CA RENNES (2e ch.), 12 novembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9275
CA RENNES (2e ch.), 12 novembre 2021 : RG n° 18/04911 ; arrêt n° 606
Publication : Jurica
Extrait : « Il résulte en effet des dispositions d'ordre public de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, le caractère abusif d'une clause s'appréciant en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.
Or, l'article 15 des conditions générales de l'offre dont se prévaut la BPGO, énonce que « la totalité des sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires au titre du prêt objet d'une même offre deviendra de plein droit immédiatement exigible sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable, (...) d'une manière générale, en cas de non-respect de la réglementation afférente aux prêts conventionnés, d'inexécution de l'un des engagements contractés par l'emprunteur ou d'inexactitude dans ses déclarations ».
Une telle clause, qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, sans mise en demeure préalable laissant aux emprunteur le temps de régulariser ou de saisir le juge d'une contestation, dès lors que l'emprunteur n'a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt ou que l'une quelconque des déclarations faites par l'emprunteur ont été reconnues fausses ou inexactes est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où elle tend à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d'une part, l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur et, d'autre part, une inexactitude dans les déclarations de l'emprunteur,
Significativement déséquilibrées, cette clause doit donc être réputée non écrite.
Il en résulte que le prêteur ne s'est pas valablement prévalu de la déchéance du terme et que le contrat s'est donc poursuivi au-delà du 13 septembre 2010. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/04911. Arrêt n° 606. N° Portalis DBVL-V-B7C- PATV.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre, rédacteur,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère,
GREFFIER : Monsieur Régis ZIEGLER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 21 septembre 2021
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 12 novembre 2021 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTS :
Madame X. divorcée Y.
née le [date] à [ville], [adresse], [...]
Monsieur Y.
né le [date] à [ville], [adresse], [...]
Représentés par Maître Stéphanie P. de la SELARL B., T., P., avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
La SA BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST venant aux droits de la BANQUE POPULAIRE DE L'OUEST
dont le siège social est [adresse], [...], [...], Représentée par Maître Caroline R. de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon offre préalable de crédit immobilier acceptée le 6 juin 2005, la Banque populaire de l'Ouest (la BPO) a, en vue de financer des travaux dans leur résidence principale, consenti aux époux Y. un prêt de 30.000 euros au taux de 4,10 % l'an, remboursable en 180 mensualités de 233,91 euros, assurance emprunteur incluse.
Ce prêt était garanti par le cautionnement solidaire de Mme L. Y., mère de l'emprunteur.
Prétendant que les échéances de remboursement n'étaient plus honorées depuis mars 2010, le prêteur s'est, par lettre recommandée du 13 septembre 2010, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 13 octobre 2010, a fait assigner les époux Y. devant le tribunal de grande instance de Rennes.
La société R.-H. est intervenue volontairement à la procédure pour se porter demanderesse reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts contre la banque, mais, par ordonnance du 3 mai 2012 confirmée par arrêt de cette cour du 28 février 2013, le juge de la mise en état a déclaré l'intervention irrecevable comme sans lien suffisant avec les prétentions originaires de la BPO.
Puis, par jugement du 20 février 2018, le tribunal de grande instance a :
- condamné solidairement M. Y. et Mme X. divorcée Y. à payer à la BPO la somme de 4.672 euros, outre les intérêts au taux de 4,10 % à compter du 16 décembre 2017 sur la somme principale de 4.589,01 euros,
- autorisé M. Y. et Mme X. à se libérer des sommes dues en 23 mensualités de 200 euros et une vingt-quatrième à titre de solde, la première mensualité à verser avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la signification du jugement et les suivantes avant le 5 de chaque mois suivant, l'intégralité des sommes dues étant immédiatement exigible en cas d'irrespect de cet échéancier,
- condamne in solidum M. Y. et Mme X. à payer à la BPO la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes de la BPO,
- rejeté les autres demandes reconventionnelles de M. Y. et Mme X.,
- condamné in solidum M. Y. et Mme X. aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
M. Y. et Mme X. ont relevé appel de cette décision le 18 juillet 2018.
La Banque populaire Grand-Ouest (la BPGO) est intervenue volontairement à la procédure en déclarant se trouver aux droits de la BPO en vertu d'un traité de fusion du 7 décembre 2017.
[*]
Les appelants demandent à la cour de :
- réformer le jugement attaqué,
- dire que la BPO a commis des fautes engageant sa responsabilité en négligeant d'affecter les paiements effectués par la caution aux règlements des échéances du prêt pour prononçant une déchéance du terme injustifiée,
- constater qu'au jour du jugement plus aucune somme n'était due,
- à titre subsidiaire, condamner la BPO à verser à M. Y. et Mme X. la somme restant due au titre du prêt au jour du jugement, outre le montant de l'indemnité de résiliation, à titre de dommages-intérêts, et ordonner la compensation des créances,
- condamner en outre la BPO au paiement d'une somme de 5.000 euros en indemnisation de leur préjudice moral,
- en tout état de cause, rejeter les demandes de la BPGO,
si le jugement attaqué était confirmé, rejeter la demande de la BPGO concernant l'indemnité de résiliation ou la réduire à néant,
- autoriser M. Y. à régler les sommes dues selon un échéancier d'une durée de deux années et dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal,
- condamner la BPO à verser à M. Y. et Mme X. la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
[*]
La BPGO demande quant à elle à la cour de :
- déclarer les demandes présentées par Mme X. irrecevables comme nouvelles devant la cour,
- dire en tout état de cause les demandes présentées par M. Y. et Mme X. mal fondées,
- confirmer le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a accordé à M. Y. et Mme X. des délais de paiement et rejeté sa demande en paiement de l'indemnité de résiliation,
- condamner à cet égard M. Y., in solidum avec Mme X., au paiement d'une indemnité de résiliation de 1.568,38 euros,
- condamner M. Y., in solidum avec Mme X., au paiement d'une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. Y. et Mme X. le 9 juin 2021 et pour la BPGO le 8 juin 2021, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 juillet 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES MOTIFS :
La BPGO prétend que Mme X. serait irrecevable à former à son encontre des demandes en paiement de dommages-intérêts et d'indemnisation de ses frais irrépétibles, ces prétentions, nouvelles en cause d'appel, n'ayant pas été formées devant le premier juge.
Il résulte cependant des articles 564, 566 et 567 du code de procédure civile qu'une partie est toujours recevable à former, pour la première fois devant la cour, des demandes tendant à faire écarter les prétentions adverses, celles qui ne sont que l'accessoire, la conséquence ou le complément des prétentions originaires, ainsi que des demandes reconventionnelles.
Ainsi, Mme X. est recevable à contester devant la cour la régularité de la déchéance du terme, à solliciter subsidiairement l'octroi de dommages-intérêts d'un montant équivalent à la créance de la banque et la compensation entre ces deux créances et, en tout état de cause, à demander dans ses conclusions d'appel le paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi que l'indemnisation de ses frais irrépétibles de procédure.
Il est par ailleurs constant qu'au moment de la déchéance du terme du 13 septembre 2010, les échéances échues le 6 des mois de mars, juin, juillet, août et septembre 2010 avaient été laissées impayées.
M. Y. et Mme X. soutiennent qu'au moment de la déchéance du terme, le paiement de ces échéances avaient été entièrement régularisé par deux versements de la caution, Mme Y., de 467,82 euros le 9 juin 2010 et de 750 euros le 10 août 2010, tandis que la BPGO fait valoir que la preuve du premier de ces versements n'est pas rapportée et que, faute d'instructions contraires de Mme X., le second versement avait été affecté à la réduction du dépassement de découvert du compte courant de M. Y., que ce dernier avait le plus d'intérêt à régulariser au regard du taux des intérêts débiteurs appliqués.
Le premier versement de 467,82 euros n'est en effet pas prouvé, mais il apparaît bien, au crédit du compte de M. Y., l'encaissement au 13 août 2010 d'un règlement de 750 euros.
Or, la caution, qui ne garantissait que le prêt et non le compte courant, avait un intérêt évident à voir imputer ses paiements sur les sommes devenues exigibles du prêt conformément aux dispositions de l'article 1256 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause.
À cet égard, si la BPGO rappelle que ce texte suppose, pour s'appliquer, que la dette soit intégralement payée, il doit être observé que Mme X. a précisément réglé la totalité des trois échéances échues impayées au 13 août 2010, soit 703,73 euros (233,91 x 3), outre les pénalités et les frais.
En outre, elle a confirmé, par courrier du 20 septembre 2010, que son versement du 13 août 2010 avait bien pour objet de régler les échéances de mars, juin et juillet 2010, précisant qu'elle n'avait reçu aucun courrier de réclamation relativement aux échéances d'août et de septembre 2010 mais qu'elle assumerait toujours le règlement du prêt.
La BPGO soutient qu'en toute hypothèse, ces deux mensualités d'août et de septembre 2010 avaient été laissées impayées en dépit de sa mise en demeure du 13 août 2010, ce qui suffisait à justifier la déchéance du terme.
Cependant, si les appelants admettent que Mme X. a payé le 13 août 2010 après avoir reçu une mise en demeure de s'acquitter des échéances de mars, juin et juillet 2010, le paiement de ces mensualités doit être considéré comme régularisé après réimputation du règlement du 13 août 2010 conformément aux principes précédemment rappelés, et, contrairement à ce que la banque prétend, la lettre recommandée avec accusé de réception du 13 septembre 2010 ne constitue nullement une mise en demeure de régulariser l'arriéré des échéances tombées en août et septembre 2010, mais une notification de la déchéance du terme avec mise en demeure de payer la totalité des sommes dues au titre du prêt.
Or, il est de principe que, si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
À cet égard, la BPGO fait valoir que l'article 15 des conditions générales de l'offre de crédit immobilier lui permettait de se prévaloir de la déchéance du terme en la dispensant expressément de mise en demeure préalable, tandis que M. Y. et Mme X. soutiennent qu'une telle clause, en ce qu'elle autorise le prêteur à se prévaloir de manière générale de la déchéance du terme en raison de l'inexécution de l'un des engagements contractés par l'emprunteur, constitue une clause abusive devant être écartée en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation.
Il résulte en effet des dispositions d'ordre public de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, le caractère abusif d'une clause s'appréciant en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.
Or, l'article 15 des conditions générales de l'offre dont se prévaut la BPGO, énonce que « la totalité des sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires au titre du prêt objet d'une même offre deviendra de plein droit immédiatement exigible sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable, (...) d'une manière générale, en cas de non-respect de la réglementation afférente aux prêts conventionnés, d'inexécution de l'un des engagements contractés par l'emprunteur ou d'inexactitude dans ses déclarations ».
Une telle clause, qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, sans mise en demeure préalable laissant aux emprunteur le temps de régulariser ou de saisir le juge d'une contestation, dès lors que l'emprunteur n'a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt ou que l'une quelconque des déclarations faites par l'emprunteur ont été reconnues fausses ou inexactes est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où elle tend à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d'une part, l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur et, d'autre part, une inexactitude dans les déclarations de l'emprunteur,
Significativement déséquilibrées, cette clause doit donc être réputée non écrite.
Il en résulte que le prêteur ne s'est pas valablement prévalu de la déchéance du terme et que le contrat s'est donc poursuivi au-delà du 13 septembre 2010.
Il ressort aussi du détail des encaissements produit par la BPGO que Mme Liliane H. a réglé entre le 19 octobre 2010 et le 7 juillet 2017 une somme totale de 25.751,66 euros, ce qui couvre donc amplement les deux échéances échues impayées d'août et septembre 2010 pour lesquelles la banque a agi en paiement.
Les demandes de la BPGO seront donc rejetées.
M. Y. et Mme X. sollicitent par ailleurs le paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral, en se présentant comme des débiteurs de bonne foi ayant connu des difficultés financières aggravées par la mauvaise gestion du compte professionnel de la société de M. Y.
Il doit cependant être observé que, quand bien même la déchéance du terme n'a pas été reconnue valable, ils ont été défaillants dans leur obligation de remboursement du prêt à bonne date.
Le tribunal de commerce de Rennes a en outre, par jugement définitif du 10 juin 2014, rejeté l'action exercée par la société R.-H. contre la BPO au titre de la responsabilité du banquier teneur de compte.
L'existence du préjudice moral allégué ou de son lien causal avec une faute de la banque n'est donc pas établie.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de M. Y. et Mme X. l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il leur sera alloué une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 20 février 2018 par le tribunal de grande instance de Rennes en toutes ses dispositions ;
Déclare les demandes de Mme X. recevables ;
Déclare non écrite la clause d'exigibilité immédiate sans mise en demeure préalable en cas d'inexécution de l'un des engagements contractés par l'emprunteur ou d'inexactitude dans ses déclarations ;
Déboute la Banque populaire Grand-Ouest de ses demandes ;
Déboute M. Y. et Mme X. de leur demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
Condamne la Banque populaire Grand-Ouest à payer à M. Y. et Mme X. une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Banque populaire Grand-Ouest aux dépens de première instance et d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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