CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 8 septembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9290
CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 8 septembre 2021 : RG n° 20/15751
Publication : Jurica
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 1 CHAMBRE 3
ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/15751 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSUS. Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 octobre 2020 - Président du TC de PARIS 04 - RG n° 2020018122
APPELANTES :
SAS LUBATEX
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Stéphanie DE G., avocat au Barreau de PARIS, toque : P411
SAS GK LOGISTIQUE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Stéphanie DE G., avocat au Barreau de PARIS, toque : P411
SAS LA MAISON DE LA BATTERIE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Stéphanie DE G., avocat au Barreau de PARIS, toque : P411
SAS GKOM
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Stéphanie DE G., avocat au Barreau de PARIS, toque : P411
INTIMÉE :
Société BUSHEHRI TRADING COMPANY (BUCO) SPC
Société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège [...], [...], [...], [...], Représentée par Maître Frédérique E., avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, Assistée par Maître Antonin D., avocat au Barreau de PARIS, toque : K30
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 29 mars 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, Carole CHEGARAY, Conseillère, Edmée BONGRAND, Conseillère.
Greffier, lors des débats : Olivier POIX
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Le groupe Lubatex, distributeur de batteries automobiles, s'appuie, pour son activité de distribution, sur les sociétés Lubatex SAS, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM.
Par lettres de 2011 et 2012, la société Lubatex a conclu avec la société de droit bahreïnite Bushehri Trading Company, ayant pour nom commercial « Buco », un accord de distribution pour certaines marques de batteries dans plusieurs pays du Moyen-Orient.
La société Bushehri Trading Company (Buco) a invoqué des violations de l'exclusivité de distribution dont elle prétendait bénéficier sur ces territoires. Un protocole transactionnel a été conclu entre les parties le 9 octobre 2018 pour clore le différend.
Prétendant que les violations de son exclusivité se poursuivaient postérieurement à la signature de ce protocole, Buco a présenté de nouvelles réclamations. Le 12 avril 2019, Lubatex a rompu le contrat de distribution, avec un préavis courant jusqu'au 30 avril 2020, invoquant les mauvaises performances de vente et une perte de confiance avec son partenaire.
La société Buco a, par requête, saisi le président du tribunal de commerce de Paris aux fins d'être autorisée à faire pratiquer une mesure d'instruction in futurum, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 23 octobre 2019.
Arguant de n'avoir pas pu faire exécuter pleinement cette mesure en raison du blocage, par Lubatex, de l'accès à certains postes informatiques, la société Buco a, par requête du 21 février 2020, saisi le président du tribunal de commerce de Paris aux fins d'être autorisée à faire pratiquer une seconde mesure d'instruction visant cette fois les sociétés Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM.
Par ordonnance en date du 21 février 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé la mesure afin de rechercher et prendre copie de fichiers informatiques ou messages électroniques appartenant à la société Lubatex, attribués, utilisés ou appartenants à MM. X., Y., et Mme W. et contenant l'un des mots-clés suivants : TK, Tarek, Hamdan, Habtoor, AHM, Cooledge, Parulekar, Jayachandran, et commis, pour y procéder, Maître Stéphane Van K., Huissier de justice, assisté d'un ou de plusieurs experts informatiques, et de tout Huissier de justice qu'il choisira pour l'assister ou le substituer.
Par acte du 19 décembre 2019, les sociétés Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM ont assigné la société Buco devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la rétractation de cette ordonnance.
Par ordonnance contradictoire rendue le 22 octobre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
- dit que l'ordonnance du 21 février 2020 est conforme aux dispositions de l'article 145 et 493 du code de procédure civile, et débouté les SAS Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM de leurs demandes de rétractation de cette ordonnance ;
- dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;
- dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante ;
- demandé à Lubatex, GK Logistique, la Maison de la Batterie et GKOM de faire un tri sur
les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories ;
* catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;
* catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les défenderesses refusent de communiquer ;
* catégorie « C » les pièces que les défenderesses refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;
- dit que ce tri sera communiqué à la SELARL A.-D. pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;
- dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, les requis conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce communiqueront au président du tribunal « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires » Communication à Maître Van K., et au Président, les tris des fichiers demandés avant le 19 novembre 2020 ;
- renvoyé l'affaire, après contrôle de cohérence par l'huissier, à l'audience du 15 décembre 2020 à 14 heures pour examen de la fin de la levée de séquestre ;
- condamné solidairement les SAS Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM à verser à la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;
- condamné solidairement les SAS Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de de 115,59 euros TTC dont 19,05 euros de TVA.
Les sociétés Lubatex, GK Logistique, La Maison de la Batterie et GKOM ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 3 novembre 2020.
[*]
Par dernières conclusions remises le 15 mars 2021, elles demandent à la cour, au visa des articles 122, 138 et suivants, 145, 249, 490, 493, 495, 496, 497, 874 et 875 du code de procédure civile, L. 153-1 et R.153-1 et suivants du code de commerce, et de l'article L. 442-1 du code de commerce, de :
- juger la demande de rétractation de l'ordonnance du 21 février 2010 présentée par les sociétés appelantes recevable, la déclarer bien fondée dans son argumentation ;
- infirmer l'ordonnance du 22 octobre 2020 du Tribunal de Commerce de Paris ayant refusé cette rétractation ;
statuant à nouveau,
- déclarer la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC irrecevable en son action.
- constater que la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC échoue à faire la preuve de ses prétentions notamment en ce qui concerne l'exclusivité sur neuf territoires dont elle se prétend titulaire dans la requête litigieuse ;
- juger que la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC. ne démontre pas les conditions d'octroi de l'article 145 du code de procédure civile et que, en conséquence, l'ordonnance 21 février 2020 doit être rétractée ;
- constater que la mission de l'huissier telle que définie par l'ordonnance du 21 février 2020 n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi et que la mesure n'est pas légalement admissible ;
en conséquence,
- infirmer l'ordonnance du 22 octobre 2020 du tribunal de commerce de Paris ayant refusé cette rétractation et prononcer la rétractation pure et simple de l'ordonnance du 21 février 2020 ;
- prononcer la rétractation pure et simple de l'ordonnance du 21 février 2020 ;
- ordonner l'annulation des saisies réalisées et des constats établis en exécution de cette ordonnance du 21 février 2020 ;
- ordonner la destruction intégrale ou la remise intégrale aux sociétés appelantes des documents saisis et des constats réalisés ainsi que tous autres documents saisis dans le cadre de cette mission ;
- dire qu'il sera confirmé par l'huissier instrumentaire à la cour d'appel et aux sociétés appelantes que ces documents ont été tous détruits ou remis aux sociétés appelantes et qu'aucune copie de ces constats ou documents n'a été délivrée ni conservée par la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC ;
en tout état de cause,
- ordonner, en vertu de l'effet suspensif de l'article R. 153-8 du code de commerce avant tout procès au fond, qu'aucune communication de pièce ne puisse avoir lieu avant la décision d'appel définitive et donc avant l'épuisement des voies de recours à l'encontre de toute décision qui ferait droit à une demande de communication ou production de pièce, en cas de non-rétractation.
- condamner la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC à payer la somme de 20.000 euros aux sociétés appelantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Bushehri Trading Company (Buco) SPC aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Matthieu B.-G., Avocat postulant, et ce conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Elles font valoir qu'il appartient au requérant de justifier que sa requête était fondée et non au demandeur à la rétractation de rapporter la preuve qu'elle ne l'est pas. Elles estiment qu'en l'espèce l'intimée ne rapporte pas cette preuve et qu'elle a trompé le premier juge.
Elles concluent à l'irrecevabilité de l'action - qui doit être appréciée à la date de la requête initiale - de Buco, dès lors que celle-ci repose sur des lettres des 16 août 2010, 16 janvier 2011 et 9 février 2012, époque à laquelle Buco n'existait pas, celle-ci ayant été immatriculée le 24 février 2013. Elles soutiennent, par ailleurs, que ces lettres leur sont en tout état de cause inopposables, faute pour elles d'avoir été informées de leur transmission à un nouveau cocontractant (i.e. Buco) et donc d'avoir consenti à la novation qui serait intervenue en 2013 au moment du changement de société.
Elles soulignent que la présentation erronée des faits dans la requête a conduit le premier juge à commettre des erreurs manifestes d'appréciation, rendant son ordonnance infondée. Elle indique notamment que Buco :
- ne peut se prévaloir des lettres de 2011 et 2012 puisqu'elle n'ont pas pu lui être transférées ;
- a bénéficié d'un préavis largement suffisant pour lui permettre de se réorganiser ;
- n'est pas économiquement dépendante de Lubatex, au regard de ses diverses activités ;
- a saisi un second juge d'une seconde requête, au champ significativement plus large, sans le prévenir qu'une procédure contradictoire en extension de la première requête était pendante.
Elles prétendent également que la contradiction notoire entre les argumentaires soutenus par Buco devant les juridictions françaises et bahreïnites exclue en elle-même tout motif légitime. Elles soutiennent que Buco a trompé le premier juge en fondant son récit sur la base d'une relation de distribution exclusive soumise au droit français alors que son véritable but, comme le prouve son argumentation devant le juge bahreïnite, n'est pas d'intenter une procédure au fond en France mais bien une procédure au Bahreïn sur le fondement du statut d'agent exclusif. Elles tirent également l'absence de motif légitime de ce que Buco, pour revendiquer son exclusivité sur 9 territoires, se prévaut de lettres qui ont été obtenues par dol et ne sont donc pas valables, et qu'à les supposer valables, elles n'auraient conduit qu'à une exclusivité de 5 ans maximum, prenant fin le 9 février 2017. Elles considèrent que Buco ne saurait leur reprocher de ne pas lui avoir transmis des informations strictement confidentielles, tout comme d'avoir mis un terme au contrat en lui imputant des fautes artificielles, alors même qu'en accordant un préavis d'un an elles ne sauraient avoir à fournir de justification, et que le comportement de Buco aurait pu justifier une résiliation pour faute grave. Elles estiment que les allégations fournies par Buco dans sa requête ne sont pas plausibles. Elles considèrent qu'elle n'a commis aucune obstruction à la première mesure d'instruction, contrairement à ce qu'a affirmé Buco pour demander la seconde. Elles déclarent qu'en refusant l'accès à des postes de personnes qui ne travaillent pas pour elle, Lubatex n'a fait que présenter les faits à l'huissier instrumentaire qui, de son plein gré, a décidé de se conformer aux termes de sa mission telle que définie par l'ordonnance. Elles réfutent la plupart des indices invoqués par Buco dans sa requête en les qualifiant de trompeurs et donc non valables.
Elles soutiennent en outre que l'étendue considérable des mesures ordonnées par le tribunal de commerce de Paris souligne le caractère disproportionné et excessif de la mission confiée à l'huissier, devenue une mesure générale d'investigation autorisant la saisie de tout document sur support électronique concernant les mots clés visés par l'ordonnance. Elles précisent que certains mots-clés sont dépourvus de liens avec les faits objets du litige et ont un champ d'application trop large, tel que le terme « Tarek » a conduit à la saisie de nombreux documents sans lien avec le litige concernant d'autres personnes se prénommant « Tarek », prénom extrêmement courant en arabe, mais n'ayant aucun rapport avec Monsieur « Tareq » ZZ. ; tout comme les mots clés acronymes « TK » ou « AHM », qui révèlent de nombreux faux positifs du fait de la multitude de choses qu'ils peuvent désigner et de mots pouvant les contenir ; ou encore les noms de famille non croisés avec des noms de marque, engendrant la saisie de nombreux documents sans lien avec le litige. Elles en déduisent que les mots clés sélectionnés sont impertinents, rendant la mesure disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, et non légalement admissible car portant atteinte au secret des affaires.
Elle considère que la dérogation au principe du contradictoire n'est pas justifiée, les arguments avancés pour ce faire par l'intimée n'étant pas fondés ; ainsi :
- l'organisation du groupe Lubatex n'est nullement opaque ;
- le prétendu risque de concertation n'est pas démontré, notamment dans les relations Lubatex - avec Johnson Controls / Clarios, Buco n'ayant aucune relation contractuelle avec Johnson Controls / Clarios, fournisseur du groupe Lubatex ;
- la preuve de la gravité des faits n'est pas rapportée, Buco ne cherchant à gonfler artificiellement son préjudice qu'en concentrant la mesure sur une violation en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis ;
- le risque de destruction de preuve n'est pas démontré, ni les factures, ni les éléments comptables n'étant appelés à disparaître.
Elle considère que l'ordonnance du 21 février 2020 génère des conséquences manifestement excessives. Elle souligne qu'elle a été présentée comme une extension nécessaire à la mesure ordonnée le 23 octobre 2019 et aurait dû avoir les mêmes limites, or son champ est désormais bien plus large, et représente en réalité une saisie abusive visant des personnes n'ayant aucun rapport avec le litige. Elle estime également que l'exécution de l'ordonnance constituerait une pratique anticoncurrentielle, en ce que le fait de transmettre de telles informations à Buco, ayant trait à des activités exercées en concurrence avec elle, et avant même qu'une juridiction n'ait pu statuer au fond sur la recevabilité et le bien-fondé de son action est de nature anticoncurrentielle. Elle affirme enfin que cette demande de mesure in futurum de Buco n'était fondée que sur l'objectif d'obtenir des informations confidentielles sur l'activité de Lubatex, de ses sous-distributeurs et de son fournisseur Johnson Controls / Clarios afin de les utiliser dans la procédure au Bahreïn.
[*]
La société Bushehri Trading Company (Buco), par dernières conclusions remises le 19 mars 2021, demande à la cour, au visa des articles 145 et 493 et suivants du code de procédure civile, L. 151-1 et R. 153-1 du code de commerce et 700 du code de procédure civile, de :
- dire que l'action de la société Bushehri Trading Company SPC (Buco) est recevable ;
- débouter les sociétés Lubatex, GK Logistique, GKOM et La Maison de la Batterie de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- confirmer l'ordonnance de référé du 22 octobre 2020 du tribunal de commerce de Paris ;
- condamner la société Lubatex à verser à Bushehri Trading Company SPC (Buco) la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Lubatex aux entiers dépens de la procédure.
Elle soutient tout d'abord que les appelantes développent les mêmes arguments que ceux qu'elle avait avancés pour contester la première mesure d'instruction in futurum et que la cour a rejeté, de sorte que la cour ne pourra juger différemment en l'espèce.
Sur la recevabilité de son action, elle fait valoir que si l'ordonnance du 3 juillet 2020 ne statue pas spécifiquement sur ce point, le rejet de la demande de rétractation formulée par la société Lubatex implique nécessairement le rejet de son argument tiré de l'irrecevabilité de sa requête au motif qu'elle ne pourrait pas se prévaloir des lettres de désignation en qualité de distributeur exclusif, qui sont de 2011 et 2012, puisqu'elle n'a été immatriculée qu'en 2013. Elle déclare de surcroît que ce moyen n'est pas sérieux puisque la première lettre désignant Buco en qualité de distributeur exclusif a été émise par Lubatex le 16 janvier 2011 alors qu'elle était en cours de constitution, ayant été provisoirement immatriculée en tant que « branche d'activité » de l'entreprise fondée par le père de son président pour une durée limitée de deux ans le 12 avril 2011, conformément au droit au Bahreïn, que l'accord entre Buco et Lubatex a été réitéré le 9 février 2012, et que les relations se pérennisant, elle est devenue société autonome, indépendante et enregistrée comme telle le 24 février 2013. Elle rappelle que tant dans le cadre des accords de rabais que dans le cadre de l'accord transactionnel du 9 octobre 2018, la société Lubatex n'a jamais contesté qu'elle était son distributeur exclusif. Elle déclare que, dans ces conditions, elle avait le bénéfice de ces lettres, rendant sa requête recevable, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'existence ou non d'une novation, laquelle en tout état de cause relève de l'examen du litige au fond et que la fin de non-recevoir soulevée par la société Lubatex doit être rejetée.
Elle justifie de la nécessité de déroger au principe du contradictoire en invoquant :
- la nécessité de surprise puisqu'il y avait un risque de dissimulation ou de disparition des pièces recherchées, constituées de fichiers, de correspondances électroniques et de fichiers informatiques ;
- l'attitude opaque de Lubatex dont les dirigeants entretiennent une confusion totale entre les différentes sociétés du groupe ;
- le risque élevé de concertation entre les protagonistes du dossier ;
- la gravité des faits invoqués et l'importance des préjudices qui en résultent.
Elle indique que l'ordonnance du 22 octobre 2020 a très justement retenu que le motif légitime, tenant à la probabilité qu'un litige survienne entre Buco et Lubatex, était établi par les nombreux indices mis en exergue dans sa requête, s'agissant de comportements des sociétés Lubatex et Johnson Controls susceptibles de caractériser une violation des obligations contractuelles contractées par Lubatex exposant leurs auteurs, notamment, à l'obligation de réparer les préjudices qu'ils ont causés. Elle indique qu'aucune intention de tromper le juge n'est à relever, Buco n'ayant fait que révéler des faits établis. Elle conteste toute contrariété entre la présente procédure et celle en cours au Bahreïn, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre, la seconde ayant pour objectif de voir reconnaître à Buco le statut d'agent commercial de Lubatex, et non de faire sanctionner les violations par Lubatex de l'exclusivité de Buco. Elle estime que le protocole transactionnel du 9 octobre 2018, qu'elle n'a pas dissimulé au juge des requêtes, n'emporte pas renonciation à toute action judiciaire concernant un différend survenu à propos de faits s'étant déroulés après le 9 octobre 2018 ; sachant que le litige potentiel pourrait très bien concerner l'inexécution dudit protocole transactionnel. Elle prétend également justifier d'un motif légitime en ce que ses allégations selon lesquelles Lubatex aurait violé ses engagements d'exclusivité sur divers territoires sont plausibles.
Elle indique que l'ordonnance du 22 octobre 2020 retient très justement que la mesure d'instruction litigieuse n'était pas disproportionnée, notamment parce que les mots clés - qui sont les mêmes que ceux de la première mesure et que la cour d'appel a validé - étaient appropriés à la recherche des éléments de preuve d'un éventuel litige au fond, la mesure sollicitée ne visant à appréhender que les seules correspondances et documents en lien avec la violation des engagements contractés par Lubatex à son égard et la recherche étant limitée dans le temps. Elle souligne enfin que l'exécution de la mesure n'a pas de conséquences manifestement excessives au regard tant du champ de la mesure qu'au regard des principes du secret des affaires ou de la protection de la concurrence, auxquels il n'est pas porté atteinte dès lors qu'un séquestre est prévu et que la mainlevée se fait dans les conditions prévues par les dispositions relatives à la protection du secret des affaires.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la recevabilité de la requête :
La société Lubatex conteste l'intérêt à agir de la société Buco au motif qu'elle ne pourrait pas se prévaloir des lettres de désignation en qualité de distributeur exclusif, datées des 16 janvier 2011 et 9 février 2012, soit antérieurement à son immatriculation.
Toutefois, le registre du commerce mentionne que, si la société Buco a été immatriculée en tant que société autonome le 24 février 2013, elle a été provisoirement immatriculée comme branche d'activité de la société dirigée par le père de son président le 12 avril 2011.
La qualité de distributeur exclusif de la société Buco ressort des termes du protocole d'accord intervenu le 9 octobre 2018 entre les parties, lequel énonce « qu'à compter du paiement final convenu ci-dessus, chaque partie, par les présentes, abandonne et renonce entièrement et définitivement à poursuivre l'autre partie et en particulier les réclamations relatives à des fautes passées présumées telles que mentionnées dans les lettres de notification émises par Buco le 9 avril 2018 et autres correspondances, notamment celles jointes en annexe 7 pour former partie intégrante du présent protocole transaction et /ou pour résiliation brutale, abusive ou illégale des relations commerciales des parties, violation alléguée du droit économique français, violation de l'exclusivité (...) ».
Il s'en déduit que la société Buco se prévalant de violations de son exclusivité par la société Lubatex dans le cadre des relations entretenues à partir du 2 avril 2011, correspondant à la date d'immatriculation de l'activité en tant que « branche », ou postérieurement au protocole d'accord du 9 octobre 2018, soit à une date à laquelle elle était immatriculée, avait intérêt à agir.
La requête présentée par la société Buco est, en conséquence, recevable.
Sur la demande de rétractation :
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Le juge de la rétractation doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Il doit enfin s'assurer de la proportionnalité de la mesure ordonnée au regard des intérêts et droits respectifs des parties.
Sur l'existence d'un motif légitime :
L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge du référé de se prononcer sur le fond.
Il résulte des énonciations de la requête déposée par la société Buco et des pièces versées à l'appui de sa demande que, postérieurement au protocole en vertu duquel les parties s'étaient engagées à poursuivre leur relation de bonne foi, Buco a constaté des faits de commercialisation de batteries de marque Energizer antérieurement et postérieurement au protocole d'accord - la commercialisation de batteries Energizer dans les Emirats Arabes Unis entre les mois de janvier et juin 2019 par la société AL Habtoor Motors ou celle à Oman et à Bahreïn en 2018 - en violation de l'exclusivité qui lui avait été consentie.
La requête fait, par ailleurs, état d'indices rendant, selon elle, vraisemblable le caractère massif et structurel des violations, par Lubatex, de ses obligations, avec la complicité de plusieurs sociétés ; ainsi :
- l'absence de réponse de Lubatex et des sociétés du groupe Johnson Controls sur l'ampleur des ventes litigieuses ;
- « le fait que Monsieur X. ait indiqué à ses collaborateurs dès le 19 septembre 2015 qu'il fallait à tout prix « récupérer Energizer » ;
- « le fait que Lubatex ait sciemment cessé, dès 2015, de mettre en avant Buco et de rediriger les clients désireux d'acquérir des batteries Energizer vers cette-dernière » ;
- le fait que Lubatex ait immédiatement contracté avec Al Habtoor Motors, l'ancien sous- distributeur de Buco aux Emirats Arabes Unis, dès que celui-ci a rompu son contrat avec Buco ;
- le fait que toutes les batteries commercialisées (de façon illicite) sous la marque Energizer par des distributeurs distincts de Buco l'aient systématiquement été à des prix très largement inférieurs à ceux pratiqués en direction de la requérante ;
- le fait que Lubatex ait entrepris à plusieurs reprises depuis le mois d'août 2015 d'imputer artificiellement des griefs à Buco afin de tenter de mettre un terme au contrat de distribution exclusive conclu en 2011 et être ainsi en mesure de faire main basse sur les parts de marché développées par Buco ;
- le fait que, le 15 février 2019, Lubatex ait admis l'existence de vente parallèles en Arabie Saoudite via Al Habtoor Motors ;
- le fait que, fin novembre 2018, des batteries Energizer étaient commercialisées sans l'intervention de Buco par la société Al Habtoor Motors à Oman, et ce alors même qu'un protocole transactionnel venait d'être signé ;
- le fait qu'en janvier et juin 2019, des batteries Energizer étaient commercialisées sans l'intervention de Buco aux Emirats Arabes Unis, et ce alors-même qu'un protocole transactionnel venait d'être signé.
La société Buco justifie, au vu des ces indices concordants, d'un motif légitime à l'appui de sa demande de mesure d'instruction in futurum.
Sur la dérogation au principe du contradictoire :
L'ordonnance se réfère directement à la requête : « Vu la requête qui précède, les motifs y exposés et les pièces produites ; Constatons, au vu des justifications produites, que le requérant est fondé à ne pas appeler la partie visée par la mesure, du fait de l'opacité de Lubatex SAS qui ne répond pas aux interrogations du requérant, de la fragilité intrinsèque des preuves susceptibles d'être appréhendées, et de la gravité des faits. »
La requête en date du 21 février 2020 expose :
1. le risque de destruction des éléments de preuve, en ce que :
« les éléments de preuve concernés par la mesure sont intésinquement fragiles et peuvent aisément être détruits », « s'agissant pour l'essentiel de messages électroniques, de fichiers informatiques et de sms, qui ne font l'objet d'aucune obligation de conservation. Ces différentes pièces peuvent donc aisément être dissimulées ou détruites. »
2. l'opacité manifestée par Lubatex, en ce que :
- « les dirigeants et actionnaires du groupe auquel appartient Lubatex » en premier lieu Monsieur X. « entretiennent une confusion totale entre les différentes sociétés du groupe. » Ainsi :
- « Lubatex est détenue par la société de droit luxembourgeois Lubatex Group, elle-même détenue par la société de droit luxembourgeois Gopal SA, elle-même détenue par Monsieur X. Monsieur X. et sa famille détiennent et dirigent plusieurs autres sociétés à Sarreguemines et dans les communes proches, dont GKOM et GMO Batt » ;
- « les factures remises à BUCO au titre des ventes de batteries sont tantôt émises par Lubatex, tantôt par la société de droit luxembourgeois Lubatex Group » ;
- « Lubatex a opportunément tiré argument de la confusion et de l'opacité de cette organisation pour faire obstacle à l'exécution de la première mesure d'instruction en faisant valoir que Mme W. serait salariée de GK Logistique, M. Y. serait salarié de La Maison de la Batterie ; M. X. serait président et salarié de GKOM. Toutefois, en pratique, il est impossible de distinguer entre les sociétés du groupe et leurs préposés et dirigeants respectifs. » ;
- cette opacité « démontre une volonté de dissimulation qui justifie la dérogation au contradictoire. » ;
3. « l'existence d'un risque très élevé de concertation entre les protagonistes du dossier : « en raison de la porosité des sociétés du groupe et de l'opacité délibérément entretenue par leur dirigeant, M. X., il existe un risque de concertation très serieux entre les différentes sociétés appartenat au groupe Lubatex et/ou M. X. » ;
4. « la gravité des faits, s'ils sont avérés, et l'importance des préjudices qui en résultent » : « Si les pièces appréhendées via la mesure sollicitée confortaient ses soupçons, elle (Buco) pourrait soulever plusieurs griefs à l'encontre de Lubatex et/ou de toute société des groupes Lubatex, Johnson Controls. La société de tête du groupe Johnson Controls, en l'occurrence la société Johnson Controls International PLC, étant une société côtée en bourse, les répercussions des actions susceptibles d'être introduites par Buco sont très importantes. »
La nécessité de ménager un effet de surprise motivés par référence à ce contexte et les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire sont, dans ces conditions, suffisamment caractérisées aux termes de la requête ayant donné lieu à l'ordonnance du 21 février 2020.
Sur le caractère proportionné de la mesure ordonnée :
Il résulte de la requête et de l'ordonnance du 21 février 2020 que la mesure se trouve limitée :
- dans l'espace, le lieu des investigations étant celui du siège social des sociétés Lubatex, GK Logistique et La Maison de la Batterie, de celui de la société GKOM et de tous lieux permettant un accès aux serveurs informatiques et ordinateurs de ces sociétés ;
- dans le temps, seule la période postérieure au protocole transactionnel du 9 octobre 2018 étant concernée ;
- en son objet, la mesure étant :
- circonscrite aux seuls interlocuteurs de la société Buco chez Lubatex - M. X., M. J. X., M. Y. et Mme W. (ce derniers étant respectivement directeur opérationnel et responsable logistique du groupe Lubatex) - et aux serveurs et supports utilisés par utilisés par Messieurs X. et Y. et Mme W. dans le cadre de leur activité professionnelle, personnes les plus susceptibles de détenir des éléments de preuve relatifs au différend opposant Lubatex et Buco ;
- limitée par la référence à des mots-clés liés à l'objet du litige : « Habtoor » (faisant directement référence à la société Al Habtoor Motors, « Cooledge » (correspondant à M. C., salarié de la société Al Habtoor Motors, responsable des ventes de produits Energizer), « Parulekar » (directeur financier de la sociét Al Habtoor Motors), « Jayachandran » (responsable des vente de batteries de la société Al Habtoor Motors), « Ahm » (correspondant à la société Al Habtoor Motors), « TK » et « Tarek », termes faisant référence à la société TK Trading réalisant des ventes directes de batteries en Jordanie.
En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la mesure d'instruction ordonnée ne s'apparente pas à une mesure générale d'investigation excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, ni ne porte d'atteinte illégitime aux droits de la société Lubatex, si bien qu'elle constitue un mode de preuve légalement admissible.
Il est constant que le secret professionnel comme le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile et que la saisie d'un document à caractère secret n'est pas susceptible de donner lieu à rétractation de l'ordonnance, l'accès à une telle pièce faisant l'objet d'un aménagement a posteriori lors des opérations de levée de séquestre, à la demande de la partie saisie, en cas d'atteinte réelle au secret professionnel.
L'ordonnance entreprise qui a rejeté la demande de la société Lubatex en rétractation de l'ordonnance sur requête du 21 février 2020 sera, en conséquence, confirmée.
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.
La société Lubatex, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à la société Buco la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Rejette le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir de la société Busheru Trading Company SPC ;
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Lubatex aux dépens d'appel ;
La condamne à payer à la société Busheru Trading Company SPC la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT