CA RENNES (2e ch.), 3 juin 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9664
CA RENNES (2e ch.), 3 juin 2022 : RG n° 19/02759 ; arrêt n° 340
Publication : Jurica
Extrait : « Il convient de considérer en effet que la clause litigieuse n'est pas abusive quand elle prévoit que la déchéance du terme pourra être prononcée en cas de non-paiement des sommes exigibles en capital et intérêts, obligation essentielle du contrat de prêt, quinze jours après une mise en demeure par lettre recommandée. Une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives peut en effet être maintenue dès lors, qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n'affecte pas sa substance. Mme X. ne peut prétendre que le manquement est dénué de gravité alors qu'elle s'est abstenue de payer trois mensualités du prêt et qu'elle n'a pas offert de régulariser dans le délai imparti. Le moyen tiré du caractère abusif de la clause sera rejeté dès lors qu'elle ne fait pas naître, quant à la sanction mise en œuvre, un déséquilibre manifeste entre les obligations réciproques des parties au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 3 JUIN 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/02759. Arrêt n° 340. N° Portalis DBVL-V-B7D-PXDS.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
GREFFIER : Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 5 avril 2022
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 3 juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
Madame X.
[...], [...], Représentée par Maître Dominique DE F. de l'ASSOCIATION MONDRIAN AVOCATS ASSOCIATION PAGES DE F. BAKHOS CHEVALI ER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
LA CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE DE FRANCE
[...], [...], Représentée par Maître Chrystelle M. de la SCP M.-L.-S.-E.-C., postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC, Représentée par Maître Elise B. de la SCP W. B. T. B. D., plaidant, avocat au barreau de la SEINE SAINT DENIS
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant offre en date du 26 novembre 2009, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France a consenti à Mme X. un prêt immobilier d'un montant de 75.613,91 € remboursable en 240 mensualités au taux de 4,05 % l'an.
Suivant acte d'huissier en date du 15 juin 2018, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France a assigné Mme X. en paiement devant le tribunal de grande instance de Brest.
Suivant jugement en date du 13 mars 2019, le tribunal a :
- Condamné Mme X. à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Ile de France la somme de 59.063,24 € outre les intérêts au taux contractuel de 4,05 % l'an sur la somme de 55.315,39 € et les intérêts au taux légal sur le surplus à compter du 23 septembre 2017.
- Débouté la banque du surplus de ses demandes.
- Ordonné l'exécution provisoire.
- Condamné Mme X. aux dépens.
Suivant déclaration en date du 25 avril 2019, Mme X. a interjeté appel.
[*]
En ses dernières conclusions en date du 31 janvier 2022, Mme X. demande à la cour de :
- Infirmer le jugement déféré.
- Dire abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation la clause de déchéance du terme stipulée à l'article 18 du contrat de prêt.
- Dire que la banque ne peut se prévaloir de la déchéance du terme.
- Déclarer la banque irrecevable en sa demande.
À titre subsidiaire,
- Dire que la banque n'a pas respecté le délai de dix jours prévu à l'article L. 312-10 du code de la consommation.
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts.
- Ordonner l'imputation de tous les paiements réalisés sur le capital.
- Condamner la banque à lui payer à titre de dommages et intérêts une somme égale à ce qu'elle pourrait rester devoir.
- Ordonner la compensation de la créance indemnitaire avec les sommes qu'elle resterait éventuellement devoir à la banque.
- Débouter la banque de ses demandes.
À titre infiniment subsidiaire,
- Lui accorder un délai de paiement de vingt-quatre mois pendant lequel les sommes éventuellement dues ne produiront pas intérêt.
En tout état de cause,
- Condamner la banque à lui payer la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la banque aux dépens.
[*]
En ses dernières conclusions en date du 20 janvier 2022, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France demande à la cour de :
- Dire que la clause de déchéance du terme n'est pas abusive.
- Déclarer irrecevable comme prescrite la demande de déchéance du droit aux intérêts.
Subsidiairement,
- Débouter Mme X. de sa demande de déchéance du droit aux intérêts qu'elle ne peut en tout état de cause pas présenter sur le fondement de l'article L. 312-10 du code de la consommation dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016.
- Débouter Mme X. de sa demande de dommages et intérêts et de compensation.
- Rejeter la demande de délai de grâce.
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
- Condamner Mme X. à lui payer la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
- La condamner aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il est établi que Mme X. s'est montrée défaillante dans le remboursement du prêt souscrit auprès de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France laquelle a prononcé la déchéance du terme le 19 septembre 2017.
Mme X. fait valoir que la clause en vertu de laquelle la banque a prononcé la déchéance du terme est abusive et doit être réputée non écrite. Elle indique en effet que la clause prévoit que toute inobservation d'une obligation, sans distinguer selon qu'elle est grave ou mineure, est susceptible d'entraîner la résiliation du contrat et que la déchéance est présentée comme découlant automatiquement du non-paiement de toute somme exigible en capital, intérêts et autres accessoires. Elle rappelle que la Cour de justice de l'union européenne impose aux juges de contrôler que la faculté offerte au prêteur de prononcer la déchéance du terme, non seulement dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, mais encore qu'elle soit prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt. Elle ajoute que la Commission des clauses abusives dans un avis en date du 27 mai 2004 a recommandé que soient éliminées des contrats les clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues dès lors que l'emprunteur a méconnu une obligation quelconque même mineure résultant du contrat de prêt.
La banque objecte que l'avis de la Commission des clause abusives cité par l'appelante a été suivi d'un avis rendu le 24 février 2005 duquel il résulte ce que sont considérées comme abusives les clauses prévoyant la déchéance du terme pour une cause étrangère aux manquements par l'emprunteur à l'une de ses obligations essentielles. Elle ajoute que l'obligation de rembourser le prêt aux échéances convenues constitue l'obligation essentielle de l'emprunteur et que c'est précisément ce défaut d'exécution que la clause sanctionne. Elle considère que la clause ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et les obligations réciproques des parties. Elle rappelle que Mme X. s'est abstenue de régler trois mensualités du prêt, que suivant lettre recommandée en date du 8 août 2017 elle l'a mise en demeure de régulariser les échéances impayées à peine d'exigibilité de l'intégralité du prêt, et que faute de régularisation elle a prononcé la déchéance du terme le 19 septembre 2017.
[*]
Il convient de considérer en effet que la clause litigieuse n'est pas abusive quand elle prévoit que la déchéance du terme pourra être prononcée en cas de non-paiement des sommes exigibles en capital et intérêts, obligation essentielle du contrat de prêt, quinze jours après une mise en demeure par lettre recommandée. Une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives peut en effet être maintenue dès lors, qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n'affecte pas sa substance. Mme X. ne peut prétendre que le manquement est dénué de gravité alors qu'elle s'est abstenue de payer trois mensualités du prêt et qu'elle n'a pas offert de régulariser dans le délai imparti. Le moyen tiré du caractère abusif de la clause sera rejeté dès lors qu'elle ne fait pas naître, quant à la sanction mise en œuvre, un déséquilibre manifeste entre les obligations réciproques des parties au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.
Mme X. fait valoir par ailleurs qu'elle a acceptée l'offre de prêt le jour même de son émission et que la banque encourt de ce fait la déchéance du droit aux intérêts en application des articles L. 312-10 et L. 312-33 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à l'espèce. Elle ajoute que la déchéance du droit aux intérêts soulevée par voie d'exception est un moyen de défense qui n'est pas soumis à aucun délai de prescription.
La banque soutient qu'en matière de crédit immobilier, la prétention qui tend à la déchéance du droit aux intérêts du prêteur n'ayant pas observé le formalisme de l'offre est soumise à la prescription même présentée par voie d'exception. Elle ajoute que l'affirmation de Mme X. selon laquelle elle aurait accepté le jour même l'offre de prêt est mensongère. Elle indique que l'offre de prêt a été acceptée le 8 décembre 2009 et lui a été retournée par voie postale le jour même.
Mme X. soutient à bon droit que la violation alléguée des dispositions de L. 312-10 du code de la consommation constitue une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause. Il n'est pas discuté que l'offre de prêt a été émise le 26 novembre 2009. La banque démontre avoir reçu l'offre de prêt acceptée par Mme X. par courrier expédié le 8 décembre 2009. L'appelante a mentionné dans l'acte la date de réception de l'offre de prêt par voie postale à savoir le 27 novembre 2009. Il y a lieu de considérer qu'il a été satisfait aux dispositions des articles L. 312-7 et L 312-10 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à l'espèce.
Mme X. fait valoir enfin que la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France a fait obstruction de manière fautive à une demande de remboursement anticipé. Elle explique que la société Caisse de crédit agricole mutuel du Finistère avait accepté de financer le rachat du prêt.
La banque confirme que Mme X. a crédité son compte de la somme de 63.204,89 € entre le 7 avril et le 19 mai 2015 sans préciser l'origine des fonds et leur destination avant d'émettre un chèque d'un montant de 61 000 €. Elle note qu'elle est restée taisante pendant deux années et a poursuivi le remboursement du prêt. Elle rappelle que le banquier ne peut réaliser d'opération de son propre chef et qu'il incombait à l'appelante de lui notifier sa volonté de procéder au remboursement anticipé du prêt, conformément à l'article 11 du contrat de prêt, par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle confirme qu'elle n'a été saisie d'aucune demande.
Si Mme X. justifie avoir sollicité la communication d'un décompte de remboursement anticipé notamment par courriel du 17 janvier 2015, elle ne démontre pas avoir saisi la banque d'une demande effective de remboursement anticipé par lettre recommandée avec accusé de réception. Le fait de créditer la somme de 63 204,89 € sur son compte ne pouvait être considéré comme un remboursement anticipé en l'absence d'instruction formelle en ce sens. Dès lors, la demande de dommages-intérêts à l'encontre de la banque ne saurait prospérer en l'absence de faute avérée.
Mme X. a bénéficié du fait de la procédure de larges délais. Il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de délais de paiement.
Le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Les demandes de Mme X. seront rejetées.
Elle sera condamnée à payer à la banque la somme de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société M., L., S., E. & C.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Brest en date du 13 mars 2019 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne Mme X. à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France la somme de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme X. aux dépens de la procédure d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société M., L., S., E. & C.
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5738 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Modalités - Suppression partielle
- 6622 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Griefs généraux