CA METZ (ch. com.), 14 décembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10625
CA METZ (ch. com.), 14 décembre 2023 : RG n° 19/01052 ; arrêt n° 23/00229
Publication : Judilibre ; JurisData n° 2023-023003
Extraits : 1/ « En l'espèce la clause de l'article 15-1 de l'acte notarié du 30 septembre 2003, portant contrat de prêt, prévoit que « les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble à la banque sans formalité ni mise en demeure, nonobstant les termes et délais éventuellement fixés dans l'un des cas suivants : - si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours avec le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires, - (...) »
Cette clause ne fixe pas les prestations essentielles du contrat, ne relève pas de la notion d'objet principal du contrat et ne porte pas sur l'adéquation de la rémunération de la banque au service fourni au consommateur.
Par ailleurs cette clause n'a pas fait l'objet d'une négociation individuelle, et l'établissement prêteur ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que cette clause soit acceptée par le consommateur dans le cadre d'une négociation individuelle et loyale. En effet il est dans l'intérêt légitime du consommateur qui n'a pas payé une ou plusieurs échéances de se voir interpeller par une mise en demeure, et de disposer d'un délai raisonnable de règlement pour faire obstacle à l'exigibilité immédiate du capital restant dû, et pour éviter ainsi une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.
En définitive cette clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt sans mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées et sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. Il s'agit d'une clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version applicable en la cause, qui est réputée non écrite. »
2/ « L'échéance de juin 2014 est devenue exigible à compter du 10 juillet 2014 conformément au plan d'apurement convenu, et n'était pas visée par la lettre de mise en demeure du 3 juillet 2014.
Le Crédit Mutuel devait donc adresser aux emprunteurs après le 10 juillet 2014 une autre lettre de mise en demeure pour l'échéance impayée de juin 2014. Or l'établissement prêteur ne prétend pas, et ne démontre pas, avoir adressé une seconde mise en demeure mentionnant le montant de nouvelles échéances impayées et leur annonçant qu'à défaut de règlement la déchéance du terme serait prononcée. Force est de constater que la lettre du 6 août 2014 n'annonce pas l'exigibilité immédiate du solde du prêt à défaut de paiement des échéances de juin, juillet et août pour le 10 août 2014, et qu'en outre, si cette lettre est produite par les deux parties, il n'est pas démontré qu'elle avait été expédiée aux emprunteurs à l'époque, ni le cas échéant à quelle date. En particulier il n'est pas produit d'avis de réception, ni de récépissé d'envoi en recommandé. La lettre simple du 6 août 2014, qui n'évoquait pas l'intention du prêteur de se prévaloir de l'exigibilité immédiate des sommes restant dues, n'était pas de nature à faire produire effet à la clause de résiliation de plein droit. Par ailleurs l'assignation de la banque ne vaut pas mise en demeure. En définitive il n'y a pas eu déchéance régulière du terme. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/01052. Arrêt n° 23/00229. N° Portalis DBVS-V-B7D-FAL3. Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de METZ, décision attaquée en date du 21 Mars 2019, enregistrée sous le n° 17/02800.
APPELANTS :
Monsieur X.
[Adresse 4], [Localité 3], Représenté par Maître François RIGO, avocat au barreau de METZ
Madame Y. épouse X.
[Adresse 4], [Localité 3], Représentée par Maître François RIGO, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
Caisse de Crédit Mutuel DE [Localité 2] [Localité 5]
Prise en la personne de son représentant légal. [Adresse 1], [Localité 2], Représentée par Maître Laurent ZACHAYUS, avocat au barreau de METZ
DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 7 septembre 2023 tenue par Mme Anne-Yvonne FLORES et par Mme Claire DUSSAUD, Magistrats en double rapporteurs, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 14 décembre 2023.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Saida LACHGUER
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT, Conseillère ; Mme DUSSAUD, Conseillère
ARRÊT : Contradictoire ; Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme LACHGUER, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Aux termes d'un acte notarié daté du 30 septembre 2003, M. X. et Mme Y., épouse X., ont contracté un prêt MODULIMMO de 98.700,00 euros auprès de l'association coopérative à responsabilité limitée Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] [Localité 5] (le Crédit Mutuel), en vue de l'acquisition de leur maison d'habitation, remboursable selon un taux d'intérêt contractuel annuel révisable de 4,30 %.
Les emprunteurs ont connu des difficultés de règlement courant 2014.
Par courriers du 18 septembre 2014, le Crédit Mutuel a prononcé la déchéance du terme du crédit et a mis M. et Mme X. en demeure de régler la somme de 91.579,06 euros selon décompte arrêté à cette date.
M. et Mme X. ont saisi le juge des référés du tribunal d'instance de Metz qui, par ordonnance en date du 10 novembre 2015, signifiée le 8 décembre 2015, a ordonné la suspension du remboursement du prêt pour une période de 12 mois à compter de la signification de l'ordonnance, dit que les sommes prêtées au titre du contrat ne produiraient aucun intérêts pendant la limite de 12 mois, rappelé que les pénalités et majorations de retard cesseraient d'être dues durant ce délai de 12 mois, dit que les mensualités dont le paiement aura été suspendu seront payables dans la limite de 12 mois à compter du terme contractuel prévu par le prêt, dit que l'application de la décision ne pourra donner lieu à déclaration et inscription au fichier des incidents de paiement et condamné la banque à verser aux emprunteurs la somme de 350 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens.
Par acte d'huissier délivré le 10 août 2016, le Crédit Mutuel a fait assigner M. et Mme X. devant le tribunal d'instance de Metz aux fins, à titre principal, de les voir condamnés in solidum ou solidairement à lui payer la somme de 84.731,65 euros au titre du prêt Modulimmo, selon décompte arrêté le 2 février 2015, outre les intérêts et frais conventionnels postérieurs jusqu'à complet paiement.
Par jugement du 26 septembre 2017, le tribunal d'instance s'est déclaré matériellement incompétent et a renvoyé l'affaire et les parties devant le tribunal de grande instance de Metz. M. et Mme X. ont conclu au rejet des demandes de la banque.
Par jugement en date du 21 mars 2019, le tribunal de grande instance de Metz a :
- Condamné solidairement M. X. et Mme X. née Y. à régler à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5], au titre du prêt hypothécaire N°XXX dénommé Modulimmo, la somme de 84.731,65 euros :
* outre intérêts au taux contractuel de 4,25% l'an sur la somme de 80 119,89 euros du 13 février 2015 au 9 novembre 2015, puis à compter du 9 décembre 2016 jusqu'à complet paiement,
* outre intérêts au taux contractuel de 0,686 % l'an sur la somme de 142,39 euros représentant l'assurance du 13 février 2015 au 9 novembre 2015 puis à compter du 9 décembre 2016 jusqu'à complet paiement ;
- Jugé que les intérêts échus des capitaux résultant de la condamnation peuvent produire des intérêts pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière comme il est dit à l'article 1343-2 du code civil ;
- Débouté M. X. et Mme X. née Y. de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- Condamné in solidum M. X. et Mme X. née Y. aux dépens ainsi qu'à régler in solidum à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté M. X. et Mme X. née Y. de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Prononcé l'exécution provisoire du présent jugement.
Pour statuer ainsi, le tribunal a tout d'abord rappelé que l'ordonnance du juge des référés ordonnant la suspension du remboursement du prêt immobilier avait pris fin dans les douze mois de sa signification, soit le 8 décembre 2016, de sorte qu'à compter de cette date, la déchéance du terme avait repris effet et la totalité de la dette était devenue immédiatement exigible sauf à déduire les sommes que les débiteurs auraient payé depuis sa survenance. Il a donc retenu que M. et Mme X. ne pouvaient reprocher au prêteur de ne pas avoir prononcé une nouvelle déchéance du terme du prêt postérieurement aux délais accordés. Le tribunal a par conséquent jugé qu'étaient exigibles les sommes figurant au décompte produit par le Crédit Mutuel, arrêté au 12 février 2015, non contestées par M. et Mme X. et que, déduction faite des versements effectués par les emprunteurs, ceux-ci étaient redevables d'une somme de 80 119,89 euros, outre intérêts, sauf période de suspension de leur cours par le juge des référés.
Enfin, statuant sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts présentée par M. et Mme X., le tribunal a relevé que les griefs présentés par ces derniers quant à un refus du Crédit Mutuel de procéder à leur défichage FICP, ou quant aux demandes insistantes au sujet de la régularisation des impayés, étaient sans rapport avec le préjudice allégué qui résulterait d'une procédure abusive engagée par le prêteur, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'y faire droit. Le tribunal a également considéré que, le Crédit Mutuel ayant démontré le bien-fondé de sa créance, son action en justice ne pouvait être considérée comme abusive.
Par déclaration de leur conseil enregistrée auprès du greffe de la Cour le 24 avril 2019, M. et Mme X. ont interjeté appel du jugement.
Par arrêt mixte du 25 janvier 2022 la cour d'appel de Metz a statué comme suit :
« - Écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande relative au caractère réputé non écrit de la clause de variabilité du taux d'intérêts ;
- Déboute M. et Mme X. de leur demande tendant à voir réputée non-écrite la clause de variabilité du taux d'intérêts ;
- Déclare prescrite la demande subsidiaire en nullité de la clause de variabilité du taux d'intérêts ;
Avant-dire droit sur le surplus des demandes,
- Relève d'office le moyen tiré de l'éventuel caractère abusif, au sens des articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 et de l'article L. 132-1 du code de la consommation applicable au contrat de prêt, de la clause stipulée à l'article 15-1 du contrat de prêt prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée sans mise en demeure préalable par le prêteur en cas de retard de paiement de plus de trente jours ;
- Invite les parties à formuler leurs observations sur ce point ainsi que sur l'incidence sur le présent litige des questions préjudicielles posées à la CJUE par la première chambre civile de la Cour de Cassation dans son arrêt du 16 juin 2021.
- Renvoie l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du 10 mars 2022 à 15 heures ;
Réserve le surplus des demandes et les dépens. »
[*]
Par dernières conclusions du 30 novembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] souhaite voir :
« Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Céans en date du 25 janvier 2022 qui débouté les époux X. de leur demande tendant à voir réputée non-écrite la clause de variabilité des intérêts et déclaré prescrite leur demande subsidiaire en nullité de clause de variabilité du taux d'intérêts,
- DIRE n'y avoir lieu à sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la CJUE aux questions préjudicielles posées par la Cour de Cassation au terme de son arrêt en date du 16 juin 2021
- DÉCLARER que la Cour n'est pas saisie d'une prétention au titre du caractère abusif ou nulle de la clause contenue à l'article 15-1 du contrat de prêt,
- RECEVOIR en la forme l'appel interjeté par Monsieur X. et Madame X. contre le jugement rendu le 29 mars 2019 par la première Chambre Civile du Tribunal de Grande Instance de METZ,
- LE DIRE toutefois mal fondé,
De manière plus générale,
- DÉBOUTER les époux X. de toutes leurs demandes, fins et conclusions après les avoir déclarés irrecevables subsidiairement mal fondés,
- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- CONDAMER les appelants à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 2] [Localité 5] la somme de 3.000 € au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens de première instance et d'appel. »
[*]
Par dernières conclusions du 14 décembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions, M. X. et Mme X. née Y. souhaitent voir :
« - Dire l'appel de Monsieur et Madame X. recevable et bien fondé.
En conséquence,
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Et statuant à nouveau,
- A défaut, dire et juger que la clause contenue dans l'article 15-1 du contrat de prêt prévoyant que « la déchéance du terme peut être prononcée sans mise en demeure préalable par le prêteur en cas de retard de paiement de plus de 30 jours, est abusive et dès lors nulle et non avenue et réputée non écrite.
En tout état de cause,
- Dire et juger que la mise en demeure adressée à Monsieur et Madame X. pour le non-paiement des échéances impayées courant 2014 n'était pas justifiée.
- Constater en toute hypothèse que Monsieur et Madame X. ont procédé au paiement des sommes réclamées dans le cadre de la mise en demeure de la banque en date du 03 juillet 2014
- Dire et juger que la banque ne justifie pas d'une déchéance du terme valable.
- Débouter en conséquence la banque de l'ensemble de ses demandes fin et conclusions contre Monsieur et Madame X.
A titre subsidiaire,
- Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 2] [Localité 5] à verser à Monsieur et Madame X. des dommages et intérêts à hauteur de la créance que la Cour fixera au titre du prêt objet du litige ainsi qu'au paiement d'une somme complémentaire de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral.
En tout état de cause,
- Débouter le CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 2] [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes fin et conclusions.
- Condamner en toute hypothèse la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 2] [Localité 5] à verser à Monsieur et Madame X. la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi que les entiers frais et dépens des deux instances. »
[*]
Alors que l'affaire aurait dû être clôturée le 15 décembre 2022, elle a été renvoyée à l'audience de mise en état du 5 janvier 2023 pour réplique de la Caisse de Crédit Mutuel suite à arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) le 8 décembre 2022, et aux dernières conclusions de M. et Mme X.
L'affaire a été clôturée le 6 juillet 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle subsidiaire en dommages-intérêts :
Il ressort du jugement que M. et Mme X. ont sollicité en première instance une somme de 20.000 euros de dommages-intérêts « pour procédure abusive », en faisant valoir que l'établissement de crédit avait refusé le défichage du FICP et leur a fait subir des demandes insistantes au sujet de la régularisation des impayés.
Devant la cour d'appel M. et Mme X. sollicitent à titre subsidiaire des dommages-intérêts à hauteur de la créance que la cour fixera au titre du prêt ainsi qu'une somme complémentaire de 15.000 euros pour préjudice moral.
Les demandes en dommages-intérêts formulées en appel, en invoquant notamment des moyens soutenus en première instance, tendent aux mêmes fins que la demande en dommages-intérêts d'un montant de 20.000 euros, à savoir l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment causés par le crédit Mutuel.
Elles sont recevables.
Sur le caractère abusif de la clause contenue dans l'article 15-1 :
La cour est saisie d'une prétention à cet égard.
Selon L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l'appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08).
Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.
Par ailleurs, elle a rappelé aux points 46 et 47 de cet arrêt que l'appréciation du caractère abusif des clauses d'un contrat ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible, et qu'elle a jugé que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d'« objet principal du contrat », au sens de ladite disposition, doivent s'entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l'essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de ladite notion (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C- 621/17, EU:C:2019:820, point 32).
Après avoir relevé que la clause contractuelle en exécution de laquelle la banque avait, dans le cas qui lui était soumis, prononcé la déchéance du terme, n'apparaissait pas relever de la notion d'« objet principal du contrat », ce qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier (point 48), elle a dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la directive 93/13 devaient être interprétés en ce sens que, sous réserve de l'applicabilité de l'article 4,§ 2, de cette directive, ils s'opposaient à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoyait, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d'une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n'avait pas fait l'objet d'une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.
En l'espèce la clause de l'article 15-1 de l'acte notarié du 30 septembre 2003, portant contrat de prêt, prévoit que « les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble à la banque sans formalité ni mise en demeure, nonobstant les termes et délais éventuellement fixés dans l'un des cas suivants :
- si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours avec le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires,
- (...) »
Cette clause ne fixe pas les prestations essentielles du contrat, ne relève pas de la notion d'objet principal du contrat et ne porte pas sur l'adéquation de la rémunération de la banque au service fourni au consommateur.
Par ailleurs cette clause n'a pas fait l'objet d'une négociation individuelle, et l'établissement prêteur ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que cette clause soit acceptée par le consommateur dans le cadre d'une négociation individuelle et loyale. En effet il est dans l'intérêt légitime du consommateur qui n'a pas payé une ou plusieurs échéances de se voir interpeller par une mise en demeure, et de disposer d'un délai raisonnable de règlement pour faire obstacle à l'exigibilité immédiate du capital restant dû, et pour éviter ainsi une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.
En définitive cette clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt sans mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées et sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. Il s'agit d'une clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version applicable en la cause, qui est réputée non écrite.
Sur la déchéance du terme :
Il résulte des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 que, lorsqu'une mise en demeure est adressée à l'emprunteur non-commerçant en application d'une clause prévoyant que sa défaillance entraînera la déchéance du terme ou l'exigibilité anticipée du prêt, celle-ci doit préciser l'intention du créancier de s'en prévaloir, ainsi qu'un délai raisonnable dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
Conformément à l'ancien article 1139 du code civil, dans sa version applicable au litige, la mise en demeure du débiteur est constituée d'une sommation ou d'un acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante.
Par courrier du 22 mai 2014, le Crédit Mutuel a rappelé à M. et Mme X. un plan d'apurement convenu par les parties, concernant deux échéances alors impayées, d'avril et mai 2014, selon le calendrier suivant :
- au 10 juin 2014, règlement de l'échéance d'avril 2014 ;
- au 10 juillet 2014, règlement de l'échéance du mois de mai et de juin 2014 ;
- au 10 août 2014, règlement de l'échéance de juillet et août 2014 (pièce 6 des emprunteurs).
Il est précisé en gras en bas de cette lettre que si au 10 août le retard n'est pas apuré, le dossier sera transmis à l'huissier de justice du Crédit mutuel.
Le Crédit Mutuel a mis en demeure les emprunteurs, par un courrier du 3 juillet 2014, de procéder au paiement de deux mensualités impayées totalisant 1.401,52 euros (le décompte joint mentionne 2 échéances en retard sans en indiquer les dates) et ce, sous peine, à défaut de régularisation pour le 30 juillet 2014 au plus tard, de voir prononcer la déchéance du terme (pièce 7 des emprunteurs).
Cependant compte tenu du plan d'apurement convenu entre les parties et rappelé par lettre du 22 mai 2014, la lettre recommandée de mise en demeure du 3 juillet 2014 n'était valable et ne pouvait produire effet que pour la seule échéance d'avril 2014 qui aurait dû être payée au 10 juin 2014. Les échéances de mai et juin n'étaient pas encore exigibles le 3 juillet 2014. Par lettre du 6 août 2014 le Crédit Mutuel a admis que « au 10 juillet l'échéance de prêt du mois d'avril + celle du mois de mai 2014 ont été réglées suite à votre virement de 1402 euros » (pièce 8 des emprunteurs), admettant ainsi l'imputation de ce paiement de 1402 euros sur les échéances d'avril et mai 2014.
Dès lors l'échéance impayée d'avril 2014, comme celle de mai 2014, a été apurée le 10 juillet 2014, soit avant le 30 juillet 2014 et dans le délai de régularisation annoncé par la lettre de mise en demeure du 3 juillet 2014. Ce paiement de 1402 euros a permis de faire obstacle à la déchéance du terme.
L'échéance de juin 2014 est devenue exigible à compter du 10 juillet 2014 conformément au plan d'apurement convenu, et n'était pas visée par la lettre de mise en demeure du 3 juillet 2014.
Le Crédit Mutuel devait donc adresser aux emprunteurs après le 10 juillet 2014 une autre lettre de mise en demeure pour l'échéance impayée de juin 2014. Or l'établissement prêteur ne prétend pas, et ne démontre pas, avoir adressé une seconde mise en demeure mentionnant le montant de nouvelles échéances impayées et leur annonçant qu'à défaut de règlement la déchéance du terme serait prononcée. Force est de constater que la lettre du 6 août 2014 n'annonce pas l'exigibilité immédiate du solde du prêt à défaut de paiement des échéances de juin, juillet et août pour le 10 août 2014, et qu'en outre, si cette lettre est produite par les deux parties, il n'est pas démontré qu'elle avait été expédiée aux emprunteurs à l'époque, ni le cas échéant à quelle date. En particulier il n'est pas produit d'avis de réception, ni de récépissé d'envoi en recommandé. La lettre simple du 6 août 2014, qui n'évoquait pas l'intention du prêteur de se prévaloir de l'exigibilité immédiate des sommes restant dues, n'était pas de nature à faire produire effet à la clause de résiliation de plein droit.
Par ailleurs l'assignation de la banque ne vaut pas mise en demeure.
En définitive il n'y a pas eu déchéance régulière du terme.
Sur le montant de la créance :
La preuve de la créance du Crédit Mutuel découle du contrat de prêt en vertu duquel elle a prêté aux époux X. une somme de 98.700 euros contre l'obligation par ceux-ci de rembourser cette somme avec intérêts, ainsi que de l'historique du compte et du décompte de créance.
Toutefois en l'absence de déchéance du terme le Crédit Mutuel n'est en droit que de solliciter le paiement des échéances déjà échues et impayées.
Il ressort du décompte du 12 février 2015 (pièce 8 du Crédit Mutuel), que le montant de 84 731,65 euros en principal que les emprunteurs ont été condamnés à payer par le jugement dont le Crédit Mutuel demande confirmation, inclut une somme de 1.391,23 euros au titre des échéances en retard.
Ces échéances en retard (correspondant aux mois d'août et septembre 2014) sont confirmées par les lettres du 22 mai 2014 et 6 août 2014 déjà citées et auxquelles les emprunteurs font référence, ainsi que par la liste des mouvements de l'année 2014 qui est produite par le Crédit Mutuel.
Pour se prévaloir de l'absence de déchéance du terme M. et Mme X. soutiennent en page 12 de leurs dernières conclusions que « le dernier versement des consorts X. est du mois de septembre 2014 et non du mois d'août 2014 », sans autre précision ni pièce. Toutefois la liste des mouvements du compte pour 2014 confirme que le paiement de 700 euros du 11 août 2014 s'impute sur l'échéance de juin 2014, et que celui du 08 septembre 2014 s'impute sur l'échéance de juillet 2014.
M. et Mme X. s'opposent à toute demande de condamnation, et ils produisent en pièce n° 20 un relevé d'opérations de virements réalisées au débit de leur compte Crédit agricole et aux fins de remboursement du « Prêt Immo 169789-003-03 ». Il en ressort que 3 virements de 700 euros ont été effectués par eux entre le 7 décembre 2016 et le 8 février 2017 au titre du remboursement du prêt litigieux, pour une somme totale de 2100 euros (avec toutefois une erreur de référence pour le virement du 8 janvier 2017 indiquant une référence de Prêt Immo n° 196789-003-03).
Ces trois paiements de 700 euros chacun sont confirmés par les lites de mouvements avec soldes progressifs du compte pour les années 2016 et 2017 qui sont produits par le Crédit Mutuel. Il y a dès lors lieu de tenir compte de ces paiements qui ne sont pas évoqués expressément par les parties, mais qui sont démontrés par leurs pièces.
Ainsi il est démontré que la somme de 1.391,23 euros due au titre des échéances en retard mentionnée dans le décompte de créance au 12 février 2015 a été payée courant 2017, de sorte que M. et Mme X. ne peuvent pas être condamnés à ce titre.
Par ailleurs en l'absence d'exigibilité immédiate du capital restant dû (d'un montant de 80.135,44 euros après l'échéance du 10 septembre 2014) le surplus de la demande du crédit Mutuel est rejeté, et le jugement est infirmé quant au montant total de la condamnation.
Il est à noter que le chèque de banque de 1670,40 euros (édité le 10 novembre 2016 par la Caisse de crédit agricole) qui a été crédité sur le compte CCM de M. et Mme X. le 1er décembre 2016, était quant à lui destiné à payer des cotisations d'assurance du prêt qui n'avaient pas été suspendues par l'ordonnance du 10 novembre 2015, et qui ont couru après cette ordonnance, ainsi qu'il ressort d'une lettre de Maître F. en date du 10 novembre 2016 (voir les 4 pièces produites par les appelants en annexe n° 21). Ce chèque s'impute donc sur les cotisations d'assurance postérieures à l'ordonnance du 10 novembre 2015.
En définitive, les deux échéances en retard déjà échues au 11 septembre 2014, seules visées par le décompte du 12 février 2015, ont été remboursées ultérieurement en 2017. En outre la Caisse de crédit Mutuel ne sollicite pas le paiement d'autres échéances échues à ce jour, et la déchéance du terme n'a pas été valablement prononcée. La demande de la Caisse de Crédit Mutuel doit être intégralement rejetée.
Sur les demandes reconventionnelles subsidiaires en dommages-intérêts :
Dès lors que la demande de la banque est intégralement rejetée ainsi que M. et Mme X. le souhaitent, il n'y a pas lieu de statuer sur leurs demandes reconventionnelles subsidiaires en dommages-intérêts.
Par ailleurs dans le cadre de leurs dernières conclusions les appelants ne formulent pas de demande en dommages-intérêts pour « procédure abusive », et ne formulent aucun moyen de nature à critiquer le jugement qui les a déboutés de cette demande en soulignant que les moyens qu'ils formulaient alors n'avaient pas de rapport avec une éventuelle procédure abusive. La disposition du jugement qui les déboute d'une telle demande est rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement statuant sur les dépens et indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure de première instance sont infirmées.
La Caisse de Crédit Mutuel est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. et Mme X. la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel. Toute autre demande fondée sur ces dispositions est rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts pour « procédure abusive » ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées :
Rejette l'intégralité des demandes de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] aux dépens de première instance ;
Rejette les demandes en indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
Y ajoutant
Déclare les demandes reconventionnelles subsidiaires en dommages-intérêts formées par M. X. et Mme Y. épouse X. recevables ;
Déclare abusive, et réputée non écrite, la clause de l'article 15-1 de l'acte notarié du 30 septembre 2003 prévoyant que « les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble à la banque sans formalité ni mise en demeure, nonobstant les termes et délais éventuellement fixés dans l'un des cas suivants :
- si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours avec le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires,
- (...) ;
Constate l'absence de déchéance du terme du prêt valable ;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur les demandes reconventionnelles subsidiaires en dommages-intérêts formées par M. X. et Mme Y. épouse X. ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] à payer à M. X. et Mme Y. épouse X. la somme totale de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Déboute la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] [Localité 5] de ses demandes au titre des dépens et de l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
Le Greffier La Présidente de Chambre
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