CAA VERSAILLES (5e ch.), 16 décembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9314
CAA VERSAILLES (5e ch.), 16 décembre 2021 : req. n° 18VE03215
Publication : Legrifrance
Extrait : « 14. En troisième lieu, la société Axxès soutient que l'Etat a commis une faute en abusant de la liberté contractuelle et plaçant son partenaire, la société Ecomouv', en situation d'abuser de sa position dominante et de bénéficier d'un contrat déséquilibré à son détriment.
15. Aux termes de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (…) ». Aux termes de l'article 106 du même traité : « 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus (…) ». Aux termes de l'article L. 442-1 du code de commerce : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (…) ».
16. Si la société Axxès soutient que le contrat qu'elle a conclu avec la société Ecomouv', conforme au contrat type annexé au contrat de partenariat, comportait des stipulations caractérisant un déséquilibre en faveur du partenaire de l'Etat, le préjudice dont elle demande réparation ne résulte que de la rupture de ce contrat et non de son exécution. Si ce contrat a effectivement exclu toute indemnisation en faveur de la société Axxès, cette exclusion est objectivement justifiée par la circonstance qu'elle a librement choisi, contrairement à ce qu'elle soutient, parmi les trois options s'offrant à elle, de développer ses propres équipements embarqués. Il ne saurait résulter de cette absence d'indemnisation une quelconque violation des stipulations et dispositions précitées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'Etat aurait placé la société Ecomouv' en situation de position dominante et en mesure d'abuser de cette position en imposant aux SHT des conditions inéquitables doit être écarté. Aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat n'est caractérisée à cet égard.
17. Enfin, la société Axxès soutient que l'Etat a commis des fautes en l'incitant à engager constamment des dépenses supplémentaires en cours d'exécution du projet et en méconnaissant les principes de confiance légitime et de sécurité juridique. Toutefois, si, à la suite de la suspension de l'écotaxe prononcée par le Premier ministre le 29 octobre 2013, l'Etat a proposé à la société Axxès, dans un courrier du 3 décembre 2013, de « prolonger la phase expérimentale » de mise en place du projet au-delà du 30 novembre 2013, sans limite de durée, il ne résulte ni de cette circonstance ni d'aucun autre élément de l'instruction que la société requérante aurait été incitée à engager des dépenses supplémentaires au cours de la période de suspension du projet d'écotaxe ainsi qu'elle le soutient. Par ailleurs, alors que le contrat qu'elle a souscrit envisage la possibilité d'une fin anticipée de ce projet, il ne résulte pas de l'instruction que l'Etat aurait donné à la société Axxès l'assurance que le projet écotaxe ne serait pas abandonné. Par suite, elle ne saurait invoquer le principe de confiance légitime. Enfin, en se bornant à faire état d'un retard à prendre les mesures d'application de la loi, du report de la date prévisionnelle d'entrée en vigueur du dispositif et de l'abandon du projet d'écotaxe, la société Axxès ne caractérise pas une méconnaissance du principe de sécurité juridique. Par suite, les moyens ainsi soulevés doivent être écartés.
18. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de faute de l'Etat ou de préjudice en lien direct avec une telle faute, la société Axxès n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle. Il y a lieu d'examiner la responsabilité sans faute de l'Etat, invoquée par la société Axxès à titre subsidiaire. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE VERSAILLES
CINQUIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 16 DÉCEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Requête n° 18VE03215. Numéro de rôle : 21220.
APPELANT :
Ministre de la transition écologique et solidaire
INTIMÉ :
Société Axxès
Mme SIGNERIN-ICRE, Président, M. Gildas CAMENEN, Rapporteur, Mme SAUVAGEOT, Rapporteur public
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axxès a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 129.753.000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices ayant résulté pour elle de la résiliation du contrat de partenariat pour la mise en œuvre du projet d'écotaxe poids lourds.
Par un jugement n° 1507487 du 18 juillet 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etat à verser la somme de 10.141 931 euros à la société Axxès, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2015 et les intérêts étant capitalisés au 11 mai 2016 et à chaque date anniversaire, a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 176.400 euros, ainsi que le versement de la somme de 1.500 euros à la société Axxès au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par la société Axxès devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'illégalité de la décision de résiliation du contrat de partenariat est inopérant, un tiers à un contrat ne pouvant utilement invoquer la violation des stipulations de ce contrat ;
- en tout état de cause, la décision de résiliation est justifiée par un motif d'intérêt général tiré de l'existence de contestations fortes et durables au projet d'écotaxe se traduisant, dans certains cas, par de graves troubles à l'ordre public ; la reconfiguration du projet par la loi du 8 août 2014 prévoyant la mise en place d'un péage de transit a fortement diminué l'équilibre économique du montage juridique initialement adopté et la rentabilité du dispositif ; les conditions de collecte prévues au contrat de partenariat ne répondant plus aux exigences de l'intérêt général, le projet a été abandonné ;
- il n'existe pas de lien de causalité direct entre la faute prétendument commise par l'Etat et le préjudice subi par la société Axxès ; son préjudice résulte de sa propre décision de retenir l'option 3 dans son contrat avec Ecomouv', cette option excluant son indemnisation en cas de résiliation du contrat de partenariat ; l'Etat n'avait aucun lien contractuel avec les sociétés habilitées de télépéage (SHT) dont la société Axxès ; ces SHT ont souscrit des contrats avec Ecomouv' en retenant l'une des 3 options ouvertes par les contrats types annexés au contrat de partenariat ; selon l'option 3, la SHT fournissait un service européen de télépéage au moyen d'un dispositif technique élaboré par elle ; la société Axxès a retenu cette option librement et en connaissance de cause ; ce choix n'a pas été fait par tous les opérateurs ; ce choix offrait des opportunités de développement en Europe et permettait de développer des fonctionnalités excédant celles exigées par le contrat de partenariat ; la société Axxès a accepté l'aléa résultant de la souscription de l'option 3 ; cet aléa ne présente pas, contrairement à ce qu'elle soutient, un caractère extraordinaire dès lors que le risque d'échec de la mise en place de l'écotaxe et d'une résiliation du contrat était connu de la société et que celle-ci a délibérément accru le niveau de risque afin de maximiser ses profits ;
- le préjudice invoqué par la société Axxès n'est pas justifié ; son manque à gagner a été calculé par l'expert sur le fondement du plan d'affaires établi par elle le 26 octobre 2010, très en amont de la signature de son contrat le 20 avril 2012 ; ses prévisions de recettes étaient trop ambitieuses ; seul le montant des recettes prévues dans son contrat et résultant du dispositif législatif en vigueur à la date de résiliation est indemnisable ; selon ces données, les prévisions de recettes annuelles étaient de 1,71 millions d'euros ; le taux d'actualisation de 7,3 % retenu par l'expert est insuffisant et doit a minima être doublé ; le nombre d'équipements embarqués retenu, de 128.957, est largement surévalué, seuls 22.832 équipements étant enregistrés au 19 mai 2014 ; le montant versé au titre du protocole de suspension doit être déduit ;
- les frais d'expertise doivent être mis à la charge de la société Axxès ;
- en cas de censure des motifs du jugement attaqué, il est soutenu, à titre principal, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les agissements de l'Etat, à les supposer fautifs, et le préjudice de la société Axxès qui résulte uniquement des stipulations du contrat qu'elle a librement souscrit ;
- à titre subsidiaire, aucun fait n'est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- en ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle de l'Etat, le protocole d'accord conclu avec Ecomouv' ne vaut pas reconnaissance de la responsabilité de l'Etat ;
- aucun retard à prendre les mesures nécessaires pour permettre l'entrée en vigueur de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises n'est imputable à l'Etat ; les dispositions législatives en cause ont été abrogées par la loi du 29 décembre 2016 ; l'arrêté fixant la date de mise en œuvre du dispositif technique nécessaire à la collecte de la taxe aurait pu intervenir jusqu'au 31 décembre 2015 ; la résiliation du contrat de partenariat ne peut être regardée comme la conséquence d'une carence fautive de l'Etat dans la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à l'écotaxe ;
- l'Etat n'a commis aucune faute en excluant toute indemnisation des SHT option 3 ; l'Etat n'a pas commis de faute en prévoyant un contrat type pour les SHT ; l'Etat n'a pas abusé de la liberté contractuelle d'exclure toute indemnisation pour les SHT option 3 en cas de fin anticipée du contrat de partenariat ; il n'y a pas abus de position dominante et violation des règles de la concurrence ; il n'y a pas méconnaissance du principe d'égalité, les SHT option 3 se trouvant dans une situation différente de celles ayant choisi l'option 1 ;
- le principe de confiance légitime ne peut utilement être invoqué, la résiliation du contrat de partenariat ne pouvant être regardée comme se rapportant à une situation régie par le droit de l'Union européenne ; en tout état de cause, ce principe n'a pas été méconnu, l'Etat n'ayant jamais donné l'assurance aux SHT qu'il ne mettrait pas en œuvre son pouvoir de résiliation pour motif d'intérêt général et ces sociétés ayant été, en outre, en mesure d'anticiper une potentielle résiliation du contrat au vu des difficultés techniques et politiques rencontrées dans la phase de réalisation du projet ;
- le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique n'est pas opérant ; en tout état de cause, en l'espèce, à la différence de l'arrêt Kloppenburg, les reports successifs de la date d'entrée en vigueur du dispositif n'ont pas eu pour effet de revenir sur une entrée en vigueur effective qui n'avait pas pu avoir lieu ; les délais dont se plaint la requérante étaient soit prévisibles soit non imputables à l'Etat ;
- aucune incitation fautive n'est imputable à l'Etat ; il n'a pas incité les SHT à engager des frais supplémentaires ; il leur a seulement été demandé d'assurer le fonctionnement du dispositif pour lequel elles s'étaient engagées contractuellement ; la société Axxès a été indemnisée pour la période de « marche à blanc » par le protocole du 4 avril 2014 ; elle a renoncé à toute contestation ; les délais dont elle se plaint étaient connus ; elle a elle-même contribué aux retards compte tenu des dysfonctionnements des interfaces permettant l'enregistrement des redevables ;
- la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut être invoquée compte tenu du risque prévisible affectant ce projet complexe et contesté et dont la mise en œuvre reposait sur un dispositif contractuel très innovant ; en outre, la société a engendré son prétendu préjudice en choisissant l'option 3 qui n'offrait aucune indemnité en cas de résiliation et en surinvestissant par rapport aux besoins de l'Etat afin de gagner des parts de marché ;
- la responsabilité quasi-contractuelle ne peut être invoquée en l'absence d'enrichissement de l'Etat et d'appauvrissement de la société Axxès ; en tout état de cause, l'enrichissement de l'Etat, qui résulterait du jeu des clauses contractuelles souscrites par la société, ne serait pas sans cause ;
- aucun élément ne permet d'invoquer la responsabilité contractuelle de l'Etat en l'absence de tout contrat entre la requérante et l'Etat et alors qu'Ecomouv' n'a pas agi en qualité de mandataire de l'Etat ;
- à titre plus subsidiaire, le préjudice doit être ramené à de plus justes proportions ;
- les coûts d'investissement ne sont pas rattachables de façon certaine au projet d'écotaxe mais participent de la poursuite et du développement de son activité historique ; en réalisant 240.000 équipements embarqués, Axxès a surinvesti dans la commercialisation de 140.000 équipements embarqués dès lors que son engagement vis-à-vis d'Ecomouv' était de 100.000 équipements seulement ; elle a poursuivi des objectifs étrangers à l'écotaxe ; en tout état de cause, son préjudice devrait être calculé sur la base de 22.832 équipements enregistrés au 19 mai 2014 ou 100.000 équipements sur lesquels elle s'est engagée en 2012 ; la valeur d'utilité des équipements embarqués doit être revue à la hausse compte tenu de l'ouverture d'autres marchés en Europe ;
- les charges d'exploitation ne sont pas justifiées ; les charges externes ne sont pas décrites et justifiées ; le rattachement des dépenses de personnel liées aux salariés présents avant 2010 au projet d'écotaxe n'est pas démontré ; il en va de même pour le personnel détaché et intérimaire ; le coût de constitution de la demande indemnitaire se rattache aux frais de l'instance ;
- en ce qui concerne les charges financières, il n'est pas établi que les fonds prêtés ont été employés dans le projet d'écotaxe ; en tout état de cause, la quasi-totalité des équipements peut être réutilisée ; si une indemnité est versée à Axxès, elle pourra rembourser ses emprunts et ne devra plus payer d'intérêts ; aucun frais financier au titre de la trésorerie disponible n'a été pris en compte dans la comptabilité d'Axxès entre 2010 et 2015 ; elle n'apporte pas de précision suffisante concernant ce préjudice ;
- en ce qui concerne les coûts de démantèlement du projet, il n'est pas justifié du coût de déconnection de la plateforme d'Axxès de celle d'Ecomouv' ; les coûts de renvoi du matériel et le nombre d'équipements renvoyés ne sont pas justifiés ; le lien avec le projet d'écotaxe n'est pas établi ;
- en ce qui concerne l'application partielle du protocole de suspension, la compensation additionnelle B visant à rémunérer les services rendus aux abonnés n'a pas été versée en décembre 2014 en raison de l'absence de service fait du fait de la résiliation ; les coûts de portage destinés à couvrir les dépenses liées à un décalage de paiement de redevances ont été calculés entre la date d'échéance théorique et le paiement réel ;
- en ce qui concerne le manque à gagner, il est renvoyé aux développements précédents ; le préjudice ne [peut] être calculé que sur cinq ans, soit un seul contrat ;
- les préjudices subis par les partenaires du réseau de distribution commerciale ne sont pas établis ;
- pour les autres demandes, il n'est pas établi que la somme de 10 millions d'euros sollicitée au titre de l'abandon du projet se rattache au projet ; ce montant n'est pas justifié ; aucune indemnité au titre du bouleversement du marché du service de télépéage n'est due ; ce n'est pas l'Etat mais Axxès qui, en transmettant des dossiers incomplets, a freiné l'enregistrement des redevables ; l'éventuel préjudice lié à l'absence de simplification des modalités d'enregistrement des abonnés et plus généralement au maintien de la réglementation et des stipulations contractuelles ne se rattache pas à l'abandon du projet d'écotaxe ; le renchérissement du coût du crédit est lié à sa propre stratégie commerciale et n'est pas établi ; Axxès n'établit pas avoir été freinée dans son développement commercial ;
- la méthode alternative d'évaluation du préjudice retenue par l'expert pour Axxès ne se heurte à aucun obstacle dès lors qu'elle n'était pas cocontractante de l'Etat ; il est également possible de réduire l'indemnité au regard de circonstances postérieures à la résiliation ; toutefois, le plan d'affaires 2010 doit être écarté ; le nombre d'équipements ne peut être supérieur à 100.000 ; le taux d'actualisation doit être très supérieur à 7,3 % ; sous ces réserves, le scenario M de l'expert pourrait être retenu.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999 ;
- la directive 2004/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 ;
- la loi n° 2006-1171 du 30 décembre 2006 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
- la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Camenen,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Brière, pour la société Axxès.
Une note en délibéré, présentée par la ministre de la transition écologique, a été enregistrée le 3 décembre 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction qu'en application de l'article 153 de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, l'Etat a conclu, le 20 octobre 2011, un contrat de partenariat avec la société Ecomouv' ayant pour objet de confier à cette dernière le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la maintenance du dispositif technique nécessaire à la mise en œuvre de l'écotaxe poids lourds nationale et de la taxe expérimentale alsacienne résultant de l'article 27 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports. La société Ecomouv' a lancé une consultation en vue de conclure avec les sociétés habilitées un contrat définissant les conditions dans lesquelles ces dernières devaient proposer un service de télépéage pour l'acquittement des taxes. Six entreprises, dont la société Axxès, ont conclu avec la société Ecomouv' un contrat conforme au contrat type annexé au contrat de partenariat. La société Axxès ayant choisi de fournir un service de télépéage au moyen d'un dispositif élaboré entièrement par elle, le contrat a été conclu le 20 avril 2012 selon l'option n° 3 prévue par le contrat type annexé au contrat de partenariat. L'article 37 de ce contrat stipulait que la fin anticipée du contrat de partenariat entraînait sa résiliation à moins que l'Etat ne décide de le reprendre.
2. L'entrée en vigueur de l'écotaxe, initialement prévue, selon l'article 22 du contrat de partenariat, le 20 juillet 2013 pour la taxe nationale, a été reportée à deux reprises au cours de l'année 2013 puis, à la suite d'un mouvement de contestation qui s'est développé à partir de l'été 2013, le Premier ministre a décidé de suspendre la mise en œuvre de cette réforme le 29 octobre 2013. Un protocole d'accord entre la société Axxès et la société Ecomouv' relatif à la suspension de la taxe poids lourds a été conclu le 4 avril 2014. La société Ecomouv', l'Etat et les parties financières ont eux-mêmes conclu un protocole d'accord pour définir les conditions de cette suspension le 20 juin 2014. Ultérieurement, le champ d'application de la taxe a été fortement réduit par l'article 16 de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, qui a fixé, au 31 décembre 2015 au plus tard, la date d'entrée en vigueur des dispositions du code des douanes relatives à cette taxe. Le 9 octobre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le secrétaire d'Etat chargé des transports, de la mer et de la pêche ont décidé de suspendre sine die le dispositif de l'écotaxe. Puis, par un courrier du 30 octobre 2014, l'Etat a informé la société Ecomouv' de la résiliation du contrat de partenariat et, par un courrier du 15 décembre 2014, il a informé la société Axxès qu'il ne souhaitait pas bénéficier de la possibilité de reprise du contrat liant cette dernière à la société Ecomouv'.
3. La société Axxès a présenté à l'Etat le 7 mai 2015 une réclamation préalable pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de la résiliation du contrat de partenariat. En l'absence de réponse expresse, elle a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 18 juillet 2018, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 10 141 931 euros au motif que la résiliation du contrat de partenariat n'étant justifiée par aucun motif d'intérêt général, l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de la société Axxès. Le ministre de la transition écologique relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la société Axxès demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, la somme de 126 208.000 euros, à titre subsidiaire, la somme de 59 245 773 euros et, à titre très subsidiaire, la somme de 54 205.000 euros.
Sur la faute résultant de l'illégalité de la décision de résiliation du contrat de partenariat :
4. Il résulte de l'instruction que le gouvernement a décidé d'abandonner le dispositif d'écotaxe et de résilier le contrat de partenariat conclu avec la société Ecomouv' en raison d'une opposition forte et durable rencontrée par ce projet, qui s'est traduite, au cours de l'automne 2013, par de graves troubles à l'ordre public et à laquelle les aménagements apportés au dispositif par la loi du 8 août 2014 n'ont pas permis de mettre un terme, les acteurs économiques concernés ayant annoncé leur intention de reprendre leurs actions revendicatives à l'automne 2014. Alors même que ce motif est invoqué pour la première fois en appel, il caractérise à lui seul l'existence d'un motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation de ce contrat. Il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier l'opportunité du choix ainsi effectué par le gouvernement.
5. Par ailleurs, si la société Axxès soutient que la décision de résiliation est entachée d'incompétence au motif qu'elle aurait eu pour objet de mettre un terme au dispositif de l'écotaxe que seul le législateur pouvait abroger, d'une part, cette décision de résiliation n'entraînait pas par elle-même l'abandon de ce projet et, d'autre part, il résulte de ce qui vient d'être dit que la décision de résiliation est justifiée au fond. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le caractère fautif de la décision de résiliation du contrat de partenariat pour condamner l'Etat à indemniser la société Axxès sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle.
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Axxès devant le tribunal administratif et en appel.
Sur les autres fautes invoquées par la société Axxès :
8. En premier lieu, la société Axxès soutient que l'Etat a commis une faute en tardant puis en renonçant à appliquer la loi.
9. Toutefois, la société Axxès, qui a d'ailleurs reçu la somme de 5.986.782 euros de la société Ecomouv' en application du protocole d'accord du 4 avril 2014 relatif au décalage de l'entrée en vigueur de la taxe jusqu'au 31 décembre 2014, ne se prévaut spécifiquement d'aucun préjudice directement lié au retard de l'Etat à mettre en œuvre l'écotaxe. En outre, l'entrée en vigueur de la taxe a été fixée au 31 décembre 2015 par les dispositions de l'article 16 de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014. Ainsi, aucun retard fautif dans la mise en œuvre de la taxe n'est imputable à l'Etat jusqu'à l'intervention de la décision de résiliation du contrat de partenariat.
10. En revanche, l'Etat a commis une faute en renonçant à appliquer les dispositions de la loi du 8 août 2014 à compter du 1er janvier 2016 et jusqu'au 30 décembre 2016, date de publication de la loi du 29 décembre 2019 de finances pour 2017 qui a abrogé l'écotaxe. Toutefois, le préjudice invoqué par la société Axxès résultant de la résiliation du contrat de partenariat prononcée le 30 octobre 2014 et dont le contrat a fait l'objet d'une résiliation qui a pris effet en décembre 2014, est sans lien direct avec la faute de l'Etat à n'avoir pas pris les dispositions permettant l'entrée en vigueur de la taxe entre le 1er janvier 2016 et le 30 décembre 2016. Ainsi, la société Axxès n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat sur ce premier fondement.
11. En deuxième lieu, la société Axxès soutient que l'Etat a commis une faute née A la violation du principe d'égalité en excluant toute indemnisation au bénéfice des sociétés habilitées de télépéage (SHT) ayant souscrit l'option n° 3.
12. Aux termes de l'article 37 du contrat type annexé au contrat de partenariat conclu entre l'Etat et la société Ecomouv' : « La fin anticipée du contrat de partenariat entraîne la résiliation du contrat à moins que l'Etat ne décide de reprendre le contrat. / La résiliation du contrat en application du présent article 37 ne donne pas lieu à indemnisation (…) 37.2 Par dérogation à l'article 37.1, le partenaire reprend, sur demande de la SHT avant la date de fin anticipée du contrat de partenariat, les équipements électroniques embarqués qu'il a fournis à la SHT et l'indemnise à hauteur de la fraction non amortie des équipements électroniques embarqués (…) ».
13. Il résulte de ces stipulations qu'en cas de résiliation du contrat entre la société Ecomouv' et une société habilitée de télépéage résultant de la fin anticipée du contrat de partenariat, une indemnisation a été prévue en faveur des sociétés habilitées ayant choisi de se fournir en équipements électroniques embarqués auprès de la société Ecomouv' selon l'option n° 1 ou l'option n° 2 du contrat type, tandis que cette indemnisation a été exclue pour les sociétés habilitées ayant choisi de développer leurs propres équipements électroniques embarqués selon l'option n° 3 de ce même contrat. Cette différence de traitement étant justifiée par une différence de situation objective en rapport direct avec l'objet de ces stipulations, la société Axxès n'est pas fondée à soutenir que l'absence d'indemnisation des sociétés habilitées de télépéage ayant souscrit l'option n° 3 du contrat type en cas de résiliation de leur contrat à la suite de la fin anticipée du contrat de partenariat serait contraire au principe d'égalité et constituerait une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
14. En troisième lieu, la société Axxès soutient que l'Etat a commis une faute en abusant de la liberté contractuelle et plaçant son partenaire, la société Ecomouv', en situation d'abuser de sa position dominante et de bénéficier d'un contrat déséquilibré à son détriment.
15. Aux termes de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (…) ». Aux termes de l'article 106 du même traité : « 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus (…) ». Aux termes de l'article L. 442-1 du code de commerce : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (…) ».
16. Si la société Axxès soutient que le contrat qu'elle a conclu avec la société Ecomouv', conforme au contrat type annexé au contrat de partenariat, comportait des stipulations caractérisant un déséquilibre en faveur du partenaire de l'Etat, le préjudice dont elle demande réparation ne résulte que de la rupture de ce contrat et non de son exécution. Si ce contrat a effectivement exclu toute indemnisation en faveur de la société Axxès, cette exclusion est objectivement justifiée par la circonstance qu'elle a librement choisi, contrairement à ce qu'elle soutient, parmi les trois options s'offrant à elle, de développer ses propres équipements embarqués. Il ne saurait résulter de cette absence d'indemnisation une quelconque violation des stipulations et dispositions précitées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'Etat aurait placé la société Ecomouv' en situation de position dominante et en mesure d'abuser de cette position en imposant aux SHT des conditions inéquitables doit être écarté. Aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat n'est caractérisée à cet égard.
17. Enfin, la société Axxès soutient que l'Etat a commis des fautes en l'incitant à engager constamment des dépenses supplémentaires en cours d'exécution du projet et en méconnaissant les principes de confiance légitime et de sécurité juridique. Toutefois, si, à la suite de la suspension de l'écotaxe prononcée par le Premier ministre le 29 octobre 2013, l'Etat a proposé à la société Axxès, dans un courrier du 3 décembre 2013, de « prolonger la phase expérimentale » de mise en place du projet au-delà du 30 novembre 2013, sans limite de durée, il ne résulte ni de cette circonstance ni d'aucun autre élément de l'instruction que la société requérante aurait été incitée à engager des dépenses supplémentaires au cours de la période de suspension du projet d'écotaxe ainsi qu'elle le soutient. Par ailleurs, alors que le contrat qu'elle a souscrit envisage la possibilité d'une fin anticipée de ce projet, il ne résulte pas de l'instruction que l'Etat aurait donné à la société Axxès l'assurance que le projet écotaxe ne serait pas abandonné. Par suite, elle ne saurait invoquer le principe de confiance légitime. Enfin, en se bornant à faire état d'un retard à prendre les mesures d'application de la loi, du report de la date prévisionnelle d'entrée en vigueur du dispositif et de l'abandon du projet d'écotaxe, la société Axxès ne caractérise pas une méconnaissance du principe de sécurité juridique. Par suite, les moyens ainsi soulevés doivent être écartés.
18. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de faute de l'Etat ou de préjudice en lien direct avec une telle faute, la société Axxès n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle. Il y a lieu d'examiner la responsabilité sans faute de l'Etat, invoquée par la société Axxès à titre subsidiaire.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
19. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement. Notamment, le dommage résultant de la décision légalement prise par l'administration de résilier un contrat administratif pour un motif d'intérêt général ne saurait être regardé, s'il excède une certaine importance et revêt un caractère spécial, comme une charge incombant normalement aux tiers à ce contrat.
20. En l'espèce, si le contrat conclu en avril 2012 par la société Axxès envisageait la possibilité d'une fin anticipée du contrat de partenariat, il ne résulte cependant d'aucun élément de l'instruction qu'à la date à laquelle ce contrat a été conclu, un renoncement de l'Etat au projet « écotaxe », qui avait été prévu par une loi votée en décembre 2008 et pour lequel l'Etat avait, au cours des années suivantes, mené la procédure requise aux fins de passation d'un contrat de partenariat, passé ce contrat de partenariat et prévu les conditions d'intervention des sociétés habilitées télépéage, pouvait être envisagé par ces dernières comme un aléa pouvant normalement survenir au cours de l'exécution de leur contrat. Il résulte au contraire de l'instruction, en particulier des rapports parlementaires sur l'écotaxe enregistrés en mai 2014, qu'un abandon pur et simple du projet d'écotaxe par le gouvernement n'était pas envisagé comme une perspective raisonnable, ce risque étant jugé quasi-inexistant par la société Ecomouv' et par les banques. Dans ces conditions, le préjudice qui résulte pour la société Axxès de la décision de résiliation du contrat de partenariat par l'Etat pour un motif d'intérêt général, excède, par son importance et ses conséquences, les aléas inhérents à son activité et présente, eu égard au rôle que jouait cette société dans la réalisation de ce projet, un caractère spécial. Il revêt ainsi un caractère grave et spécial interdisant de le regarder comme une charge devant incomber normalement à la société Axxès. Par suite, la société Axxès est fondée à demander réparation à l'Etat du préjudice en lien direct avec la décision de résiliation du contrat de partenariat, sans que l'Etat puisse utilement, pour contester le lien de causalité, se prévaloir de la circonstance que le contrat qu'elle a conclu avec la société Ecomouv' stipulait que la résiliation de ce contrat en cas de fin anticipée du contrat de partenariat ne donnerait pas lieu à indemnisation.
21. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les autres fondements de responsabilité invoqués à titre subsidiaire par la société Axxès, que cette dernière est fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice ayant résulté pour elle de la résiliation du contrat de partenariat sur le fondement de sa responsabilité sans faute.
Sur les préjudices :
22. Il résulte de l'instruction que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etat à indemniser la société Axxès de son manque à gagner résultant de l'abandon du projet d'écotaxe, calculé en tenant compte d'une durée d'exploitation de cinq ans correspondant à celle d'un seul contrat et de 128 957 équipements embarqués. En revanche, le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Axxès au titre des dépenses engagées pour la mise en œuvre du projet d'écotaxe et son démantèlement. Il a également rejeté ses conclusions au titre du coût de présentation de la demande indemnitaire, du préjudice résultant de l'application partielle du protocole conclu avec la société Ecomouv', du préjudice constitué par les demandes d'indemnisation des partenaires du réseau de distribution commerciale de la société Axxès et du préjudice global d'exploitation.
23. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'en 2012, la société Axxès s'est engagée vis-à-vis de la société Ecomouv' à produire 100.000 équipements électroniques embarqués mais a commandé dès cette époque 240.000 équipements à son fournisseur. La société Axxès soutient que son manque à gagner doit être évalué sur la base de cette commande de 240.000 équipements alors que l'Etat soutient qu'il doit être calculé sur la base des 22 832 équipements ayant fait l'objet d'un enregistrement au 19 mai 2014 ou, à défaut, sur la base des 100.000 équipements prévus contractuellement.
24. La société Axxès ayant choisi de développer ses propres équipements embarqués pour intervenir non seulement sur le marché français mais aussi sur d'autres marchés européens, les 240.000 équipements embarqués qu'elle a commandés ne peuvent être regardés comme étant en lien direct avec ses obligations contractuelles résultant de la seule mise en œuvre du projet d'écotaxe. En revanche, l'évaluation de son manque à gagner résultant de l'abandon du projet « écotaxe » ne saurait être limitée au nombre d'utilisateurs enregistrés au 19 mai 2014, ce nombre étant sans lien avec les engagements contractuels de la société Axxès et aucun élément ne permettant d'établir que ces engagements n'auraient pas pu être atteints lors de l'exécution du contrat. D'ailleurs, la résiliation du contrat n'ayant pris effet que le 30 décembre 2014, les données disponibles au 19 mai 2014 ne suffisent pas pour apprécier le manque à gagner de la société Axxès. Enfin, si 128.957 équipements embarqués avaient été installés par la société Axxès au 30 décembre 2014, le nombre de redevables abonnés enregistrés à cette date conformément aux stipulations de l'article 18 du contrat n'est pas établi. Ainsi, il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du manque à gagner de la société Axxès en l'évaluant sur la base des 100.000 équipements embarqués qu'elle s'est contractuellement engagée à produire en 2012.
25. En deuxième lieu, si la société Axxès soutient que son manque à gagner doit être évalué sur une période de dix années correspondant à la durée d'un contrat conclu avec la société Ecomouv' renouvelé une fois, elle n'établit pas, en particulier par les stipulations de son contrat, notamment de son article 9.5, qu'elle avait une chance sérieuse d'obtenir son renouvellement. Dès lors, la part de ce préjudice excédant l'exécution d'un seul contrat présente un caractère purement éventuel. Ainsi, la société Axxès ne saurait obtenir l'indemnisation de son manque à gagner au-delà d'une période de cinq années correspondant à l'exécution de son contrat avec la société Ecomouv'.
26. En troisième lieu, si l'expert a pris en compte dans son rapport les données figurant dans le plan d'affaires de la société Axxès du 26 octobre 2010, il ne résulte pas de l'instruction que, comme le soutient l'Etat, ces données ne traduisaient pas une approche réaliste de ses perspectives de bénéfices liés à la mise en œuvre du projet d'écotaxe et qu'elles ont perdu leur pertinence à la suite de la signature du contrat avec la société Ecomouv' le 20 avril 2012. En outre, si l'expert a retenu un taux d'actualisation de 7,30 %, l'Etat n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il y aurait lieu de tenir compte d'un taux d'actualisation supérieur. Dans ces conditions, le manque à gagner de la société Axxès en lien direct et certain avec la décision de résiliation calculé sur la base d'un seul contrat et de 100.000 équipements embarqués peut être évalué à la somme de 7.864.583 euros comme le propose l'expert.
27. En quatrième lieu, la société Axxès soutient qu'en application du principe de réparation intégrale du préjudice subi, elle doit, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, être indemnisée de ses dépenses d'investissement, de ses charges d'exploitation et de ses frais financiers dès lors qu'il n'est pas établi que ces dépenses auraient été exposées même en l'absence du projet d'écotaxe, que des circonstances postérieures à la résiliation ne peuvent lui être opposées et que le projet devait générer des recettes lui permettant d'amortir ses investissements.
28. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que la société Axxès a engagé parallèlement des dépenses d'investissement non seulement pour la mise en œuvre du projet d'écotaxe mais aussi pour son enregistrement dans le système européen de télépéage. Elle n'établit pas l'existence de dépenses d'investissement et de frais financiers exposés dans l'intérêt du seul projet d'écotaxe et supportés par elle en pure perte du fait de la résiliation de son contrat. Si elle produit notamment un rapport du cabinet Mazars du 10 mars 2015 selon lequel les dépréciations comptabilisées par elle dans ses comptes annuels établis au 31 décembre 2014 à la suite de la résiliation de son contrat avec Ecomouv' ont été correctement évaluées et n'ont d'ailleurs pas donné lieu à rectification par l'administration fiscale, ces éléments ne permettent pas d'établir que la réduction de valeur des éléments d'actif ainsi constatée était irréversible et que le préjudice en résultant avait un caractère certain. En outre, la société Axxès n'établit pas davantage, en particulier par le courrier de la commission européenne du 20 février 2017, que l'utilisation de ses équipements embarqués en Italie ou sur d'autres marchés européens était définitivement compromise.
29. En revanche, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, qu'une partie des charges d'exploitation dont la société Axxès demande réparation a nécessairement été exposée en vain dans l'intérêt du projet d'écotaxe. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ces charges en lien direct et certain avec la décision de résiliation en les évaluant forfaitairement à la somme de 4.341.287 euros, ainsi que le propose l'expert dans l'hypothèse d'une évaluation des préjudices de la société Axxès reposant sur 100.000 équipements embarqués et une période de cinq ans.
30. Enfin, si la société Axxès demande à la cour de condamner l'Etat à l'indemniser des coûts de démantèlement de ses installations, de son préjudice résultant de l'application partielle du protocole de suspension conclu avec la société Ecomouv', de son préjudice résultant de l'indemnisation de ses partenaires et de la somme de 10.000.000 euros à titre de dommages et intérêts, ces conclusions ont été rejetées par le tribunal par des motifs qu'il convient d'adopter dès lors que la société Axxès n'apporte aucun moyen ou élément de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces motifs.
Sur les dépens de première instance :
31. L'Etat étant la partie perdante en première instance, le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice en mettant à sa charge les frais d'expertise.
32. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu la responsabilité de l'Etat à l'égard de la société Axxès. Cette dernière est en revanche fondée à demander la réformation de ce jugement en qu'il fixe le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 10.141.931 euros, cette somme devant être portée à celle de 12.205.870 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
33. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 5.000 euros à la société Axxès au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et solidaire est rejetée.
Article 2 : La somme de 10.141 931 euros que l'Etat a été condamné à verser à la société Axxès par l'article 1er du jugement n° 1507487 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 18 juillet 2018 est portée à la somme de 12 205 870 euros.
Article 3 : L'article 1er du jugement n° 1507487 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 18 juillet 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 5.000 euros à la société Axxès au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions d'appel incident de la société Axxès est rejeté.