CA RIOM (3e ch. civ. com.), 26 mai 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 8927
CA RIOM (3e ch. civ. com.), 26 mai 2021 : RG n° 18/01836
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Une clause qui a pour objet de fixer un terme à une action, stipule un délai de forclusion et non de prescription (en ce sens Cass. com. 26 janvier 2016, pourvoi n° 14-23285) ; celle en litige, selon laquelle « la demande [de dommages et intérêts] devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre », fixe un terme à l'action, et institue dès lors un délai préfix ou de forclusion, non un délai de prescription : la clause distingue elle-même la prescription, sur laquelle elle renvoie aux dispositions légales, du délai de trois mois, qui est par hypothèse d'une autre nature.
Il s'ensuit que cette clause, qui limite le délai d'action à trois mois, a vocation à s'appliquer entre les parties à la lettre de mission, sans que la société intimée puisse se prévaloir du délai minimum d'un an prévu à l'article 2254 du code civil, qui ne vise que les seuls délais de prescription, et non les forclusions ou les délais préfix.
Cette clause doit recevoir application, sous réserve de la demande subsidiaire de dommages et intérêts formée par la SARL PAR ÉCRIT, sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, et qui sera examinée ci-après ».
2/ « Cependant les litiges relevant de l'application de l'article L. 422-1 du code de commerce sont dévolus exclusivement à certaines juridictions (articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code), parmi lesquelles ne figurent ni le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, ni la cour d'appel de Riom ; celle-ci est par suite incompétente pour statuer sur cette demande, et doit la rejeter comme irrecevable. »
COUR D’APPEL DE RIOM
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 26 MAI 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/01836. N° Portalis DBVU-V-B7C-FB5N. Sur APPEL d'une décision rendue le 14 juin 2018 par le Tribunal de grande instance de CLERMONT-FERRAND (R.G. n° 17/04286 ch1 cab2).
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
APPELANTE :
SOCIÉTÉ D'EXPERTISE COMPTABLE NECTOUX & ASSOCIÉS
SARL à associé unique immatriculée au RCS d'Aurillac sous le n° XXX [...], [...], Représentant : la SCP C. DE R. C. B. G. & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
ET :
INTIMÉS :
M. X.
[...], [...], Représentants : la SCP B. & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL ALCIAT-JURIS, avocats au barreau de BOURGES (plaidant)
La société PAR ÉCRIT
SARL immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° YYY, [...], [...], prise en la personne de son liquidateur Monsieur X. [...], [...], Représentants : la SCP B. & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL ALCIAT-JURIS, avocats au barreau de BOURGES (plaidant)
DÉBATS : A l'audience publique du 31 mars 2021 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 26 mai 2021.
ARRÊT : Prononcé publiquement le 26 mai 2021, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure - demandes et moyens des parties :
Suivant une lettre de mission du 19 février 2009, la SARL PAR ÉCRIT, ayant pour objet social la collecte, la synthèse et la diffusion de l'information sous toutes ses formes, a confié à la SAS NECTOUX & Associés (la société NECTOUX), société d'expertise comptable, une mission comprenant l'établissement des comptes annuels, le secrétariat juridique et la gestion de la paie et des données sociales. La mission était fixée pour une durée initiale d'un an (l'exercice clos le 31 décembre 2009), renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation, qui devait être notifiée trois mois avant la date de clôture de l'exercice. La collaboration entre les deux sociétés s'est poursuivie pendant plusieurs années après l'année 2009 ; cette collaboration existait déjà depuis plusieurs années auparavant.
Le gérant de la SARL PAR ECRIT, M. X., s'est inquiété auprès de Pôle Emploi, en décembre 2012, de ses droits à l'assurance chômage. Par une lettre en réponse adressée le 20 décembre 2012, Pôle Emploi a fait connaître à la SARL PAR ÉCRIT que l'assurance chômage n'apparaissait pas applicable à M. X., et que cette société versait à tort des contributions à ce titre, contributions dont elle pouvait demander la restitution.
La SARL PAR ÉCRIT et M. X., estimant que la Société NECTOUX avait commis une faute leur ayant causé un préjudice, en les laissant payer des contributions d'assurance chômage pour M. X., sans que celui-ci bénéficie des droits correspondants, ont fait assigner la Société NECTOUX, le 17 novembre 2017, devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, en demandant qu'elle soit condamnée à payer entre autres, à titre de dommages et intérêts, la somme de 26.073,46 euros à la SARL PAR ÉCRIT, au titre des contributions indûment payées de 1996 à 2013, et la somme de 14.073 euros à M. X., pour la part salariale des dites contributions.
Le tribunal, dans un jugement réputé contradictoire du 14 juin 2018, a fait droit pour partie à ces demandes, en condamnant la Société NECTOUX à payer à M. X. la somme de 14.073,44 euros de dommages et intérêts, et à la SARL PAR ÉCRIT une somme de 24.664,54 euros au même titre, ainsi que 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société NECTOUX, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 12 septembre 2018, a interjeté appel de ce jugement, dans toutes ses dispositions.
La société appelante conclut à la réformation du jugement, au motif, en premier lieu, de la forclusion : elle invoque une clause de la lettre de mission, qui oblige le client à former les réclamations dans le délai de trois mois à compter du jour où il a eu connaissance du sinistre. Elle invoque ensuite la prescription de droit commun de cinq ans, et fait valoir que les demandeurs n'ont engagé leur action en réparation qu'en novembre 2017, de sorte que leurs demandes sont prescrites pour la période antérieure à novembre 2012.
La société NECTOUX conclut subsidiairement au rejet sur le fond des demandes de la SARL PAR ÉCRIT et de M. X. Elle conteste avoir manqué à son devoir de conseil, et déclare que ses obligations, telles que définies dans la lettre de mission, se limitaient à des travaux de nature purement comptable et sociale, outre un secrétariat juridique limité aux assemblées générales d'approbation des comptes, et qu'elles n'incluaient donc pas l'étude de questions juridiques telles que la situation sociale du gérant. La société NECTOUX conteste l'ampleur du préjudice subi par la SARL PAR ÉCRIT : elle relève que les sommes demandées comportent des erreurs de calculs (certaines sommes sont exprimées en euros alors qu'elles devaient l'être en francs), et qu'au surplus l'assujettissement de M. X. à l'assurance chômage a eu pour effet de faire bénéficier la dite société d'une exonération partielle de charges, suivant le dispositif dit « réduction FILLON », de sorte que l'avantage ainsi procuré se compense, à 264,74 euros près, avec le prétendu préjudice tenant au paiement des contributions.
La SARL PAR ÉCRIT, représentée par son liquidateur M. X., et M. X. lui-même agissant en son nom personnel, demandent à la cour de confirmer le jugement, sauf à réduire les sommes allouées à 11.991,89 et à 7.151,60 euros, pour tenir compte des erreurs de calcul relevées par la société appelante.
Les appelants contestent la forclusion : ils font valoir que la clause qu'invoque la société NECTOUX est d'une part inopposable à M. X., tiers au contrat conclu entre les deux sociétés, que cette clause n'est d'autre part opposable à la SARL PAR ÉCRIT qu'à compter de l'année 2010, et qu'elle crée d'ailleurs un déséquilibre significatif entre les deux parties au contrat, engageant la responsabilité de la société NECTOUX, selon l'article L. 442-1 du code de commerce. Ils contestent ensuite la prescription quinquennale, en indiquant qu'ils ont été informés de leurs droits au plus tôt par la lettre susdite de Pôle Emploi du 20 décembre 2012, et qu'ils ont agi dans les cinq ans de cette information, par l'assignation du 17 novembre 2017.
La SARL PAR ÉCRIT et M. X. exposent sur le fond que la mission confiée à la société NECTOUX s'étendait au-delà des termes de l'acte contractuel, puisque cette société a réalisé des prestations de nature juridique, telles que la mise à jour des statuts, et des actes de cession de parts ou de rupture conventionnelle ; que l'obligation de conseil de la société d'expertise comptable lui imposait d'alerter la SARL PAR ÉCRIT et son gérant sur le risque, au regard de la situation personnelle de celui-ci, qu'il ne bénéficie pas de l'assurance chômage et que les contributions payées à ce titre le soient inutilement.
Les intimés admettent l'erreur de calcul ayant affecté leurs demandes initiales, demandes qu'ils ont rectifiées en conséquence, après avoir converti en euros les sommes exprimées en francs ; ils contestent l'extinction de leur préjudice, que leur oppose la société NECTOUX au motif de la « réduction FILLON » dont la SARL PAR ÉCRIT aurait bénéficié indûment, et relèvent d'ailleurs que ce bénéfice n'a pu concerner que la société, et non M. X.
[*]
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 janvier 2020.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées les 18 et 30 décembre 2019.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
I - Sur la recevabilité :
1) Demandes de la SARL PAR ÉCRIT :
La lettre de mission du 19 février 2009 stipule en page 5, dans le paragraphe des Conditions Générales intitulé Responsabilité : « Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».
La SARL PAR ÉCRIT conteste la validité du délai de trois mois, au premier motif que l'article 2254 du code civil n'autorise les professionnels à convenir entre eux de durées de prescriptions plus courtes que celles prévues par la loi, qu'à la condition qu'elles ne soient pas inférieures à un an.
L'article 122 du code de procédure civile distingue, parmi les fins de non recevoir, le délai préfix et la prescription ; et selon l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont pas, sauf disposition contraire, soumis aux règles de la prescription extinctive.
Une clause qui a pour objet de fixer un terme à une action, stipule un délai de forclusion et non de prescription (en ce sens Cass. com. 26 janvier 2016, pourvoi n° 14-23285) ; celle en litige, selon laquelle « la demande [de dommages et intérêts] devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre », fixe un terme à l'action, et institue dès lors un délai préfix ou de forclusion, non un délai de prescription : la clause distingue elle-même la prescription, sur laquelle elle renvoie aux dispositions légales, du délai de trois mois, qui est par hypothèse d'une autre nature.
Il s'ensuit que cette clause, qui limite le délai d'action à trois mois, a vocation à s'appliquer entre les parties à la lettre de mission, sans que la société intimée puisse se prévaloir du délai minimum d'un an prévu à l'article 2254 du code civil, qui ne vise que les seuls délais de prescription, et non les forclusions ou les délais préfix.
Cette clause doit recevoir application, sous réserve de la demande subsidiaire de dommages et intérêts formée par la SARL PAR ÉCRIT, sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, et qui sera examinée ci-après ; cette société a été informée, par la lettre de Pôle Emploi du 20 décembre 2012, qu'elle avait versé par erreur des contributions à l'assurance chômage pour M. X. (lettre ensuite confirmée par son avocat, le 27 mai 2013) ; elle se devait, conformément aux Conditions générales de la lettre de mission, d'agir dans les trois mois de l'envoi de cette lettre du 20 décembre 2012, qui a porté à sa connaissance le préjudice, résultant de la faute qu'elle reproche à la société NECTOUX ; la SARL PAR ÉCRIT n'a fait assigner la société NECTOUX que le 17 novembre 2017, donc plus de trois mois après l'envoi de cette lettre ; sa demande est donc tardive, pour toute la période écoulée depuis la date d'effet de la lettre de mission du 19 février 2009, soit depuis l'année 2009 incluse.
Pour la période antérieure en revanche, lors de laquelle la société NECTOUX a œuvré pour la SARL PAR ÉCRIT sans que leurs relations fussent soumises à une convention écrite ' et donc sans clause instituant un quelconque délai de forclusion -, la SARL PAR ÉCRIT reste recevable à agir, dans la seule limite de la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce ; la lettre du 20 décembre 2012 marque la date à laquelle la SARL PAR ÉCRIT a connu, et devait connaître les faits lui permettant d'agir, au sens de l'article 2224 du code civil ; l'assignation qu'elle a fait délivrer le 17 novembre 2017, avant l'expiration du délai de prescription intervenue le 21 décembre 2017, l'autorise à agir pour la période écoulée avant le 1er janvier 2009.
2) Demandes de M. X. :
Celui-ci n'était pas tenu au délai d'action de trois mois qui s'imposait à la SARL PAR ÉCRIT, seule partie, avec la société NECTOUX, à la lettre de mission du 9 février 2009 ; il est recevable à demander réparation de son préjudice personnel pour l'ensemble de la période écoulée de 1996 à 2013, puisqu'il a engagé la procédure, conjointement avec la SARL PAR ÉCRIT, dans le délai de prescription de cinq ans, qui a couru pour lui comme pour cette société à compter du 20 décembre 2012, date à laquelle l'un et l'autre ont été informés des faits qui leur permettaient d'agir.
II - Sur le fond :
1) Sur les fautes reprochées à la société NECTOUX :
La lettre de mission du 19 février 2009 mettait notamment à la charge de la société NECTOUX une « Mission de gestion de la paie et des déclarations des données sociales », énoncée en pages 2 et suivantes ; cette mission se divisait en trois parties, qualifiées d'indissociables : l'établissement des bulletins de paie et des déclarations sociales en cours d'année ; les déclarations sociales de fin d'année ; et les formalités de gestion des événements, tels que le départ d'un salarié.
Les deux premières parties de cette mission de gestion comportaient entre autres le contrôle des mises à jour des salaires par rapport à la convention collective ou à la législation, des taux de charges sociales par rapport à l'évolution législative, le calcul, l'établissement, le contrôle et éventuellement l'envoi des déclarations mensuelles ou trimestrielles et annuelles des données sociales, faites entre autres à l'ASSEDIC (pages 2 et 3 de la lettre de mission).
La société NECTOUX conteste tout manquement de sa part, lié au paiement indu de contributions d'assurance chômage pour le gérant de la SARL PAR ÉCRIT, M. X. : elle fait valoir que sa mission se limitait à des travaux purement comptables : établissement des paies, établissement et transmission des données fiscales et sociales, à l'exclusion de travaux de nature juridique, sauf pour les assemblées générales de la SARL PAR ÉCRIT (seules pour lesquelles une mission de « secrétariat juridique » lui était confiée) ; elle précise que l'incompatibilité prétendue, entre la qualité de porteur de parts de la société et la couverture sociale du gérant, ne pourrait être reprochée qu'au conseil qui assistait la société et son gérant lors de sa création puis lors d'une modification du capital social intervenue en 2009, et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à elle-même, qui n'était pas tenue d'attirer l'attention de la SARL PAR ÉCRIT ou de son gérant sur ce point, faute d'avoir été saisie d'une mission expresse, au-delà des limites de sa mission habituelle.
Cependant un expert-comptable se doit, dans le cadre de sa mission d'établissement et de transmission des données sociales et fiscales, de conseiller son client sur la conformité de ces données à la législation et à la réglementation en vigueur, et de lui signaler toute anomalie apparente.
En l'espèce, la société NECTOUX, qui s'était engagée selon la lettre de mission, à réaliser les opérations de «calcul, établissement, contrôle» des déclarations des données sociales à l'organisme d'assurance chômage (ASSEDIC), se devait de s'assurer, au vu des informations qui lui étaient communiquées et qu'il lui appartenait le cas échéant de compléter, que le ou les travailleurs pour lesquels elle effectuait le calcul de la contribution chômage étaient assujettis à ce régime : cette obligation se rattachait à son obligation de contrôle, expressément prévue par la lettre de mission ; elle relevait d'ailleurs de ses obligations générales de vigilance et de conseil, avant même la signature de la lettre de mission du 19 février 2019 : il lui incombait, dès le début de sa collaboration avec la SARL PAR ÉCRIT, de vérifier l'assujettissement de M. X. à l'assurance chômage, et d'attirer à son initiative l'attention de cette société sur la difficulté qui se présentait sur ce point.
Pôle Emploi, dans sa lettre déjà citée du 20 décembre 2012, a fait connaître à la SARL PAR ÉCRIT que M. X. ne bénéficiait pas de l'assurance chômage, et que cette société versait à tort des contributions à ce titre du chef de son dirigeant, contributions dont elle pouvait demander la restitution dans la limite d'un délai de prescription de trois ans, à compter de la date de leur versement. Pôle Emploi, dans une autre lettre du 27 mai 2013, a confirmé sa position, et précisé que conformément à l'article L. 5422-13 du code du travail, seules les personnes exerçant leur activité dans le cadre d'un lien de subordination se trouvaient assujetties à l'assurance chômage, et que tel n'était pas le cas de M. X., gérant de la SARL PAR ÉCRIT qui n'accomplissait pour elle aucune activité technique distincte de sa fonction de gérant, et qui l'aurait placé, dans l'exercice de cette activité, sous la subordination de cette société (pièce n° 23 produite par les intimés).
La société NECTOUX n'a pas contesté la position de Pôle Emploi, et en a même admis le bien-fondé : dans un message à la SARL PAR ÉCRIT le 23 janvier 2013, elle lui a déclaré qu'elle n'avait « pas de remarque supplémentaire à formuler » en réponse à la lettre de Pôle Emploi du 20 décembre 2012, et elle s'est même proposée de réaliser les démarches pour obtenir remboursement des contributions indûment versées par la SARL PAR ÉCRIT (pièce n° 20 des intimés). Elle a réitéré cette reconnaissance dans une lettre du 10 octobre 2016 à l'avocat de la SARL PAR ÉCRIT : « M. X. est gérant de la SARL PAR ÉCRIT depuis le 1er décembre 1997. du fait de son statut juridique de mandataire social et d'une gérance minoritaire, il bénéficie du régime général de la sécurité sociale. Cependant, il ne peut prétendre à la qualité de participant au régime d'assurance chômage » (pièce n° 29 de M. X. et de la SARL PAR ÉCRIT).
La société NECTOUX n'ignorait pas la situation exacte de M. X., au regard du régime de sécurité sociale qui lui était applicable, et de la question de son assujettissement à l'assurance chômage des salariés : elle ne pouvait ni ne devait ignorer le fait que M. X., porteur de parts depuis la constitution de la société en 1996, et devenu gérant minoritaire par l'effet d'une assemblée générale extraordinaire du 28 novembre 1997 (qualité qu'il a conservée en suite des cessions intervenues successivement), ne pouvait prétendre au bénéfice de l'assurance chômage des salariés, dès lors qu'il n'exerçait pour la SARL PAR ÉCRIT, indépendamment de son mandat de gérant, aucune fonction technique distincte, qui l'eût placé sous la subordination de la société.
Dans sa lettre déjà citée du 10 octobre 2016, de même que lors des précédents échanges de messages intervenus entre les deux sociétés au cours de l'année 2014, la société NECTOUX n'a contesté ni le principe du non assujettissement de M. X., ni non plus d'ailleurs sa propre faute : ainsi dans un courriel du 31 mars 2014, la société NECTOUX a évoqué les possibilités de faire bénéficier M. X. de l'assurance chômage (au moyen de sa démission de ses fonctions de gérant) ; et dans un autre message du 30 octobre 2014, répondant aux griefs de M. X. (« le cabinet m'a laissé cotiser pour rien pendant plus de quinze ans pour cette assurance chômage ['] Je sais très bien que cette faute (je ne vois pas d'autre mot) n'est pas la vôtre personnellement [le message étant envoyé à Mme Nathalie B. de la société NECTOUX] ; mais elle est bel et bien celle du cabinet »), la société NECTOUX, en la personne de Mme B., lui a déclaré qu'elle était « consciente du problème », a minimisé l'ampleur du préjudice pour la SARL PAR ÉCRIT, a reconnu en revanche que M. X. avait subi un préjudice en ce qu'il se croyait à tort couvert par l'assurance chômage, et a précisé : « La seule réponse que je vous aurais faite si j'avais été présente à l'époque, aurait été de prendre une assurance personnelle chômage, mais qui coûte très cher et qui est considérée comme un avantage en nature sur le bulletin [de paie] et entraîne par conséquent des contributions sociales » (pièces n° 24, 25 et 26 de M. X. et de la SARL PAR ÉCRIT).
La société NECTOUX, en s'abstenant d'attirer l'attention de la SARL PAR ÉCRIT sur la difficulté qui se présentait sur sa situation au regard de l'assurance chômage obligatoire, et sur le risque de défaut d'assujettissement, a donc manqué à ses obligations : elle se devait, dans le cadre de son devoir général de vigilance et de conseil, dès le début de sa collaboration avec la SARL PAR ÉCRIT (donc avant même la signature de la lettre de mission de 2009), d'identifier le problème et le risque de défaut d'assujettissement, et d'en informer sa cliente, ce risque s'étant en définitive réalisé.
La faute de la société NECTOUX apparaît donc établie, et engage sa responsabilité contractuelle envers la SARL PAR ÉCRIT, et sa responsabilité quasi-délictuelle envers M. X., tiers au contrat (article 1383 ancien du code civil). Cette responsabilité oblige la société NECTOUX à réparation, à hauteur du préjudice subi par chacun des intimés, et dans la limite de la forclusion applicable à la SARL PAR ÉCRIT.
2) Sur les préjudices :
La SARL PAR ÉCRIT demande à être indemnisée pour le montant des contributions qu'elle a payées indûment depuis l'année 1996, soit 11.991,89 euros selon la demande ; la société NECTOUX affirme que, compte tenu de l'avantage dit « réduction FILLON », le préjudice de la société adverse se limite à 264,74 euros.
Il est rappelé que l'action de la SARL PAR ÉCRIT n'est recevable que pour la période antérieure au 1er janvier 2009, de sorte que l'avantage susdit, créé en 2006, n'a pu avoir d'incidence sur le préjudice subi pendant la période antérieure. Il convient, pour les années 2006 à 2008, de tenir compte de cet avantage, dès lors que la SARL PAR ÉCRIT ne conteste pas qu'il a de fait réduit la charge de la contribution en cause, de sorte qu'allouer à cette société une somme équivalant au montant brut des contributions versées indûment, sans déduire la « réduction FILLON », aboutirait à l'indemniser au-delà de son préjudice financier, seul dont elle demande réparation.
Le montant des contributions versées par la SARL PAR ÉCRIT s'élève, au vu des bulletins de paie et pour les années 1996 à 2001, à la somme de 627 + 1 945,30 + 1 905,60 + 3 211,70 + 5 165,50 + 5 243,64 = 18 098,74 F, soit 2 759,13 euros ; et ce montant s'établit, pour les années 2002 à 2005, à la somme de 726,91 + 851,84 + 934,88 + 636,73 = 3 150,36 euros. Pour les années 2006 à 2008, il s'élève à 473,50 + 955 + 904,28 = 2 332,78 euros, somme qui, après retranchement de la « réduction FILLON », se réduit à 2 332,78 ' (103,51 + 466,03 + 724,26) = 1 038,98 euros (pièces n° 46 à 59 produites par les intimés). Il sera donc fait droit à la demande de réparation de cette société à hauteur de 2 759,13 + 3 150,36 + 1 038,98 = 6 948,47 euros.
Le préjudice de M. X. s'établit au total des contributions précomptées sur ses salaires pendant toute la période écoulée de 1996 à 2013 ; ces contributions s'élèvent, au vu des mêmes bulletins de paie et pour les années 1996 à 2001, à 1.082,90 + 1.060,80 + 1.648,89 + 2.875,51 + 2.976,12 = 9.644,22 F, soit 453,71 euros ; elles s'établissent, pour les années 2002 à 2013, à 407,92 + 511,06 + 560,99 + 384,04 + 285,98 + 573,06 + 537,63 + 497,16 + 497,16 + 492,97 + 497,04 + 274,64 = 5.519,65 euros, soit un préjudice total de 5.973,36 euros, somme que la société NECTOUX sera condamnée à lui payer.
Le jugement sera donc réformé sur le montant des dommages et intérêts.
III - Sur la demande subsidiaire de la SARL PAR ÉCRIT :
La SARL PAR ÉCRIT invoque les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce, selon lesquelles engage la responsabilité de son auteur, et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie, dans le cadre entre autres de la conclusion d'un contrat, à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Elle demande, sur le fondement de cet article et à titre subsidiaire, pour le cas où son action serait déclarée tardive (ce qui est le cas pour une partie de sa demande principale), que la société NECTOUX soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 7.151,60 euros, en réparation du préjudice que provoquerait pour elle la clause en litige, qu'elle déclare de nature à créer un déséquilibre significatif entre les parties à la lettre de mission.
Cependant les litiges relevant de l'application de l'article L. 422-1 du code de commerce sont dévolus exclusivement à certaines juridictions (articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code), parmi lesquelles ne figurent ni le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, ni la cour d'appel de Riom ; celle-ci est par suite incompétente pour statuer sur cette demande, et doit la rejeter comme irrecevable.
Le jugement sera confirmé sur les frais de première instance ; les dépens d'appel seront mis à la charge de la société NECTOUX, qui a négligé de se faire représenter devant le tribunal, contraignant les intimés à supporter la charge de la procédure d'appel, alors que le litige aurait pu trouver une solution définitive en première instance.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Réforme le jugement déféré, en ce qu'il a condamné la SAS NECTOUX & Associés à payer à M. X. et à la SARL PAR ÉCRIT les sommes de 14.073,44 euros et de 24.664,54 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déclare irrecevable la demande principale de dommages et intérêts formée par la SARL PAR ÉCRIT pour la période antérieure au 1er janvier 2009, et déclare recevable la demande de cette société pour la période écoulée depuis cette date, ainsi que la demande de dommages et intérêts formée par M. X. ;
Condamne la SAS NECTOUX & Associés à payer, à titre dommages et intérêts, une somme de 6.948,47 euros à la SARL PAR ÉCRIT, et une somme de 5.973,36 euros à M. X. ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Déclare irrecevable la demande subsidiaire de la SARL PAR ÉCRIT fondée sur l'article L. 422-1 du code de commerce ;
Condamne la SAS NECTOUX & Associés aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme globale de 1.500 euros à M. X. et à la SARL PAR ÉCRIT, par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes.
Le Greffier, Le Président,
- 6216 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par contrat - Prestation de services
- 6238 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par clause - Prescription et délais de réclamation
- 6242 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Compétence territoriale