CA CHAMBÉRY (2e ch.), 5 mai 2022
Extraits : 1/ « A l'exception des demandes se rapportant au caractère abusif de la stipulation d'intérêts, lesquelles s'avèrent recevables comme imprescriptibles et seront, en tant que de besoin, examinées à titre subsidiaire conformément aux prétentions des appelants, il est établi, suivant les dispositions de l'article 2224 du code civil, que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, les époux X. excipent à la fois de la nullité du prêt en devises étrangères (francs suisses) et d'un manquement de la banque à ses obligations de mise en garde et d'information (caractère disproportionné du crédit par rapport à leurs ressources et information insuffisante quant au risque de change qu'ils supportent). Il est constant que le prêt notarié a été conclu entre les parties le 25 avril 2012 et que les époux X. ont introduit leur demande en justice par exploit du 16 octobre 2018, soit plus de 5 années après la signature du contrat contesté, alors-même que les échéances du concours litigieux continuent d'être honorées.
Or, tant la nature du prêt (prêt en devises s'agissant d'une partie du montant emprunté et prêt en euros pour l'autre partie) que le montage choisi par les emprunteurs, qui percevaient leurs revenus en francs suisses (sur un compte UBS suisse) et en euros (sur un compte ouvert dans les livres du Crédit Lyonnais), quoique le bulletin de salaire de Monsieur X. était libellés en dollars américains, témoignent d'une volonté d'optimisation du coût de leur emprunt, rendant perceptible dès la signature du contrat et le paiement de la première échéance le fait que des remboursements devaient s'effectuer en monnaie étrangère. En outre, s'agissant d'un prêt à exécution successive, les emprunteurs ne sauraient valablement retarder la date à compter de laquelle ils ont pris connaissance du dommage ou du fait leur permettant d'exercer la présente action, qu'ils ne fixent d'ailleurs pas dans leurs écritures, sauf à différer excessivement le point de départ du délai de prescription quinquennal prévu à l'article 2224 précité et à rendre factuellement imprescriptible l'action personnelle dont ils se prévalent.
Dans ces conditions, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a retenu la prescription de l'action des époux X. en ce qu'elle se fonde sur la nullité du prêt en devises étrangères et sur la responsabilité de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie. »
2/ « Dans sa version en vigueur du 3 juillet 2010 au 1er juillet 2016, soit au jour de la signature du prêt notarié, l'article L. 132-1 du code de la consommation définit les clauses abusives comme étant celles qui, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Toutefois, le caractère abusif d'une clause ne peut être retenu si la stipulation critiquée porte sur la définition de l'objet principal du contrat ou sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, en ce qu'elle porte sur les modalités de remboursement des échéances du prêt de 373.550,01 CHF (s'effectuant en devises) et sur le calcul des intérêts de ce prêt (taux CHF à trois mois révisable augmenté d'une marge de 2,28 %), lesquels constituent la part essentielle de la rémunération du prêteur, la clause litigieuse constitue l'objet principal du contrat soit la base de rémunération du service offert par la banque.
Aussi, la clause critiquée, rédigée en des termes clairs et compréhensibles, notamment pour un emprunteur dont le salaire est libellé puis versé en trois devises différentes (CHF, euros, USD), ne saurait être déclarée abusive et réputée non-écrite. En ce sens, les époux X. doivent être déboutés de leurs demandes. »
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 5 MAI 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/00930 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GP6S. Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 10 juillet 2020 : R.G. n° 18/01628.
Appelants :
M. X.
né le [date] à [ville],
et
Mme Y. épouse X.
née le [date] à [ville],
demeurant [adresse], Représentés par la SARL LEGI RHONE ALPES, avocat au barreau d'ANNECY
Intimée :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE
dont le siège social est sis [adresse] prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Hélène R., avocat au barreau d'ANNECY
COMPOSITION DE LA COUR : Lors de l'audience publique des débats, tenue le 1er mars 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par : - Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, - Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, - Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
En vue de financer l'acquisition de leur résidence principale et des travaux subséquents, Monsieur X. et Madame Y. son épouse ont souscrit auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, par acte notarié du 25 avril 2012, un emprunt d'un montant total de 584.000 euros comprenant :
- un prêt d'un montant de 274.000 euros remboursable en 180 mensualités au taux d'intérêt révisable de 3,79 %,
- un prêt habitat en devises d'un montant de 373.550,01 CHF (soit la contre-valeur en francs suisses de la somme 310.000 euros), d'une durée de 180 mois, remboursable trimestriellement au taux d'intérêt révisable de 2,3508 %.
Au cours de l'année 2017, les époux X. ont souhaité renégocier le concours accordé par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie. Aucun accord amiable n'a toutefois été trouvé entre les parties.
Contestant alors la validité du prêt en devises et reprochant à la banque un manquement à ses obligations de mise en garde et d'information, les époux X. ont, par exploit du 16 octobre 2018, fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie devant le tribunal de grande instance d'Annecy.
Par jugement contradictoire du 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :
- déclaré Madame et Monsieur X. irrecevables en leurs demandes, sans examen au fond, en raison de la prescription,
- condamné Madame et Monsieur X. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Madame et Monsieur X. aux dépens.
Par déclaration du 13 août 2020, les époux X. ont interjeté appel de ce jugement.
[*]
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 3 mai 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux X. demandent à la cour de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il les a :
* déclarés irrecevables en leurs demandes, sans examen au fond, en raison de la prescription,
* condamnés à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamnés aux dépens,
Statuant à nouveau,
- dire et juger non prescrites l'ensemble de leurs actions,
- dire et juger leur action recevable et bien fondée,
À titre principal,
- constater qu'une des deux lignes du prêt souscrit dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie est libellée en francs suisses,
- constater que le prêt est libellé dans une monnaie étrangère,
En conséquence,
- dire et juger que le prêt n° 48XX8 est nul,
- ordonner la restitution de l'ensemble des sommes versées par les emprunteurs à compter de la souscription du prêt,
À titre subsidiaire,
- constater le caractère abusif de la clause d'intérêts,
En conséquence,
- dire et juger que ladite clause doit être réputée non écrite,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à restituer les intérêts versés depuis la souscription du prêt,
- ordonner à compter du jugement à intervenir la substitution au taux conventionnel du taux d'intérêt légal pour toute la durée du prêt restant à courir,
En tout état de cause,
- constater que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son devoir de mise en garde et d'information,
En conséquence,
- dire et juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a engagé sa responsabilité à leur égard,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître B. avocate, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 18 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :
À titre principal,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé prescrites les actions des époux X. et donc irrecevables,
À titre subsidiaire sur le fond,
- dire et juger les demandes des époux X. non-fondées,
- condamner les époux X. au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
À titre extrêmement subsidiaire,
- dire et juger qu'elle ne peut être condamnée que sur la notion de perte de chance,
- constater l'absence de préjudice prouvé,
- rejeter toutes autres demandes,
En tout état de cause,
- condamner les époux X. au paiement d'une somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus de celle allouée par le premier juge, outre les dépens de première instance et d'appel.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la prescription des demandes formulées par les emprunteurs :
A l'exception des demandes se rapportant au caractère abusif de la stipulation d'intérêts, lesquelles s'avèrent recevables comme imprescriptibles et seront, en tant que de besoin, examinées à titre subsidiaire conformément aux prétentions des appelants, il est établi, suivant les dispositions de l'article 2224 du code civil, que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, les époux X. excipent à la fois de la nullité du prêt en devises étrangères (francs suisses) et d'un manquement de la banque à ses obligations de mise en garde et d'information (caractère disproportionné du crédit par rapport à leurs ressources et information insuffisante quant au risque de change qu'ils supportent).
Il est constant que le prêt notarié a été conclu entre les parties le 25 avril 2012 et que les époux X. ont introduit leur demande en justice par exploit du 16 octobre 2018, soit plus de 5 années après la signature du contrat contesté, alors-même que les échéances du concours litigieux continuent d'être honorées.
Or, tant la nature du prêt (prêt en devises s'agissant d'une partie du montant emprunté et prêt en euros pour l'autre partie) que le montage choisi par les emprunteurs, qui percevaient leurs revenus en francs suisses (sur un compte UBS suisse) et en euros (sur un compte ouvert dans les livres du Crédit Lyonnais), quoique le bulletin de salaire de Monsieur X. était libellés en dollars américains, témoignent d'une volonté d'optimisation du coût de leur emprunt, rendant perceptible dès la signature du contrat et le paiement de la première échéance le fait que des remboursements devaient s'effectuer en monnaie étrangère.
En outre, s'agissant d'un prêt à exécution successive, les emprunteurs ne sauraient valablement retarder la date à compter de laquelle ils ont pris connaissance du dommage ou du fait leur permettant d'exercer la présente action, qu'ils ne fixent d'ailleurs pas dans leurs écritures, sauf à différer excessivement le point de départ du délai de prescription quinquennal prévu à l'article 2224 précité et à rendre factuellement imprescriptible l'action personnelle dont ils se prévalent.
Dans ces conditions, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a retenu la prescription de l'action des époux X. en ce qu'elle se fonde sur la nullité du prêt en devises étrangères et sur la responsabilité de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie.
Sur le caractère abusif de la stipulation d'intérêts en devise étrangère :
Dans sa version en vigueur du 3 juillet 2010 au 1er juillet 2016, soit au jour de la signature du prêt notarié, l'article L. 132-1 du code de la consommation définit les clauses abusives comme étant celles qui, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Toutefois, le caractère abusif d'une clause ne peut être retenu si la stipulation critiquée porte sur la définition de l'objet principal du contrat ou sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, en ce qu'elle porte sur les modalités de remboursement des échéances du prêt de 373.550,01 CHF (s'effectuant en devises) et sur le calcul des intérêts de ce prêt (taux CHF à trois mois révisable augmenté d'une marge de 2,28 %), lesquels constituent la part essentielle de la rémunération du prêteur, la clause litigieuse constitue l'objet principal du contrat soit la base de rémunération du service offert par la banque.
Aussi, la clause critiquée, rédigée en des termes clairs et compréhensibles, notamment pour un emprunteur dont le salaire est libellé puis versé en trois devises différentes (CHF, euros, USD), ne saurait être déclarée abusive et réputée non-écrite. En ce sens, les époux X. doivent être déboutés de leurs demandes.
Sur les demandes annexes :
Les époux X., qui succombent en leur appel, sont condamnés à verser la somme de 2.500 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils sont en outre condamnés aux dépens d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme la décision déférée, sauf en ce qu'elle a déclaré prescrites les demandes de Monsieur X. et de Madame Y. épouse X. se rapportant au caractère abusif de la stipulation contractuelle d'intérêts du prêt en devises,
Statuant à nouveau,
Déclare recevables les demandes de Monsieur X. et de Madame Y. épouse X. se rapportant au caractère abusif de la stipulation contractuelle d'intérêts du prêt en devises, mais déboute ces derniers de leurs prétentions,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur X. et de Madame Y. épouse X. à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne Monsieur X. et de Madame Y. épouse X. aux dépens d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 5 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente