TI ROUBAIX, 15 avril 2004
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 124
TI ROUBAIX, 15 avril 2004 : RG n° 03/001633
Publication : Juris-Data n° 268288
Extrait : 1/ « Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que le tribunal avait bien le pouvoir de relever d'office une clause abusive contenue dans le contrat de crédit à la consommation qui lui a été soumis »
2/ « Il convient de constater d'une part que les clauses permettant la résiliation du contrat de crédit pour un motif autre que la défaillance du débiteur dans les remboursements ne sont pas expressément prohibées et d'autre part que la clause litigieuse n'apparaît pas de prime abord créer en soi et « au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Il revient toutefois au Tribunal d'examiner si cette clause ne présente pas un caractère abusif en privant le consommateur de droits conférés par des dispositions légales et par le modèle type.
[…] Le tribunal constate que la clause de défaut croisé crée une interdépendance entre des contrats différents, alors que ni la loi, ni le modèle type ne lient spécifiquement la résiliation du contrat à l'existence d'une défaillance ou d'un impayé sur un autre contrat de crédit. Rien ne justifie que la défaillance de l'emprunteur dans le cadre d'un prêt ou d'un compte courant entraîne la déchéance du terme d'un autre prêt pour lequel l'emprunteur respecte ses obligations. Les contrats de crédit, même souscrits auprès d'un prêteur identique, doivent être appréciés un par un. Dès lors, la résiliation encourue d'un contrat de crédit ou la clôture d'un compte courant ne peut avoir d'incidence sur un ou des contrats de crédit liant l'emprunteur, sauf à violer le statut protecteur conféré par le modèle type.»
3/ « Il s'en déduit que les conditions posées par la clause litigieuse aggrave bien la situation financière de l'emprunteur et constitue une irrégularité du contrat de crédit de nature à influer sur la liquidation de la créance dont il est demandé le paiement. Par conséquent, le tribunal prononcera la déchéance du droit aux intérêts prévue par l'article L. 311-33 du Code de la consommation. »
TRIBUNAL D’INSTANCE DE ROUBAIX
JUGEMENT DU 15 AVRIL 2004
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11-03-001633. A l’audience publique du Tribunal d’Instance tenue le 15 avril 2004, Sous la Présidence de Ghislain POISSONNIER, Juge d’Instance, assisté(e) de Florence VILLE, Greffier, Après débats à l’audience du 22 janvier 2004, le jugement suivant a été rendu :
ENTRE :
DEMANDEUR :
SA COFINOGA aux droits du Crédit Municipal
Prise en la personne de son directeur [adresse], représenté(e) par Maître ROMBAUT Christian, avocat au barreau de Lille, D’une part
DÉFENDEUR :
Monsieur X.
[adresse], comparant
Madame Y.
[adresse], comparant
[fin de la première page de la minute non paginée]
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 1] EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon une offre préalable en date du 29 juillet 1998, le Crédit Municipal a consenti à M. X. et Mme Y. un prêt personnel portant sur un montant de 6.190 euros au TEG de 12,16 %, et remboursable en 72 mensualités de 120,58 euros chacune, assurance facultative comprise.
Par acte d'huissier en date du 25 septembre 2003, la SA COFINOGA, venant aux droits du Crédit Municipal, a assigné M. X. et Mme Y. devant le Tribunal d'instance de Roubaix afin de les voir condamner solidairement à lui payer, au bénéfice de l'exécution provisoire. les sommes de :
- 2.822 euros représentant, pour le contrat de crédit du 29 juillet 1998. le capital restant dû, les mensualités échues impayées et l'indemnité de 8 %, assortie des intérêts au taux contractuel depuis la mise en demeure prononçant la déchéance du terme du 5 février 2003 ;
- 400 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPCOFINOGA
A l'audience du 13 octobre 2003, où l'affaire a été évoquée une première fois, la SA COFINOGA a confirmé ses demandes en faisant valoir que les emprunteurs s'étaient montrés défaillants dans le paiement des mensualités du prêt.
M. X. et Mme Y. ont reconnu la dette en son principe et ont sollicité des délais de paiement.
Par jugement avant dire droit du 13 novembre 2003, le Tribunal a soulevé d'office un moyen de droit tiré de la présence dans l'offre préalable d'une clause abusive figurant à l'article 2 du paragraphe intitulé « Exécution du contrat », en ce qu'elle permet au prêteur de résilier le contrat entraînant la déchéance du terme avec exigibilité immédiate des sommes restant dues ;
- « en cas d'incident de paiement du fait de l'emprunteur survenant à l'un des guichets du prêteur » ;
- et « en cas de non-respect par l'emprunteur des engagements résultant de toute convention le liant au prêteur ou en cas de défaillance de l'emprunteur ou d'un impayé sur un autre contrat de crédit ou facilité de paiement consenti par le prêteur ou une autre société de son groupe ».
À l'audience du 22 janvier 2004 au cours de laquelle l'affaire a été évoquée une seconde fois, la SA COFINOGA, tout en soulignant que le tribunal n'avait pas le droit de soulever un moyen que les emprunteurs n'avaient pas mis dans le débat et que ledit moyen était sans intérêt pour le présent litige, s'en est rapportée à justice.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le pouvoir du juge de relever d'office la présence d'une clause abusive contenue dans un contrat de crédit :
En l'espèce, la SA COFINOGA demande la condamnation des emprunteurs à lui payer le solde en capital, intérêts et frais d'un crédit de type prêt personnel. Les emprunteurs ont comparu à l'audience et c'est bien le tribunal qui a « découvert », de sa propre initiative, une clause abusive figurant dans le contrat de crédit qui lui a été soumis par le prêteur.
[minute page 2] Ce dernier expose que ce moyen de droit tiré de la présence d'une clause abusive dans le contrat de crédit, qui relève d'un ordre public de protection, ne saurait être soulevé d'office par le tribunal mais uniquement par l'emprunteur lui-même, et se prévaut d'une jurisprudence de la Cour de cassation limitant l'office du juge en matière de crédit à la consommation.
Il sera remarqué qu'en effet la Cour de cassation semble interdire au juge de relever d'office des moyens de droit tirés de l'irrégularité d'un contrat de crédit en considérant que la méconnaissance des exigences du Code de la consommation relatives au crédit à la consommation, même d'ordre public, ne peut être opposée qu'à la demande de celui que ces dispositions ont pour objet de protéger, à savoir l'emprunteur. Dans un arrêt Cofica c/ Grine (Cass. 1ère civ, 15 févr. 2000 : Bull. civ., 2000, I, n° 49 ; Contrats. ConCOFINOGA Consom., 2000, comm. 116, note G Raymond), la Cour a retenu cette solution sous le visa des articles L. 311-2, L. 311-8 et L. 311-10 du Code de la consommation à propos d'un contrat de location avec option d'achat. Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises. notamment en se référant aux articles L. 311-2 et L. 311-9 du Code de la consommation s'agissant d'un contrat de crédit par fractions dans un arrêt Cofinoga c/ Villelga (Cass. 1° civ., 10 juill. 2002 : Bull. civ. 2002, I, n° 195 ; D. 2003, jurispr. P. 549, note Gout), confirmé depuis lors par une série de décisions (Cass 1° civ., 2 oct. 2002 : JCP G 2002, IV, 2797. - Cass. 1° civ, 18 déCOFINOGA 2002 : JCP G 2003, IV, 1284 - Cass. 1° civ., 16 mars 2004 : D. 2004, AJ. p. 947).
Sans se prononcer sur son bien fondé, le tribunal prend acte du caractère constant de cette jurisprudence.
Cependant, il sera également remarqué que si cette jurisprudence traite bien de l'office du juge en matière de crédit à la consommation, elle ne concerne pas directement le moyen relatif au caractère abusif d'une clause contractuelle qu'a soulevé le tribunal dans son jugement avant dire droit.
En l'espèce, la question à trancher est celle de savoir si le juge a le pouvoir de relever d’office la présence d'une clause abusive insérée dans un contrat de crédit à la consommation ou s'il doit, au contraire, être limité en son office, et attendre que l'une des parties au litige lui demande de déclarer une clause abusive pour pouvoir écarter son application.
Il convient à ce stade d'observer que la question n'a pas été tranchée directement à ce jour par la Cour de cassation.
Il sera toutefois rappelé que par un arrêt sté Minit France c/ Lorthioir du 14 mai 1991, la Cour de cassation a reconnu au juge du fond le pouvoir de déclarer une clause abusive malgré l'absence d'un décret ayant formellement prononcé son interdiction (Cass. 1° civ. 14 mai 1991 : Bull. civ. 1991, I, n° 195 ; Contrats, ConCOFINOGA Consom., 1991. comm. 160, note L. Leveneur) À cette occasion, le juge du fond s'est vu reconnaître le pouvoir de réputer non écrites des clauses qui n'ont pas fait l'objet dune interdiction par le pouvoir réglementaire. Cette « autonomie » du juge sera confirmée postérieurement à la loi du 1er février 1995, puisqu'il a été décidé qu'une juridiction du fond pouvait écarter une clause, même non visée par l'annexe à l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dès lors qu'elle répond aux critères posés par cet article (Cass 1° civ., 17 mars 1998 : Contrats, ConCOFINOGA Consom., 1998, comm. 104, note G. Raymond).
La Cour de cassation a également considéré que face à une clause abusive, et même devant le silence du consommateur, ou son défaut de comparution, le juge pouvait soulever d'office le moyen de droit tiré de la présence d'une clause abusive, pourvu qu'il respecte le principe du contradictoire en soumettant ce moyen à l'observation des parties (Cass. 1ère civ., 16 févr. 1994, SARL TAC n° 295 D, inédit, cité par G. Paisant, « Les clauses abusives et la présentation des contrats dans la loi n° 95-96 du 1er févr 1995 » : D. 1995, chron. p. 99)
[minute page 3] Cette solution a été confortée par la loi n° 95-96 du 1er février 1995 qui fait de l'article L. 132-1 du Code de la consommation une disposition « d'ordre public ».
Et elle a été approuvée par la doctrine qui remarque que « le juge n'a pas pour mission d'entériner les rapports de force, surtout lorsque ceux-ci sont déséquilibrés et permettent au professionnel d'en abuser (...) dans ces conditions le juge qui constate un déséquilibre significatif peut intervenir dans le débat judiciaire pour éviter que le consommateur reste soumis à l'arbitraire du professionnel, parce qu'il est convaincu d'être définitivement lié par la clause abusive. Le juge est le gardien de la bonne foi et de la justice contractuelle » (G. Biardeaud, P. Flores, Le contentieux du Droit de la consommation éd ENM, févr. 2001, p. 278).
Quant à la Cour de justice des communautés européennes, elle a estimé dans un arrêt Océano Grupo (CJCE, 27 juin 2000, aff. jtes C-240/98 à C-244/98 ReCOFINOGA CJCE I, p 4941 ) dont le litige portait sur un contrat de démarchage à domicile, que, pour l'application de la directive du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, le juge national devait avoir le pouvoir d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat qui lui est soumis (CJCE. 27 juin 2000, BICCOFINOGA 15 sept 2000. n° 1013) La Cour de Luxembourg a précisé que « la protection, que la directive n° 93/13CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs assure à ceux-ci, implique que le juge national puisse apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu' il examine la recevabilité d'une demande introduite devant les juridictions nationales » et a ajouté que « l'objectif poursuivi par l'article 6 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l'obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses ».
Et dans un arrêt Cofidis c/ Fredout (CICE, 21 nov. 2002, aff. C-473/00 ReCOFINOGA CICE 2002, I, p. 10875), la Cour de justice des communautés européennes a étendu cette solution aux litiges relatifs aux contrats de crédit à la consommation, pourtant soumis au délai biennal de forclusion prévu par l'article L. 311-37 du Code de la consommation, en jugeant que l'écoulement du délai de forclusion ne peut pas interdire « au juge national (….) de relever, d'office, ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause (...) » (CICE, 21 nov. 2002, al. C-473/00 Contrats. ConCOFINOGA Consom., 2003, coram. 31, obs. G. Raymond).
Cette solution a été également approuvée par la doctrine qui remarque que face à la « persistance de clauses abusives dans les contrats d'adhésion proposés à la signature des consommateurs (...) l'un des moyens de répondre à ces comportements. en palliant le manque d'initiative ou la défaillance du consommateur, consiste à reconnaître au juge un pouvoir d'office en la matière » (JCP G 2003, 10082, obs. Paisant).
Le tribunal constate que les solutions dégagées par la Cour de cassation rejoignent celles de la Cour de justice des Communautés européennes quant au rôle et au pouvoir du juge dans l'éradication des clauses abusives figurant dans les contrats de consommation, ce qui apparaît logique dans la mesure où l'article L. 132-1 du Code de la consommation est la transposition de la directive du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives.
Enfin, sur un plan pratique, le Tribunal observe, conformément au point 26 de l'arrêt Océano Grupo, que si les caractéristiques de la procédure devant le tribunal d'instance (oralité, rapidité, absence de ministère d'avocat obligatoire, gratuité, possibilité de déclaration au greffe), la faculté de bénéficier de l'aide juridictionnelle, et l'existence d'associations de consommateurs permettent aux particuliers de présenter une défense dans de tels litiges, il [minute page 4] existe un risque non négligeable que, notamment de par sa situation économique et de par son ignorance, le consommateur, persuadé du caractère irrévocable des clauses contenues dans le contrat signé par lui, n'invoque pas le caractère abusif de ces clauses qui lui sont opposées par un professionnel puissant et avisé. Il s'en suit qu'une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge se voit reconnaître la faculté d'apprécier d'office une telle clause.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que le tribunal avait bien le pouvoir de relever d'office une clause abusive contenue dans le contrat de crédit à la consommation qui lui a été soumis.
Sur le caractère abusif de la clause contenue dans le contrat de crédit :
En application des dispositions des articles L. 311-13 et R. 311-6 du Code de la consommation, l'offre préalable de crédit soumise par le professionnel à l'emprunteur doit être conforme au modèle type applicable à l'opération de crédit envisagée et comporter toutes les mentions obligatoires prévues par la loi et le décret (Cass 1° civ., 25 avr. 1989. Pourvoi n° 87-15 791) Dans le cas contraire, le juge peut prononcer la sanction de la déchéance du droit aux intérêts.
Il n'est cependant pas interdit au prêteur de faire figurer dans son offre d'autres mentions ou clauses. La Cour de cassation a ainsi rappelé que le prêteur pouvait présenter une offre contenant des clauses autres que celles d'origine légale ou réglementaire, dans la mesure où celle-ci n'avait pas à être « la copie servile de l'un des modèles types » (Cass. 1° civ., 1er déc 1993, pourvoi n° 91-20.895). À cette occasion, la Cour a cependant encadré ces adjonctions non prévues par le modèle type en précisant qu'elles ne doivent pas aggraver la situation financière de l'emprunteur.
En l'espèce, l'offre préalable de prêt personnel du 29 juillet 1998, soumise par la SA COFINOGA au tribunal, devait être conforme aux règles légales applicables et au contenu du modèle type n° 3.
Sa lecture révèle qu'elle contient une clause figurant à l'article 2 du paragraphe intitulé « Exécution du contrat », permettant au prêteur de résilier le contrat avec déchéance du terme et exigibilité immédiate des sommes restant dues :
- « en cas d'incident de paiement du fait de l'emprunteur survenant à l'un des guichets du prêteur » ;
- et « en cas de non-respect par l'emprunteur des engagements résultant de toute convention le liant au prêteur ou en cas de défaillance de l'emprunteur ou d'un impayé sur un autre contrat de crédit ou facilité de paiement consenti par le prêteur ou une autre société de son groupe ».
Cette clause confère un avantage contractuel à l'établissement de crédit dont il peut se prévaloir En l'espèce, il s'agit d'une clause dite « résolutoire », permettant au prêteur de résilier le contrat de crédit lorsqu'il constate une dégradation de la situation financière de l'emprunteur caractérisée par l'apparition d'un impayé dans un autre contrat.
Il convient de constater d'une part que les clauses permettant la résiliation du contrat de crédit pour un motif autre que la défaillance du débiteur dans les remboursements ne sont pas expressément prohibées et d'autre part que la clause litigieuse n'apparaît pas de prime abord [minute page 5] créer en soi et « au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Il revient toutefois au Tribunal d'examiner si cette clause ne présente pas un caractère abusif en privant le consommateur de droits conférés par des dispositions légales et par le modèle type.
La doctrine nomme cette disposition résolutoire. contenue dans chacun des contrats de crédit du même établissement bancaire ou financier en cas d'impayés sur un seul des contrats, clause dite de « défaut croisé » et la qualifie « d'extra-contractuelle ». (J.-R. Mirbeau-Gauvin. Le remboursement anticipé du prêt en droit français : D. 1995. chron . p 46). La doctrine souligne également la fréquence de ces clauses dans les contrats de crédit, y compris lorsque le prêt a été accordé par un consortium bancaire, qui a par ailleurs fourni à l'emprunteur soit un autre prêt (à la consommation ou immobilier), soit une ouverture de compte courant.
Or, le modèle type n° 1, auquel renvoie le modèle type n° 3, n'envisage en son paragraphe 5 b) la résiliation du contrat de crédit à l'initiative du prêteur qu'en cas de non-paiement des échéances :
« en cas de défaillance de votre part dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés ». De même, l'article L. 311-30 du Code de la consommation, prévoyant les sommes dues en cas de déchéance du terme, n'envisage la rupture du contrat de crédit à la consommation à l'initiative du prêteur qu'en cas de « défaillance de l'emprunteur ».
Il se déduit de ces dispositions l'existence d'un droit de l'emprunteur, la déchéance du terme étant nécessairement subordonnée à une défaillance de sa part dans le règlement d'une ou plusieurs échéances du prêt ou au non-respect de son obligation contractuelle d'exécuter de bonne foi le contrat en application de l'article 1134 du Code civil, sous réserve dans ce dernier cas de l'éventuelle appréciation portée par le juge sur la notion de bonne foi.
Le tribunal constate que la clause de défaut croisé crée une interdépendance entre des contrats différents, alors que ni la loi, ni le modèle type ne lient spécifiquement la résiliation du contrat à l'existence d'une défaillance ou d'un impayé sur un autre contrat de crédit. Rien ne justifie que la défaillance de l'emprunteur dans le cadre d'un prêt ou d'un compte courant entraîne la déchéance du terme d'un autre prêt pour lequel l'emprunteur respecte ses obligations. Les contrats de crédit, même souscrits auprès d'un prêteur identique, doivent être appréciés un par un. Dès lors, la résiliation encourue d'un contrat de crédit ou la clôture d'un compte courant ne peut avoir d'incidence sur un ou des contrats de crédit liant l'emprunteur, sauf à violer le statut protecteur conféré par le modèle type.
La Cour d'appel de Rennes s'est prononcée sur la régularité de cette clause de défaut croisé prévoyant la possibilité pour le prêteur de résilier le contrat de crédit « en cas d'impayés sur d'autres crédits de l'emprunteur auprès du prêteur ». La Cour d'appel a considéré que cette clause était abusive parce qu'elle prévoit « une sanction financière contre l'emprunteur (..) dans le cas d'un crédit qui serait régulièrement honoré », la Cour rappelant que cette sanction « ne se justifie qu'en cas de défaillance de sa part au regard de l'article L. 311-30 du Code de la consommation, texte d'ordre public » (CA Rennes, 21 sept. 2001. arrêt à consulter sur le site internet http://www.afub.org ).
Il sera remarqué que la loi et le modèle type confèrent des droits au consommateur visant à le protéger et à rétablir un certain équilibre, parmi lesquels figurent le droit à ne pouvoir se voir [minute page 6] opposer la déchéance du terme que dans des hypothèses précises. Dans la mesure où la disposition contractuelle litigieuse limite de façon inappropriée un droit reconnu par la loi au consommateur vis à vis du professionnel, elle a pour effet, au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, de créer, « au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », peu important que cette clause ne soit pas le fondement juridique de l'action en paiement, la validité des stipulations du contrat devant s'apprécier au jour de sa formation.
Son caractère abusif est donc démontré et elle sera réputée non écrite.
Sur la sanction attachée à la présence de la clause abusive contenue dans le contrat de crédit :
La doctrine souligne que « le droit de la consommation ne se limite pas à une simple compilation de divers dispositifs protecteurs étanches entre eux, mais constitue une matière cohérente où les textes doivent être combinés » (Flores et Biardeaud, note sous CICE, 21 nov. 2002 : Gaz Pal 4/6 mai 2003, p 12).
S'agissant d'un contrat de crédit à la consommation, il doit ainsi être rappelé que la protection assurée par les règles relatives au crédit à la consommation est complétée par celle conférée par les dispositions relatives aux clauses abusives, les sanctions prévues par un dispositif se combinant avec celles prévues par un autre sans pour autant constituer une double peine civile pour le professionnel. Ainsi, la sanction du caractère réputé non écrit d'une clause abusive prévue par l'article L. 132-1 du Code de la consommation peut être complétée par la déchéance du droit aux intérêts prévue par l'article L. 311-33 du même Code.
Il a été jugé que la présence d'une clause déclarée abusive en ce qu'elle aggrave la situation financière de l'emprunteur par rapport aux dispositions légales et au modèle type applicable prévu aux dispositions de l'article L. 311-13 et R. 311-6 du Code de la consommation rend l'offre de crédit irrégulière. Sa présence est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts, la Cour de cassation ayant approuvé une Cour d'appel qui avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts pour ce motif (Cass. 1° civ. 1° déCOFINOGA 1993, Daguerre Bull. civ. 1993. 1. p 247).
Il revient ainsi au Tribunal de rechercher si la clause abusive aggrave la situation financière de l'emprunteur par rapport aux droits conférés par la loi et le modèle type.
Sur ce point, il doit être observé que la clause de défaut croisé, fondée sur la dégradation supposée de la situation financière de l'emprunteur, crée une interdépendance entre des contrats qui est préjudiciable à l'emprunteur. En effet, elle a pour conséquence de précipiter cette dégradation en provoquant la déchéance du terme, rendant immédiatement exigible la totalité de la somme restant due, puisque le prêteur pourra exiger de lui le remboursement immédiat du capital majoré des intérêts échus non payés, outre l'indemnité de 8 %, alors même que le paiement des échéances est encore assuré.
Il s'en déduit que les conditions posées par la clause litigieuse aggrave bien la situation financière de l'emprunteur et constitue une irrégularité du contrat de crédit de nature à influer sur la liquidation de la créance dont il est demandé le paiement. Par conséquent, le tribunal prononcera la déchéance du droit aux intérêts prévue par l'article L. 311-33 du Code de la consommation.
[minute page 7]
Sur le montant de la créance :
L'article L. 311-33 du Code de la consommation prévoit que lorsque l'établissement de crédit est « déchu du droit aux intérêts », l'emprunteur n'est « tenu qu'au seul remboursement du capital ».
Les articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation sont applicables tant au crédit à titre onéreux qu'à titre gratuit. Or, ce dernier type de prêt n'ouvre droit qu'aux intérêts légaux à compter de son échéance ou de la déchéance du terme, de sorte que limiter la déchéance du droit aux intérêts aux seuls intérêts conventionnels, reviendrait à priver le crédit gratuit de la sanction prévue par l'article L. 311-33 du Code de la consommation.
Par ailleurs, dans la mesure où l'article L. 311-33 du Code de la consommation ne distingue pas entre intérêts légaux ou conventionnels, il n'y a pas lieu de distinguer entre les deux catégories d'intérêts. De surcroît. l'article L. 311-33 limite clairement l'obligation de l'emprunteur au seul remboursement du capital et déroge à l'article L. 311-30 du Code de la consommation qui prévoit qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard au taux conventionnel, le dit texte constituant une des exceptions prévues par l'article 1153 alinéa 3 du Code civil. Enfin, l'article 1153-1 du Code civil est inapplicable puisque le jugement ne porte pas condamnation à une indemnité. Il s'en déduit que la déchéance du droit aux intérêts est absolue et que la créance de la société de crédit ne produit aucun intérêt. (X. en ce sens, TI Niort, 15 mai 2002. SA DIAC c/ Mme David Contrats conCOFINOGA, consom., 2002, comm. 115, note G Raymond).
Le montant de la créance de la SA COFINOGA sera fixé en déduisant le montant des règlements effectués par les emprunteurs depuis l'origine du contrat du montant du capital emprunté.
Montant du crédit : 6 190 euros.
Montant des règlements depuis l'origine jusqu'au 22 janvier 2004 : 6 788 euros.
Total : 0 euro.
Le montant des règlements effectués dépassant celui du capital emprunté, la SA COFINOGA devra être déboutée de sa demande en paiement au titre du contrat de prêt personnel du 29 juillet 1998.
La SA COFINOGA étant déboutée à titre principal, sa demande au titre de l'article 700 du NCPC sera rejetée.
Le jugement étant rendu en dernier ressort, l'exécution provisoire ne sera pas prononcée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en denier ressort :
- déboute la SA COFINOGA de sa demande en paiement au titre de contrat de prêt personnel du 29 juillet 1998 par application de la déchéance du droit aux intérêts,
[minute page 8]
- 5717 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Faculté - Jurisprudence antérieure - Clauses abusives
- 5749 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets de l’action - Autres effets - Déchéance des intérêts
- 5826 - Code de la consommation - Clauses abusives - Nature de la protection - Législation d’ordre public - Principe
- 6623 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Nature des manquements