CASS. CIV. 1re, 1er juin 2022

CERCLAB - DOCUMENT N° 10630
CASS. CIV. 1re, 1er juin 2022 : pourvoi n° 21-13021 ; arrêt n° 447
Publication : Legifrance
Extrait : « 8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause litigieuse ne présentait pas un caractère réglementaire, de sorte que les juridictions judiciaires ne pouvaient en apprécier la légalité et que dans l'hypothèse d'une difficulté sérieuse et en l'absence d'une jurisprudence établie, il lui appartenait de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 1er JUIN 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : N 21-13.021. Arrêt n° 447 F-D.
DEMANDEUR à la cassation : Société SMACL - Commune de [Localité 4]
DÉFENDEUR à la cassation : Monsieur X. - Société Samm la méditerranée
Président : M. Chauvin (président). Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gaschignard.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
1°/ La société SMACL, dont le siège est [Adresse 2], 2°/ la commune de [Localité 4] agissant par son maire en exercice, domiciliée [Adresse 3], ont formé le pourvoi n° N 21-13.021 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. X., domicilié [Adresse 5], 2°/ à la société Samm la méditerranée, dont le siège est [Adresse 1], défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société SMACL, de la commune de [Localité 4], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. X., de la société Samm la méditerranée, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 13 janvier 2021), le 26 février 2013, M. X., marin pêcheur, a fait effectuer la mise à terre de son bateau sur des bers et la dépose des moteurs par les agents du port de plaisance de [Localité 4], exploité en régie par la commune de [Localité 4] (la commune). Alors qu'il effectuait des réparations sur le bateau, celui-ci s'est couché sur le flanc et a subi de nombreuses avaries ayant conduit à son immobilisation pendant plusieurs mois. A la suite d'une expertise amiable ayant mis en évidence des fissures provoquées par la chute du bateau et imputé le dommage à un mauvais calage de la coque, l'assureur de M. X., la société Samm la Méditerranée, a pris en charge le montant des réparations et M. X. a loué un autre bateau pour continuer son activité.
2. Le 9 juin 2015, M. X. et son assureur ont assigné la commune et son assureur, la société Smacl, en responsabilité et indemnisation. Ceux-ci ont opposé les dispositions limitatives de responsabilité figurant dans le règlement de fonctionnement de la zone technique du port de plaisance, établi par un arrêté du maire de la commune du 5 janvier 2007.
Examen des moyens :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
3. La société Smacl et la commune font grief à l'arrêt de dire que la commune et M. X. sont co-responsables des dommages dans les proportions respectives de 80 % et 20 %, de les condamner solidairement à payer à la société Samm la Méditerranée les sommes de 23.340 euros au titre des frais de réparations, et à M. X., 16.800 euros au titre des frais de location d'un bateau de remplacement et 42.242,20 euros au titre de la perte d'exploitation, avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2015, alors « qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer, de quelque façon que ce soit, sur la légalité des actes réglementaires pris par l'autorité administrative ; qu'en réputant « non écrite » la « clause » d'exclusion de responsabilité régissant les contrats conclus avec les usagers du port de plaisance de [Localité 4], sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si celle-ci ne présentait pas un caractère réglementaire, de sorte que les juridictions de l'ordre judiciaire ne pouvaient en apprécier la légalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et du principe de la séparation des pouvoirs. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
Recevabilité du moyen :
4. M. X. et son assureur contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau.
5. Cependant, dans leurs conclusions, la commune et son assureur ont soutenu que seul le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité des clauses du règlement de service public.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
7. Pour admettre la responsabilité de la commune et la condamner avec la société Smacl au paiement de différentes sommes à M. X. et à la société Samm la Méditerranée, après avoir relevé que la mise sur les bers a été effectuée par les soins du personnel du port de plaisance qui a également effectué la dépose moteur et que cette opération de pose avec calage du bateau a été réalisée par un professionnel qui est tenu en cette qualité à une obligation de résultat et de sécurité concernant la stabilité du bateau, l'arrêt retient que la commune ne peut pas opposer à M. X. une clause d'exclusion de responsabilité, figurant dans le règlement de fonctionnement de la zone technique du port de plaisance et concernant le calage mal exécuté, laquelle est réputée non écrite en ce qu'elle énonce une exclusion générale plaçant le contractant dans l'impossibilité de contester les circonstances d'un calage sur lequel il n'a aucune prise.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause litigieuse ne présentait pas un caractère réglementaire, de sorte que les juridictions judiciaires ne pouvaient en apprécier la légalité et que dans l'hypothèse d'une difficulté sérieuse et en l'absence d'une jurisprudence établie, il lui appartenait de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne M. X. et la société Samm la Méditerranée aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société SMACL, la commune de [Localité 4]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La société SMACL et la commune de [Localité 4] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit la capitainerie de [Localité 4] et M. X. co-responsables des dommages occasionnés au bateau dans les proportions respectivement de 80 % pour la capitainerie et de 20 % pour M. X. et d'avoir condamné solidairement la capitainerie de [Localité 4] et la SMACL à payer les sommes de 23.340 € à la Samm la Méditerranée au titre des frais de réparation, 16.800 € à M. X. au titre des frais de location d'un bateau de remplacement et 42.242,20 € à M. X. au titre de la perte d'exploitation, outre intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2015 ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°- ALORS QU'il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer, de quelque façon que ce soit, sur la légalité des actes réglementaires pris par l'autorité administrative ; qu'en réputant « non écrite » la « clause » d'exclusion de responsabilité régissant les contrats conclus avec les usagers du port de plaisance de [Localité 4], sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si celle-ci ne présentait pas un caractère réglementaire, de sorte que les juridictions de l'ordre judiciaire ne pouvaient en apprécier la légalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et du principe de la séparation des pouvoirs ;
2°- ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel, la capitainerie de [Localité 4] et son assureur avaient expressément soutenu que « seules les juridictions administratives sont compétentes pour juger de la légalité d'un règlement émanant d'une personne morale de droit privé gérant un service public industriel et commercial et concernant l'organisation du service (Tribunal des Conflits, 15 janvier 1968, Société Air France c/ Epoux Barbier, n° 01908, rec. 789, GAJA 83 ; Cass. civ. 1, 30 mars 1999, Conseil supérieur des comités mixtes à la production d'EDF-GDF, n° 97-13.412) » (p. 8, al. 1er) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la critique a violé l'article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS, subsidiairement QUE l'article 2 du règlement n° 7, issu de l'arrêté du 5 janvier 2007, énonce que « le calage d'une embarcation sur du matériel appartenant au port est réalisé en accord avec le signataire du bon de manutention par les agents portuaires, sous réserve des informations fournies par le propriétaire du bateau » et que « dès la fin de l'opération, et à défaut de réserve émise par le propriétaire ou son représentant lors du calage du bateau, la responsabilité du technicien qui aura assuré cette responsabilité sera dégagée » ; que le règlement n° 8, issu de l'arrêté du 23 février 2007 prévoit quant à lui, en son article 4 relatif à la préparation du bateau, que « toutes les informations, notamment celles concernant le passage des sangles, seront données sous la responsabilité du propriétaire » et en son article 8, intitulé « Responsabilité », que « les opérations se font sous la responsabilité du signataire du bon de manutention, notamment en ce qui concerne les points de levage, la position du bateau, la solidité des superstructures, des œuvres vives? » ; qu'en retenant néanmoins que la capitainerie était « tenue d'une obligation de résultat envers son client », et que la clause d'exclusion de responsabilité « énonce une exclusion générale plaçant le contractant dans l'impossibilité de contester les circonstances d'un calage sur lequel il n'a aucune prise » (p. 4, dernier al. et p. 5, al. 4), la cour d'appel qui a dénaturé les termes clairs et précis du règlement de la zone technique du port, a violé l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La société SMACL et la commune de [Localité 4] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement la capitainerie de [Localité 4] et la SMACL à payer les sommes de 23 340 € à la Samm la Méditerranée au titre des frais de réparation, 16.800 € à M. X. au titre des frais de location d'un bateau de remplacement et 42.242,20 € à M. X. au titre de la perte d'exploitation, outre intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2015 ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°- ALORS QU'en fixant à « 1.900 + 26.800 = 28.700 » € les frais de réparation du bateau appartenant à M. X., après avoir expressément relevé que ces frais devaient être indemnisés « à hauteur du seul premier devis produit à l'expert par l'entreprise NOUVELLE VAGUE (plus qualifiée pour effectuer les réparations de ce navire comme signalé par l'expert) pour le montant de 21.900 € HT) » (p. 6, al. 2 et 3), la cour d'appel, qui a statué par des motifs inintelligibles, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°- ALORS QU'en fixant à « 1.900 + 26.800 = 28.700 » € les frais de réparation du bateau appartenant à M. X., après avoir expressément relevé qu'était seulement produite une facture de L'Ancre du levage pour un montant de 1.900 € mais aucune autre pièce justifiant les factures honorées, de sorte que les frais de réparation doivent être indemnisés « à hauteur du seul premier devis produit à l'expert par l'entreprise NOUVELLE VAGUE (plus qualifiée pour effectuer les réparations de ce navire comme signalé par l'expert) pour le montant de 21 900 € HT) » (p. 6, al. 2 et 3), la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°- ALORS QUE l'indemnisation d'un dommage ne peut avoir pour effet de procurer un enrichissement à la victime ; qu'en octroyant à M. X. une somme correspondant à 80 % de 52.802,75 € au titre de la « perte d'exploitation » que lui aurait causée l'accident, somme qui incluait les frais de location d'un bateau de remplacement, tout en lui accordant également celle de 16 800 € au titre des « frais de location d'un bateau de remplacement », la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a méconnu le principe de réparation intégrale du dommage et violé l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil.