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CA DIJON (2e ch. civ.), 18 novembre 2021

Nature : Décision
Titre : CA DIJON (2e ch. civ.), 18 novembre 2021
Pays : France
Juridiction : Dijon (CA), 2e ch. civ.
Demande : 19/00473
Date : 18/11/2021
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 26/03/2019
Référence bibliographique : 5705 (L. 212-1, imprescriptibilité), 5735 (effets, refus de la nullité), 9742 (prêt en francs suisses)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9253

CA DIJON (2e ch. civ.), 18 novembre 2021 : RG n° 19/00473 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Comme le soutiennent à bon droit les appelants, l'action aux fins de reconnaissance du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur a pour objet de voir réputer la clause non écrite et ne s'analyse pas comme une action en nullité, et elle n'est pas soumise à la prescription. Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. X. et de Mme Y. fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation. »

2/ « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

La clause litigieuse prévoyait que « l'emprunteur donne mandat au prêteur de convertir en euros les sommes utiles et virer les sommes converties aux conditions de change standard-cours d'achat- au jour de l'opération sur son compte en euros ouvert dans les livres de la caisse d'épargne puis de procéder par débit de compte à une affectation des fonds conforme à l'objet du prêt ».

Le tribunal a pu exactement considérer que cette clause se rapportait à la définition de l'objet principal du contrat qui était le prêt d'une somme d'argent exprimée en devises et qu'elle détaillait les conditions de réalisation du prêt de façon claire et compréhensible, s'agissant d'un prêt qui supposait une opération de change qui avait nécessairement lieu à la date de réalisation du prêt c'est à dire au jour du versement du capital prêté sur le compte de dépôt de l'emprunteur, intervenu en l'espèce le 8 octobre 2007.

Le jugement mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté les consorts X.-Y. de leur demande tendant à voir déclarer cette clause abusive et réputée non écrite. »

3/ « Comme l'a exactement retenu le tribunal, la clause prévoyant que le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté porte sur la définition de l'objet principal du contrat au sens de la directive du 5 avril 1993, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat.

Le premier juge a, à juste titre, relevé que les conditions particulières et générales du prêt informaient les emprunteurs que la charge de remboursement, c'est à dire l'échéance, resterait constante tout au long de la durée du prêt sous réserve des variations éventuelles du taux d'intérêt qui auraient pour effet de modifier le montant des échéances mais pas le montant du capital emprunté et sans entraîner de modification de la date finale du prêt, et que le taux d'intérêt pourrait varier à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution du taux interbancaire Libor à trois mois de la devise empruntée, dans la limite du taux plafond.

En outre, les conditions générales spécifiques du prêt en devises informaient, dans une rubrique spécifique, l'emprunteur sur le risque de change en indiquant que celui-ci assumait toutes les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro susceptibles d'intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt, étant observé qu'au vu des informations qui précèdent, ce risque n'avait aucune incidence sur le montant des échéances de remboursement, sur le montant du capital emprunté et sur la date finale du prêt.

Force est de constater que le risque dont se plaignent les emprunteurs, de voir augmenter le montant du capital restant dû, découle de leur seul choix de remboursement anticipé du capital prêté, entraînant une conversion en euros du capital restant dû en leur défaveur en raison de la forte variation du taux de parité entre francs suisses et euros au début de l'année 2015, alors que les conditions générales spécifiques du prêt mentionnaient qu'ils avaient reconnu disposer des connaissances nécessaires pour évaluer ce risque, ce qui était le cas au regard de la situation de travailleur frontalier de monsieur et sa pratique des taux de change dans le cadre de son activité professionnelle.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que les consorts X.-Y. ne démontraient pas que les clauses dénoncées étaient insuffisamment claires ou compréhensibles et qu'il les a déboutés de leur demande tendant à les voir déclarer abusives. »

 

COUR D’APPEL DE DIJON

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 19/00473. N° Portalis DBVF-V-B7D-FHDH. Décision déférée à la Cour : au fond du 19 février 2019, rendue par le tribunal de grande instance de Dijon, RG n° 16/00096.

 

APPELANTS :

Monsieur X.

né le [date] à [ville], domicilié : [adresse], [...]

Madame Y.

née le [date] à [ville], domiciliée : [adresse], [...]

représentés par Maître Sophie A., membre de la SCP A.-P.-N.- A. AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 4, assistée de Maître Katia D., avocat au barreau de VERSAILLES

 

INTIMÉE :

CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE BOURGOGNE FRANCHE-COMTÉ

agissant poursuites et diligences de son représentant légal domiciliés ès qualités de droit au siège social sis : [...], [...], représentée par Maître Stéphane C., membre de la SCP B.-C. - C.-C., avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 17

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 septembre 2021 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Sophie DUMURGIER, Conseiller, chargé du rapport et Sophie BAILLY, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de : Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, Sophie DUMURGIER, Conseiller, Sophie BAILLY, Conseiller, qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 18 novembre 2021,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte authentique reçu le 7 septembre 2007, M. X. et Mme Y. ont fait l'acquisition d'un bien immobilier situé à [ville J.], au prix de 400.000 euros, financé à l'aide un prêt immobilier en devises CHF d'un montant total de 585.000 CHF, consenti selon offre préalable acceptée le 29 août 2007 par la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté, et amortissable en 300 mensualités de 2.835,37 CHF par échéances constantes sous réserve de variation éventuelle du taux d'intérêt, fixé à 3,20 % et indexé sur LIBOR 3 mois CHF pour un taux plafond de 4,20 %.

Par courrier du 22 mai 2015, les emprunteurs ont reproché à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde en ne les ayant pas suffisamment informés des graves dangers du risque de variation brutale et importante des parités entre le franc suisse et l'euro, situation qu'ils ont rencontrée au mois de janvier 2015.

La Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté contestant tout manquement à ses obligations, M. X. et Mme Y. l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Dijon, par acte d'huissier du 29 décembre 2015, afin, à titre principal, de la voir condamner à leur payer la somme de 15.904,36 euros au motif que la clause afférente à la réalisation des prêts figurant dans l'offre du 29 août 2007 est abusive et réputée non écrite, de voir constater que la clause afférente au remboursement du prêt en devises est également abusive et de voir condamner la banque à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, sous astreinte, ou, subsidiairement, de voir constater qu'elle a manqué à son obligation de mise en garde et la voir condamner à leur payer 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance subie, outre une indemnité de procédure de 8.000 euros, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Au terme de leurs dernières écritures saisissant le tribunal, M. X. et Mme Y. demandaient à la juridiction, avec exécution provisoire et au visa des articles L. 132-1 du code de la consommation et 1134 et 1147 du code civil, de :

* à titre principal :

- constater que le dommage est survenu au mois de janvier 2015 et déclarer recevable leur action,

- déclarer la clause afférente à la réalisation des prêts, qui figure dans l'offre de prêt du 29 août 2007, abusive et réputée non écrite,

- condamner la banque à leur verser 15.904,36 euros à ce titre,

- déclarer la clause afférente au remboursement du prêt en devises qui figure dans l'offre de prêt du 29 août 2007, abusive et réputée non écrite,

- condamner la banque à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, afférent au prêt de 340.000 euros au même taux et sur la même durée de 300 mois, avec substitution de l'euro au franc suisse, prenant en compte le nouveau capital restant dû, déduction faite des échéances déjà versées réactualisées au cours de change du 7 septembre 2007, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

* à titre subsidiaire :

- constater que la banque a manqué à son obligation de mise en garde,

- juger qu'ils ont subi un préjudice résultant de la perte de chance d'avoir conclu un contrat de prêt immobilier à des conditions financières plus avantageuses,

- condamner la banque à leur verser la somme de 180.479 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

- la condamner à leur verser la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

La Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté a conclu à l'irrecevabilité des demandes formées à son encontre, comme étant prescrites, et, à titre subsidiaire, à leur rejet, en sollicitant l'allocation d'une indemnité de procédure de 1.500 euros.

Par jugement rendu le 19 février 2019, le tribunal de grande instance de Dijon a :

- déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action de M. X. et de Mme Y. fondée sur la responsabilité contractuelle de la SA Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté,

- déclaré recevable l'action de M. X. et de Mme Y. fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation,

- débouté M. X. et Mme Y. de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné in solidum M. X. et Mme Y. aux dépens.

M. X. et Mme Y. ont régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 26 mars 2019.

[*]

Au terme de leurs dernières écritures notifiées le 5 juillet 2021, les appelants demandent à la Cour, au visa des articles L. 132-1 du code de la consommation, 1134 et 1147 du code civil, 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la directive 93/13 CEE du 5 avril 1993, et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, de :

- confirmer le jugement du 19 février 2019 du Tribunal de grande instance de Dijon en ce qu'il a :

* déclaré recevable leur action fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation,

* débouté la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'infirmer pour le surplus,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger la clause afférente à la « réalisation des prêts » qui figure dans l'offre de prêt du 29 août 2007 abusive et réputée non écrite,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté à leur verser la somme de 15.904,36 euros à ce titre,

- juger la clause afférente au 'remboursement en devises' du prêt qui figure dans l'offre de prêt du 29 août 2007 abusive et réputée non écrite,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté à leur verser la somme de 201.551 euros à titre de dommages-intérêts suite au préjudice subi du fait de l'existence de clauses abusives,

A titre subsidiaire,

- juger leur action recevable,

- juger que la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté a manqué à son obligation de mise en garde des emprunteurs,

- juger qu'ils ont subi un préjudice résultant de la perte de chance d'avoir conclu un contrat de prêt immobilier à des conditions financières plus avantageuses,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté à leur verser la somme de 201.551 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de 1ère instance et d'appel,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté aux entiers dépens.

[*]

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 19 août 2021, la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté demande à la Cour de :

Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a déclaré recevable l'action des consorts X. Y. fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation,

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action des consorts X. Y. fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation,

- condamner les consorts X. Y. à lui verser la somme de 1.500 euros,

- confirmer le jugement querellé pour le surplus,

En tout état de cause,

- condamner M. X. et Mme Y. à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

- condamner M. X. et Mme Y. aux entiers dépens.

[*]

La clôture de la procédure a été prononcée le 24 août 2021.

Il est référé, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs écritures évoquées ci-dessus.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR QUOI :

Sur la recevabilité de l'action aux fins de sanction des clauses abusives :

Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la Caisse d'épargne, le tribunal a retenu que l'action tendant à voir sanctionner une clause contractuelle abusive ne peut pas être assimilée à une action en nullité soumise à la prescription quinquennale, l'ancien article L. 132-1 prévoyant une sanction distincte de la nullité consistant à réputer non écrite la clause jugée abusive.

Pour conclure à l'infirmation du jugement, l'intimée, appelante incidente, maintient que l'action qui tend à sanctionner une clause abusive est soumise au délai quinquennal de prescription de l'article L 110-4 du code de commerce car, selon la Cour de cassation, une clause abusive doit être déclarée nulle et de nul effet. Elle ajoute que le délai de prescription commence à courir à compter de la régularisation de l'offre de prêt, soit en l'espèce à compter du 31 mars 2010, ce qui est manifestement erroné puisque l'offre a été signée le 29 août 2007.

[*]

Comme le soutiennent à bon droit les appelants, l'action aux fins de reconnaissance du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur a pour objet de voir réputer la clause non écrite et ne s'analyse pas comme une action en nullité, et elle n'est pas soumise à la prescription.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. X. et de Mme Y. fondée sur l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation.

 

Selon les dispositions d'ordre public de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les appelants se prévalent d'un arrêt rendu le 10 juin 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne qui a considéré, dans le cadre des prêts en devises, que les clauses d'un contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et l'euro la monnaie de paiement font peser le risque de change sur l'emprunteur et sont abusives car elles sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat, au détriment du consommateur, le professionnel ne pouvant raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Ils rappellent qu'une clause portant sur l'objet principal du contrat peut être déclarée abusive si elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible et précisent que les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour leur permettre de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, la Cour de justice de l'Union européenne exigeant ainsi que le mécanisme de calcul des montants de la somme prêtée et des échéances de remboursement et le taux de change applicable soient exposés de manière transparente.

Les consorts X.-Y. font valoir, en premier lieu, s'agissant de la clause intitulée « réalisation des prêts », que la monnaie de compte ne fait pas partie de l'objet principal du contrat, qui est un prêt immobilier, que la jurisprudence considère que les contestations portant sur les clauses de remboursement de prêts en devises ne portent pas sur la définition principale du contrat, et que, dans l'hypothèse où la clause serait néanmoins considérée comme portant sur l'objet principal du contrat, elle ne décrit pas les modalités pour déterminer la date de la réalisation de l'opération de change nécessaire lors de la réalisation du prêt, alors qu'il n'est pas davantage précisé comment sera déterminé le cours du change lors du règlement des intérêts en CHF et lors du remboursement du prêt.

Ils relèvent que la banque a cru devoir appliquer le taux de change à la date du 8 octobre 2007, qu'elle retient comme date du déblocage des fonds, alors qu'aucun élément ne justifie de retenir cette date puisque, si l'offre de prêt n'a été acceptée que le 10 septembre 2007, après la vente et le paiement du prix, la banque ne justifie pas pourquoi elle a attendu le 8 octobre 2007 pour débloquer les fonds.

Ils prétendent que le préjudice qui en résulte est important car le taux de change était de 1,6437 le 7 septembre 2007, ce qui représente une différence en leur défaveur de 15.904,36 euros.

La banque objecte que la clause litigieuse détaille les conditions de réalisation du prêt de façon claire et compréhensible, les époux C. ayant emprunté un capital exprimé en CHF et remboursable en CHF pour acheter un immeuble dont le prix était exprimé en euros car il était situé en France, ce qui nécessitait une opération de change prévue par la clause en cause.

Elle considère que les appelants ne démontrent pas en quoi cette clause engendrerait un déséquilibre significatif à leur détriment.

Dans l'hypothèse où la clause serait jugée abusive, elle affirme que la loi prévoit qu'elle est réputée non écrite mais ne prévoit pas l'octroi de dommages-intérêts.

[*]

En application de l'article L. 132-1 du code de la consommation susvisé et sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

La clause litigieuse prévoyait que « l'emprunteur donne mandat au prêteur de convertir en euros les sommes utiles et virer les sommes converties aux conditions de change standard-cours d'achat- au jour de l'opération sur son compte en euros ouvert dans les livres de la caisse d'épargne puis de procéder par débit de compte à une affectation des fonds conforme à l'objet du prêt ».

Le tribunal a pu exactement considérer que cette clause se rapportait à la définition de l'objet principal du contrat qui était le prêt d'une somme d'argent exprimée en devises et qu'elle détaillait les conditions de réalisation du prêt de façon claire et compréhensible, s'agissant d'un prêt qui supposait une opération de change qui avait nécessairement lieu à la date de réalisation du prêt c'est à dire au jour du versement du capital prêté sur le compte de dépôt de l'emprunteur, intervenu en l'espèce le 8 octobre 2007.

Le jugement mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté les consorts X.-Y. de leur demande tendant à voir déclarer cette clause abusive et réputée non écrite.

 

En second lieu, les appelants prétendent que les clauses selon lesquelles « tous les remboursements devront avoir lieu dans la devise empruntée », « information de l'emprunteur : l'emprunteur reconnaît qu'il dispose de l'expérience et de la connaissance nécessaire pour évaluer les avantages et risques encourus dans le cadre du présent crédit en devises. Il reconnaît avoir bénéficié de toute l'information nécessaire à la conclusion de son contrat de prêt », qui ne portent pas sur l'objet principal du contrat, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties car la banque, qui a des actifs en euros et en CHF ne supporte pas le risque de change qui pèse exclusivement sur les emprunteurs, l'établissement financier disposant d'outils financiers pour couvrir ce risque. Ils ajoutent que la Caisse d'épargne n'a pas expliqué de manière concrète et simple les risques liés à ces disparités de change, à savoir le risque d'augmentation du capital emprunté en dépit du versement des mensualités censées permettre l'amortissement du capital.

Ils estiment que la rédaction de la clause relative à l'information de l'emprunteur sur les risques encourus dans le cadre du prêt en devises est générale et abstraite et qu'elle ne permet pas d'apprécier le caractère personnalisé des explications fournies à l'emprunteur sur les conséquences du crédit sur sa situation financières, alors que la banque ne produit aucun autre élément justifiant la délivrance de cette information, ce qui ne leur a pas permis d'anticiper les différentes situations en cas de variation du taux de change.

Ils contestent que M. X. était, par l'exercice de sa profession de consultant immobilier, bien informé des risques liés au taux de change car il n'avait pas pour mission de conclure des prêts en devises, il disposait d'un revenu en CHF et remboursait des mensualités en CHF, de sorte qu'il ne pouvait pas anticiper les conséquences liées à la variabilité du taux de change.

Ils relèvent que la contrevaleur en euros du capital restant dû était quasiment identique en 2007 et 2016, après neuf années de remboursement, et évaluent à 201.551 euros le préjudice qu'ils ont subi lors du remboursement anticipé du prêt après le partage de leur régime matrimonial le 18 novembre 2020.

L'intimée considère que les clauses critiquées portent sur la définition de l'objet principal du contrat au sens de la directive 93-13 du 5 avril 1993 et qu'elles sont claires et compréhensibles conformément aux exigences définies par la Cour de justice de l'Union européenne, un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ayant la possibilité de connaître le risque d'augmentation ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt est contracté et d'évaluer ses conséquences économiques, en rappelant que le caractère clair et compréhensible de la clause doit s'apprécier in abstracto, en tenant compte de la compréhension du consommateur moyen mais au regard des circonstances particulières de la cause, et qu'il doit s'apprécier en l'espèce au regard de la qualité de travailleur frontalier de l'emprunteur puisque c'est exclusivement à ce type de consommateur que s'adresse le prêt exprimé en CHF.

Elle fait valoir, qu'en l'espèce, les conditions générales spécifiques indiquent que l'emprunteur dispose des connaissances nécessaires pour évaluer les avantages et les risques encourus dans le cadre du contrat en devises et qu'il assume toutes les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, susceptible d'intervenir jusqu'au remboursement complet du prêt, ce qui était le cas de M. X. qui travaillait alors en Suisse en qualité de responsable de projets immobiliers et qui était informé des risques liés au taux de change puisqu'il exerçait une profession impliquant une bonne connaissance des montages financiers et percevait un salaire en CHF alors qu'il était domicilié en France.

Enfin, elle considère que les clauses litigieuses ne créaient aucun déséquilibre significatif entre les parties au détriment des emprunteurs, s'agissant d'un prêt en CHF remboursable en CHF, de sorte que le risque de change n'existait pas, dans le cadre duquel l'emprunteur pouvait bénéficier de la dépréciation de la devise, les risques étant ainsi réciproques, et qui présentait un intérêt certain pour l'emprunteur car les taux directeurs suisses étaient très bas lors de la conclusion du contrat.

[*]

Comme l'a exactement retenu le tribunal, la clause prévoyant que le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté porte sur la définition de l'objet principal du contrat au sens de la directive du 5 avril 1993, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat.

Le premier juge a, à juste titre, relevé que les conditions particulières et générales du prêt informaient les emprunteurs que la charge de remboursement, c'est à dire l'échéance, resterait constante tout au long de la durée du prêt sous réserve des variations éventuelles du taux d'intérêt qui auraient pour effet de modifier le montant des échéances mais pas le montant du capital emprunté et sans entraîner de modification de la date finale du prêt, et que le taux d'intérêt pourrait varier à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution du taux interbancaire Libor à trois mois de la devise empruntée, dans la limite du taux plafond.

En outre, les conditions générales spécifiques du prêt en devises informaient, dans une rubrique spécifique, l'emprunteur sur le risque de change en indiquant que celui-ci assumait toutes les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro susceptibles d'intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt, étant observé qu'au vu des informations qui précèdent, ce risque n'avait aucune incidence sur le montant des échéances de remboursement, sur le montant du capital emprunté et sur la date finale du prêt.

Force est de constater que le risque dont se plaignent les emprunteurs, de voir augmenter le montant du capital restant dû, découle de leur seul choix de remboursement anticipé du capital prêté, entraînant une conversion en euros du capital restant dû en leur défaveur en raison de la forte variation du taux de parité entre francs suisses et euros au début de l'année 2015, alors que les conditions générales spécifiques du prêt mentionnaient qu'ils avaient reconnu disposer des connaissances nécessaires pour évaluer ce risque, ce qui était le cas au regard de la situation de travailleur frontalier de monsieur et sa pratique des taux de change dans le cadre de son activité professionnelle.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que les consorts X.-Y. ne démontraient pas que les clauses dénoncées étaient insuffisamment claires ou compréhensibles et qu'il les a déboutés de leur demande tendant à les voir déclarer abusives.

 

Sur l'action en responsabilité pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde :

Le tribunal a jugé que l'action en responsabilité pour manquement de la Caisse d'épargne à son devoir de mise en garde sur les risques associés à l'octroi du prêt en devises était irrecevable comme prescrite, en rappelant que cette action est soumise à la prescription quinquennale, dont le point de départ se situe à la date de réalisation du dommage ou à la date à laquelle il a été révélé à l'emprunteur si celui-ci démontre qu'il n'en avait pas eu connaissance précédemment, et en considérant que le dommage résultant du manquement au devoir de mise en garde, qui consiste en une perte de chance de ne pas contracter, se manifeste dès l'octroi du crédit.

Pour conclure à l'infirmation du jugement, les appelants font valoir, qu'en matière de responsabilité contractuelle, la jurisprudence admet que l'emprunteur puisse établir qu'il a pu légitimement ignorer le dommage résultant du manquement de la banque à son devoir de mise en garde au moment de l'octroi du prêt et ils reprochent au tribunal d'avoir confondu la date à laquelle s'apprécie le manquement à l'obligation de mise en garde et la date de réalisation du dommage.

Ils font valoir, qu'à la date de conclusion du prêt, ils étaient dans l'impossibilité de connaître le dommage car ils n'avaient aucun moyen de connaître l'impact de l'évolution de la parité CHF/euros s'ils venaient à rembourser le prêt par anticipation.

Ils considèrent que le dommage leur a été révélé au mois de janvier 2015, date de l'envolée du CHF à la suite de la décision de la Banque centrale helvète de ne plus intervenir sur les marchés, mettant ainsi fin au taux plancher.

En matière de responsabilité bancaire, le point de départ du délai de prescription de l'action court à compter de la manifestation du dommage et, s'agissant d'un dommage résultant d'un manquement à une obligation de mise en garde qui consiste en une perte de chance de ne pas contracter, il se manifeste dès l'octroi du crédit à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage.

Or, s'agissant en l'espèce d'un prêt consenti en CHF pour financer l'acquisition d'un bien immobilier en euros, qui ne relevait pas d'un montage financier à risque ou complexe, les emprunteurs ne pouvaient pas légitimement ignorer le dommage pouvant résulter de la variabilité du taux de change entre le CHF et l'euro lors de la souscription du prêt.

Le jugement mérite ainsi confirmation en ce qu'il a déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en responsabilité dirigée contre la Caisse d'épargne par les consorts X.-Y.

 

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Les appelants qui succombent supporteront la charge des dépens de l'instance d'appel.

Il est par ailleurs équitable de mettre à leur charge une partie des frais de procédure exposés en appel par l'intimée et non compris dans les dépens.

Ils seront ainsi condamnés à lui payer la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Déclare M. X. et Mme Y. recevables mais mal fondés en leur appel,

Déclare la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté recevable mais mal fondée en son appel incident,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 février 2019 par le Tribunal de grande instance de Dijon,

Y ajoutant,

Condamne M. X. et Mme Y. à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne les appelants aux dépens d'appel et dit que les dépens pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Maître C., avocat, pour ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Le Greffier,                                       Le Président,