CA LYON (1re ch. civ. B), 27 avril 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 8905
CA LYON (1re ch. civ. B), 27 avril 2021 : RG n° 19/03715
Publication : Jurica
Extrait : « La clause d'échange d'intérêts figurant dans la lettre d'instruction pour la mise en place d'une opération de couverture de taux en vue d'une stratégie de taux fixe sur un capital restant dû de 960.000 euros avec amortissement trimestriel sur la période du 29 juin 2009 au 29 juin 2021, trimestrielle, comme le prêt sur laquelle elle est adossée, selon laquelle la SCI Loire en Seine immobilier reçoit de la banque Euribor 3 mois + 0,08 % (exact/360), l'Euribor 3 mois étant constaté 2 jours ouvrés précédant le 1er jour de chaque période trimestrielle d'intérêts, et règle en échange chaque trimestre le taux fixe de 4,25 % (exact/360), porte à l'évidence sur la prestation essentielle caractérisant ce contrat de swap.
Cette clause est rédigée de manière claire et compréhensible en ce sens qu'elle peut être comprise par les dirigeants d'une SCI normalement attentifs, à la fois sur le plan formel et grammatical mais également quant à sa portée concrète visant à substituer un taux fixe au taux variable du prêt immobilier souscrit par leur SCI.
En conséquence, en supposant que la qualité de non professionnel de la SCI et de ses dirigeants ne soit pas discutable, toute discussion à propos du caractère abusif de cette clause est exclue. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈME CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 27 AVRIL 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/03715. N° Portalis DBVX-V-B7D-MMOO. Décision du Tribunal de Grande Instance de SAINT-ÉTIENNE, Au fond du 2 avril 2019 : R.G n° 17/02297.
APPELANTE :
La Société Civile LOIRE SEINE IMMOBILIER
[...], [...], Représentée par la SCP B. & P.-D. ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, toque : 53
INTIMÉE :
La CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL LOIRE ET HAUTE-LOIRE
[...], [...], Représentée par la SELARL L. & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938
Date de clôture de l'instruction : 3 septembre 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 mars 2021
Date de mise à disposition : 27 avril 2021
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Agnès CHAUVE, président - Florence PAPIN, conseiller - Laurence VALETTE, conseiller, assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier.
A l'audience, Laurence VALETTE a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt : Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Agnès CHAUVE, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :
La société civile Loire Seine immobilier, constituée en 2009 par MM. F. et P. X., a fait l'acquisition d'un immeuble situé [...].
Cette acquisition a été financée au moyen, notamment, d'un prêt notarié du 2 juillet 2009 consenti par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Loire Haute-Loire (le Crédit agricole ou la banque) d'un montant de 960.000 euros remboursable par échéances trimestrielles la première échéance étant fixée au plus tard le 29 septembre 2009 et la dernière au plus tard le 29 juin 2021, avec taux d'intérêt variable déterminé par référence à l'Euribor 3 mois, l'acte notarié mentionnant, à titre indicatif, sur la base de la moyenne mensuelle de l'euribor 3 mois du mois de mai 2009 de 1,2870 + marge de 0,800 l'an, un taux variable hors assurance de 2,087% l'an.
Le 8 juillet 2009, M. P. X. agissant en qualité de co-gérant de la SCI Loire Seine, a signé une lettre d'instruction pour la mise en place le jour même d'une opération de couverture de taux afin d'échanger le taux variable conventionnel de ce prêt de 960.000 euros contre un taux fixe de 4,25 % sur la période du 29 juin 2009 au 29 juin 2021.
Par courriel du 21 novembre 2016, ayant pour objet « Prêt & SWAP Loire Seine Immobilier », le conseil de M. P. X. est intervenu auprès de la banque dans ces termes : « Vous avez mis en place un contrat de « SWAP » supposé borner l'évolution du taux d'intérêt variable d'un emprunt destiné à une acquisition immobilière de bon père de famille.
Ex post, force est de constater que cet objectif n'a pas été atteint et que des montants exorbitants d'intérêts ont été payés, ce qui met clairement en cause votre responsabilité, d'autant que mon client n'a aucune compétence dans ce montage assez inhabituel, ce que le respect de votre obligation de vérification vous aurait permis de constater et que, d'autre part, mon client réclame en vain ce contrat de « SWAP ».
Vous êtes donc mis en demeure de produire ce contrat, les documents de vérification d'usage (type Directive MIF) et la justification du calcul d'indemnité de sortie de ce contrat. »
Par courrier en date du 24 janvier 2017, la banque a répondu ainsi : « Nous vous précisons que nous détenons plus ce contrat en archives. Toutefois, nous vous adressons les documents suivants qui précisent toutes les caractéristiques du contrat accepté par votre client, à savoir :
- la lettre d'instruction signée par M. P. X., gérant de la SCI.
- le courrier manuscrit de M. P. X. donnant son accord pour que la SCI profite des opportunités offertes par les marchés financiers en matière de taux pour couvrir ses charges financières liées à ses emprunts en recourant à des instruments financiers (dont le swap).
- la copie du courrier qui est adressé annuellement à notre client commun de validation des opérations de couverture de taux : ce courrier mentionne toutes les caractéristiques du contrat de swap et notamment le numéro du contrat, le montant de la soulte perçu ou à payer en cas de rachat de la transaction en cours (dans la colonne Mark to Market...) ». Dans ce même courrier la banque donnait des précisions sur le calcul du montant de la soulte.
Par lettre recommandée en date du 13 mars 2017, le conseil de la SCI Loire Seine immobilier a répondu au Crédit agricole qu'aucun contrat de swap n'ayant été valablement régularisé, la SCI considère qu'elle ne peut être tenue à son égard que dans la limite de la stipulation de taux d'intérêts variable prévu à l'acte notarié du 2 juillet 2009, et mis la banque en demeure, notamment, de se limiter à des prélèvements d'intérêts rigoureusement conformes à cet acte notarié et à rembourser les prélèvements reçus en application supposée de ce contrat de swap inexistant et en toute hypothèse nul.
Par acte d'huissier de justice signifié le 4 juillet 2017, la société civile Loire Seine immobilier a assigné le Crédit agricole devant le tribunal de grande instance de Saint-Étienne, aux fins de dire inexistant et à défaut nul, le contrat de swap supposé conclu le 8 juillet 2009, à défaut de dire abusive la clause d'échange d'intérêts, de le condamner à lui payer la somme de 175.581,67 euros au titre des intérêts indûment prélevés en compte au 31 décembre 2018, sauf à parfaire, de le condamner à lui payer la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SCP B. & P.-D., et de dire le jugement à intervenir exécutoire par provision.
Par jugement du 2 avril 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Étienne a :
- dit qu'il est parfaitement justifié de la conclusion d'un contrat de swap par la signature du dirigeant de la société sur la lettre d'instruction de mise en place de la couverture du taux d'intérêt variable, puis par l'exécution pendant plus de sept ans de cette convention,
- dit qu'il n'est pas établi l'existence d'une fraude de l'établissement prêteur lors de la conclusion du contrat,
- dit qu'il n'est pas établi de caractère abusif de la clause d'échange d'intérêts, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'étant par ailleurs pas applicable à un contrat conclu entre deux professionnels,
- débouté la SCI Loire Seine immobilier de sa demande de constatation de l'inexistence de la nullité du contrat de SWAP et de la demande de nullité de la clause d'échanges d'intérêts,
- débouté la SCI Loire Seine immobilier de sa demande de remboursement des intérêts perçus et de ses autres demandes,
- débouté la Caisse régionale de crédit agricole Loire Haute-Loire de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la SCI Loire Seine immobilier à payer à la Caisse régionale de crédit agricole Loire Haute-Loire la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Loire Seine immobilier aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 27 mai 2019, la SCI Loire Seine immobilier a interjeté appel des dispositions de ce jugement à l'exception de celle ayant débouté la banque de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
[*]
Au terme de conclusions notifiées le 2 juillet 2020, la SCI Loire Seine immobilier demande à la cour de :
- réformer totalement le jugement entrepris,
- dire inexistant, et à défaut nul, le contrat de swap supposé conclu le 8 juillet 2009,
- à défaut, dire abusive la clause d'échange d'intérêts,
Subséquemment,
- condamner le Crédit agricole à lui payer la somme de 185.346 euros au titre des intérêts indûment prélevés en compte au 30 juin 2020,
Plus subsidiairement,
- prononcer la résolution judiciaire du contrat de swap aux torts exclusifs du Crédit agricole à effet au 18 novembre 2015, date à laquelle l'emprunteur avait manifesté son souhait de mettre un terme aux prélèvements opérés par la banque,
Subséquemment,
- condamner le Crédit agricole à lui payer la somme de 54.746 euros au titre des intérêts indûment prélevés en compte du mois de novembre 2015 au 30 juin 2020,
En tout état de cause,
- débouter le Crédit agricole de sa demande reconventionnelle,
- condamner le Crédit agricole à lui payer la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Crédit agricole aux entiers dépens distraits au profit de la SCP B. & P.-D., avocats, sur son affirmation de droit.
[*]
Au terme de conclusions notifiées le 22 avril 2020, le Crédit agricole Loire Haute-Loire demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive du Crédit Agricole Loire Haute-Loire,
Statuant à nouveau de ce chef,
- condamner la SCI Loire Seine immobilier à lui payer une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- confirmer le jugement dont appel pour le surplus,
En conséquence,
- débouter la SCI Loire Seine immobilier de ses demandes, prétentions, fins et conclusions,
De manière reconventionnelle,
- condamner la SCI Loire Seine immobilier à lui payer la somme de 1.085,47 euros, solde débiteur du compte courant n°[...],
En tout état de cause,
- condamner la SCI Loire Seine immobilier à lui payer une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI Loire Seine immobilier aux dépens d'instance et d'appel liquidé au profit de la SELARL d'avocats L. & Associés, selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
A titre liminaire, il sera rappelé :
- qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif,
- que les « demandes » tendant à voir « dire » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour lorsqu'elles développent en réalité des moyens.
Aux termes du dispositif de ses conclusions, la SCI demande, à titre principal, la condamnation de la banque à lui payer la somme de 185.346 euros au titre des intérêts indûment prélevés en compte au 30 juin 2020.
Dans ce dispositif, elle fait expressément valoir comme moyens : l'inexistence du contrat, à défaut, la nullité du contrat, à défaut le caractère abusif de la clause d'échange d'intérêts.
En cause d'appel, elle sollicite pour la première fois et à titre subsidiaire, que soit prononcée la résolution judiciaire du contrat swap aux torts exclusifs de la banque et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 54.746 euros au titre des intérêts indûment prélevés en compte du mois de novembre 2015 au 30 juin 2020.
Sur la demande principale :
Le swap constitue un contrat relevant de la catégorie des instruments financiers à terme visés, depuis l'ordonnance du 8 janvier 2009, par l'article L. 211-1 du code monétaire et financier et énumérés par l'article D. 211-1 A du même code.
Ces instruments financiers, encore appelés contrats financiers ou produits dérivés, désignent les conventions par lesquelles une ou plusieurs parties transfèrent à une ou plusieurs autres personnes un risque tenant aux conséquences financières de la réalisation d'un ou plusieurs événements stipulés au contrat, avec comme objectif de se protéger du risque (couverture) ou d'en profiter (spéculation).
Dans le contrat swap il s'agit généralement pour l'emprunteur de se protéger du risque d'évolution à la hausse du taux d'intérêt.
1/ En l'espèce, il est incontestable que la banque n'est pas en mesure de produire un contrat écrit de swap signé par un représentant de la SCI.
Elle communique toutefois :
- un document à l'entête de la SCI Loire Seine immobilier signé le 16 juin 2009 par M. P. X. par lequel il déclare, en qualité de co-gérant de la SCI, que cette dernière « souhaite profiter à tout moment des opportunités offertes par les marchés financiers en matière de taux pour couvrir ses charges financières liées à ses emprunts évalués à ce jour à 960.000 euros. Pour ce faire, elle souhaite négocier avec tout établissement de son choix, les opérations financières nécessaires à l'exécution ou à la promotion de toute activité énumérée dans son objet social, en recourant aux instruments financiers à terme suivants : contrat d'échange de conditions d'intérêts ou de devises (swaps), contrats de couverture de conditions d'intérêts ou de devises (cap, floor, collar), portant sur tous indices disponibles sur les marchés financiers et offerts par tout établissement de crédit ou portant sur toutes devises d'un Etat membre de l'OCDE » ;
- une délégation de pouvoirs et de signatures à l'entête de la SCI et du Crédit agricole, signée le 19 juin 2009 par M. P. X. co-gérant de la SCI Loire Seine immobilier, déléguant, et M. P. B., responsable financier, délégataire, prévoyant notamment, au titre des pouvoirs délégués : « contrats de couverture du risque de taux d'intérêts -swap- » ;
- un courriel du 8 juillet 2009 qu'elle a adressé à M. P. X. dans ces termes : « Suite à notre conversation téléphonique, veuillez trouver ci-joint la proposition commerciale de couverture de taux ainsi que la lettre d'instruction nécessaire pour la mise en place de votre taux fixe », précision donnée que cette lettre d'instruction doit être renvoyée signée, par fax ;
- la proposition commerciale du 8 juillet 2009 préparée spécifiquement à l'attention de la SCI Loire Seine immobilier et ayant un caractère confidentiel, intitulée « Gestion du risque de taux », comportant plusieurs parties : 1/Contexte économique, 2/ Directive MIF, 3/ « Proposition de couverture -12 ans » présentant dans un encadré les modalités de couverture selon un « taux fixe classique » et à la suite les « Avantages (mention portée en gras) : Vous bénéficiez d'un taux fixe de 4,25 %, vous connaissez par avance vos charges financières sur l'ensemble de votre emprunt et vous êtes couvert contre une éventuelle hausse des taux » ainsi que « Inconvénient (mention portée en gras) : Vous ne bénéficiez pas d'une éventuelle baisse des taux », 4/ Annexes sur l'historique des taux Euribor et des anticipations de l'Euribor 3 mois, 5/ Vos contacts et 6/ Avertissement ;
- la lettre d'instruction qui fait référence à cette proposition commerciale du même jour et qui a été retournée par fax après avoir été signée le 8 juillet 2009 par M. P. X. agissant en qualité de co-gérant de la SCI Loire Seine, pour la mise en place le jour même d'une opération de couverture de taux afin d'échanger le taux variable conventionnel de ce prêt de 960.000 euros contre un taux fixe de 4,25 % sur la période du 29 juin 2009 au 29 juin 2021 ;
- le courrier adressé le 26 avril 2010 par le service back office entreprise à la SCI Loire Seine immobilier pour l'informer de la valorisation de ses opérations de couverture de taux avec le Crédit agricole au moyen du tableau suivant, avec la précision suivante : « la dernière colonne (Mark to Market) indique la soulte perçue ou à payer en cas de rachat de la transaction en cours »
référence produit | le client reçoit | le client paie | Notionnel courant | date début | date fin | MTM |
contrat SWAP n° XX | Euribor 3M+ 80 BP | 4,25 % | 906.768 euros | 29/06/2009 | 29/06/2021 | - 41.021 euros |
- le courriel du 26 octobre 2016 par lequel la banque a indiqué à M. F. X. que pour toute sortie anticipée du contrat de swap, « une soulte de déblocage sera appliquée qui correspond à ce jour (coût fonction du marché relative à une valeur d'annulation) à 41.000 euros. Aucun frais n'est appliqué sur cette opération. »
Il ressort de l'ensemble de ces pièces justificatives que les parties ont eu la commune intention de mettre en place une opération de couverture de taux d'intérêts, adossée au contrat de prêt à taux variable, afin de permettre à la SCI d'échanger le taux variable contre un taux fixe, et donc de couvrir le risque d'une hausse de taux. Le moyen tiré de l'inexistence du contrat de swap n'est donc pas fondé, peu important que la banque ne soit pas en mesure de justifier d'un contrat écrit signé par un représentant de la SCI.
2/ S'agissant de la nullité du contrat swap, l'appelante fait valoir au terme de conclusions peu compréhensibles, que :
- le défaut de contrat de swap s'inscrit dans une « stratégie de tromperie » du Crédit agricole ;
- en tout cas, la banque a « provoqué l'erreur de son client » sur cette opération de couverture de taux et manqué à son obligation d'information sur les risques et modalités de l'opération qu'elle lui a faite souscrire dans la mesure où, contrairement à ce qui a été indiqué au client et à ce que laissent penser les documents, l'opération mise en place par la banque n'est pas une opération destinée à caper l'évolution à la hausse d'un taux variable puisque il s'agit en réalité d'un instrument financier qui ne présente aucun intérêt pour le client en période de faible rémunération des prêts d'argent ;
- il n'a été donné aucune explication à M. X. sur l'articulation ou le défaut d'articulation entre cette opération et le prêt notarié et sur la charge qui pèse sur l'emprunteur en-dessous du taux fixe maximum de 4,25 % ; la mise en place cumulative du contrat swap et du contrat de prêt notarié qui prévoyait un « taux variable bas que le banquier savait durable » procède d'une « fraude qui a coûté à la SCI, au 30 juin 2020, 185.346 euros en sus des intérêts payés en application du contrat de prêt notarié (75.873,80 euros) » ;
- le « dol » commis par le Crédit agricole est d'autant plus grave qu'en matière de commercialisation d'instruments financiers dont fait partie le contrat de swap, il appartient à l'établissement bancaire avant la conclusion de toute opération de s'assurer des compétences de son client et par suite de son aptitude à comprendre le risque qu'impliquent les opérations envisagées ; l'absence de convention est d'autant plus préjudiciable à la société Loire Seine immobilier qu'elle n'est pas un client averti et que ses associés, en particulier le gérant, n'ont pas de compétence particulière en matière d'instruments financiers et que les contrats swap étaient en 2009 très peu connus des profanes ; cette absence de contrat les empêche de comprendre le fonctionnement du contrat et les laisse dans l'ignorance des conditions de résiliation de la convention alors qu'il est de principe que de tels contrats doivent être résiliables et que les conditions de résiliation doivent être prévues dès l'origine ; les explications qui ont été données par la banque par courrier du 24 janvier 2017 démontrent le caractère obscur de ce supposé contrat de swap pour lequel il faut comprendre que l'acronyme MTM constituerait le montant de la soulte à régler en cas de résiliation du contrat sans que l'on sache comment cette soulte est calculée ; loin de se préoccuper des besoins et de la compétence des associés de la SCI, la banque leur a imposé la conclusion d'une opération de couverture de taux léonine pour se rémunérer frauduleusement dans des conditions nettement plus avantageuses que celle prévues à l'acte notarié ;
- la fraude ainsi commise doit conduire la cour à annuler le prétendu contrat de swap ;
- en toute hypothèse, il doit être retenu que le contrat swap est nul en application des article 1108 et suivants du code civil dans leur rédaction applicable au litige, la SCI en ignorant les conditions de fonctionnement et ses conditions de résiliation au mépris de l'article L. 211-36-1 du code monétaire et financier ;
- la volonté de tromper de la banque et, à tout le moins, sa volonté délibérée de ne pas remplir une obligation légale d'information est encore démontrée par le fait qu'elle a voulu réglementer le contrat swap en dehors du contrat de prêt notarié dont il est pourtant supposé indissociable ; et que si l'opération avait été présentée au notaire, celui-ci aurait vraisemblablement déconseillé à l'emprunteur d'y souscrire ;
- la banque ne peut s'exonérer de sa responsabilité en soutenant que son client serait averti ce qui n'est pas le cas, et qu'il ne se serait pas exposé à un risque d'endettement excessif, alors que sa faute majeure a consisté à faire souscrire par ce client un instrument financier sans écrit prévoyant l'ensemble des conditions applicables, en particulier les conditions de résiliation, alors que concurremment le prêt consenti était régularisé devant un notaire, ce alors que les informations parcellaires qui étaient fournies au client était totalement trompeuses par rapport à son objectif de limiter les risques liés à l'application du taux variable prévu dans le contrat de prêt ; la remontée du taux étant présentée comme inexorable, inévitable dans le document du 8 juillet 2009 au prix d'un bouleversement de l'économie du contrat de prêt notarié.
La banque soutient qu'il n'y a ni dol ni erreur provoquée ni présentation trompeuse, ni fraude. Elle ajoute que la SCI est un professionnel averti à l'égard duquel elle n'avait aucun devoir de conseil ou de mise en garde, et que, s'agissant du crédit, il n'y avait pas de risque d'endettement excessif. S'agissant de la demande de remboursement elle dit ne pas en comprendre le fondement juridique et conclut à son rejet en observant que la SCI n'a pas contesté l'existence du swap pendant près de 7 ans et qu'elle en a réglé les intérêts pendant plus de 10 ans avant de s'y opposer pour les besoins de la présente procédure, par courrier de son conseil en date du 21 janvier 2021 faisant suite à l'avis différentiel sur swap de taux adressé le 30 décembre 2019.
Sur ce :
Il n'est nullement démontré que la banque a imposé le contrat de swap à l'emprunteur.
Contrairement à ce qui est soutenu, les conditions du swap qui n'est pas une opération complexe, ont été expliquées dans la proposition commerciale qui a été envoyée à l'emprunteur, s'agissant de son objectif (instauration d'un taux fixe classique pour la SCI), sa durée, son notionnel et la fréquence des intérêts (12 ans, du 29 juin 2009 au 29 juin 2021, 960.000 euros et trimestrielle comme le prêt auquel elle est adossée), et de son fonctionnement :
« - la SCI Loire en Seine immobilier reçoit chaque trimestre Euribor 3 mois + 0,08 % (exact /360), l'Euribor 3 mois étant constaté 2 jours ouvrés précédant le 1er jour de chaque période trimestrielle d'intérêts,
- la SCI Loire en Seine immobilier verse chaque trimestre un taux fixe de 4,25 % (exact/360) ».
Ces éléments sont, pour l'essentiel, repris dans la lettre d'instruction pour la mise en place de l'opération signée par M. P. X. agissant en qualité de co-gérant de la SCI.
Comme l'a justement retenu le premier juge, l'attention est attirée dans cette proposition commerciale non seulement sur les avantages « Vous bénéficiez d'un taux fixe de 4,25 %, vous connaissez par avance vos charges financières sur l'ensemble de votre emprunt et vous êtes couvert contre une éventuelle hausse des taux », mais également sur l'inconvénient, à savoir « Vous ne bénéficiez pas d'une éventuelle baisse des taux ».
Cette proposition comporte également une évaluation directive MIF dans laquelle il est notamment indiqué :
« Vous souhaitez réaliser une transaction répondant aux objectifs « d'investissement » suivants : Durée : 12 ans
Indexation choisie : Taux fixe
But mise en place d'une couverture de taux
Profil de risque : risque de perte limité par la mise en place d'une stratégie protégée, i.e. dont le taux maximum potentiel est connu au préalable ou équivalent au taux de marché.
Pour permettre à CALYON d'évaluer votre situation financière, vous nous avez fourni les éléments suivants au 31/12/2008 :
- Chiffres d'Affaires : 5.823.000 EUR
- Résultat Net : 563.000 EUR
- Fonds Propres : 1.841.000 EUR
- Endettement : 170.000 EUR
Vous déclarez (i) disposer de l'expérience nécessaire, et (ii) connaître les risques associés à la transaction envisagée.
Vous déclarez avoir reçu et pris pleine et entière connaissance de la documentation qui vous a été fournie par votre contact CALYON sur le produit envisagé, et en particulier l'information sur les risques de ce produit, que vous considérez comme suffisante. Concernant la valorisation du produit à une date déterminée, vous reconnaissez avoir été informé qu'en fonction de l'évolution des conditions de marché, votre comptabilité pourra enregistrer une perte en raison de la valorisation du produit à cette date (« mark-to-market négatif ») ....
Avertissement : Vous serez réputé agir pour votre propre compte, avoir pris la décision de conclure cette transaction de manière indépendante et vous être assuré que cette transaction est adaptée à votre situation après avoir éventuellement pris avis auprès de vos conseils habituels si vous le jugez nécessaire. Vous devrez procéder à votre propre analyse des aspects juridiques, fiscaux, comptables et réglementaires de cette transaction afin de pouvoir déterminer les avantages et les inconvénients de celle-ci et ne pas vous en remettre pour cela à CALYON et/ou l'une de ses filiales...'.
Si en annexes 4, la banque présente :
- un historique des taux Euribor, de Souce Reuters, elle prévient que « les chiffres cités ont trait aux années écoulées et les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures » ;
- et des anticipations de l'Euribor 3 mois de Source Calyon, elle prévient que « des prévisions de la sorte ne constituent pas un indicateur fiable quant aux performances futures ».
Enfin, soutenir comme le fait la SCI que « l'opération mise en place par la banque n'est pas une opération destinée à caper l'évolution à la hausse d'un taux variable puisque il s'agit en réalité d'un instrument financier qui ne présente aucun intérêt pour le client en période de faible rémunération des prêts d'argent », revient à remettre en cause la nature même du contrat de swap qui est un contrat aléatoire pour les deux parties, ni le client ni la banque ne pouvant anticiper avec certitude l'évolution des marchés surtout sur une durée de 12 ans comme en l'espèce. Il en est de même de l'assertion selon laquelle le banquier aurait agi frauduleusement en faisant souscrire le contrat de swap en sachant que le taux variable du prêt resterait durablement bas.
Par ailleurs, à supposer même que la banque ait manqué à son obligation d'information précontractuelle sur les conséquences d'une sortie anticipée du contrat de swap dont il convient de rappeler qu'il s'agissait d'un contrat à durée déterminée adossé à un contrat de prêt de la même durée, un tel manquement de la banque serait susceptible d'ouvrir droit à une action en responsabilité pour faute et à une demande d'indemnisation d'une perte de chance (par exemple une perte de chance de ne pas contracter le contrat de swap), étant rappelé que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Or force est de constater qu'au terme du dispositif de ses conclusions d'appel, l'appelante se borne à exercer une action tendant au remboursement de l'intégralité des intérêts qui lui ont été facturés au titre du contrat swap jusqu'au 30 juin 2020 ou, subsidiairement, à exercer une action en résolution du contrat à effet au 18 novembre 2015 et remboursement d'intérêts, sans solliciter de dommages-intérêts.
3/ Sur le caractère abusif de la clause d'échange d'intérêts :
L'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat lorsque ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.
La clause d'échange d'intérêts figurant dans la lettre d'instruction pour la mise en place d'une opération de couverture de taux en vue d'une stratégie de taux fixe sur un capital restant dû de 960.000 euros avec amortissement trimestriel sur la période du 29 juin 2009 au 29 juin 2021, trimestrielle, comme le prêt sur laquelle elle est adossée, selon laquelle la SCI Loire en Seine immobilier reçoit de la banque Euribor 3 mois + 0,08 % (exact/360), l'Euribor 3 mois étant constaté 2 jours ouvrés précédant le 1er jour de chaque période trimestrielle d'intérêts, et règle en échange chaque trimestre le taux fixe de 4,25 % (exact/360), porte à l'évidence sur la prestation essentielle caractérisant ce contrat de swap.
Cette clause est rédigée de manière claire et compréhensible en ce sens qu'elle peut être comprise par les dirigeants d'une SCI normalement attentifs, à la fois sur le plan formel et grammatical mais également quant à sa portée concrète visant à substituer un taux fixe au taux variable du prêt immobilier souscrit par leur SCI.
En conséquence, en supposant que la qualité de non professionnel de la SCI et de ses dirigeants ne soit pas discutable, toute discussion à propos du caractère abusif de cette clause est exclue.
Sur la demande subsidiaire :
Au terme du dispositif de ses conclusions, l'appelante demande pour la première fois en cause d'appel, que soit prononcée la résolution judiciaire du contrat de swap aux torts exclusifs de la banque « à effet du 18 novembre 2015, date à laquelle l'emprunteur avait manifesté son souhait de mettre un terme aux prélèvements opérés par la banque ».
Elle ne démontre toutefois pas avoir sollicité qu'il soit mis fin à ce contrat à la date du 18 novembre 2015. La pièce 19 qu'elle vise à ce sujet consiste en un décompte des intérêts arrêté au 29 juin 2020. Aucune autre pièce du dossier n'établit qu'elle a manifesté son souhait de mettre un terme aux prélèvements opérés par la banque au titre du contrat de swap litigieux à cette date.
Elle ne démontre pas plus avoir demandé qu'il soit mis fin à ce contrat le 11 octobre 2016, date dont elle se prévaut à titre subsidiaire, non pas dans son dispositif mais dans la partie discussion de ses écritures. Sa pièce 3 qu'elle vise à ce sujet consiste en effet en un courriel adressé par M. F. X. au Crédit agricole dans lequel il interroge cette banque au sujet d'une proposition de re financement concernant une autre SCI, la SCI Loire Essonne, et lui réclame une copie du contrat swap sur le prêt de la SCI Loire Seine. En conséquence, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de résolution judiciaire à cette date et de sa demande subséquente.
Sur la demande reconventionnelle de la banque :
En cause d'appel, la banque demande à la cour de condamner la SCI à payer un solde débiteur de compte courant de 1.085,47 euros.
Elle justifie avoir mis en demeure la SCI de régler cette somme à titre de « solde de compte courant » le 24 février 2020 mais elle ne démontre pas que ce compte a été clôturé depuis et que la SCI reste redevable de cette somme.
Aussi convient-il de débouter la banque de cette demande.
Sur l'appel incident de la banque :
La banque reproche au premier juge d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Cependant, elle n'établit pas plus qu'en première instance, l'existence d'une faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice de la SCI Loire Seine immobilier, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Les dépens d'appel doivent être mis à la charge de la SCI Loire Seine immobilier qui sera en outre condamnée à payer à la banque la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute la SCI Loire Seine immobilier du surplus de ces demandes formées en cause d'appel ;
Déboute la Caisse régionale du crédit agricole Loire Haute-Loire de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 1.085,47 euros ;
Condamne la SCI Loire Seine immobilier à payer à la Caisse régionale du crédit agricole Loire Haute-Loire la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne également aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE