sérieux de la cause de son licenciement.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme X. fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences économiques du licenciement :
Madame X. avait 23 ans à la date de son licenciement. Elle avait 1 an et 9 jours d'ancienneté et percevait un salaire mensuel brut de 1.573 euros. Elle verse aux débats une attestation PÔLE EMPLOI de mars 2017 aux termes de laquelle elle percevait l'Allocation au Retour à l'Emploi de 24,51 euros par jour avec un reliquat de 688 jours. Elle n'a néanmoins fourni aucun élément plus actualisé de sa situation professionnelle.
Compte tenu de son ancienneté, de son âge et de sa situation financière, il convient d'octroyer à Mme X. la somme de 3.146 euros, soit l'équivalent de deux mois de salaire, à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires :
Au regard des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme X. la totalité des frais qu'elle a dû supporter dans le cadre de la présente instance. Dès lors, la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis » sera condamnée à verser à Mme X. la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis », partie succombante, sera condamnée aux dépens de l'instance.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de BORDEAUX en date du 1er février 2018 ;
Statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de Madame X. est dénué de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis » à verser à Madame X. la somme de 3.146 euros (TROIS MILLE CENT QUARANTE SIX EUROS) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis » à verser à Madame X. la somme de 1.000 euros (MILLE EUROS) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SA S370 Centre de gestion « Aux meubles réunis » aux dépens.
Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps E. Veyssière
- 6062 - Protection contre les clauses abusives en droit du travail - Argument invoqué par le salarié
- 8261 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 -Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Domaine d'application
- 9748 - Protection contre les clauses abusives en droit du travail – Droit commun de l’art. 1171 C. civ.