CA LYON (1re ch. civ. A), 20 janvier 2022

CERCLAB - DOCUMENT N° 9386
CA LYON (1re ch. civ. A), 20 janvier 2022 : RG n° 19/01078
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-bains, les époux X. invoquaient des irrégularités affectant le TEG (non intégration de la souscription de parts sociales, prise en compte de la domiciliation des revenus, durée et taux de période) pour conclure à la déchéance du droit aux intérêts de la banque ; ils demandaient par ailleurs que soit prononcée la nullité de la clause stipulant le prêt en devises étrangères et formaient une demande indemnitaire en mettant en cause la responsabilité de la banque pour faute liée à l'absence d'information suffisante sur la clause de parité avec possibilité de conversion de leur prêt en euros. Les demandes principales qu'ils forment devant la cour de renvoi tendent à voir prononcer la nullité de l'offre de prêt ou du contrat de prêt ou sa résolution sur de multiples fondement juridiques ; ces demandes ont le même objet que la demande en nullité de la clause stipulant le prêt en devises étrangères puisqu'elles aboutissent toutes à l'anéantissement du contrat de prêt ; elles sont donc en cela recevables.
Au titre des demandes subsidiaires, ils ajoutent à leurs demandes d'origine : - une demande tendant à la prise en charge des échéances du prêt pendant une période d'ITT de Madame X., - une demande de requalification du contrat de prêt en acte sous seing privé et concluent alors à sa caducité après acquisition de la clause résolutoire, - une demande de remboursement de la somme de 1.125 CHF versée à l'ouverture du contrat et des sommes versées depuis l'ouverture jusqu'au jour de l'arrêt, sur le fondement de l'existence de clauses abusives, - une demande de publication de l'arrêt à venir.
L'article 564 du code de procédure civile interdit aux parties de présenter de nouvelles prétentions en cause d'appel si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; l'article 565 précise néanmoins que ne sont pas nouvelles les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si le fondement juridique est différent et l'article 566 suivant ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Les demandes tendant la prise en charge des échéances du prêt pendant une période d'ITT de Madame X. et la requalification du contrat de prêt en acte sous seing privé avec caducité après acquisition de la clause résolutoire, sont nouvelles en ce qu'elles ne tendent pas aux mêmes fins que les demandes présentées devant le premier juge et n'en sont ni l'accessoire, la conséquence ou le complément ; elles doivent donc en cela être déclarées irrecevables.
En revanche, les demandes tendant au remboursement par la banque de la somme de 1.125 CHF versée à l'ouverture du contrat et des sommes versées depuis l'ouverture jusqu'au jour de l'arrêt, sur le fondement de l'existence de clauses abusives, et la demande de publication de l'arrêt à venir, constituent des demandes accessoires aux demandes principales ou subsidiaires présentées par les époux X. et elles sont en cela recevables. »
2/ « Tout paiement fait en France doit être effectué dans la monnaie reconnue par la loi nationale et dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie.
Le contrat de prêt de l'espèce est un contrat interne s'agissant d'un prêt convenu entre des parties toutes domiciliées en France, destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'une maison situés en France et dont les remboursements devaient s'effectuer également en France. […]
Il en résulte que les échéances du prêt portaient non sur des sommes en euros mais sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que le remboursement du prêt, tant des échéances qu'à titre anticipé, était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères.
Il ressort des dispositions susvisées du contrat de prêt convenu entre les parties que tout remboursement en capital, paiement des intérêts et des commissions et des cotisations d'assurance auraient lieu dans la devise empruntée, les échéances étant débitées sur tout compte en devises, puis que la monnaie de paiement était l'euro, enfin que les échéances seraient débitées sur tout compte en devises. Le franc suisse a donc été utilisé comme monnaie de paiement et contrairement à ce que soutient la banque, les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix, en euros, mais devaient impérativement le faire en francs suisses, nonobstant la mention selon laquelle la monnaie de paiement était l'euro. La devise étrangère étant utilisée comme monnaie de paiement et non comme monnaie d'évaluation, le contrat de prêt est entaché de nullité et est donc censé n'avoir jamais existé.
Ainsi, la cour n'appréciera pas les demandes présentées à titre subsidiaire sur le caractère abusif des clauses d'indexation et d'intérêts conventionnels. »
3/ « La nullité ayant un effet rétroactif, elle implique de remettre les parties dans l'état où elles l'étaient avant l'acte ; elle entraîne donc nécessairement l'obligation pour chacune d'elles de restituer l'intégralité des prestations qu'elle a reçues, quels que soient la nature ou le montant des sommes perçues ou remboursées.
Les époux X. devront donc rembourser le montant des sommes empruntées en francs suisses ou leur contre-valeur en euros, étant précisé que l'évaluation du franc suisse sera faite à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision.
La société Crédit mutuel du Chablais devra par ailleurs restituer aux époux X. l'intégralité du principal déjà remboursé, des intérêts versés, des cotisations d'assurance et de toutes les commissions ou frais perçus comprenant notamment les frais d'ouverture et de tenue de comptes. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE A
ARRÊT DU 20 JANVIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/01078. N° Portalis DBVX - V - B7D - MGC3. Décisions : - du tribunal de grande instance de THONON-LES-BAINS (1ère chambre civile) du 7 septembre 2015 : R.G. n° 13/01734 - de la cour d'appel de CHAMBERY (2ème chambre) du 4 mai 2017 : R.G. n° 15/2221 - de la Cour de cassation (1ère chambre civile) du 12 décembre 2018 : pourvoi n° S 17-20.921 ; arrêt n° 1196 F-D.
APPELANTS :
M. X.
né le [date] à [ville], [...], [...]
Mme Y. épouse X.
née le [date] à [ville], [...], [...]
représentés par Maître Florent D., avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1900, et pour avocat plaidant Maître Marie P. DE L., avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU CHABLAIS
[...], [...], représentée par la SELAS AGIS, avocat au barreau de LYON, toque : 538
Date de clôture de l'instruction : 2 septembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 novembre 2021
Date de mise à disposition : 20 janvier 2022
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Anne WYON, président - Françoise CLEMENT, conseiller - Annick ISOLA, conseiller,
assistés pendant les débats de Julien MIGNOT, greffier. A l'audience, Françoise CLEMENT a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt : contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte notarié du 5 septembre 2008, la société Caisse de crédit mutuel du Chablais (la banque) a consenti un prêt immobilier à Monsieur et Madame X. et Y. épouse X. (les époux X.), d'un montant de 429.370 CHF, soit la contrevaleur de 267.603 euros, remboursable en 360 échéances de 2.334,24 CHF, au taux effectif global de 5,015 %, destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'une maison d'habitation situés en France.
Arguant d'une erreur affectant le calcul du taux effectif global, révélée par une étude financière qu'ils ont fait réaliser, les époux X. ont fait citer la société Caisse de crédit mutuel du Chablais devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains afin de voir prononcer la déchéance de la totalité du droit aux intérêts par la banque, reconnaître le caractère non écrit de la clause monétaire avec demande de conversion du capital emprunté en euros et subsidiairement voir engagée la responsabilité de la banque.
Par jugement du 7 septembre 2015, le tribunal a débouté les époux X. de l'intégralité de leurs demandes, les condamnant aux dépens et à payer à la société Caisse de crédit mutuel du Chablais une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 4 mai 2017, la cour d'appel de Chambéry a confirmé ce jugement et alloué à la banque une somme supplémentaire de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant sur le pourvoi formé par les époux X., par arrêt du 12 décembre 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour de Chambéry en toutes ses dispositions, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Lyon.
La Cour a indiqué que pour rejeter la demande des emprunteurs en annulation du contrat de prêt, l'arrêt énonce que celui-ci stipule que la monnaie de paiement est l'euro et que l'emprunteur peut imposer à la banque le paiement des échéances en euros, au moment de leur prélèvement ; elle a considéré qu'en statuant ainsi, alors que l'acte de prêt stipulait el'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros (...), étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipatione, de sorte que le prêteur pouvait imposer à l'emprunteur de payer les échéances en devises étrangères, la cour d'appel qui a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte, a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
[*]
Par acte du 12 février 2019, les époux X. ont saisi la cour d'appel de renvoi.
La clôture de la procédure a été prononcée le 3 décembre 2019.
Par conclusions déposées et notifiées le 18 mai 2020, les époux X. ont demandé la révocation de l'ordonnance de clôture au motif de la saisine par leurs soins, par assignation du 22 novembre 2020 (sic) du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, dans le cadre d'une action en inscription de faux des pièces visées dans la présente instance, justifiant une décision de sursis à statuer ou subsidiairement, un renvoi à une date d'audience éloignée.
L'affaire a alors fait l'objet, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, d'une procédure sans audience en application de la loi n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire en matière non pénale, s'agissant de l'examen de la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Retenant, d'une part que l'assignation devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, délivrée à la société Caisse de crédit mutuel du Chablais par les époux X. par acte d'huissier du 22 novembre 2019 dénonçait une procédure en inscription de faux concernant plusieurs documents écrits liés à l'acquisition par ces derniers du terrain et à la construction de la maison d'habitation en vue desquelles a été souscrit le prêt immobilier litigieux et d'autre part que l'offre de prêt est notamment visée par la procédure en inscription de faux, la cour a considéré que la procédure initiée devant le tribunal de Thonon-les-Bains constituait une cause grave, justifiant au sens de l'article 784 du code de procédure civile, que soit révoquée l'ordonnance de clôture prononcée le 3 décembre 2019.
C'est ainsi que par arrêt du 2 juillet 2020, l'ordonnance de clôture prononcée le 3 décembre 2019 a été révoquée, une nouvelle clôture de la procédure étant annoncée au 2 septembre 2021 avec une audience des plaidoiries au 18 novembre suivant.
[*]
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 24 août 2021 par les époux X. qui concluent à l'infirmation du jugement rendu le 7 septembre 2015 et demandent en substance à la cour de :
- à titre principal : annuler l'offre de prêt et le prêt du 5 septembre 2008 et le contrat d'assurance emprunteur,
- subsidiairement :
- ordonner la déchéance totale du droit aux intérêts,
- prononcer la nullité de la clause de parité,
- prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts pour manquement de la banque à son devoir d'information,
- ordonner l'imputation des remboursements effectués sur le capital emprunté,
- prononcer la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels,
- dire que toutes les sommes versées par les emprunteurs en principal et intérêts s'imputeront sur le capital,
- condamner la banque au paiement du solde restant dû du prêt, au titre de la non prise en compte des échéances durant l'ITT de Madame X.,
- en tout état de cause :
- condamner la banque à des dommages-intérêts 'au solde restant dû du prêt indiqué dans le décompte de l'assignation JEX' ainsi qu'aux remboursements de tous les intérêts conventionnels, frais bancaires et frais de tenue de compte et accessoires nés du pret qu'ils ont acquittés de 2008 à 2019,
- prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts,
- prononcer le caractère non écrit de la clause déchargeant la banque d'une partie de ses obligations,
- requalifier le contrat de prêt d'acte sous seing privé,
- constater l'acquisition de la clause résolutoire et prononcer la caducité du prêt,
- convertir le prêt immobilier en euros à la somme de 253.027,
- « soulever d'office l'ensemble des clauses abusives » d'indexation, de réévaluation, de modifications unilatérales des conditions et modalités du prêt faisant supporter tous les risques aux époux X.,
- condamner la banque à rembourser aux appelants les sommes acquittées au titre de l'ouverture du contrat de prêt soit 1.125 CHF, l'intégralité du crédit et tous les frais de tenue de compte,
- « ordonner le Crédit Mutuel à leur payer la somme de 398.000 euros aux époux X. représentant le montant en euros de l'endettement né du prêt évalué par le juge d'instance »,
- condamner la banque à leur payer la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral pour les 6 membres de la famille,
- condamner la banque à leur payer la somme de 100.000 euros au titre du préjudice matériel pour les 6 membres de la famille,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- dire que toutes les condamnations seront assorties du taux d'intérêt légal,
- ordonner à compter de l'arrêt à intervenir, aux frais de la banque, la publication du dispositif de la décision à intervenir, sur moitié de page pendant deux mois, dans les revues suivantes : Les Echos, Le Figaro, Le Monde et Libération ainsi que Banque, Banque et droit, 60 millions de consommateurs, UFC que choisir, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
- condamner la banque aux entiers dépens « de la procédure initiale au fond, au tribunal de grande instance de Thonon les bains, à la cour d'appel de Chambéry, à la Cour de cassation, au tribunal de grande instance de Thonon les bains pour la procédure JEX » et à leur payer la somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
[*]
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 30 août 2021 par la banque qui conclut à la confirmation du jugement, à l'irrecevabilité des demandes nouvelles des époux X. et au rejet de l'intégralité de leurs demandes et sollicite leur condamnation, in solidum, aux dépens avec distraction au profit de Maître R. avocat et au paiement d'une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
[*]
Vu la clôture de la procédure en date du 2 septembre 2021.
Il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS ET DÉCISION :
A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
La cour observe que les conclusions déposées par les époux X. sont très difficilement lisibles, mêlant notamment aux termes de leur dispositif les prétentions et les moyens, pour certains desquels il n'est d'ailleurs tiré aucune conséquence sur le plan juridique, situation n'appelant aucune réponse de la cour qui n'est alors saisie d'aucune demande.
Après avoir examiné la fin de non-recevoir tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de certaines des demandes présentées par les époux X., la cour procédera à l'examen des 'prétentions' de ces derniers en les regroupant d'abord selon leur nature principale ou subsidiaire, puis dans un deuxième temps, selon la finalité de la demande.
I. Sur la recevabilité des demandes présentées par les époux X. :
Aux termes du dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour, la banque conclut à l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentées par les époux X. en cause d'appel ; elle limite en cela sa demande d'irrecevabilité et les développements qui sont faits par les parties dans les motifs de leurs écritures s'agissant de la prescription de certaines demandes sont inopérants et n'ont donc pas à être pris en compte par la cour qui n'y apportera aucune réponse.
La banque soutient que les époux X. sollicitent pour la première fois devant la cour d'appel de renvoi la nullité de l'offre de prêt et/ou du prêt sur de multiples fondements, la résolution du contrat de prêt, la nullité de certaines clauses ou du tableau d'amortissement, la condamnation de la banque au paiement de dommages-intérêts et la résolution du prêt, demandes irrecevables comme nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile dans la mesure où elles ne tendent pas aux mêmes fins que la demande originaire.
Les époux X. prétendent quant à eux que toutes les demandes qu'ils présentent sont des compléments aux demandes et défenses soumises au premier juge.
Sur ce :
Devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-bains, les époux X. invoquaient des irrégularités affectant le TEG (non intégration de la souscription de parts sociales, prise en compte de la domiciliation des revenus, durée et taux de période) pour conclure à la déchéance du droit aux intérêts de la banque ; ils demandaient par ailleurs que soit prononcée la nullité de la clause stipulant le prêt en devises étrangères et formaient une demande indemnitaire en mettant en cause la responsabilité de la banque pour faute liée à l'absence d'information suffisante sur la clause de parité avec possibilité de conversion de leur prêt en euros.
Les demandes principales qu'ils forment devant la cour de renvoi tendent à voir prononcer la nullité de l'offre de prêt ou du contrat de prêt ou sa résolution sur de multiples fondement juridiques ; ces demandes ont le même objet que la demande en nullité de la clause stipulant le prêt en devises étrangères puisqu'elles aboutissent toutes à l'anéantissement du contrat de prêt ; elles sont donc en cela recevables.
Au titre des demandes subsidiaires, ils ajoutent à leurs demandes d'origine :
- une demande tendant à la prise en charge des échéances du prêt pendant une période d'ITT de Madame X.,
- une demande de requalification du contrat de prêt en acte sous seing privé et concluent alors à sa caducité après acquisition de la clause résolutoire,
- une demande de remboursement de la somme de 1.125 CHF versée à l'ouverture du contrat et des sommes versées depuis l'ouverture jusqu'au jour de l'arrêt, sur le fondement de l'existence de clauses abusives,
- une demande de publication de l'arrêt à venir.
L'article 564 du code de procédure civile interdit aux parties de présenter de nouvelles prétentions en cause d'appel si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; l'article 565 précise néanmoins que ne sont pas nouvelles les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si le fondement juridique est différent et l'article 566 suivant ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Les demandes tendant la prise en charge des échéances du prêt pendant une période d'ITT de Madame X. et la requalification du contrat de prêt en acte sous seing privé avec caducité après acquisition de la clause résolutoire, sont nouvelles en ce qu'elles ne tendent pas aux mêmes fins que les demandes présentées devant le premier juge et n'en sont ni l'accessoire, la conséquence ou le complément ; elles doivent donc en cela être déclarées irrecevables.
En revanche, les demandes tendant au remboursement par la banque de la somme de 1.125 CHF versée à l'ouverture du contrat et des sommes versées depuis l'ouverture jusqu'au jour de l'arrêt, sur le fondement de l'existence de clauses abusives, et la demande de publication de l'arrêt à venir, constituent des demandes accessoires aux demandes principales ou subsidiaires présentées par les époux X. et elles sont en cela recevables.
II. Sur les demandes des époux X. tendant à la nullité de l'offre ou du contrat de prêt :
Sur la nullité du contrat de prêt au motif de la nullité de la clause d'indexation en francs suisses :
L'argumentation développée par les époux X. de ce chef est éparpillée, sans aucune cohérence au fil de plusieurs paragraphes de la partie discussion de leurs écritures : 4. « Sur la nullité du prêt du fait de l'obligation de rembourser le prêt durant toute sa durée en devise étrangère », 10 « Sur la nullité de la clause de parité », 11 « Sur la nullité de la clause d'indexation en monnaie étrangère » ; les intéressés soutiennent ainsi que le prêt en francs suisses est nul en cas de remboursement exclusif en cette monnaie en application de l'article 1116 du code civil, de l'article L. 111-1 du code monétaire et financier et de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation ; ils ajoutent par ailleurs que la clause d'indexation de leur contrat est abusive car ils supportent eux seuls le risque de change ; que même si l'acte indique que le prêt est convertible en euros, le prêteur leur a toujours refusé la conversion.
La banque soutient quant à elle qu'il convient de faire la différence entre la monnaie étrangère utilisée comme unité de compte et la monnaie de paiement ; qu'en l'espèce la monnaie de compte est libellée en francs suisses et la monnaie de paiement en euros, la question de la conversion du prêt, totalement distincte et prévue en page 7 du contrat, relevant de l'accord des parties sans que la faculté de conversion du prêt en euros constitue une condition de validité de celui-ci au regard de l'article L. 111-1 du code monétaire et financier.
Elle explique que si les époux X. ont opté pour un prêt en francs suisses, c'est parce que M. X. travaillait en Suisse et était rémunéré en francs suisses.
Elle conteste tout déséquilibre significatif lié au changement de parité entre la devise empruntée et l'euro et toute exonération de responsabilité du banquier liée à la clause, soutenant que la jurisprudence Helvet immo qui a été rendue pour le cas d'emprunteurs ayant des revenus en euros n'est pas applicable aux faits de l'espèce.
Sur ce :
Tout paiement fait en France doit être effectué dans la monnaie reconnue par la loi nationale et dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie.
Le contrat de prêt de l'espèce est un contrat interne s'agissant d'un prêt convenu entre des parties toutes domiciliées en France, destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'une maison situés en France et dont les remboursements devaient s'effectuer également en France.
Il prévoit notamment que :
- la banque consent à l'emprunteur un concours financier d'un montant total de 429.370 CHF, soit une contre-valeur en euros de 267 603 euros, moyennant un taux effectif global de 5,015 % par an, les intérêts étant stipulés à taux fixe et le prêt étant à remboursement constant selon une période d'amortissement de 360 échéances successives,
- « Dispositions propres aux crédit en devises :
Le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation.
Tout remboursement en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.
Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.
La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement.
Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.
Les frais de garantie seront payables en euros.
Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur.
Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré.
(...)
Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros sous le préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance.
Les caractéristiques du prêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation.
L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes les modifications de clauses du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes.
Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt. (...) »,
- les inscriptions (privilège de prêteur de deniers et hypothèque) seront prises pour le montant du crédit indiqué en euros. Il est cependant expressément précisé, ainsi que l'accepte l'emprunteur, que le montant de cette inscription pourra être réajusté automatiquement à la seule requête du prêteur et sans qu'il soit besoin d'un autre acte, en fonction du cours du change, de façon à ce que l'affectation hypothécaire consentie garantisse au prêteur le remboursement de l'intégralité des sommes qui pourraient être dues, en principal, intérêts, frais et accessoires en vertu du présent prêt.
Selon l'offre, le crédit portait sur des sommes en francs suisses, remboursable par des échéances dont le montant mensuel était déterminé en francs suisses et il était ainsi prévu que les remboursements s'effectueraient dans la devise figurant dans l'offre.
Il en résulte que les échéances du prêt portaient non sur des sommes en euros mais sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que le remboursement du prêt, tant des échéances qu'à titre anticipé, était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères.
Il ressort des dispositions susvisées du contrat de prêt convenu entre les parties que tout remboursement en capital, paiement des intérêts et des commissions et des cotisations d'assurance auraient lieu dans la devise empruntée, les échéances étant débitées sur tout compte en devises, puis que la monnaie de paiement était l'euro, enfin que les échéances seraient débitées sur tout compte en devises.
Le franc suisse a donc été utilisé comme monnaie de paiement et contrairement à ce que soutient la banque, les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix, en euros, mais devaient impérativement le faire en francs suisses, nonobstant la mention selon laquelle la monnaie de paiement était l'euro.
La devise étrangère étant utilisée comme monnaie de paiement et non comme monnaie d'évaluation, le contrat de prêt est entaché de nullité et est donc censé n'avoir jamais existé.
Ainsi, la cour n'appréciera pas les demandes présentées à titre subsidiaire sur le caractère abusif des clauses d'indexation et d'intérêts conventionnels.
La nullité ayant un effet rétroactif, elle implique de remettre les parties dans l'état où elles l'étaient avant l'acte ; elle entraîne donc nécessairement l'obligation pour chacune d'elles de restituer l'intégralité des prestations qu'elle a reçues, quels que soient la nature ou le montant des sommes perçues ou remboursées.
Les époux X. devront donc rembourser le montant des sommes empruntées en francs suisses ou leur contre-valeur en euros, étant précisé que l'évaluation du franc suisse sera faite à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision.
La société Crédit mutuel du Chablais devra par ailleurs restituer aux époux X. l'intégralité du principal déjà remboursé, des intérêts versés, des cotisations d'assurance et de toutes les commissions ou frais perçus comprenant notamment les frais d'ouverture et de tenue de comptes.
III. Sur les demandes des époux X. au titre de la responsabilité de la banque :
Les époux X. soutiennent que la banque a commis de nombreux manquements à leur égard (manquements à l'obligation de mise en garde, d'information et de conseil) ; ils prétendent être dans une situation financière impossible depuis 2008, la banque ayant tenté de faire vendre leur maison à vil prix ; ils réclament une indemnisation économique à hauteur de 380.000 euros, que la nullité du prêt soit ou non prononcée par le juge, outre la réparation du préjudice matériel et du préjudice moral subis par les 6 membres de la famille à hauteur des sommes réciproques de 100.000 euros chacune.
La banque conteste toute faute de sa part, contestant l'application des textes revendiquée par les emprunteurs ; elle indique que le rapport euros/CHF a été stable pendant plus de 10 ans et que rien ne permettait de présager en juillet 2008 que le franc suisse se renchérirait.
Elle ajoute que seuls deux membres de la famille sont parties au procès et que le bien immobilier n'a pas été vendu, aucun préjudice n'étant justifié par les époux X..
Sur ce :
Il appartient au contractant dont la demande de nullité du contrat a été accueillie et qui réclame des dommages et intérêts à l'autre partie de prouver conformément aux règles de la responsabilité extra-contractuelle qu'il subit un préjudice spécifique non réparé par l'annulation et la restitution qu'il obtient, étant souligné que la restitution à laquelle il est lui-même condamné en conséquence de l'annulation d'un contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable.
La cour a déclaré nul le contrat de prêt et en l'état des restitutions réciproques ordonnées entre les parties, il appartient aux emprunteurs de démontrer qu'ils auraient souffert d'un préjudice spécifique lié à cet anéantissement rétroactif du contrat intervenu de nombreuses années après la souscription du prêt.
Ils justifient avoir subi une procédure de surendettement ce qui constitue un préjudice moral ; toutefois, aucun élément ne permet de constater que leur bien immobilier a été vendu et seuls M. et Mme X. sont parties à la procédure qui ne concerne pas leurs enfants, mineurs ou majeurs.
Il convient dès lors de fixer à la somme de 15.000 euros le montant du préjudice subi par les époux X. en la matière, au paiement de laquelle doit être condamnée la banque, outre de cette somme intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, avec capitalisation.
IV. Sur les demandes accessoires :
Il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt.
La demande des époux X. tendant à inclure dans les dépens ceux de la procédure suivie devant la Cour de cassation est irrecevable, la Cour ayant irrévocablement statué sur leur sort.
L'équité commande enfin l'octroi aux époux X., d'une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la charge de la banque qui succombant en ses prétentions, doit être déboutée en sa demande de ce chef.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare irrecevables les demandes présentées au cause d'appel par M. et Mme X., tendant à la prise en charge des échéances du prêt pendant une période d'ITT de Madame X. et la requalification du contrat de prêt en acte sous seing privé avec caducité après acquisition de la clause résolutoire,
Déclare recevables les demandes nouvelles présentées en cause d'appel tendant au remboursement par la banque de la somme de 1.125 CHF versée à l'ouverture du contrat et des sommes versées depuis l'ouverture jusqu'au jour de l'arrêt,
Infirme le jugement rendu le 7 septembre 2015 par le tribunal de grande instance de Thonon-les-bains en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la nullité du contrat de prêt convenu le 5 septembre 2008 entre les parties,
Condamne les parties à rembourser chacune à l'autre, l'ensemble des sommes versées en exécution du contrat souscrit le 5 septembre 2008, comprenant les sommes débloquées par la banque, le capital, les intérêts, les cotisations d'assurances, les commissions, accessoires et frais comprenant notamment les frais d'ouverture et de tenue de comptes,
Dit que l'évaluation du franc suisse sera faite à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision,
Condamne la société Caisse de crédit mutuel du Chablais à payer à M. et Mme X. une somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Caisse de crédit mutuel du Chablais aux dépens de première instance et d'appel,
Déclare irrecevable la demande de Monsieur et Madame X. relative aux dépens de la procédure devant la Cour de cassation,
Déboute la société Caisse de crédit mutuel du Chablais de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à et M. et Mme J.-A., une indemnité de 5.000 euros de ce chef.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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