CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-4), 28 avril 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9586
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-4), 28 avril 2022 : RG n° 21/08193 ; arrêt n° 2022/80
Publication : Jurica
Extrait : « L’article L.113-1 du code des assurances prévoit que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Il en résulte, d’une part, que les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées. D’autre part, que n’est ni formelle ni limitée la clause d’exclusion de garantie qui vide la garantie d’une partie significative ou de la totalité de sa substance.
L’article 1170 du code civil dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». L’article 1171 du même code prévoit que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »
En l’espèce, les conditions particulières du contrat (n° 6479636904) prévoient une extension de garantie des pertes d’exploitation en présence d’une fermeture administrative (p.8 des conditions). L’extension de garantie stipule que « la garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même, 2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication ».
L’extension de garantie est assortie de la clause suivante : « SONT EXCLUES : -LES PERTES D’EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L’OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L’ETABLISSEMENT ASSURE, D’UNE MESURE DE FERMETURE AMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE ».
La rédaction de cette clause renvoie nécessairement, dans sa locution finale « pour une cause identique », à la cause de fermeture administrative garantie, soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, de sorte que, même si elle ne figure pas dans la cluse d’exclusion, la notion d’épidémie constitue une condition de la mise en œuvre de la garantie.
Si l’assureur soutient que l’extension de garantie ne constitue pas une garantie contre le risque d’épidémie mais contre le risque d’une fermeture administrative, le contrat oblige à déterminer la cause de la dite fermeture administrative, en l’espèce l’épidémie.
La SA AXA France IARD indique justement que l’assuré a signé les conditions particulières et contracté sans que les termes utilisés relèvent d’un vocabulaire spécialisé ou technique.
Cependant, les parties s’opposent sur la portée de la définition de cette notion. Le premier juge a déduit, du fait que ce terme était soumis à interprétation, que la clause litigieuse n’était pas formelle.
L’assureur ne peut valablement soutenir que le terme ne nécessite aucune interprétation, doit être pris dans son « entièreté » au « jour de la souscription » et se prévaloir des dispositions de l’article 1192 du code civil selon lesquelles on ne peut interpréter des clauses claires et précises à peine de dénaturation, alors que les décrets des 11 et 31 mai 2020 pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire contiennent dans leur intitulé la prescription des « mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 » la notion d’épidémie ayant dans ce cas précis justifié la fermeture administrative de l’ensemble des restaurants au niveau national.
De plus, les différentes acceptions possibles du terme « épidémie » ne permettent pas à l’assureur d’énoncer valablement que l’assuré, restaurateur très informé des risques relatifs à l’hygiène alimentaire, a au moment de la souscription du contrat, contracté l’extension de garantie pour couvrir les risques d’une fermeture administrative liée à la survenance d’une épidémie au sein de son seul établissement.
Et nonobstant la volonté des parties relatives à l’étendue de la fermeture de l’établissement (fermeture isolée ou collective), le caractère non formel de la clause d’exclusion doit être retenu.
Ensuite, la clause susvisée vise tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, la notion « d’autre établissement » étant particulièrement large. Elle porte un territoire géographiquement étendu au sein duquel exercent un nombre très important d’établissements, de sorte que l’hypothèse de l’assureur selon laquelle cette clause s’appliquerait en cas d’épidémie pour un nombre limité de personnes à l’intérieur d’un seul et unique établissement au sein d’un département, rend illusoire la garantie des pertes d’exploitation en cas d’épidémie, et aboutit à vider le contrat de sa substance en supprimant toute hypothèse de garantie du risque.
C’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que la clause d’exclusion n’est ni formelle, ni limitée.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a déclaré réputée non écrite la clause d’exclusion de garantie reproduite ci-dessus. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 1-4
ARRÊT DU 28 AVRIL 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/08193. Arrêt n° 2022/80. N° Portalis DBVB-V-B7F-BHR4X. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d’AIX-EN-PROVENCE en date du 25 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2021/02667.
APPELANTE :
SA AXA FRANCE IARD
prise en la personne de son représentant légal en exercice sise [...], représentée par Maître Romain C. de la SELARL LEXAVOUE B. C. I., avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée par Maître David C. de la SELARL A. & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
SARL CANAILLES FOOD
prise en la personne de son représentant légal en exercice sise [...], représentée et assistée par Maître Philippe B., avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Maître Etienne F., avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 9 février 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre, et Monsieur Nicolas ERNST, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre, Madame Sophie LEYDIER, Conseiller, Monsieur Nicolas ERNST, Conseiller.
Greffier lors des débats : Mme Pauline BILLO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022. Signé par Madame Rose-Marie PLAKSINE, Présidente de chambre et Madame Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
I. FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SARL Canailles food exploite un fonds de commerce de restaurant à Aix-en-Provence. Elle a souscrit un contrat d’assurance professionnelle multirisque auprès de la société AXA France IARD, prenant effet le 8 avril 2015. Ce contrat, d’une durée d’un an, se renouvelle chaque année par tacite reconduction.
À la suite de l’épisode épidémique de la COVID-19 débuté au mois de mars 2020, le gouvernement français a pris des mesures de fermeture administrative des établissements accueillant du public, parmi lesquels figurent les restaurants.
En conséquence, l’assurée a sollicité de son assureur la prise en charge des pertes d’exploitation liées à ces mesures administratives. L’assureur a refusé de prendre en charge les pertes d’exploitation, arguant de la présence d’une clause d’exclusion de garantie.
Après une mise en demeure restée infructueuse, la SARL Canailles food a saisi le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence.
Par décision du 25/05/2021, le tribunal de commerce d’Aix -en-Provence a :
- Constaté que la clause d’exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l’article L 113-1 du code des assurances et devait être réputée non écrite. ;
- Nommé comme expert judiciaire Monsieur A., avec mission notamment d’examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois, d’éclairer le Tribunal sur l’existence d’une perte d’exploitation liée aux fermetures administratives subies par la société Canaille Food, et si elle existe en préciser le quantum, d’évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d’indemnisation, la marge brute telle que définie par les conditions générales de vente du contrat AXA, d’évaluer le montant des frais supplémentaire d’exploitation pendant la période d’indemnisation, d’évaluer les montants des indemnisations de tous types déjà perçues.
Le 2 juin 2021, la société AXA France IARD a interjeté appel de ce jugement en ces termes : « l’appel tend à la réformation et/ou à l’annulation du jugement, en ses dispositions qui ont :
- Constaté que la clause d’exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l’article L 113-1 du code des assurances et qu’elle doit être réputée non écrite.
- Nommé comme expert judiciaire : Monsieur A., avec mission de :
* Se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à sa mission, notamment l’estimation effectuée par la Demanderesse et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d’exploitation sur les trois dernières années,
* Convoquer et entendre les parties, ainsi que tout sachant, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise, et évoquer, à l’issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* Recueillir si nécessaire des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à préciser en ce cas leur identité et leurs liens éventuels avec les parties conformément à l’article 242 du Code de procédure civile,
* Demander, aux parties et aux tiers, communication de tous documents utiles à l’accomplissement de sa mission conformément à l’article 243 du Code de procédure civile,
* Examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois,
* Éclairer le Tribunal sur l’existence d’une perte d’exploitation liée aux fermetures administratives subies par la société Canaille Food, et si elle existe en préciser le quantum,
* évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d’indemnisation, la marge brute telle que définie par les conditions générales de vente du contrat AXA: « la marge brute est la différence entre le CA Annuel hors TVA corrigé de la variation des stocks et le total des achats et charges variables »,
* évaluer le montant des frais supplémentaire d’exploitation pendant la période d’indemnisation,
* évaluer les montants des indemnisations de tous types déjà perçues,
- Rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
La société Canailles food a formé appel incident.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 janvier 2022.
* * *
Les parties ont exposé leur demande ainsi qu’il suit, étant rappelé qu’au visa de l’article 455 du code de procédure civile, l’arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens.
[*]
Aux termes de ses écritures du 21/01/2022, la société AXA France IARD demande à la cour, au visa des articles 1103, 1170, 1171 et 1188 et suivants du code civil, de :
- infirmer le jugement du 25/05/2021 en ce qu’il a considéré que la clause d’exclusion n’était ni formelle ni limitée au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances et que la SA AXA France IARD devait garantir la société Canailles food au titre de la perte d’exploitation, et qu’il a ordonné une expertise judiciaire ;
Et statuant à nouveau, dire que la clause d’exclusion de garantie est applicable, débouter la société Canailles food de sa demande en condamnation ;
-Subsidiairement, de rejeter la société Canailles food des fins de son appel incident, et de ses demandes tant à titre principal qu’à titre provisionnel,
-S’agissant de la mission confiée à l’expert, lui dire d’examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance et se rapportant uniquement à l’activité de restauration, en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable, de donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de l’activité, de la marge brute (chiffre d’affaires - charges variables) incluant les charges salariales, les économies réalisées, sur le montant des aides/subventions d’Etat perçues par l’Assurée, sur les coefficients de tendance générale de l’évolution de l’activité et des facteurs externes et internes susceptibles d`être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure de fermeture, en se fondant notamment sur les recettes encaissées les semaines ayant précédé le 15 mars 2020 :
- de condamner la société Canailles food à lui payer la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et avec distraction.
Au soutien de ses prétentions, la société AXA France IARD expose que la clause d’exclusion respecte le caractère formel et limité exigé par les dispositions de l’article L113-1 du code des assurances. Elle ajoute que ses caractères sont très apparents, que la clause est claire, et qu’il n’y a aucun doute sur l’impossibilité de mobiliser la garantie en présence d’une fermeture administrative collective, particulièrement s’agissant d’un assuré professionnel qui n’a pas pu se méprendre sur la portée de celle-ci au moment de la souscription.
Elle précise que la proposition d’avenant ne met pas en cause la clarté de la clause d’exclusion.
S’agissant de ses demandes subsidiaires, la partie appelante expose que l’expert devra tenir compte des modalités de calcul contractuellement prévues, au contraire de ce que la mission ordonnée par le premier juge propose.
* * *
Aux termes de ses conclusions du 15/11/2021, la société Canailles food demande l’infirmation du jugement,
-A titre principal, la condamnation de la société AXA France IARD à lui payer la somme de 160.139 53 EUR au titre de son obligation de garantie des pertes d’exploitation, sous astreinte de mille (1000) euros par jour de retard, et la somme de 55.131 euros somme reconnue et établie par le rapport d’étape de Monsieur l’Expert A. en date du 15 novembre 2021, ce au vu de l’imprécision de la clause de garantie des pertes d’exploitation suite à fermeture administrative, la clause de garantie des pertes d’exploitation suite à fermeture administrative devant s’interpréter favorablement aux intérêts de l’assuré et dans le sens que les pertes d’exploitations résultant d’une fermeture administrative décidée à la suite d’une épidémie sont garanties sans exclusion par le contrat d’assurance souscrit par la SARL Canailles food,
- A titre subsidiaire, elle forme les mêmes demandes, la clause d’exclusion devant être réputée non écrite car contraire aux articles 1170 et 1171 du code civil,
- A titre très subsidiaire, elle forme les mêmes demandes, la clause d’exclusion devant être réputée non-écrite car contraire aux articles L. 112-4 et L. 113-1 du Code des assurances,
- A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite la réformation du jugement sur la mission confiée à l’expert
En tout état de cause, elle demande la condamnation de la société AXA France à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ; et la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l’article 1231-1 du code civil ;
- Ce avec exécution provisoire.
[*]
Les moyens et prétentions de la société Canailles food sont résumés dans ses prétentions visant à demander à la cour de dire et juger.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
II. MOTIVATION :
Le contrat conclu le 2 avril 2015 est un contrat d’une durée limitée à une année, renouvelé par tacite reconduction, chaque 1er avril. Chaque renouvellement donne par conséquent naissance à un nouveau contrat, si bien que les contrats des 1er avril 2019 et 1er avril 2020, aux stipulations identiques, trouvent à s’appliquer en l’espèce. Il s’en déduit que le droit applicable est celui né de l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016.
Sur la clause d’exclusion de garantie :
L’article L.113-1 du code des assurances prévoit que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Il en résulte, d’une part, que les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées. D’autre part, que n’est ni formelle ni limitée la clause d’exclusion de garantie qui vide la garantie d’une partie significative ou de la totalité de sa substance.
L’article 1170 du code civil dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
L’article 1171 du même code prévoit que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »
En l’espèce, les conditions particulières du contrat (n° 6479636904) prévoient une extension de garantie des pertes d’exploitation en présence d’une fermeture administrative (p.8 des conditions). L’extension de garantie stipule que « la garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même,
2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication ».
L’extension de garantie est assortie de la clause suivante :
« SONT EXCLUES :
-LES PERTES D’EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L’OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L’ETABLISSEMENT ASSURE, D’UNE MESURE DE FERMETURE AMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE ».
La rédaction de cette clause renvoie nécessairement, dans sa locution finale « pour une cause identique », à la cause de fermeture administrative garantie, soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, de sorte que, même si elle ne figure pas dans la cluse d’exclusion, la notion d’épidémie constitue une condition de la mise en œuvre de la garantie.
Si l’assureur soutient que l’extension de garantie ne constitue pas une garantie contre le risque d’épidémie mais contre le risque d’une fermeture administrative, le contrat oblige à déterminer la cause de la dite fermeture administrative, en l’espèce l’épidémie.
La SA AXA France IARD indique justement que l’assuré a signé les conditions particulières et contracté sans que les termes utilisés relèvent d’un vocabulaire spécialisé ou technique.
Cependant, les parties s’opposent sur la portée de la définition de cette notion. Le premier juge a déduit, du fait que ce terme était soumis à interprétation, que la clause litigieuse n’était pas formelle.
L’assureur ne peut valablement soutenir que le terme ne nécessite aucune interprétation, doit être pris dans son « entièreté » au « jour de la souscription » et se prévaloir des dispositions de l’article 1192 du code civil selon lesquelles on ne peut interpréter des clauses claires et précises à peine de dénaturation, alors que les décrets des 11 et 31 mai 2020 pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire contiennent dans leur intitulé la prescription des « mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 » la notion d’épidémie ayant dans ce cas précis justifié la fermeture administrative de l’ensemble des restaurants au niveau national.
De plus, les différentes acceptions possibles du terme « épidémie » ne permettent pas à l’assureur d’énoncer valablement que l’assuré, restaurateur très informé des risques relatifs à l’hygiène alimentaire, a au moment de la souscription du contrat, contracté l’extension de garantie pour couvrir les risques d’une fermeture administrative liée à la survenance d’une épidémie au sein de son seul établissement.
Et nonobstant la volonté des parties relatives à l’étendue de la fermeture de l’établissement (fermeture isolée ou collective), le caractère non formel de la clause d’exclusion doit être retenu.
Ensuite, la clause susvisée vise tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, la notion « d’autre établissement » étant particulièrement large. Elle porte un territoire géographiquement étendu au sein duquel exercent un nombre très important d’établissements, de sorte que l’hypothèse de l’assureur selon laquelle cette clause s’appliquerait en cas d’épidémie pour un nombre limité de personnes à l’intérieur d’un seul et unique établissement au sein d’un département, rend illusoire la garantie des pertes d’exploitation en cas d’épidémie, et aboutit à vider le contrat de sa substance en supprimant toute hypothèse de garantie du risque.
C’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que la clause d’exclusion n’est ni formelle, ni limitée.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a déclaré réputée non écrite la clause d’exclusion de garantie reproduite ci-dessus.
Sur la demande d’indemnisation :
L’article L. 121-1 du code des assurances dispose que « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre.
Il peut être stipulé que l’assuré reste obligatoirement son propre assureur pour une somme, ou une quotité déterminée, ou qu’il supporte une déduction fixée d’avance sur l’indemnité du sinistre. »
L’article 1231-1 du code civil prévoit, quant à lui, que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
En l’espèce, le contrat signé le 2 avril 2015 et reconduit chaque année le 1er avril stipule que « la garantie intervient pendant la période d’indemnisation, c’est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l’établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de trois mois maximum. Le montant de la garantie est limité à 300 fois l’indice. L’assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés ».
La demande d’indemnisation de l’assuré a été rejetée par le premier juge au motif qu’elle ne se fondait que sur une estimation des pertes de chiffre d’affaires. Aussi, une expertise judiciaire a été ordonnée, afin qu’il soit notamment tenu compte de l’objectivation d’une perte de marge, de facteurs externes, d’économies réalisées du fait des périodes de fermeture administrative (chômage partiel, baisse des coûts d’exploitation, etc.), du versement d’aides gouvernementales.
Une analyse complète de l’ensemble de ces éléments est nécessaire pour déterminer, dans le cadre d’un débat contradictoire, le montant des pertes d’exploitation, et le montant à garantir.
Dès lors, le jugement critiqué sera confirmé sur ce point.
Sur la mesure d’expertise :
Les demandes des parties relatives à de nouvelles missions qu’il conviendrait de confier à l’expert judiciaire désigné par le premier juge seront pour l’essentiel rejetées, en ce que la mission déterminée par le tribunal de commerce est complète, et que les prétentions de l’appelant principal et de l’appelant incident sont redondantes au regard des missions existantes.
Seule la demande de la société AXA visant à solliciter de l’expert qu’il donne son avis sur les facteurs externes susceptibles d’être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure de fermeture devra être accueillie. Un tel complément est en effet utile à l’objectivation complète des montants à garantir. Le tribunal de commerce a lui-même exposé, pour rejeter la demande d’indemnisation, que celle-ci devait ‘tenir compte des facteurs externes, non garantis’, sans toutefois reprendre cet élément au titre des missions confiées à l’expert judiciaire.
Un complément de mission sera dès lors ordonné.
Sur le versement d’une provision :
L’assuré sollicite le paiement d’une somme à valoir sur sa future indemnisation, qu’il convient de qualifier de provision, indiquant qu’une somme de 55.131 euros est « reconnue et établie par le rapport d’étape de Monsieur l’Expert A. en date du 15/11/2021 »
En conclusion du dit rapport, l’expert judiciaire souligne que les estimations qu’il expose ‘sont à parfaire et sont susceptibles d’être modifiées selon les éléments d’informations et pièces complémentaires qui seront versées aux débats’. Il précise être dans l’attente, de la part de l’assuré, de plusieurs éléments manifestement déterminants, en l’espèce ‘l’extrait du journal des ventes ou toutes autres pièces comptable permettant de déterminer le chiffre d’affaires réalisé durant les trois périodes considérées, l’année du sinistre, l’année n-1 et l’année n-2". Il a sollicité de la société Canailles food qu’elle lui indique « si elle a pratiqué de la vente à emporter durant les périodes de fermeture » et l’invite à « préciser l’origine du chiffre d’affaires réalisé durant les mois complets de fermeture ». Il demande en outre à l’assuré d’« affecter les aides reçues dans le cadre de l’activité partielle à la période concernée’, « spécifier si elle a, ou non, assuré le maintien des salaires », et « indiquer le nombre exact de jours ouvrés pour chacune des périodes indemnisées ».
Il découle de ce rapport d’étape que la caractérisation de la réalité de pertes n’est pas établie en l’absence d’analyse des dites pièces par l’expert judiciaire.
Par suite, la demande de provision à valoir sur l’indemnisation définitive ne peut être accueillie.
Sur la résistance abusive de la société AXA :
L’article 1231-1 du code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
En l’espèce, La société Canailles food ne démontre pas de retard d’exécution de la part de l’assureur en l’état d’une garantie dont le montant n’est pas encore établi. La prétention ne peut, dans ces conditions, être accueillie.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du 25/05/2021 en ce qu’il a déclaré non écrite la clause d’exclusion litigieuse, rejeté les demandes en paiement de la société Canailles food, et désigné un expert,
Y AJOUTANT,
CONFIE à l’expert Monsieur Jean A. la mission supplémentaire de donner son avis sur les facteurs externes susceptibles d’être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable aux mesures de fermeture ;
CONDAMNE la SA AXA France IARD à payer à la société Canailles food la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA AXA France IARD aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
- 7137 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par contrat - Assurance
- 9749 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Présentation par contrat – Assurance