CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 29 juin 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 8968
CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 29 juin 2021 : RG n° 19/02631
Publication : Jurica
Extrait : « Il est acquis en jurisprudence que l'action en déchéance du droit aux intérêts se prescrit par cinq ans à compter du jour ou l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur affectant le taux effectif global.
En l'espèce, l'offre de prêt mentionne en page 3 : « le taux effectif global annuel s'élève à 6,050 % soit un taux de 0,504 % par période mensuelle » et en page 11 « les intérêts seront calculés sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. » L'acte ne revêtant en l'espèce aucune complexité particulière, les époux X. étaient en mesure de déceler à la simple lecture de l'offre les éléments susceptibles de leur faire grief. La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes est bien fondée à soutenir que l'action aurait dû être engagée dans le délai de cinq ans à compter du 22 septembre 2010. L'action des époux X. engagée le 27 février 2018 est irrecevable comme prescrite.
La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes souligne à juste titre que fixer le point de départ du délai de prescription à la date du rapport de la société Inovaction comme le sollicitent les époux X., reviendrait à rendre imprescriptibles les actions fondées sur l'irrégularité du taux effectif global.
C'est en vain que les époux X. invoquent à leur bénéfice la portée d'une réponse ministérielle qui ne lie pas le juge d'une part et qui ne fait en toute hypothèse que rappeler les règles en matière de vices du consentement.
C'est tout aussi inutilement qu'ils invoquent la nature abusive de la clause de stipulation du taux effectif global et le caractère imprescriptible de l'action qui en découlerait, alors que la clause 30/360 qui est une clause d'équivalence financière n'est nullement de nature à créer un déséquilibre au détriment des appelants et encore moins un déséquilibre significatif. »
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 29 JUIN 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/02631. N° Portalis DBVM-V-B7D-KBWC. Appel d'un jugement (R.G. n° 18/00183) rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN-JALLIEU, en date du 14 mars 2019, suivant déclaration d'appel du 19 juin 2019.
APPELANTS :
Mme Y. épouse X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, [...], [...]
M. X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, [...], [...]
représentés et plaidant par Maître Sophie P. de la SELARL B.-D.-LE D.-P., avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
LA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHÔNE ALPES, anciennement dénommée BANQUE POPULAIRE DES ALPES
immatriculée au RCS de LYON, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés es-qualités audit siège. [...], [...], représentée par Maître Me Nathalie C. de la SELARL C. - Q., avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Maître Bénédicte H., avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Mme Hélène COMBES, Président de chambre, Mme Joëlle BLATRY, Conseiller, Mme Véronique LAMOINE, Conseiller, Assistées lors des débats de Mme Anne BUREL, Greffier
DÉBATS : A l'audience publique du 31 mai 2021, Madame COMBES a été entendue en son rapport. Les avocats ont été entendus en leurs observations. Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 22 septembre 2010, les époux Y. et X. ont contracté auprès de la Banque Populaire des Alpes un prêt immobilier de 230.000 euros au taux de 4,150 % et au taux effectif global de 6,050 %.
Par acte du 27 février 2018, ils ont assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Bourgoin Jallieu aux fins de constatation de l'erreur affectant le taux effectif global, de déchéance du droit aux intérêts et subsidiairement de substitution de l'intérêt au taux légal à l'intérêt contractuel.
Par jugement du 14 mars 2019, le tribunal a dit leur action recevable mais les en a déboutés.
[*]
Les époux X. ont relevé appel le 19 juin 2019.
Dans leurs dernières conclusions du 6 avril 2021, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes et statuant à nouveau de :
- prononcer l'annulation du contrat de prêt,
- prononcer la nullité de tout intérêt au taux contractuel,
- subsidiairement réputer non écrite la clause par laquelle il n'est pas précisé la durée du taux de période et juger que la mention du taux effectif global calculé sur 360 jours crée un déséquilibre significatif à leur détriment,
- prononcer la déchéance de l'intégralité de tout droit à intérêts pour la banque,
- condamner la banque à leur payer le montant équivalent à l'intégralité des intérêts versés,
- enjoindre à la banque de verser un décompte imputant tous les versements depuis l'origine sur le seul capital emprunté et un tableau d'amortissement rectifié.
Ils réclament 2.800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir à titre liminaire que devant la cour, ils ne font que développer des moyens nouveaux mais ne forment pas de prétentions nouvelles, de sorte que le moyen d'irrecevabilité soulevé par la banque doit être écarté.
Sur le fond, ils exposent qu'ayant rencontré des difficultés, ils ont consulté la société Inovaction qui les a informés d'une irrégularité contenue dans le contrat de prêt et développent l'argumentation suivante :
Sur la prescription :
- aucune prescription n'est encourue, la clause selon laquelle le taux effectif global est calculé sur 360 jours constituant une clause abusive, de sorte que la contestation est imprescriptible,
- le point de départ de la prescription se situe au jour où l'erreur a été découverte, soit en l'espèce après consultation d'un professionnel du chiffre,
Ils contestent l'affirmation de la banque selon laquelle ils pouvaient s'apercevoir de l'irrégularité du taux effectif global à la seule lecture de l'offre de prêt.
Sur l'irrégularité de l'offre de prêt :
- il appartient à la banque de rapporter la preuve qu'ils ont bénéficié d'un délai de réflexion de 10 jours. A défaut l'offre sera déclarée nulle et de nul effet.
Sur l'irrégularité du taux effectif global :
- l'offre de prêt ne mentionne pas la durée exacte de la période. Le fait que l'offre indique une périodicité mensuelle ne constitue pas une précision de la durée de ce taux et la banque ne peut se retrancher derrière la mention d'une périodicité mensuelle.
- les intérêts sont calculés sur 360 jours, ce qui est interdit, l'interdiction valant pour le taux d'intérêt comme pour le taux effectif global. La banque ne démontre pas que le calcul revient au même.
- le calcul du taux effectif global sur 360 jours constitue une clause pénale.
- la sanction applicable à l'irrégularité du taux effectif global est à titre principal la nullité de tout intérêt au taux contractuel. L'ordonnance du 17 juillet 2019 n'est pas applicable au litige.
- subsidiairement, il convient a minima d'appliquer la déchéance du droit aux intérêts et cette déchéance ne saurait être partielle.
[*]
Dans ses dernières conclusions du 12 avril 2021, la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes, nouvelle dénomination de la Banque Populaire des Alpes, conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit l'action des époux X. recevable et demande à la cour de la juger irrecevable comme prescrite.
Subsidiairement, elle sollicite la confirmation du jugement sur le fond et forme des demandes subsidiaires pour le cas où l'argumentation des époux X. sur l'erreur affectant le taux effectif global serait retenue, demandant notamment à la cour de faire application d'une simple déchéance partielle.
Elle réclame 13.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en réplique l'argumentation suivante :
- La demande d'annulation du prêt pour non-respect du délai de réflexion de 10 jours est nouvelle en appel et donc irrecevable au visa de l'article 564 du code de procédure civile.
Elle est en tout état de cause prescrite depuis le 22 septembre 2015 et infondée ainsi qu'il résulte des mentions apposées par les emprunteurs qui ont attesté de la date de réception de l'offre.
- En matière de crédit immobilier la seule sanction de l'erreur affectant le taux effectif global est la déchéance facultative des intérêts contractuels prévue par l'article L. 312-33 du code de la consommation, de sorte que la demande d'annulation de la stipulation d'intérêt est irrecevable. Les sanctions sont désormais uniformisées en vertu de l'ordonnance du 17 juillet 2019 et de l'application qu'en a fait la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juin 2020.
- Les griefs formulés par les époux X. sont prescrits. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation fixe le point de départ du délai de prescription au jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur affectant le taux effectif global.
En l'espèce les erreurs dont les époux X. se prévalent étaient décelables dès la lecture de l'offre.
Elle soutient encore que s'agissant de l'allégation d'un déséquilibre significatif concernant la mention d'un taux effectif global calculé sur 360 jours, c'est à tort que les époux X. invoquent le caractère imprescriptible de la demande.
- Les griefs des époux X. sont infondés pour les raisons suivantes :
L'insertion d'une clause 30/360 n'est pas de nature à entraîner une quelconque sanction.
Elle correspond à un calcul des intérêts contractuels sur la base d'un mois normalisé. Il s'agit uniquement d'une clause de rapport qui n'implique aucun calcul irrégulier des intérêts.
Le prétendu trop perçu au titre de l'échéance intercalaire n'a aucune incidence sur le montant des intérêts des échéances postérieures.
Aucune démonstration n'est faite d'une erreur affectant le taux effectif global affiché par la banque au delà du seuil légal de la décimale.
L'offre de crédit fait parfaitement mention de la périodicité mensuelle.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
1 - Sur la demande d'annulation du prêt :
Devant la cour, les époux X. sollicitent pour la première fois, à titre principal, l'annulation du prêt, faute pour la banque de justifier qu'elle a satisfait aux prescriptions de l'article L. 312-10 du code de la consommation, alors applicable, imposant qu'il soit laissé aux emprunteurs un délai de réflexion de 10 jours dont la preuve ne peut être rapportée que par la production du tampon de la poste.
La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes réplique qu'il s'agit d'une prétention nouvelle irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Mais l'article 565 du même code dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce la demande des époux X. sur le fondement de l'article L. 312-10 du code de la consommation tend aux mêmes fins que les prétentions soumises au premier juge à savoir la restitution par la banque du trop versé au titre des intérêts.
Aucune irrecevabilité n'est encourue sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
En revanche la prescription applicable à une telle action est la prescription quinquennale dont le point de départ se situe au jour de l'acceptation de l'offre soit en l'espèce le 22 septembre 2010, le délai de prescription expirant le 22 septembre 2015.
La demande des époux X. formée pour la première fois en 2019 est irrecevable comme prescrite.
2 - Sur l'irrégularité du taux effectif global :
Les époux X. soutiennent que le taux effectif global est erroné et demandent à la cour de prononcer la nullité de la stipulation d'intérêt et subsidiairement la déchéance de tout droit à intérêt.
Les parties étant liées par un prêt consenti par acte sous seing privé, l'erreur affectant le taux effectif global invoquée ne pourrait être sanctionnée, si aucune prescription n'était encourue et si elle était établie, que par la déchéance du droit aux intérêts prévue par l'article L. 312-33 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur lors de la conclusion du contrat, et non par la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal.
Au soutien de leur demande, les appelants font valoir que le caractère erroné du taux effectif global résulte de l'absence de précision de la durée du taux de période et du calcul des intérêts sur une année de 360 jours.
Le premier juge a déclaré la demande des époux X. fondée sur l'année de 360 jours recevable mais non fondée.
Faisant appel incident, la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes demande à la cour de dire la demande des époux X. prescrite.
Il est acquis en jurisprudence que l'action en déchéance du droit aux intérêts se prescrit par cinq ans à compter du jour ou l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur affectant le taux effectif global.
En l'espèce, l'offre de prêt mentionne en page 3 : « le taux effectif global annuel s'élève à 6,050 % soit un taux de 0,504 % par période mensuelle » et en page 11 « les intérêts seront calculés sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. »
L'acte ne revêtant en l'espèce aucune complexité particulière, les époux X. étaient en mesure de déceler à la simple lecture de l'offre les éléments susceptibles de leur faire grief.
La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes est bien fondée à soutenir que l'action aurait dû être engagée dans le délai de cinq ans à compter du 22 septembre 2010.
L'action des époux X. engagée le 27 février 2018 est irrecevable comme prescrite.
La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes souligne à juste titre que fixer le point de départ du délai de prescription à la date du rapport de la société Inovaction comme le sollicitent les époux X., reviendrait à rendre imprescriptibles les actions fondées sur l'irrégularité du taux effectif global.
C'est en vain que les époux X. invoquent à leur bénéfice la portée d'une réponse ministérielle qui ne lie pas le juge d'une part et qui ne fait en toute hypothèse que rappeler les règles en matière de vices du consentement.
C'est tout aussi inutilement qu'ils invoquent la nature abusive de la clause de stipulation du taux effectif global et le caractère imprescriptible de l'action qui en découlerait, alors que la clause 30/360 qui est une clause d'équivalence financière n'est nullement de nature à créer un déséquilibre au détriment des appelants et encore moins un déséquilibre significatif.
Il y a lieu par voie d'infirmation du jugement déféré de dire l'action des époux X. irrecevable.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, dit irrecevable comme prescrite l'action en contestation du taux effectif global des époux X.
Y ajoutant, dit irrecevable comme prescrite la demande des époux X. tendant à l'annulation du contrat de prêt faute de justification du respect du délai de réflexion de 10 jours.
Déboute la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Condamne les époux X. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT