CASS. CIV. 1re, 9 février 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9634
CASS. CIV. 1re, 9 février 2022 : pourvoi n° 21-11253 ; arrêt n° 143
Publication : Legifrance : Bull. civ.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 9 FÉVRIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : R 21-11.253. Arrêt n° 143 FS-B.
DEMANDEUR à la cassation : Monsieur X. - Société Ekip' es qualité de liquidateur judiciaire de la société Tagli'apau - Société Tagli'apau
DÉFENDEUR à la cassation : Société Amrest Holdings - Société La Tagliatella - Société Pastificio service SLU
Président : M. Chauvin. Avocat(s) : SCP Bénabent , SCP Didier et Pinet.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
1°/ M. X., domicilié [Adresse 3], 2°/ la société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, anciennement société [X] [H], dont le siège est [Adresse 2], représentée par M. [X] [H], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Tagli'apau, 3°/ la société Tagli'apau, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° R 21-11.253 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Pau (2e chambre civile, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Amrest Holdings SE, dont le siège est [Adresse 5]), 2°/ à la société La Tagliatella, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], 3°/ à la société Pastificio service SLU, dont le siège est [Adresse 6]), défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations écrites et les plaidoiries de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. X., de la société Ekip', ès qualités, et de la société Tagli'apau, de la SCP Didier et Pinet, avocat des sociétés Amrest holdings SE, La Tagliatella et Pastificio service SLU, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, conseillers, Mme Gargoullaud, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 5 novembre 2020), à la suite du retrait de leur demande d'arbitrage par la Chambre de commerce internationale (la CCI), faute pour les parties adverses de payer leur part de provision des frais d'arbitrage, M. X., dirigeant de la société Tagli'apau, et la société Ekip, en sa qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci, ont saisi le tribunal de commerce de Pau d'une demande en résiliation du contrat de franchise conclu par la société Tagli'apau avec la société Pastificio service, ainsi que la réparation de leur préjudice.
2. La société La Tagliatella, venant aux droits de la société Pastificio service, et sa société mère, la société Amrest Holdings, se sont prévalues de la clause d'arbitrage stipulée au contrat en faveur de la CCI.
Examen du moyen :
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé :
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable, et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
4. M. X., la société Tagli'apau et la société Ekip, ès qualités, font grief à l'arrêt d'accueillir l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés La Tagliatella et Amrest Holdings et, en conséquence, de décliner sa compétence, alors « que l'article 36 du règlement d'arbitrage de la CCI dispose que « la provision pour frais fixée par la Cour conformément au présent article 36, paragraphe 2, est due en parts égales par le demandeur et le défendeur » ; qu'en jugeant que « les intimées font justement valoir qu'en application de l'article 36 du Règlement d'arbitrage, la partie demanderesse à la procédure assume seule les frais de provisions » et en ajoutant que « ce même règlement leur permet de ne pas être contraintes d'assumer le paiement d'une provision » la cour d'appel a violé l'article 36 du règlement d'arbitrage de la CCI, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l'obligation pour le juge ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
5. Pour déclarer le tribunal de commerce incompétent au profit du tribunal arbitral, l'arrêt retient qu'en application de l'article 36 du règlement d'arbitrage de la CCI, la partie demanderesse à la procédure assume seule les frais de provisions.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
6. En statuant ainsi, alors que l'article 36 précité prévoit, en son paragraphe 2, que la provision pour frais fixée par la CCI est due en parts égales par le demandeur et le défendeur, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen
7. M. X., la société Tagli'apau et la société Ekip, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que les parties agissent avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; que la partie qui a paralysé la procédure arbitrale en refusant de régler sa part de provision pour les frais d'arbitrage n'est plus recevable à invoquer la compétence arbitrale pour décliner la compétence du juge étatique ; qu'après avoir été attraites devant le tribunal arbitral, et avoir paralysé la procédure arbitrale en refusant de régler la part de la provision leur incombant, les défenderesses, alors assignées devant la justice étatique, ont décliné la compétence du juge au profit de l'arbitre, aux frais duquel elles avaient pourtant refusé de participer ; qu'un tel comportement procédural déloyal les privait du droit d'invoquer la compétence arbitrale devant le juge étatique ; qu'en accueillant toutefois l'exception d'incompétence soulevée par les défenderesses, la cour d'appel a violé l'article 1464 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté procédurale. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le principe de loyauté procédurale régissant les parties à une convention d'arbitrage :
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
8. Pour déclarer le tribunal de commerce incompétent au profit du tribunal arbitral, l'arrêt retient encore que le règlement de la CCI ne prive pas les parties qui n'ont pas satisfait au versement des provisions de réintroduire ultérieurement une demande d'arbitrage, la clause compromissoire, auxquelles les parties ne sont pas réputées avoir renoncé, conservant ainsi tous ses effets.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
9. En statuant ainsi, alors que les sociétés Pastificio service, La Tagliatella et Amrest Holdings, qui avaient elles-mêmes provoqué le retrait de la demande d'arbitrage par la CCI en ne s'acquittant pas de la part de provision sur frais leur incombant, n'étaient pas recevables, pour décliner la compétence de la juridiction étatique, à invoquer la clause compromissoire, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne les sociétés Amrest Holdings, La Tagliatella et Pastificio service aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Amrest Holdings, La Tagliatella et Pastificio service et les condamne à payer à M. X., la société Tagli'apau et la société Ekip, ès qualités, la somme globale de 3.000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-deux.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. X., la société Tagli'apau et la société Ekip, ès qualités.
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Monsieur X., la société Tagli'apau et son liquidateur judiciaire, ès qualité, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés défenderesses et d'avoir, en conséquence, décliné sa compétence ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°/ ALORS QU'est abusive la clause qui crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en accueillant l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés défenderesses fondée sur l'existence d'une clause compromissoire, sans rechercher, au besoin d'office, si cette clause n'était pas abusive en ce que, imposée par le franchiseur au franchisé, elle entraînait l'obligation pour ce dernier, en cas de litige l'opposant à son franchiseur et de non-paiement par lui de sa part de provision, d'avancer d'importants frais d'arbitrage, faute de quoi ses demandes seraient retirées par le tribunal arbitral, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6-I-2° du code de commerce et 1131 du code civil dans leurs rédactions applicables à la cause ;
2°/ ALORS QUE lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en énonçant que « les parties qui ont présenté des demandes surévaluées peuvent être sanctionnées au moment de l'allocation des frais d'arbitrage » la cour d'appel, qui a décliné sa compétence, s'est prononcée par un motif impropre à justifier sa décision, violant ainsi l'article 1448 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE l'article 36 du règlement d'arbitrage de la CCI dispose que « la provision pour frais fixée par la Cour conformément au présent article 36, paragraphe 2, est due en parts égales par le demandeur et le défendeur » ; qu'en jugeant que « les intimées font justement valoir qu'en application de l'article 36 du Règlement d'arbitrage, la partie demanderesse à la procédure assume seule les frais de provisions » et en ajoutant que « ce même règlement leur permet de ne pas être contraintes d'assumer le paiement d'une provision » la cour d'appel a violé l'article 36 du règlement d'arbitrage de la CCI, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ ALORS QUE les parties agissent avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; que la partie qui a paralysé la procédure arbitrale en refusant de régler sa part de provision pour les frais d'arbitrage n'est plus recevable à invoquer la compétence arbitrale pour décliner la compétence du juge étatique ; qu'après avoir été attraites devant le tribunal arbitral, et avoir paralysé la procédure arbitrale en refusant de régler la part de la provision leur incombant, les défenderesses, alors assignées devant la justice étatique, ont décliné la compétence du juge au profit de l'arbitre, aux frais duquel elles avaient pourtant refusé de participer ; qu'un tel comportement procédural déloyal les privait du droit d'invoquer la compétence arbitrale devant le juge étatique ; qu'en accueillant toutefois l'exception d'incompétence soulevée par les défenderesses, la cour d'appel a violé l'article 1464 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté procédurale ;
5°/ ALORS QUE toute personne a le droit d'accéder à un tribunal pour faire valoir ses droits ; que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge, fût-il arbitral, chargé de statuer sur sa prétention, fonde la compétence du juge étatique ; que le demandeur qui voit ses demandes retirées par le tribunal arbitral à raison du défaut de paiement par le défendeur de sa part de provision, et à qui est opposée la compétence de ce tribunal devant le juge étatique, souffre d'un déni de justice ; que la cour d'appel, en déclinant sa compétence au profit du tribunal arbitral, alors même que le demandeur ne pouvait pas, à raison de son impécuniosité, avancer la part de provision due par son adversaire, le place dans une situation de déni de justice et viole ainsi l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.