CA MONTPELLIER (ch. com.), 21 novembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10539
CA MONTPELLIER (ch. com.), 21 novembre 2023 : RG n° 21/04037
Publication : Judilibre
Extrait : « Il en résulte que l'exclusion de garantie, résultant d'une fermeture administrative consécutive à une épidémie, lorsque la fermeture n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve localisé, ne vide pas de sa substance l'extension de la garantie des pertes d'exploitation souscrite. La contrepartie au versement des primes n'est pas illusoire ou dérisoire, la fermeture administrative isolée de l'établissement assuré pour l'un des cas énoncés à l'extension de garantie étant un évènement possible, probable, qui correspond à un risque aléatoire assurable et mobilisant la garantie perte d'exploitation. Les situations entraînant la mise en jeu de cette extension étant réelles, la clause est valable ; elle n'encourt pas la nullité.
Elle ne prive pas le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
Si la police d'assurance souscrite est un contrat d'adhésion, l'appréciation du déséquilibre significatif, invoqué par la société Aureval, ne peut porter, conformément aux dispositions de l'article 1171 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ni sur l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix à la prestation. En l'espèce, la clause d'exclusion, formelle et limitée, tend à délimiter le risque assuré et l'engagement de la société Axa, sans caractériser, eu égard aux considérations ci-dessus développées, une absence de contrepartie, susceptible de générer un tel déséquilibre.
En définitive, il appert que la commune intention des parties, lors de la conclusion du contrat d'assurance, était de couvrir le risque d'une fermeture administrative temporaire, individuelle, consécutive à une épidémie au sein de l'établissement assuré, et non celui de fermetures collectives.
En conséquence, la demande de la société Aureval tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnel eu égard à son supposé caractère non limité, sera rejetée ainsi que toutes ses demandes subséquentes. »
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/04037. N° Portalis DBVK-V-B7F-PBVJ. Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 MAI 2021, TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN : R.G. n° 2020J00238.
APPELANTE :
SA AXA FRANCE IARD
représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1], [Localité 4], Représentée par Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représentée par Maître Hugo JARRY, avocat au barreau de PARIS substituant Maître Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMÉE :
SARL AUREVAL à l'enseigne « La R. »
prise en la personne de son représentant légal en exercice [Adresse 3], [Localité 2], Représentée par Maître Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 26 septembre 2023
COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 OCTOBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de : Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère, M. Thibault GRAFFIN, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; - signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
La SARL Aureval, immatriculée le 10 octobre 2016, exploite un fonds de commerce de bar, restaurant, brasserie, glacier, sous l'enseigne « la R. », situé [Adresse 3] à [Localité 2].
Elle a souscrit par acte sous seing privé en date du 17 octobre 2016, prenant effet le 1er octobre précédent pour une durée d'un an, tacitement renouvelable, auprès de la SA Axa France Iard (la société Axa), une police d'assurance (conditions générales n°690200 O) multirisque professionnelle n° 7331767204 aux termes de laquelle sont garanties les conséquences financières de l'arrêt de l'activité professionnelle déclarée par l'assuré au titre, notamment, des pertes d'exploitation (article 2.1).
Aux termes de deux arrêtés pris les 14 et 15 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, il a été interdit aux restaurants et débits de boissons, d'accueillir le public, sauf pour les activités de livraison et vente à emporter, pour lutter contre la propagation dudit virus.
Par lettre recommandée avis de réception signé le 27 mai 2020, la société Aureval a sollicité la mise en jeu de la « garantie perte d'exploitation suite à fermeture administrative en raison de la fermeture des restaurants, imposée par le pouvoir exécutif dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire », auprès de son assureur, lequel a dénié toute garantie.
Elle a, par lettre recommandée avec avis de réception signé le 17 août 2020, réitéré sa demande de mobilisation de la garantie perte d'exploitation, à laquelle, en réponse, par lettre du 24 août 2020, la société Axa a confirmé sa position au regard de la clause d'exclusion contractuelle.
Aux termes d'un décret n° 2020-1310 pris le 29 octobre 2020 du Premier ministre prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, il a, de nouveau, été interdit aux restaurants d'accueillir le public.
Par lettre recommandée avec avis de réception signé le 24 novembre 2020, la société Aureval a effectué une seconde déclaration de sinistre auprès de la société Axa au titre de la même garantie.
Saisi, entretemps, par acte d'huissier en date du 24 septembre 2020 délivré par la société Aureval, le tribunal de commerce de Perpignan a, par jugement du 25 mai 2021, a :
- vu les articles 113-1 du code des assurances et 1190 et 1192 du code civil, dit que la clause d'exclusion est réputée non-écrite, et qu'ainsi la garantie « protection financière » est acquise à la SARL Aureval pour les pertes d'exploitation subies du fait des mesures de fermeture administrative de 2020 à 2021 ;
- condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL Aureval la somme de 81.500 euros, à titre de provision sur l'indemnité due,
- ordonné une mesure d'expertise confiée à M. X. (…), avec pour mission :
- d'entendre les parties, et se faire communiquer tout document nécessaire au litige,
- de fixer un calendrier en vue de remettre un rapport avant le 25 novembre 2021,
- de chiffrer l'indemnité due par la SA Axa France Iard, dans le strict respect des règles fixées par le contrat d'assurance qui lie les parties, pour la période de fermeture administrative du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, puis celle du 30 octobre 2020 jusqu'à la date décidée par les autorités de réouverture et d'utilisation de l'intégralité des installations du restaurant,
- dit que l'expert pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix,
- dit que le rapport devra être déposé avant le 25 novembre 2021,
- ordonné le versement de la provision sur les honoraires, à hauteur de 3 000 euros aux frais avancés de la SARL Aureval,
- dit que cette consignation devra intervenir avant le 25 juin 2021,
- dit que faute de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque, à moins que le juge ne décide d'une prorogation de délai, ou un relevé de caducité, et il sera fait application des dispositions de l'article 271 du code de procédure civile, notamment que le tribunal tirera toutes les conséquences de l'abstention ou du refus de consigner,
- dit que M. le greffier informera l'expert de la consignation intervenue,
- dit que l'expert pourra, s'il estime la provision insuffisante, présenter dans un délai de quatre mois à compter la consignation une estimation de ses frais et rémunération, permettant au tribunal d'ordonner éventuellement la consignation au greffe d'une provision supplémentaire,
- autorisé les parties à retirer au greffe leur dossier au greffe pour être par elles communiqué à l'expert,
- dit qu'en l'application de l'article 275 du code de procédure civile, le tribunal tirera toutes les conséquences de droit du défaut de communication des documents à l'expert,
- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part il sera à la requête de la partie la plus diligente, procédé à son remplacement par ordonnance de M. le juge chargé du contrôle des opérations d'expertise,
- dit que l'expert informera le juge de l'avancement des opérations et des diligences par lui accomplies,
- désigné M. Y., en qualité de juge chargé du contrôle des opérations d'expertise,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du lundi 6 octobre 2021 à 14h30, afin que les parties soient entendues conformément aux dispositions de l'article 153 du code de procédure civile,
- dit que la présente décision tient lieu de convocation,
- réservé l'article 700 du code de procédure civile et les dépens en fin de cause, sauf frais de greffe liquidés selon tarif en vigueur.
Par déclaration du 23 juin 2021, la société Axa a relevé appel de ce jugement.
[*]
Par conclusions du 23 septembre 2021, la société Axa demande à la cour, au visa des articles 1103, 1170 et 1188 du code civil et des articles L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances de :
- déclarer recevable et bien-fondé son appel et, y faisant droit :
- à titre principal, infirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion ;
- statuant à nouveau,
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;
- juger que la clause d'exclusion est limitée, ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle de sa substance ;
- en conséquence, déclarer applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitations consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ;
- débouter la société Aureval de l'intégralité de ses demandes de condamnation à son encontre et lui restituer les sommes perçues en vertu du jugement du 25 mai 2021 rendu par le tribunal de commerce de Perpignan ;
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Perpignan ;
- à titre subsidiaire, fixer la mission de l'expert désigné par le tribunal comme suit :
- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;
- entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
- examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur les périodes d'indemnisation consécutives aux fermetures de l'établissement et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;
- donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires ' charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées ;
- donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée ;
- donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020,
- et en tout état de cause, débouter la société Aureval de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Aureval à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, elle fait en substance valoir les moyens suivants :
- la clause d'exclusion litigieuse figurait de façon visible, sans ambiguïté, dans le contrat qui a été souscrit par la société Aureval et il appartient à l'assurée de lire le contrat avant d'y souscrire,
- la clause d'exclusion litigieuse respecte le caractère formel exigé, comporte des termes clairs et ne souffre d'aucune interprétation possible permettant d'instaurer le doute chez l'assuré,
- la formulation est claire, les termes « quelle que soit sa nature et son activité » permettent de comprendre l'étendue de l'exclusion,
- l'assurée, en sa qualité de professionnelle, connaissait les périls sanitaires liés à son exploitation, susceptibles de se traduire par une fermeture administrative individuelle, et notamment les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) et n'a pu se méprendre sur la portée de la clause d'exclusion,
- l'absence de définition du terme « épidémie » (qui est seulement employé dans les conditions de garantie) n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion, car celui-ci est indifférent à sa compréhension, une épidémie ne constitue pas le critère d'application de la clause d'exclusion, les critères d'application étant le nombre (plus d'un établissement fermé administrativement), le lieu (appréciation à l'échelle d'un département) et la cause identique,
- les termes « cause identique » sont clairs et précis et il n'y a pas besoin de définir les causes de fermeture, dont l'épidémie, pour comprendre le sens de la clause d'exclusion,
- l'extension de garantie souscrite ne constitue pas une garantie contre le risque d'une épidémie mais conte le risque d'une fermeture administrative où le seul critère d'application de la clause d'exclusion réside dans le périmètre de la fermeture administrative,
- sa proposition d'avenant pour insérer aux contrats une clause d'exclusion relative à l'épidémie, la pandémie et la maladie contagieuse, ne remet pas en cause la clarté de la clause d'exclusion, elle n'est que le fruit d'une reconsidération des risques liés aux épidémies par l'ensemble des acteurs du marché de l'assurance et de la réassurance,
- la clause d'exclusion litigieuse vient seulement limiter la garantie du risque, étant la perte d'exploitation consécutive à une fermeture administrative causée par une épidémie, et cette clause ne prive pas de sa substance l'obligation à laquelle elle s'est engagée en tant que débiteur,
- le débat sur la définition du mot « épidémie » est sans pertinence sur l'appréciation du caractère formel de la clause d'exclusion, dès lors que le risque assuré est celui d'une fermeture administrative et non un risque épidémique et que la couverture de ce risque est clairement limitée à la nature isolée de cette fermeture administrative,
- le risque assuré est la fermeture administrative et non la survenance d'une épidémie,
- le caractère limité d'une clause d'exclusion doit s'apprécier non pas en considération de ce qu'elle exclut, mais de ce qu'elle garantit après sa mise en œuvre, il doit s'apprécier au regard des cinq événements susceptibles d'entraîner une fermeture administrative et, au demeurant, une épidémie, telles que celles causées par une TIAC peut donner lieu à la fermeture d'un seul établissement,
- une épidémie peut entraîner la fermeture administrative d'un seul établissement sur le département, le risque assuré est alors probable et même en étant improbable, ceci ne serait pas de nature à priver le caractère limité de la clause,
- le risque de fermeture individuelle d'un établissement pour cause d'épidémie est une réalité (légionellose, salmonellose, listériose, fièvre typhoïde, grippe aviaire) de sorte que la clause d'exclusion limitant la couverture d'assurance ne vide pas la garantie de sa substance,
- les autorités compétentes ont le pouvoir d'adapter les mesures aux risques encourus,
- la preuve des conditions d'application de l'exclusion pèse sur l'assureur, elle est rapportée eu égard aux mesures gouvernementales, la preuve de la validité de la clause d'exclusion pèse sur l'assuré,
- la clause d'exclusion limitant la couverture d'assurance à un risque même improbable (contesté en l'espèce) ne vide pas la garantie de sa substance,
- la garantie a vocation à être mobilisée lorsque le foyer d'une épidémie se trouve à l'extérieur de l'établissement assuré, l'existence de cluster est une réalité,
- la commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé aux risques biologiques (41 % de TIAC en restauration commerciale) et non de couvrir le risque d''une fermeture généralisée (risque totalement imprévisible),
- les notions de maladie contagieuse, intoxication et épidémie peuvent se recouper ou être dissociées dans un sens de garantie plus large pour l'assuré,
- les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture collective de nombreux établissements, constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d'une garantie individuelle de droit privé,
- la mission confiée à l'expert judiciaire ne permet pas de calculer les pertes de marge brute conformément à la méthodologie de calcul du contrat d'assurance souscrit, ce dernier n'a tenu compte ni des facteurs externes (baisse générale de l'activité économique) ayant pu avoir une influence sur le chiffre d'affaires réalisé, ni des résultats des exercices antérieurs au titre de la même période, ni des charges variables, qui n'ont pas été supportées durant la fermeture et ni des aides ou subventions d'Etat perçues par l'assurée.
[*]
Par conclusions du 15 décembre 2021, la société Aureval demande à la cour, au visa des articles 6, 1103 et 1104, 1131, 1170, 1189 et 1190 du code civil, de l'article L. 113-1 du code des assurances et de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il dit que la clause d'exclusion est réputée non-écrite, et qu'ainsi, la garantie « protection financière » lui est acquise pour les pertes d'exploitation subies du fait des mesures de fermeture administrative de 2020 et 2021,
- en conséquence, condamner la société Axa à l'indemniser des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période allant de mars à juin 2020,
- condamner la société Axa à l'indemniser des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période à compter du mois d'octobre 2020 à janvier 2021,
- condamner la société Axa à l'indemniser des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite ã la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période à compter du mois de janvier 2021 à juin 2021,
- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Perpignan afin d'évaluer le quantum des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour les périodes allant du 15 mars 2020 au 1er juin 2020 ; du 30 octobre 2020 au 26 juin 2021,
- et en toutes hypothèses, condamner la société Axa au versement de la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Axa aux entiers dépens de l'instance.
La société Aureval expose en substance les moyens suivants :
- les conditions de la garantie « perte d'exploitation » sont réunies,
- la clause d'exclusion est nulle comme contraire aux dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances,
- le contrat d'assurance est un contrat d'adhésion, la clause d'exclusion est non écrite en application des articles 1170 et 1171 du code civil ; le déséquilibre significatif est constaté lorsque l'assuré souscrit une assurance pour la prise en charge de risques et que l'assureur, lorsque le risque se réalise, ne l'indemnise pas,
- le contrat doit être interprété en sa faveur,
- la clause litigieuse n'est ni formelle, ni limitée, puisqu'elle n'est ni claire, ni précise, elle se réfère à des critères imprécis ou des hypothèses non limitativement énumérées ou identifiables, lorsqu'elle mentionne la notion d'établissement (entité recoupant des notions diverses) alors qu'elle-même n'a qu'un seul établissement et ne peut être concernée par la clause ou la notion de territoire départemental,
- les discussions juridiques existantes démontrent qu'elle doit être interprétée,
- elle est vidée de sa substance, car une épidémie concerne par définition une zone étendue et un grand nombre de personnes et ne peut être limitée à un seul établissement,
- le terme épidémie n'est pas défini et la définition médicale dont se prévaut l'assureur ne peut lui être opposée,
- l'avenant démontre que l'épidémie était couverte auparavant.
[*]
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 26 septembre 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 - Sur la validité de la clause d'exclusion :
Le contrat souscrit par la société Aureval auprès de l'assureur Axa prévoit au titre des conditions particulières, en pages 8 et 9, l'extension de garantie intitulée « PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE » aux termes de laquelle :
« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1- La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même
2- La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.
Durée et limite de la garantie
La garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.
Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.
L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés.
SONT EXCLUES
- LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, À LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ÉTABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L'OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ÉTABLISSEMENT ASSURÉ, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE. ».
Le contrat d'assurance couvre ainsi le risque de pertes d'exploitation de l'activité déclarée et, dans le cadre d'une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture administrative provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré, consécutive à cinq cas limitativement énumérés, dont l'épidémie.
Les conditions de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire de l'établissement assuré sont donc réunies.
Concernant l'exclusion d'une garantie, il convient de rappeler que l'article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Une clause d'exclusion est formelle, lorsqu'elle est claire et précise.
Une clause d'exclusion de garantie n'est pas formelle et limitée lorsqu'elle doit être interprétée.
De même, une clause d'exclusion n'est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément, également, aux dispositions de l'article 1170 du code civil, issues de l'ordonnance n° 131-2016 du 10 février 2016.
Il convient de relever en premier lieu que la clause d'exclusion litigieuse figure aux conditions particulières de la police souscrite, en caractères très apparents, étant rédigée en lettres majuscules, au sein d'un paragraphe rédigé en lettres minuscules, intitulé « PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE », conformément aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances.
L'absence de définition du terme « épidémie » dans le contrat n'empêche pas une telle clause d'être claire et précise dans la mesure où en l'espèce, l'analyse du terme « épidémie » permet seulement d'expliciter son sens, sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d'exclusion pour pallier un prétendu caractère inintelligible.
Cette absence de définition du terme « épidémie » et de précision quant à son origine, sa nature et son étendue, est favorable à l'assuré.
La clause d'exclusion ne comprend aucun terme ou expression relevant d'un vocabulaire spécialisé.
Les termes « cause identique », s'agissant de la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements (susceptibles d'être également fermés), ne sont pas imprécis en ce qu'ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré (soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication).
Il doit être observé à cet égard que la fermeture d'un ou plusieurs autre(s) établissement(s) ne doit pas être nécessairement antérieure à la fermeture administrative en cause, mais que compte tenu de l'usage de l'indicatif présent (« fait l'objet »), elle peut lui être concomitante.
De même, il convient de relever qu’« un autre établissement » ne signifie pas « un autre de vos établissements », de sorte que sont visées tant les fermetures, le cas échéant, d'un autre établissement de l'assuré, s'il en a plusieurs, que d'autre (s) établissement(s) d'un tiers.
L'exclusion est, dès lors, dépourvue d'ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives ayant une origine ou un fondement identique.
L'appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à en annuler les effets, doit se faire au regard du risque couvert.
Le caractère limité d'une clause d'exclusion s'apprécie non point en considération de ce qu'elle exclut, mais en considération de ce qu'elle garantit après sa mise en œuvre.
En l'espèce, l'exclusion tenant à une mesure de fermeture administrative collective, conséquence d'une épidémie, ne fait pas obstacle à la garantie des pertes d'exploitation subies par l'activité assurée, lorsque la décision de fermeture administrative découle des autres causes contractuellement prévues.
Le contrat d'assurance ne couvre pas le risque de la survenance d'une épidémie, mais celui d'une fermeture administrative découlant d'une épidémie.
Une telle fermeture relève d'une décision de l'autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut être adaptée et varier et ce, au visa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en l'espèce, qui prévoit la prescription de «toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », en ce compris des mesures individuelles.
Il appartient à l'assureur de démontrer qu'un autre établissement, situé dans le même département, fait l'objet d'une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui, à défaut, permet de mobiliser sa garantie.
De même, celle-ci sera due si cette fermeture, y compris pour une cause identique, concerne un autre département.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l'identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l'exclusion de garantie ne s'appliquera pas, et la garantie demeure mobilisable.
Concernant les motifs tels que l'intoxication, la maladie contagieuse et l'épidémie, la distinction faite est favorable à l'assuré, puisque ces trois évènements ne recouvrent pas une même réalité.
L'assureur démontre, par ailleurs, en versant une documentation circonstanciée, que la fermeture administrative d'un seul établissement, dans un même département, fondée sur des cas de salmonellose, de listériose, de légionellose (qui ne sont pas des maladies contagieuses), de grippe aviaire, ou de fièvre typhoïde, conduisant à des épidémies, s'agissant de l'augmentation brutale de cas de maladie au sein d'une communauté, d'une collectivité, ou d'un lieu de travail, ou présentant un simple risque épidémique, est déjà advenue.
Il est établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale), alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner de la même manière une fermeture administrative individuelle du foyer épidémique.
L'épidémie de covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu'un cas d'épidémie et qu'un motif de fermeture administrative parmi d'autres, pour lequel ladite fermeture, qui a été collective, n'est pas garantie par la police souscrite.
La proposition faite par la société Axa à l'assuré d'un avenant qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est inopérante sur l'analyse du contrat litigieux, sauf à témoigner, à l'opposé, que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la covid-19.
Il en résulte que l'exclusion de garantie, résultant d'une fermeture administrative consécutive à une épidémie, lorsque la fermeture n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve localisé, ne vide pas de sa substance l'extension de la garantie des pertes d'exploitation souscrite.
La contrepartie au versement des primes n'est pas illusoire ou dérisoire, la fermeture administrative isolée de l'établissement assuré pour l'un des cas énoncés à l'extension de garantie étant un évènement possible, probable, qui correspond à un risque aléatoire assurable et mobilisant la garantie perte d'exploitation.
Les situations entraînant la mise en jeu de cette extension étant réelles, la clause est valable ; elle n'encourt pas la nullité.
Elle ne prive pas le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
Si la police d'assurance souscrite est un contrat d'adhésion, l'appréciation du déséquilibre significatif, invoqué par la société Aureval, ne peut porter, conformément aux dispositions de l'article 1171 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ni sur l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix à la prestation. En l'espèce, la clause d'exclusion, formelle et limitée, tend à délimiter le risque assuré et l'engagement de la société Axa, sans caractériser, eu égard aux considérations ci-dessus développées, une absence de contrepartie, susceptible de générer un tel déséquilibre.
En définitive, il appert que la commune intention des parties, lors de la conclusion du contrat d'assurance, était de couvrir le risque d'une fermeture administrative temporaire, individuelle, consécutive à une épidémie au sein de l'établissement assuré, et non celui de fermetures collectives.
En conséquence, la demande de la société Aureval tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnel eu égard à son supposé caractère non limité, sera rejetée ainsi que toutes ses demandes subséquentes.
Le jugement déféré ayant fait droit aux demandes de l'assuré sera donc entièrement réformé, sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la mesure d'expertise ayant été ordonnée, étant rappelé que le présent arrêt infirmatif constitue le titre exécutoire ouvrant droit à la restitution des sommes versées au titre de l'exécution de cette décision.
2 - Sur les autres demandes :
Succombant sur son appel, la société Aureval, sera condamnée aux dépens sans que ni l'équité, ni aucune considération d'ordre économique ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la SARL Aureval de toutes ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la mesure d'expertise judiciaire,
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,
Condamne la SARL Aureval aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier le président
- 6390 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs - Obligation essentielle
- 8261 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 -Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Domaine d'application
- 8395 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Notion de clause abusive – Clauses portant sur l’objet principal et l’adéquation au prix
- 9749 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Présentation par contrat – Assurance