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CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 11 mai 2022

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 11 mai 2022
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 6
Demande : 20/03897
Date : 11/05/2022
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 21/02/2020
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9626

CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 11 mai 2022 : RG n° 20/03897 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « En vertu des prévisions impératives de l'article L. 312-8 du code de la consommation, lequel renvoie, concernant le taux effectif global, aux prescriptions de l'article L. 313-1 en définissant le contenu, les manquements aux obligations que prévoit ce dernier article sont sanctionnés par l'article L. 312-33 du même code.

Or, aux termes de l'article L. 312-33, dans sa rédaction alors en vigueur, le prêteur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues à l'article L. 312-8 pourra être déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. Cet article est exclusivement applicable, en raison du caractère d'ordre public des dites règles spécifiques édictées pour la protection du consommateur et qui l'emportent donc sur celles plus générales posées par l'article 1907 du code civil, lequel sanctionne par la nullité l'absence de prescription d'un taux d'intérêt et, par extension, d'un taux effectif global, dont l'irrégularité éventuelle est assimilée à une absence.

Ainsi, en droit la seule sanction d'un taux effectif global erroné n'est pas la nullité de la clause de stipulation d'intérêts mais la déchéance du droit aux intérêts. En effet l'emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d'ordre public des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, disposer d'une option entre nullité ou déchéance.

Une telle option, outre qu'elle priverait le juge de la possibilité de prévoir une sanction proportionnée à la gravité de l'erreur, ne participerait pas à l'unique objectif recherché par le législateur, à savoir donner au taux effectif global une fonction comparative, et serait en contradiction avec les directives européennes à la lumière desquelles les textes nationaux doivent s'appliquer [celle n°2008/48 transposée en droit français par la loi du 1er juillet 2010 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union qui précise, dans sa décision du 9 novembre 2016, qu'une déchéance totale des intérêts ne peut intervenir que pour sanctionner l'irrégularité d'un professionnel ayant privé le consommateur d'apprécier la portée de son engagement, et celle n° 2014/17 transposée en droit français par ordonnance du 25 mars 2016 pour harmoniser les crédits accordés aux consommateurs relatifs à des biens immobiliers à usage résidentiel et notamment son article 38 selon lequel toute sanction doit être effective, proportionnée et dissuasive].

La solution est identique s'agissant de la sanction de l'utilisation de l'année lombarde pour le calcul des intérêts conventionnels.

Pour autant, il sera rappelé que monsieur X. et madame X. entendent exercer, à titre subsidiaire, l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels. Les griefs qu'ils développent seront donc examinés sous cet angle et à ce titre. »

2/ « Monsieur X. et madame X. demandent à la cour, tout à la fois de : « Prononcer la nullité de la clause d'intérêt figurant au contrat de prêt et dire que le taux légal devra être substitué au taux contractuel, les intérêts ayant été calculés sur la base d'une année bancaire de 360 jours et non sur l'année civile ; Dire non écrite la stipulation d'intérêt, au regard de la recommandation de la Commission des Clauses Abusives susvisée ; »

En vertu des dispositions de l'article L. 132-1, devenu l'article L. 212-1, du code de la consommation, […]. Or il est de principe que par application des dispositions combinées des articles 1907 alinéa 2 du code civil et L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 du code de la consommation, les intérêts conventionnels d'un prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doivent, comme le taux effectif global, être calculés sur la base de l'année civile sous peine de se voir substituer l'intérêt légal. Ainsi, la clause litigieuse, rédigée ainsi : « Durant la phase d'amortissement les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours », est une clause illicite, et non d'une clause abusive.

En outre, à supposer encore qu'une telle clause entre dans le champ d'application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, monsieur X. et madame X. ne caractérisent pas en quoi elle créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs. Comme précédemment indiqué, il est de principe que par application des dispositions combinées des articles 1907 alinéa 2 du code civil et L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 du code de la consommation, les intérêts conventionnels d'un prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doivent, comme le taux effectif global, être calculés sur la base de l'année civile sous peine de se voir substituer l'intérêt légal.

En l'espèce il n'est pas contesté, et il résulte de l'offre de prêt elle-même, que le prêt litigieux obéit au régime du crédit immobilier consenti à un consommateur ou à un non professionnel. Contrairement à ce que soutiennent monsieur X. et madame X. la seule présence au contrat d'une clause stipulant que les intérêts conventionnels sont calculés sur une base annuelle de 360 jours n'emporte pas nécessairement nullité de la stipulation d'intérêts, et le juge est, pour le moins et en premier lieu, avant d'en déterminer la sanction, tenu de vérifier si cette clause a été effectivement appliquée, ou si à l'inverse les intérêts conventionnels n'ont pas été calculés sur la base d'une année civile, conformément aux textes précités.

Si au regard de la clause critiquée, monsieur X. et madame X. reprochent à la banque d'avoir calculé les intérêts conventionnels sur la base de l'année lombarde, il doit être cependant retenu que calculer les intérêts courus entre deux échéances sur la base d'un mois de 30 jours et d'une année de 360 jours est équipollent à calculer ces intérêts sur la base d'un mois normalisé et d'une année 365 jours, seule méthode correcte eu égard au code de la consommation ' en particulier l'article R. 313-1 et son annexe, qui s'applique y compris aux prêts immobiliers et que l'année de conclusion du contrat soit bissextile ou non.

Il s'ensuit que le calcul effectué tel que défini par la clause litigieuse « Durant la phase d'amortissement les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours » est néanmoins possiblement conforme aux dispositions légales et réglementaires, si tant est démontré, par le tableau d'amortissement et par l'application du taux d'intérêt à chaque période mensuelle de remboursement et par la conversion au taux journalier, que les intérêts conventionnels ont bien été calculés conformément aux exigences du code de la consommation ' ce qui précisément correspond au cas présent, comme explicité avec pertinence par la banque intimée, dans ses écritures (notamment pages 26 et 27) et n'est d'ailleurs pas utilement combattu par les appelants, lesquels ne rapportent nullement la preuve, qui leur incombe, d'un calcul lombard des échéances mensuelles complètes qui serait différent de celui effectué par la banque.

Certes si calculer les intérêts courus entre deux échéances sur la base d'un mois de 30 jours et d'une année de 360 jours est équipollent à calculer ces intérêts sur la base d'un mois normalisé et d'une année 365 jours, en revanche, le calcul des intérêts courus pendant un nombre de jours autre que trente, différera selon qu'il est rapporté à une année lombarde ou une année civile.

Pour autant, monsieur X. et madame X. ne se prévalent pas d'une erreur qui aurait affecté le calcul de l'échéance dite « brisée » courue entre la mise à disposition des fonds et la première échéance et par ailleurs la banque intimée justifie par son propre calcul page 27 de ses écritures que ces intérêts ont été calculés en jours exacts sur la base de l'année civile.

Le jugement déféré est donc également confirmé de ce second chef, relatif au mode de calcul des intérêts du prêt. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 6

ARRÊT DU 11 MAI 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/03897 (10 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CBRS4. Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 décembre 2019 - Tribunal de Grande Instance d'EVRY - RG n° 17/01846.

 

APPELANTS :

M. X.

Demeurant [adresse], [...], Représenté par Maître Yann G., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 381

Mme X.

Demeurant [...], [...], Représentée par Maître Yann G., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 381

 

INTIMÉE :

SA CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE

Ayant son siège social [adresse], [...], N°SIRET : XXX, Représentée par Maître Henri DE L. de la SELARL HENRI DE L. ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : B0663

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 14 mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : Marc BAILLY, Président de chambre, Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère, Florence BUTIN, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Yulia TREFILOVA

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Anaïs DECEBAL, Greffier, présente lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant offre de prêt émise le 24 avril et acceptée le 6 mai 2014, la société CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE a consenti à monsieur X. et madame X., afin de financer l'acquisition de leur résidence principale, un prêt immobilier d'un montant de 169.948,42 euros, comportant une période de préfinancement de 36 mois maximum et une période d'amortissement de 300 mois, au taux d'intérêt nominal fixe de 3,63 % par an. Le taux effectif global mentionné dans l'offre est de 4,38 % l'an, et le taux de période mensuel, de 0,37 %.

Contestant l'exactitude du taux effectif global du prêt - en ce qu'il n'inclurait pas les frais d'assurance et les intérêts de la période de préfinancement - ainsi que les modalités de calcul des intérêts (sur la base d'une année bancaire de 360 jours) monsieur X. et madame X. ont fait assigner la banque à comparaître devant le tribunal de grande instance d'Evry, selon acte d'huissier daté du 8 mars 2017.

Aux termes de leurs dernières conclusions, monsieur X. et madame X. pour l'essentiel demandaient au tribunal de prononcer, à titre principal, la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels, et à titre subsidiaire, la déchéance totale du droit de la banque aux intérêts conventionnels ; subséquemment, ils sollicitaient, en particulier, le taux d'intérêt légal devant venir se substituer au taux d'intérêt conventionnel, le remboursement des intérêts indus et la production par la banque, sous astreinte, d'un nouveau tableau d'amortissement prenant en compte l'application du taux légal.

En réponse, pour l'essentiel de ses prétentions la société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE demandait au tribunal à titre principal de déclarer irrecevable l'action en nullité de la stipulation d'intérêts ; subsidiairement sur le fond, de juger que le taux effectif global du prêt a été calculé conformément aux dispositions du code de la consommation (les frais de la période de préfinancement indéterminables n'ayant pas à être intégrés dans son assiette de calcul) et de dire que les intérêts ont été régulièrement calculés sur la base de 1/12e pour les intérêts mensuels et de 1/365e pour les intérêts journaliers ; à titre plus subsidiaire, de dire n'y avoir lieu à prononcer la déchéance du droit de la banque aux intérêts conventionnels qui est la sanction spéciale s'agissant d'une offre de prêt immobilier soumis au code de la consommation, mais serait totalement disproportionnée à l'erreur alléguée (...).

Par jugement rendu le 13 décembre 2019 le tribunal a statué ainsi :

« Déclare monsieur X. et madame X. irrecevables en leur demande de nullité de la stipulation d'intérêt et en leurs demandes subséquentes ;

Déboute monsieur X. et madame X. de leur action en déchéance des intérêts conventionnels et en leurs demandes subséquentes ;

Condamne monsieur X. et madame X. à payer à la société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne monsieur X. et madame X. à la charge des dépens ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. »

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 21 février 2020 monsieur X. et madame X. ont interjeté appel de ce jugement. À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 18 janvier 2022 les moyens et prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

[*]

Par uniques conclusions communiquées par voie électronique le 20 mai 2020 les appelants demandent à la cour,

« Vu l'article 1907 du code civil,

Vu l'article 1134 du code civil,

Vu l'article 1135 du code civil,

Vu l'article 1147 du code civil,

Vu les articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation,

Vu les articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation,

Vu la recommandation de la commission des clauses abusives du 20 septembre 2005 ;

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation, »

de bien vouloir :

« A titre principal :

Réformer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Prononcer la nullité de la clause d'intérêt figurant au contrat de prêt et dire que le taux légal devra être substitué au taux contractuel, les intérêts ayant été calculés sur la base d'une année bancaire de 360 jours et non sur l'année civile ;

Dire non écrite la stipulation d'intérêt, au regard de la recommandation de la Commission des Clauses Abusives susvisée ;

Subsidiairement,

Prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque ;

En toute hypothèse,

Dire, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, que le taux légal de l'année de souscription du contrat de prêt devra être appliqué ;

Dire que les sommes ayant été réglées par la partie requérante au titre des intérêts devront être ré-imputées sur le capital et que le trop-perçu devra être restitué à la partie demanderesse ;

Condamner la banque à établir, pour chaque prêt (sic) un nouveau tableau d'amortissement avec effet à la date de conclusion du contrat, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

Dire que les condamnations à intervenir seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de signification de la présente assignation ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties ;

Condamner la société intimée au paiement de la somme de 3.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens, dont attribution à Me G., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. »

[*]

Par uniques conclusions communiquées par voie électronique le 17 août 2020 l'intimé

demande à la cour,

« Vu les articles L. 312-8, L. 312-33, L. 341-48-1 et R. 313-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable aux contrats de prêt,

Vu l'article 1907 du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée, »

de bien vouloir :

« A titre principal,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et notamment :

Dire et juger que la demande tendant à l'annulation de la stipulation d'intérêts est irrecevable en raison de l'existence d'une sanction spéciale,

Débouter monsieur X. et madame X. de leurs demandes,

A titre subsidiaire,

Dire qu'aucune preuve du caractère erroné du TEG n'est rapportée,

Dire et juger que les intérêts conventionnels du prêt ont été régulièrement calculés,

En conséquence,

Débouter monsieur X. et madame X. de leurs demandes tendant à la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels et à la déchéance du droit aux intérêts conventionnels ;

Très subsidiairement,

Dire que les prétendues irrégularités dans le calcul du TEG dont se prévalent monsieur X. et madame X. ne sont pas sanctionnées par la nullité de la stipulation d'intérêts ;

Dire que, si par extraordinaire, il était constaté des irrégularités dans le calcul des TEG, celles-ci devraient être sanctionnées par la déchéance du droit aux intérêts conventionnels dans les conditions prévues à l'article L. 341-48-1 du code de la consommation ;

Dire que la déchéance totale du droit aux intérêts serait disproportionnée aux manquements allégués ;

En conséquence,

Il est demandé à la cour d'user de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas prononcer la déchéance du droit aux intérêts ;

A titre infiniment subsidiaire,

Substituer au taux conventionnel, le taux d'intérêt légal en vigueur au moment de la conclusion du prêt,

Fixer le montant des intérêts indûment perçus ;

En tout état de cause,

Condamner monsieur X. et madame X. à payer à la CAISSE D’ÉPARGNE la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les condamner aux entiers dépens. »

[*]

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précitées.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 - Sur la recevabilité de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt :

La société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE demande la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions y compris en ce que le tribunal a déclaré monsieur X. et madame X. irrecevables en leur demandes tendant à voir prononcer la nullité de la stipulation d'intérêt du contrat de prêt la seule sanction encourue en cas de taux effectif global erroné dans une offre de prêt immobilier soumise au code de la consommation, étant celle de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels du prêt, dans la proportion fixée par le juge.

La question de la sanction applicable en cas d'erreur de calcul affectant le taux effectif global contenu dans une offre de prêt immobilier soumise aux dispositions du code de la consommation relève d'une appréciation de fond, de sorte que l'intimé ne saurait en tirer une fin de non-recevoir, dont les cas sont prévus par l'article 122 du code de procédure civile, et qui se définit comme un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Par conséquent, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE sera rejetée et le jugement déféré infirmé sur ce point.

 

2 - Sur la sanction applicable en cas d'inexactitude du taux effectif global :

En vertu des prévisions impératives de l'article L. 312-8 du code de la consommation, lequel renvoie, concernant le taux effectif global, aux prescriptions de l'article L. 313-1 en définissant le contenu, les manquements aux obligations que prévoit ce dernier article sont sanctionnés par l'article L. 312-33 du même code.

Or, aux termes de l'article L. 312-33, dans sa rédaction alors en vigueur, le prêteur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues à l'article L. 312-8 pourra être déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.

Cet article est exclusivement applicable, en raison du caractère d'ordre public des dites règles spécifiques édictées pour la protection du consommateur et qui l'emportent donc sur celles plus générales posées par l'article 1907 du code civil, lequel sanctionne par la nullité l'absence de prescription d'un taux d'intérêt et, par extension, d'un taux effectif global, dont l'irrégularité éventuelle est assimilée à une absence.

Ainsi, en droit la seule sanction d'un taux effectif global erroné n'est pas la nullité de la clause de stipulation d'intérêts mais la déchéance du droit aux intérêts.

En effet l'emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d'ordre public des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, disposer d'une option entre nullité ou déchéance.

Une telle option, outre qu'elle priverait le juge de la possibilité de prévoir une sanction proportionnée à la gravité de l'erreur, ne participerait pas à l'unique objectif recherché par le législateur, à savoir donner au taux effectif global une fonction comparative, et serait en contradiction avec les directives européennes à la lumière desquelles les textes nationaux doivent s'appliquer [celle n°2008/48 transposée en droit français par la loi du 1er juillet 2010 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union qui précise, dans sa décision du 9 novembre 2016, qu'une déchéance totale des intérêts ne peut intervenir que pour sanctionner l'irrégularité d'un professionnel ayant privé le consommateur d'apprécier la portée de son engagement, et celle n° 2014/17 transposée en droit français par ordonnance du 25 mars 2016 pour harmoniser les crédits accordés aux consommateurs relatifs à des biens immobiliers à usage résidentiel et notamment son article 38 selon lequel toute sanction doit être effective, proportionnée et dissuasive].

La solution est identique s'agissant de la sanction de l'utilisation de l'année lombarde pour le calcul des intérêts conventionnels.

Pour autant, il sera rappelé que monsieur X. et madame X. entendent exercer, à titre subsidiaire, l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels. Les griefs qu'ils développent seront donc examinés sous cet angle et à ce titre.

 

3 - Sur les irrégularités du taux effectif global :

Monsieur X. et madame X. reprochent à la banque de ne pas avoir tenu compte des primes d'assurance et des intérêts de la période de préfinancement, dans le calcul du taux effectif global.

Pour rejeter ces prétentions, le premier juge, après avoir rappelé avec rigueur et exactitude les principes gouvernant les éléments à prendre en considération pour la détermination du taux effectif global ainsi que les règles relatives à la preuve de son caractère erroné, a réalisé un examen attentif des pièces fournies et fait une analyse pertinente et exhaustive des faits de la cause.

Comme l'a exactement rappelé le tribunal, si l'annexe de l'article R. 313-1 du code de la consommation n'a pour objet que de définir la méthode de l'équivalence de calcul au taux effectif global visée par ce texte et non la méthode proportionnelle, seule applicable aux crédits immobiliers, dont celui en la cause, il n'en demeure pas moins que de principe, la précision figurant au paragraphe d) de cette annexe, disant que le résultat du calcul de ce taux est exprimé avec une exactitude d'au moins une décimale, est d'application générale. Dès lors, il appartient aux emprunteurs de démontrer que l'erreur alléguée entraîne un écart d'au moins une décimale entre le taux réel et le taux mentionné dans le contrat.

Il sera fait observer que monsieur X. et madame X. s'en tiennent à des généralités et à l'appui de leurs allégations ne proposent aucun recalcul du taux effectif global.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu l'absence de démonstration de ce que le taux effectif global « réel » aurait été supérieur à celui annoncé.

Au surplus il y a lieu d'approuver le tribunal en l'ensemble de sa motivation, précise et circonstanciée, et notamment son observation selon laquelle : « En l'espèce, il n'est établi par aucun calcul ou démonstration des demandeurs, que la prise en compte des intérêts et frais exposés pendant la période de préfinancement de 36 mois aurait pu avoir pour effet de minorer le taux effectif global, alors qu'il ressort de l'offre que cette phase de préfinancement n'est pas comprise dans la durée du prêt (de 300 mois) et qu'en la prenant en compte, les intérêts et frais auraient été certes plus élevés, mais qu'ils auraient aussi été lissés sur une période plus longue de 336 mois au lieu de 300 ».

Le jugement déféré est confirmé de ce premier chef relatif au calcul du taux effectif global.

 

4 - Sur le calcul des intérêts :

Monsieur X. et madame X. demandent à la cour, tout à la fois de :

« Prononcer la nullité de la clause d'intérêt figurant au contrat de prêt et dire que le taux légal devra être substitué au taux contractuel, les intérêts ayant été calculés sur la base d'une année bancaire de 360 jours et non sur l'année civile ;

Dire non écrite la stipulation d'intérêt, au regard de la recommandation de la Commission des Clauses Abusives susvisée ; »

En vertu des dispositions de l'article L. 132-1, devenu l'article L. 212-1, du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Or il est de principe que par application des dispositions combinées des articles 1907 alinéa 2 du code civil et L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 du code de la consommation, les intérêts conventionnels d'un prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doivent, comme le taux effectif global, être calculés sur la base de l'année civile sous peine de se voir substituer l'intérêt légal.

Ainsi, la clause litigieuse, rédigée ainsi : « Durant la phase d'amortissement les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours », est une clause illicite, et non d'une clause abusive.

En outre, à supposer encore qu'une telle clause entre dans le champ d'application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, monsieur X. et madame X. ne caractérisent pas en quoi elle créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs.

Comme précédemment indiqué, il est de principe que par application des dispositions combinées des articles 1907 alinéa 2 du code civil et L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 du code de la consommation, les intérêts conventionnels d'un prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doivent, comme le taux effectif global, être calculés sur la base de l'année civile sous peine de se voir substituer l'intérêt légal.

En l'espèce il n'est pas contesté, et il résulte de l'offre de prêt elle-même, que le prêt litigieux obéit au régime du crédit immobilier consenti à un consommateur ou à un non professionnel.

Contrairement à ce que soutiennent monsieur X. et madame X. la seule présence au contrat d'une clause stipulant que les intérêts conventionnels sont calculés sur une base annuelle de 360 jours n'emporte pas nécessairement nullité de la stipulation d'intérêts, et le juge est, pour le moins et en premier lieu, avant d'en déterminer la sanction, tenu de vérifier si cette clause a été effectivement appliquée, ou si à l'inverse les intérêts conventionnels n'ont pas été calculés sur la base d'une année civile, conformément aux textes précités.

Si au regard de la clause critiquée, monsieur X. et madame X. reprochent à la banque d'avoir calculé les intérêts conventionnels sur la base de l'année lombarde, il doit être cependant retenu que calculer les intérêts courus entre deux échéances sur la base d'un mois de 30 jours et d'une année de 360 jours est équipollent à calculer ces intérêts sur la base d'un mois normalisé et d'une année 365 jours, seule méthode correcte eu égard au code de la consommation ' en particulier l'article R. 313-1 et son annexe, qui s'applique y compris aux prêts immobiliers et que l'année de conclusion du contrat soit bissextile ou non.

Il s'ensuit que le calcul effectué tel que défini par la clause litigieuse « Durant la phase d'amortissement les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours » est néanmoins possiblement conforme aux dispositions légales et réglementaires, si tant est démontré, par le tableau d'amortissement et par l'application du taux d'intérêt à chaque période mensuelle de remboursement et par la conversion au taux journalier, que les intérêts conventionnels ont bien été calculés conformément aux exigences du code de la consommation ' ce qui précisément correspond au cas présent, comme explicité avec pertinence par la banque intimée, dans ses écritures (notamment pages 26 et 27) et n'est d'ailleurs pas utilement combattu par les appelants, lesquels ne rapportent nullement la preuve, qui leur incombe, d'un calcul lombard des échéances mensuelles complètes qui serait différent de celui effectué par la banque.

Certes si calculer les intérêts courus entre deux échéances sur la base d'un mois de 30 jours et d'une année de 360 jours est équipollent à calculer ces intérêts sur la base d'un mois normalisé et d'une année 365 jours, en revanche, le calcul des intérêts courus pendant un nombre de jours autre que trente, différera selon qu'il est rapporté à une année lombarde ou une année civile.

Pour autant, monsieur X. et madame X. ne se prévalent pas d'une erreur qui aurait affecté le calcul de l'échéance dite « brisée » courue entre la mise à disposition des fonds et la première échéance et par ailleurs la banque intimée justifie par son propre calcul page 27 de ses écritures que ces intérêts ont été calculés en jours exacts sur la base de l'année civile.

Le jugement déféré est donc également confirmé de ce second chef, relatif au mode de calcul des intérêts du prêt.

 

Sur les frais irrépétibles :

Il y a lieu de condamner monsieur X. et madame X. qui échouent dans leurs prétentions, aux entiers dépens d'appel, le jugement étant par ailleurs confirmé de ce chef, s'agissant des dépens de première instance.

Pour des raisons tenant à l'équité, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile il y a lieu de condamner monsieur X. et madame X. à payer à l'intimé la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a déclaré monsieur X. et madame X. irrecevables en leur demande de nullité de la stipulation d'intérêts,

et statuant à nouveau du chef infirmé,

les en déboute ;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE monsieur X. et madame X. de leur demande tendant à voir déclarer non écrite la clause de stipulation d'intérêts ;

CONDAMNE monsieur X. et madame X. à payer à la société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel ;

DÉBOUTE monsieur X. et madame X. de leur propre demande à ce titre ;

CONDAMNE monsieur X. et madame X. aux dépens d'appel.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT