CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 3 mars 2021

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 3 mars 2021
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 1 ch. 3
Demande : 20/10064
Date : 3/03/2021
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 20/07/2020
Décision antérieure : CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 8 septembre 2021
Référence bibliographique : 6241 (L. 442-6 C. com., référé et 145 CPC)
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 9004

CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 3 mars 2021 : RG n° 20/10064

Publication : Jurica

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 1 CHAMBRE 3

ARRÊT DU 3 MARS 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/10064 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CCCVN. Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 3 juillet 2020 - Président du TC de PARIS 04 - RG n° 2019070269.

 

APPELANTE :

SAS LUBATEX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Stéphanie DE G. de la SELARL S. ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P411

 

INTIMÉE :

Société B. TRADING COMPANY SPC. (BUCO)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège, [...], [...], [...], Représentée par Maître Frédérique E., avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, Assistée par Maître Antoine D. de la SELARL RMT, avocat au barreau de PARIS, toque: K30

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 4 janvier 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Edmée BONGRAND, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, Carole CHEGARAY, Conseiller, Edmée BONGRAND, Conseiller.

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier présent lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La société SAS Lubatex est une société de droit français, située à Sarreguemines, spécialisée dans la distribution de batteries automobiles, fondée par M. X. Le président de la société Lubatex est la société Lubatex Group de droit luxembourgeois. Toutes les deux ont pour associé unique la société de droit luxembourgeois Gopal SA. La société Lubatex Group est dirigée par trois administrateurs : la société de droit luxembourgeois Gopal, M. X. et M. Y.

La société Busheru Trading Company SPC (Buco) est une société établie dans le Royaume de Bahreïn qui a notamment pour activité la vente d'accessoires pour véhicules motorisés. Son dirigeant est Monsieur Z.

La société Johson Controls Autobatterie GmbH, fabricant de batteries automobiles appartenant au groupe Johnson Controls a confié à la société Lubatex la distribution exclusive de ses batteries notamment de marque Freedom, Energizer et Autopower.

Le groupe Lubatex distribue 18 marques de batteries dans plus de 70 pays grâce à un réseau de distribution qui compte 128 distributeurs et clients.

La société Buco est l'ancien distributeur de la société Lubatex pour les batteries Energizer dans certains pays du Moyen-Orient.

A compter de 2015, sont apparues des difficultés quant au respect de l'exclusivité de la société Buco dans la distribution des batteries Energizer dans certains pays du Moyen-Orient, ainsi en Jordanie en 2016 et 2017, la société TK Trading commercialisait ces batteries.

Afin de mettre un terme à leur différends afférents à l'exclusivité revendiquée par la société Buco dans la distribution des batteries Energizer dans certains pays du Moyen-Orient, les parties ont conclu un protocole d'accord le 9 octobre 2018 aux termes duquel elles ont convenu d'une grille tarifaire pour la période d'octobre 2018 à septembre 2019 et d'une politique de ristournes, du versement par la société Lubatex à la société Buco d'une somme de 40.000 euros en compensation du préjudice subi par elle du fait des ventes directes réalisées en violation de son exclusivité en Jordanie avant le 9 octobre 2018 et de la poursuite de bonne foi des relations contractuelles.

En février 2019, la société Buco a dénoncé à la société Lubatex la violation de son exclusivité du fait de la commercialisation de batteries de marque Energizer à Oman, en Arabie Saoudite et aux Etats Arabes Unis par la société Al Habtoor Motors depuis 2018.

Par courrier du 12 avril 2019, la société Lubatex a notifié à la société Buco la rupture de leur accord de distribution en fixant la fin du préavis au 30 avril 2020.

Arguant de la poursuite de la violation de son exclusivité pour la distribution de batteries de marque Energizer dans certains pays du Moyen-Orient, la société Buco, par requête du 23 octobre 2019, a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins d'être autorisée à faire pratiquer une mesure d'instruction in futurum dans les locaux de la société Lubatex.

Par ordonnance en date du 23 octobre 2019, le Président du tribunal de commerce de Paris a commis Maître Stéphane Van K., huissier de justice, en qualité de mandataire de justice, avec mission de se rendre au siège social de la SAS Lubatex, afin de rechercher et prendre copie de fichiers informatiques ou messages électroniques appartenant à la société Lubatex, attribués, utilisés ou appartenant à MM. X., J. X., T. N., et Mme W. et contenant l'un des mots-clés suivants : TK, Tarek, Hamdan, Habtoor, AHM, C., P., J..

Par acte en date du 19 décembre 2019, la société Lubatex a assigné la société Buco devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la rétractation de l'ordonnance du 23 octobre 2019.

Par ordonnance contradictoire rendue le 3 juillet 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

Vu les articles 145 à 493 du code de procédure civile,

- dit que l'ordonnance du 23 octobre 2019 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile, et débouté la SAS Lubatex de sa demande de rétractation de cette ordonnance ;

- dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

- dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

- demandé à la SAS Lubatex de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :

- catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen,

- catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que la défenderesse, la SAS Lubatex, refuse de communiquer,

- catégorie « C » les pièces que la SAS Lubatex refuse de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

- dit que ce tri sera communiqué à Maître Stéphane Van K., huissier instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

- dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, la SAS Lubatex, conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, communiquera au Président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret d'affaire » ;

- fixé le calendrier suivant :

- communication à Maître Stéphane Van K., et au Président, des tris des fichiers demandés avant le 31 juillet 2020 ;

- renvoyé l'affaire, après contrôle de cohérence par l'huissier, à l'audience du mercredi 16 septembre 2020 à 15h pour examen de la fin de la levée de séquestre ;

- condamné la SAS à payer à la société B. Trading Company (Buco) SPC 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

- condamné la SAS Lubatex aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.

Par déclaration en date 20 juillet 2020 la société SAS Lubatex a interjeté appel de cette ordonnance.

[*]

Aux termes de ses conclusions du 24 novembre 2020, la société Lubatex demande à la cour de :

Vu les ordonnances rendues le 23 octobre 2019 et le 3 juillet 2020 par Monsieur le Président du tribunal de commerce de Paris ;

Vu les articles 145, 249, 490, 493, 495, 496, 497, 874 et 875 du code de procédure civile ainsi que 138 et suivants du même code ;

Vu les articles L. 153-1 et suivants du code de commerce ainsi que R.153-1 à R.153-8 du même code ;

Vu le nouvel article L. 442-1 du code de commerce (ancien article L.442-6 du code de commerce) ;

-Vu la jurisprudence citée, les pièces produites et les motifs invoqués ;

- juger que l'ordonnance du 3 juillet 2020 a omis de statuer sur l'irrecevabilité soulevée dans le cadre du référé rétractation par la société Lubatex SAS ;

- juger la demande de rétractation de l'ordonnance du 23 octobre 2019 présentée par la société Lubatex SAS recevable, la déclarer bien fondée dans son argumentation ;

- infirmer l'ordonnance du 3 juillet 2020 du tribunal de commerce de Paris ayant refusé cette rétractation ;

statuant à nouveau,

- déclarer la société B. Trading Company( Buco) SPC. irrecevable en son action ;

- constater que la société B. Trading Company (Buco) SPC. échoue à faire la preuve de ses prétentions notamment en ce qui concerne l'exclusivité sur 9 territoires dont elle se prétend titulaire ;

- juger que la société B. Trading Company (Buco) SPC. ne démontre pas les conditions d'octroi de l'article 145 du code de procédure civile et que, en conséquence, l'ordonnance du 23 octobre 2019 doit être rétractée ;

- constater que la mission de l'huissier telle que définie par l'ordonnance du 23 octobre 2019 n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi ;

en conséquence,

- prononcer la rétractation pure et simple de l'ordonnance du 23 octobre 2019 ;

- ordonner l'annulation des saisies réalisées et des constats établis en exécution de cette ordonnance du 23 octobre 2019 ;

- ordonner la destruction intégrale ou la remise intégrale à la société Lubatex des documents saisis et des constats réalisés ainsi que tous autres documents saisis dans le cadre de cette mission ;

- dire qu'il sera confirmé par l'huissier instrumentaire à la Cour d'appel et à Lubatex SAS que ces documents ont été tous détruits ou remis à la société Lubatex et qu'aucune copie de ces constats ou documents n'a été délivrée ni conservée par la société B. Trading Company (Buco) SPC. ;

- condamner la société B. Trading Company (Buco) SPC. à payer la somme de 20.000 euros à la société Lubatex au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société B. Trading Company (Buco) SPC. aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Matthieu B.-G., avocat postulant, et ce conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que la recevabilité des demandes de la société Buco repose sur la possibilité pour la société Buco de se prévaloir des lettres du 16 janvier 2011 et 9 février 2012 qui informent les « clients export » et les douanes d'une exclusivité de distribution de Buco sur 9 territoires et 2 marques, dès lors que ces lettres sont antérieures à son immatriculation qui est survenue en 2013 et qu'elles ne concernent pas la société Buco, présente au litige.

Elle soutient que faute pour elle d'avoir été informée de la transmission de ces lettres à un nouveau cocontractant, elle n'a donc jamais consenti à la novation qui serait intervenue en 2013 au moment du changement de société.

Elle en conclut que la cour devra rétracter l'ordonnance du 23 octobre 2019 sur le fondement de l'irrecevabilité de la requête Buco fondée sur deux lettres sur lesquelles elle ne démontre pas avoir de droits, étant précisé que le tribunal de commerce de Paris a omis de statuer sur ce point.

Elle prétend que la société Buco ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile puisque le protocole transactionnel en date du 9 octobre 2018 présente un effet extinctif, et que par voie de conséquence la probabilité qu'un litige survienne entre Lubatex et Buco sur l'un de ces éléments est faible et ne serait pas bien fondé.

Elle déclare que le tribunal de commerce de Paris en considérant qu'il existait toujours une exclusivité sur tous les territoires revendiqués par la société Buco et sur les deux marques Energizer et Autopower, n'a pas pris en compte l'évolution de la relation contractuelle et, à tort, a considéré que la société Lubatex devait avoir violé l'obligation d'exécuter de bonne foi la transaction alors que le protocole transactionnel ne contient aucune clause reconnaissant une exclusivité de distribution à la société Buco.

Elle affirme que les exclusivités ne bénéficient pas à la société Buco SPC immatriculée le 24 février 2013, requérante à la mesure in futurum, mais à la société B. Trading Entreprise Individuelle dite Buco qui avait sollicité ces droits et a commis les manœuvres dolosives.

Pour elle, l'étendue considérable des mesures ordonnées par le tribunal de commerce de Paris, sur la base d'une demande trop large de la société requérante, souligne le caractère disproportionné et excessif de la mission confiée à l'huissier ; le choix de mots-clés inadaptés, tel que le terme « Tarek » a conduit à la saisie de nombreux documents sans lien avec le litige concernant d'autres personnes se prénommant « Tarek » mais n'ayant aucun rapport ni avec Monsieur Tareq ZZ., ni avec l'objet du présent litige.

Pour elle, l'ordonnance du 23 octobre 2019 génère une atteinte disproportionnée au secret des affaires, car elle permet à Buco d'accéder à un panel extrêmement large de documents confidentiels de Lubatex et l'exécution de l'ordonnance constituerait une pratique anticoncurrentielle, en ce que le fait de transmettre de telles informations à la société Buco avant même qu'une juridiction n'ait pu statuer au fond sur la recevabilité et le bien-fondé de son action est de nature anticoncurrentielle.

Elle affirme que cette demande de mesure in futurum de Buco n'était fondée que sur l'objectif d'obtenir des informations confidentielles sur l'activité de Lubatex, de ses sous-distributeurs, de son fournisseur Johnson Controls / Clarios, très vraisemblablement pour les utiliser dans le cadre d'une procédure ouverte au Bahreïn et qu'elle est donc recevable et bien fondée à solliciter la condamnation de Buco au paiement de la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile compte tenu des importants frais irrépétibles exposés.

[*]

Dans ses dernières conclusions du 10 décembre 2020, la société B. Trading Company (Buco) demande à la cour de :

Vu les articles 145, 493 et suivants du code de procédure civile,

Vu les articles L. 151-1 et R. 153-1 du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la requête et les pièces annexées,

Vu l'ordonnance sur requête du 23 octobre 2019 du Président du tribunal de commerce de Paris,

Vu l'ordonnance de référé du 3 juillet 2020 du Président du tribunal de commerce de Paris,

Vu les pièces versées au débat,

Vu la jurisprudence citée,

- dire que l'action de la société B. Trading Company SPC. (Buco) est recevable ;

- débouter la société Lubatex de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer l'ordonnance de référé du 3 juillet 2020 du tribunal de commerce de Paris ;

- condamner Lubatex à verser à B. Trading Company SPC. (Buco) la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Lubatex aux entiers dépens de la procédure.

Sur la recevabilité de son action, elle fait valoir que si l'ordonnance du 3 juillet 2020 ne statue pas spécifiquement sur ce point, le rejet de la demande de rétractation formulée par la société Lubatex implique le rejet de son argument tiré de l'irrecevabilité de sa requête au motif qu'elle ne pourrait pas se prévaloir des lettres de désignation en qualité de distributeur exclusif qui sont de 2011 et 2012 puisqu'elle n'a été immatriculée qu'en 2013.

Elle déclare que ce moyen n'est pas sérieux puisque la première lettre désignant Buco en qualité de distributeur exclusif a été émise par Lubatex le 16 janvier 2011 alors qu'elle était en cours de constitution, ayant été provisoirement immatriculée en tant que 'branche d'activité' de l'entreprise fondée par le père de son président pour une durée limitée de 2 ans le 12 avril 2011, conformément au droit au Bahreïn, que l'accord entre Buco et Lubatex a été réitéré le 9 février 2012,que les relations se pérennisant, elle est devenue société autonome, indépendante enregistrée comme telle le 24 février 2013.

Elle rappelle que tant dans le cadre des accords de rabais que dans le cadre de l'accord transactionnel du 9 octobre 2018, la société Lubatex n'a jamais contesté qu'elle était son distributeur exclusif. Elle déclare que dans ces conditions elle avait le bénéfice de ces lettres.

Elle en conclut qu'elle disposait donc d'un intérêt et d'une qualité à agir rendant sa requête recevable, sans qu'il soit besoin de s'interroger comme le fait la société Lubatex sur l'existence ou non d'une novation, laquelle en tout état de cause relève de l'examen du litige au fond et que la fin de non-recevoir soulevée par la société Lubatex doit être rejetée.

Elle soutient justifier de la nécessité de déroger au principe du contradictoire puisqu'il y avait un risque de dissimulation ou de disparition des pièces recherchées au soutien de sa demande tendant à démontrer que la société Lubatex a violé son exclusivité, constituées de fichiers, de correspondances électroniques, de fichiers informatiques, rendu d'autant plus important par l'attitude opaque de Lubatex dont les dirigeants entretiennent une confusion totale entre les différentes sociétés du groupe -ainsi les factures remises à Buco au titre des vente de batteries sont tantôt émises par Lubatex tantôt par une société de droit luxembourgeois Lubatex Group, l'ensemble des interlocuteurs de Buco au sein de Lubatex correspondent à partir d'une même adresse électronique, se présentant comme des représentants de Lubatex alors même qu'ils seraient salariés d'autres sociétés tierces apparentées.

Elle prétend par ailleurs qu'il existait un risque très élevé de concertation entre les protagonistes du dossier, ce qui constitue un motif justifiant qu'il soit déroger au principe du contradictoire.

Elle précise que dans sa requête, elle a fait état de la commercialisation, par Johnson Controls, de batteries Energizer directement auprès de revendeurs sur les territoires couverts par l'exclusivité, favorisant par là même la violation des obligations souscrites par Lubatex envers elle et que si elle avait emprunté une voie contradictoire, elle se serait exposée à un risque très élevé de déperdition définitive d'éléments de preuve indispensables à l'exercice d'actions judiciaires ultérieures.

Elle en conclut que la cour devra juger que la nécessité de déroger au principe du contradictoire était bien établie.

Pour elle, l'ordonnance du 3 juillet 2020 a très justement retenu que le motif légitime, tenant à la probabilité qu'un litige survienne entre Buco et Lubatex était, en l'espèce, établi puisque les comportements des sociétés Lubatex et Johnson Controls sont susceptibles de caractériser une violation des obligations contractuelles contractées par Lubatex exposant leurs auteurs, notamment, à l'obligation de réparer les préjudices qu'ils ont causés.

Elle avance qu'en tout état de cause, les mots-clés retenus par l'ordonnance du 23 octobre 2019 ne visent pas l'Arabie Saoudite et que son erreur concernant le délai de préavis consenti par Lubatex lors de la notification de la fin des relations, a été commise de bonne foi et n'a eu aucune incidence sur la décision prise par le juge des requêtes dans son ordonnance du 23 octobre 2019 et est insusceptible de remettre en cause son bien-fondé ; que l'ordonnance prononcée par le juge des requêtes, via les mots clés retenus, vise exclusivement la commercialisation de batteries Energizer en violation de ses droits.

Elle affirme que les démarches entreprises par elle au Bahreïn pour se voir reconnaître le statut d'agent commercial, au sens du droit local, ne sont aucunement de nature à remettre en cause le bien-fondé de l'ordonnance du 23 octobre 2019.

Elle conteste avoir dissimulé l'existence du protocole transactionnel du 9 octobre 2018 au juge des requêtes, puisqu'il a été longuement évoqué dans la requête et produit en pièce.

Pour elle, l'ordonnance du 3 juillet 2020 retient très justement que la mesure d'instruction litigieuse n'était pas disproportionnée, notamment parce que les mots clés étaient appropriés à la recherche des éléments de preuve d'un éventuel litige au fond, la mesure sollicitée ne visant à appréhender que les seules correspondances et documents en lien avec la violation des engagements contractés par Lubatex à son égard et la recherche étant limitée dans le temps.

Elle avance qu'au regard de l'article R.153-1 du code de commerce, une ordonnance autorisant une mesure d'instruction in futurum ne peut porter atteinte au secret des affaires dès lors que, comme en l'espèce, un séquestre est prévu et la mainlevée se fait dans les conditions prévues par les dispositions relatives à la protection du secret des affaires et qu'en tout état de cause, le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure est proportionnée à l'objectif poursuivi, que l'existence d'une atteinte potentielle au droit de la concurrence n'est pas établie par Lubatex et à l'instar de la prétendue atteinte au secret des affaires.

[*]

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 du code de procédure civile prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci.

Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Enfin, la mesure ordonnée doit être circonscrite aux faits dénoncés dans la requête dont pourrait dépendre la solution du litige et ne pas s'étendre au-delà. Elle ne peut porter une atteinte illégitime au droit d'autrui.

 

Sur la recevabilité de la requête :

Si la société Lubatex conclut à l'irrecevabilité de la requête de la société Buco au motif qu'elle ne pourrait pas se prévaloir de deux lettres portant désignation en qualité de distributeur exclusif, datées des 16 janvier 2011 et 9 février 2012, soit antérieurement à son immatriculation, sans saisir la cour d'une fin de non-recevoir au visa de l'article 122 du code de procédure civile, ce moyen tend toutefois à contester l'intérêt à agir de la société Buco au titre d'une exclusivité qu'elle lui dénie.

La société Buco affirme avoir été provisoirement immatriculée comme branche d'activité de la société dirigée par le père de son président le 12 avril 2011 et pour deux ans, avant d'être immatriculée en tant que société autonome le 12 avril 2013.

Le registre du commerce mentionne ce transfert le 24 février 2013 précisant que la date d'enregistrement initial de l'activité de la société Buco est le 12 avril 2011.

La qualité de distributeur exclusif de la société Buco ressort des termes du protocole d'accord intervenu le 9 octobre 2018 entre les parties lequel énonce « qu'à compter du paiement final convenu ci-dessus, chaque partie, par les présentes, abandonne et renonce entièrement et définitivement à poursuivre l'autre partie et en particulier les réclamations relatives à des fautes passées présumées telles que mentionnées dans les lettres de notification émises par Buco le 9 avril 2018 et autres correspondances, notamment celles jointes en annexe 7 pour former partie intégrante du présent protocole transaction et /ou pour résiliation brutale, abusive ou illégale des relations commerciales des parties, violation alléguée du droit économique français, violation de l'exclusivité (...) ».

La société Buco se prévalant de violations de son exclusivité par la société Lubatex pour solliciter une mesure d'instruction au visa de l'article 145 du code de procédure civile avait donc intérêt à agir.

La requête présentée par la société Buco est donc recevable.

 

Sur l'existence d'un motif légitime :

L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge du référé de se prononcer sur le fond.

La société Lubatex indique que la société Buco ne disposait d'aucun motif légitime de nature à justifier les mesures sollicitées, les parties ayant conclu un protocole d'accord.

Il convient de rappeler d'une part que les relations contractuelles se sont poursuivies entre les parties postérieurement au protocole d'accord et d'autre part la mesure d'instruction in futurum a été sollicitée et obtenue afin de mesurer le nombre et le montant des ventes réalisées en violation de l'exclusivité de la société Buco, les personnes ou les sociétés ayant participé à ces ventes en violation de l'exclusivité ou à des conditions différentes de celles imposées à la société Buco.

Il résulte des énonciations de la requête déposée par la société Buco et des pièces versées à l'appui que postérieurement au protocole en vertu duquel les parties s'étaient engagées à poursuivre leur relation de bonne foi, celle-ci a constaté des faits de commercialisation de batteries de marque Energizer en violation de son exclusivité antérieurement et postérieurement au protocole d'accord - la commercialisation de batteries Energizer dans les Emirats Arabes Unis entre les mois de janvier et juin 2019 par la société AL Habtoor Motors ou celle à Oman et à Bahreïn en 2018.

La société Buco soutient sans être contredite que la commercialisation de ces batteries dans les pays où elle dispose d'une exclusivité est soumise à la détention par le distributeur d'un certificat de conformité dit GSO 34:2007 émis par le fabricant valable un an.

La société Lubatex se présente comme le distributeur des batteries de la société Johnson Controls International Division Power Solutions (J.C) sur la zone du Moyen Orient. Il lui revenait en cette qualité de remettre aux distributeurs de ces batteries ce certificat de conformité, ce qu'elle a fait à l'égard de la société Buco.

Sans que ne soit rapportée la preuve de l'implication de la société Lubatex dans la commercialisation des batteries Energizer dans les pays pour lesquels la société Buco bénéficiait d'une exclusivité, il existait des indices suffisants lors du dépôt de la requête pour présumer que la société Lubatex avait pu participer à la commercialisation de batteries de marque Energizer en violation de l'exclusivité dont pouvait se prévaloir la société Buco et caractériser l'existence d'un intérêt légitime pour la société Buco à solliciter une mesure lui permettant de mesurer l'ampleur des violations de son exclusivité et d'identifier les personnes y ayant participé.

La mesure d'instruction sollicitée avait un objectif circonscrit à la défense des intérêts de la société Buco vis à vis de la société Lubatex.

Aussi la requête est-elle fondée sur un motif légitime justifiant la mesure d'instruction ordonnée.

 

Sur la dérogation au principe du contradictoire :

L'ordonnance du 23 octobre 2019 se contente de mentionner à cet égard « vu la requête qui précède, les motifs y exposés et les pièces produites, constatons, au vu des justifications produites que le requérant est fondé à ne pas appeler la partie visée par la mesure, du fait de l'opacité de Lubatex SA qui ne répond pas aux interrogations du requérant, de la fragilité intrinsèque des preuves susceptibles d'être appréhendées et de la gravité des faits ».

Contrairement à ce que soutient la société Lubatex, la société Buco ne procède pas seulement par considérations d'ordre général ou portant sur la nature des fichiers informatiques recherchés facilement effaçables.

Elle développe ainsi concrètement, par une argumentation spécifique au cas d'espèce, l'opacité de la société Lubatex, le risque de concertation entre la société Lubatex et les sociétés du groupe Jonhson Controls et celui du dépérissement des preuves.

Des pièces versées à la procédure, il ressort que les factures remises à la société Buco au titre des ventes de batteries sont tantôt émises par la société Lubatex tantôt par la société de droit luxembourgeois Lubatex Group, que ces sociétés disposent du même site internet à l'adresse « www.lubatexgroup.com » et l'ensemble des interlocuteurs de la société Buco correspond avec elle à partir d'une même adresse électronique @lubatexgroup.com ce qui ne permet pas de rattacher tel interlocuteur à une société précise utilisant cette adresse, que Mme W. écrivait à la société Buco à partir de cette adresse mail mais avec une signature mentionnant le poste de responsable logistique de GK Logistique.

Cette opacité entre les sociétés Lubatex concourt au risque d'un dépérissement de preuves justifiant que les mesures soient ordonnées et manière non contradictoire.

Cette opacité résulte également de l'absence de réponse de la société Lubatex aux questions de la société Buco sur la commercialisation des batteries en violation de son exclusivité tant en 2018 qu'en 2019.

Le risque de concertation entre la société Lubatex et la société Johnson Controls ressort du courriel du 15 février 2019 de M. X. adressé à la société Buco qui l'avait interpellé sur des ventes de batteries par la société Al Habtoor Motors, celui -ci déclarant que la société Al Habtoor Motors était approvisionnée directement par une société de Johnson Controls pour l'Arabie Saoudite, qu'il « s'agit de produits expédiés directement depuis JC Espagne mais facturés par le groupe Lubatex ».

La mesure d'investigation porte principalement sur des investigations en matière informatique, notamment la recherche de correspondances électroniques. Seules les mesures d'investigation réalisées sans que la partie adverse n'en soit avertie sont susceptibles de révéler les faits qui fondent la requête, y compris dans leur ampleur, eu égard à la nature même des documents ayant vocation à y être appréhendés (email- messages Whatsapp - messages Skype - dossiers et fichiers informatiques), ceux-ci ne faisant l'objet d'aucune obligation de conservation.

La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi justifiée à l'égard de la société Lubatex contre laquelle la mesure est dirigée.

 

Sur la légitimité de la mesure d'instruction ordonnée :

La société Lubatex fait grief à l'ordonnance du 23 octobre 2019 rendue sur requête d'avoir conféré à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation extrêmement larges et disproportionnés, portant atteinte au secret des affaires.

Elle soutient que l'exécution de l'ordonnance permet à la société Buco d'accéder aux conditions commerciales accordées à ces concurrents directs, à l'origine d'une potentielle pratique anticoncurrentielle.

Le lieu des investigations est celui du siège social de la société Lubatex. Elle est limitée dans le temps, du 10 octobre 2018 au 28 juin 2019 et aux seuls interlocuteurs de la société Buco chez Lubatex - M. X., M. J. X., M.T. N. et Mme W.

S'agissant des mots-clés : le mot-clé « Habtoor » fait directement référence à la société Al Habtoor Motors, le mot-clé « A. » correspond à M. A. salarié de la société Al Habtoor Motors, responsable des vente de produits Energizer, le mot-clé « B. » renvoie à M. B., directeur financier de la sociét Al Habtoor Motors, celui de C. à M. C., responsable des vente de batteries de la société Al Habtoor Motors et le mot-clé HAM est l'acronyme de la société Al Habtoor Motors figurant sur certaines piéces produites aux débats.

Le mot-clé TK ou Tarek fait référence à la société TK Trading,orthographe utilisée dans les échanges relatifs à cette société, versés aux débats, laquelle a réalisé des ventes en Jordanie et évoquée par M. X. dans son courriel du 19 septembre 2015.

Le mot-clé HAMDAM renvoie à la société Hamdan laquelle a commercialisé des batteries Energizer en Jordanie.

Elle est donc limitée à des mots clés liés à l'objet du litige.

Il est constant que le secret professionnel comme le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile et que la saisie d'un document à caractère secret n'est pas susceptible de donner lieu à rétractation de l'ordonnance, l'accès à une telle pièce faisant l'objet d'un aménagement a posteriori lors des opérations de levée de séquestre, à la demande de la partie saisie, en cas d'atteinte réelle au secret professionnel.

En conséquence, contrairement à ce que soutient la société Lubatex, la mesure d'instruction ordonnée ne s'apparente pas à une mesure générale d'investigation excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile ni ne porte d'atteinte illégitime aux droits de la société Lubatex, si bien qu'elle constitue un mode de preuve légalement admissible.

L'ordonnance entreprise qui a rejeté la demande de la société Lubatex en rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 octobre 2019 sera confirmée.

Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.

La société Lubatex, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à la société Buco la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Rejette le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir de la société Busheru Trading Company SPC,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Lubatex aux dépens d'appel,

Condamne la société Lubatex à payer à la société Busheru Trading Company SPC la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT