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CA PARIS, 17 décembre 1993

Nature : Décision
Titre : CA PARIS, 17 décembre 1993
Pays : France
Juridiction : Paris (CA)
Date : 17/12/1992
Nature de la décision : Confirmation
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CERCLAB - DOCUMENT N° 1325

CA PARIS, 17 décembre 1993 : RG inconnu

 

Extraits : 1/ « Le prévenu a soutenu en première instance, à l'appui de sa demande de relaxe, que la jurisprudence avait justifié la possibilité de vendre par lots certains produits identiques ou complémentaires par la notion d'usage du commerce, et que l'article L. 127-2 du code des assurances permettait d'intégrer dans une police unique une assurance protection juridique et une assurance d'un autre type. Le premier juge a répondu clairement à ces arguments en indiquant que la commission des clauses abusives avait considéré cette pratique comme illicite au regard de l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que la délivrance de la garantie automobile obligatoire en vertu des dispositions légales par « A. » était subordonnée à la souscription par l'assuré d'une garantie juridique étendue qu'aucun texte n'imposait, ni aucun motif légitime par ailleurs. Dès lors, le jugement déféré, par ailleurs régulier en la forme, n'est pas entaché de nullité. »

 2/ « Il convient d'observer, à l'encontre de cet argument, que la jurisprudence citée n'estime licites, comme conformes aux usages du commerce, que les ventes groupées de produits identiques ou complémentaires. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'assurance responsabilité civile que la loi fait obligation aux automobilistes de souscrire afin de permettre l'indemnisation des tiers en cas d'accident n'a pas le même objet que l'assurance « protection juridique », qui garantit à l'assuré la prise en charge de ses frais de procédure en cas de litige l'opposant à un tiers quelle que soit la nature de ce litige.

L'article L. 127-2 du code des assurances pose d'ailleurs le principe de l'autonomie de l'assurance protection juridique par rapport à d'autres garanties en énonçant que « l'assurance de protection juridique fait l'objet d'un contrat distinct ou d'un chapitre distinct d'une police unique avec indication du contenu de l'assurance de protection juridique et de la prime correspondante ». C'est donc par une interprétation erronée de ce texte, ou à tout le moins une lecture restrictive, que X. en déduit qu'il autorise les compagnies d'assurances à imposer aux souscripteurs une garantie « protection juridique » et à leur faire payer une prime unique pour toutes les garanties indiquées au contrat, alors que ce texte vise à l'évidence à protéger les consommateurs contre ce type d'abus.

Le législateur a voulu, également, prémunir les assurés contre les risques que comporterait, en cas de litige, une défense dont ils n'auraient pas la maîtrise, un conflit d'intérêt étant toujours possible entre l'assuré et sa compagnie (par exemple lorsque le recours juridique tend à l'indemnisation d'un autre risque couvert par la même compagnie, ou en cas d'entente entre les compagnies qui serait préjudiciable à l'une des parties). C'est pourquoi l'article L. 321-6 du code des assurances prévoit, dans son alinéa premier, que le personnel chargé de la gestion des sinistres de la branche protection juridique ou des conseils juridiques relatifs à cette gestion doit être distinct de celui qui travaille pour les autres branches d'assurances.

Enfin, s'agissant toujours de l'intérêt des assurés, il va de soi que ceux-ci ne sauraient être contraints à souscrire une assurance protection juridique alors qu'ils sont déjà garantis de ce risque par un autre organisme.

En conséquence, la compagnie « A. » n'avait aucun motif légal ou légitime, ainsi que l'a dit le premier juge, de violer les dispositions de l'article 30 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 en subordonnant l'octroi d'une garantie responsabilité civile à la souscription d'une garantie distincte. »

 

COUR D’APPEL DE PARIS

ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 1993

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PARTIES :

- Monsieur X.

- M. Le Procureur de la République

- Monsieur Y.

- Madame Z.

 

Rappel de la procédure : Par acte d'huissier en date du 18 août 1992, Y. faisait citer directement X. administrateur délégué aux fonctions de président de la société anonyme « A. » ainsi que Z., préposée de la même société devant le tribunal de police de Paris (2ème chambre) pour avoir subordonné, vis-à-vis du consommateur, une prestation de service à une autre prestation de service, faits prévus par l'article 30 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et réprimés comme contravention de la 5ème classe par l'article 33 du décret n° 86-1309 du 29 novembre 1986.

Par jugement contradictoire en date du 7 mai 1993, le tribunal a :

- renvoyé Z. des fins de la poursuite exercée à son encontre ;

- déclaré X. coupable de la contravention visée à la prévention et l'a condamné, de ce chef, à 5.000 Francs d'amende ;

- condamné X. à payer à Y., partie civile, la somme de 10.000 Francs à titre de dommages-intérêts et celle de 3.000 Francs en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Décision : Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant sur les appels interjetés par le prévenu X., le ministère public contre les deux prévenus, la partie civile, à l'encontre du jugement déféré ; s'y référant pour l'exposé de la prévention ;

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

A l'audience du 5 novembre 1993, X., représenté par son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de le relaxer purement et simplement des fins de la poursuite, de débouter la partie civile de l'ensemble de ses demandes et de lui donner acte de ce qu'il se réserve de déposer plainte en dénonciation calomnieuse.

Il fait valoir notamment, à l'appui de son recours :

- que le jugement déféré est nul, en application de l'article 459 du code de procédure pénale, pour n'avoir pas répondu à ses conclusions régulièrement déposées ;

- que la Cour de cassation a consacré depuis très longtemps la licéité de certaines ventes groupées, et que la garantie « protection juridique » forme un tout avec la garantie « responsabilité civile » ;

- que l'article L. 127-2 du code des assurances permet d'associer dans une police unique l'assurance protection juridique avec d'autres garanties ;

- que la garantie « protection juridique » est d'un intérêt évident pour l'assuré ;

- que la partie civile n'a subi aucun préjudice, puisque les autres garanties contenues dans le contrat lui étaient acquises depuis le 13 février 1992 et n'ont pris fin que le 16 mai 1992, suite à la demande faite par M. Y. auprès de M. P., agent général d'assurances, d'annuler le contrat.

Z., représentée par son conseil, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé sa relaxe ;

Elle fait valoir, dans ses écritures, qu'elle n'occupe aucun poste décisionnaire à la compagnie « A. » et ne bénéficie d'aucune délégation de pouvoir, qu'elle n'est pas intervenue dans la conclusion du contrat, que la lettre qu'elle a adressée à l'agent général P. est purement explicative et que la pratique de la société « A. » sur ce type de contrat relève d'une politique générale de la compagnie dont elle n'est nullement responsable.

M. Y. représenté par son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions de :

- confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions en ce qui concerne X. ;

- l'infirmer en ses dispositions concernant Z., de déclarer celle-ci coupable de l'infraction visée à la prévention, de la condamner aux peines prévues par la loi pénale ;

- dire que Mme Z. sera tenue in solidum avec M. X. des dommages-intérêts mis à la charge de ce dernier par le jugement du 7 mai 1993 ;

Y ajoutant, de condamner les deux prévenus à lui payer in solidum une somme supplémentaire de 10.000 Francs au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Il fait valoir à l'appui de son recours :

- que le tribunal a répondu aux conclusions de X. ;

- que la pratique reprochée à « A. », loin de constituer un usage toléré, a été condamnée par la commission des clauses abusives ;

- que les usages consacrés concernent des produits considérés comme identiques, alors que la garantie responsabilité civile obligatoire est totalement différente de la garantie « protection juridique » ;

- que l'article L. 127-2 du code des assurances laisse apparaître que la garantie « protection juridique » est un produit distinct, qui ne peut être ni englobé dans la prime générale, ni imposé au cocontractant ;

- que la pratique de la compagnie « A. » est contraire aux intérêts des consommateurs ;

- que son préjudice est certain puisqu'il a dû exposer des frais pour assurer son véhicule auprès d'une autre compagnie ;

- que Mme Z., signataire du courrier matérialisant l'infraction, doit être tenue pour pénalement responsable, et que la jurisprudence admet le principe du cumul de la responsabilité pénale du chef d'entreprise et de son préposé lorsque la loi ne prévoit pas l'imputation exclusive du premier, ce qui est le cas en l'espèce ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

1 - Rappel de faits tels qu'exposés dans la citation :

Début novembre 1991, Y. demandait au Cabinet P., agent général d'assurances de la compagnie « A. », de lui indiquer à quelles conditions de tarif il pourrait assurer son véhicule auprès de cette compagnie ; il lui était proposé, par lettre du 5 novembre, une garantie de responsabilité civile et « protection juridique étendue obligatoire », le coût de la prime semestrielle étant de 1.883 Francs. Le 9 janvier, il demandait au Cabinet P. de bien vouloir assurer son véhicule auprès de « A. » en « tous risques », à effet du 13 février 1992, hors protection juridique étendue. Le 13 février 1992, le cabinet P. adressait à Y. une proposition d'assurance que ce dernier remplissait et signait en barrant dans le cadre réservé aux garanties celle relative à la « protection juridique étendue » et en inscrivant le mot « non » en regard de cette garantie ; il faisait précéder sa signature de la mention : « lu et approuvé hors protection juridique étendue ». Le 18 mars 1992, « A. » lui adressait les conditions d'une police automobile à effet du 13 février 1992 incluant la garantie protection juridique « civis » étendue, moyennant une prime annuelle de 7.110 Francs, dont 83 Francs au titre de la protection juridique. Courant mars 1992, « A. » adressait à Y. une nouvelle proposition lui indiquant que la protection juridique étendue était obligatoire ; il refusait de la signer ;

Le 26 mars 1992, « A. » adressait à Y. un avis d'échéance de prime pour la période du 13 février au 31 juillet 1992, incluant l'assurance protection juridique, d'un montant de 4.432 Francs.

Le 7 avril 1992, Y. écrivait à « A. » pour lui rappeler qu'il n'avait pas demandé la garantie protection juridique, étant déjà assuré pour ce risque auprès d'une autre société, et lui demander de lui faire parvenir un contrat conforme à la demande.

Le 27 avril, la compagnie lui répondait, sous la signature de Madame Z. : « nous vous confirmons que la souscription de la garantie protection juridique est obligatoire (liée à la responsabilité civile), voir notre circulaire 1/91 du 25 février 1991. Dans la mesure où l'assuré ne désire pas cette garantie, il a la possibilité de résilier son contrat ».

Y., ne sachant si, malgré son refus de souscrire la garantie protection juridique, le contrat était valablement formé en ce qui concerne la garantie automobile obligatoire, souscrivait par précaution une autre assurance pour son véhicule en attendant la réponse de « A. ». Par courrier du 4 juin 1992, celle-ci le mettait en demeure de payer la prime de 4.432 Francs, faute de quoi le contrat serait résilié, la prime restant due à titre d'indemnité.

 

2 - Sur la régularité du jugement déféré :

X. fait valoir dans ses écritures que la décision du premier juge est entachée de nullité, en application de l'article 459 du code de procédure pénale, pour n'avoir pas répondu à ses conclusions.

Le prévenu a soutenu en première instance, à l'appui de sa demande de relaxe, que la jurisprudence avait justifié la possibilité de vendre par lots certains produits identiques ou complémentaires par la notion d'usage du commerce, et que l'article L. 127-2 du code des assurances permettait d'intégrer dans une police unique une assurance protection juridique et une assurance d'un autre type.

Le premier juge a répondu clairement à ces arguments en indiquant que la commission des clauses abusives avait considéré cette pratique comme illicite au regard de l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que la délivrance de la garantie automobile obligatoire en vertu des dispositions légales par « A. » était subordonnée à la souscription par l'assuré d'une garantie juridique étendue qu'aucun texte n'imposait, ni aucun motif légitime par ailleurs. Dès lors, le jugement déféré, par ailleurs régulier en la forme, n'est pas entaché de nullité.

 

3 - Discussion sur l'action publique :

Les faits exposés dans la citation, ci-dessus rappelés, ne sont pas contestés par les prévenus, si ce n'est que le courrier signé par Mme Z., en date du 29 avril 1992, était adressé, non à M. Y., mais au cabinet P., ce que confirme l'examen de ladite pièce.

En revanche, X. fait valoir que les usages du commerce autorisent certaines ventes groupées, que la licéité de ces ventes a été consacrée par la jurisprudence, et que la garantie « protection juridique » forme un tout avec la garantie « responsabilité civile ».

Il convient d'observer, à l'encontre de cet argument, que la jurisprudence citée n'estime licites, comme conformes aux usages du commerce, que les ventes groupées de produits identiques ou complémentaires. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'assurance responsabilité civile que la loi fait obligation aux automobilistes de souscrire afin de permettre l'indemnisation des tiers en cas d'accident n'a pas le même objet que l'assurance « protection juridique », qui garantit à l'assuré la prise en charge de ses frais de procédure en cas de litige l'opposant à un tiers quelle que soit la nature de ce litige.

L'article L. 127-2 du code des assurances pose d'ailleurs le principe de l'autonomie de l'assurance protection juridique par rapport à d'autres garanties en énonçant que « l'assurance de protection juridique fait l'objet d'un contrat distinct ou d'un chapitre distinct d'une police unique avec indication du contenu de l'assurance de protection juridique et de la prime correspondante ». C'est donc par une interprétation erronée de ce texte, ou à tout le moins une lecture restrictive, que X. en déduit qu'il autorise les compagnies d'assurances à imposer aux souscripteurs une garantie « protection juridique » et à leur faire payer une prime unique pour toutes les garanties indiquées au contrat, alors que ce texte vise à l'évidence à protéger les consommateurs contre ce type d'abus.

Le législateur a voulu, également, prémunir les assurés contre les risques que comporterait, en cas de litige, une défense dont ils n'auraient pas la maîtrise, un conflit d'intérêt étant toujours possible entre l'assuré et sa compagnie (par exemple lorsque le recours juridique tend à l'indemnisation d'un autre risque couvert par la même compagnie, ou en cas d'entente entre les compagnies qui serait préjudiciable à l'une des parties). C'est pourquoi l'article L. 321-6 du code des assurances prévoit, dans son alinéa premier, que le personnel chargé de la gestion des sinistres de la branche protection juridique ou des conseils juridiques relatifs à cette gestion doit être distinct de celui qui travaille pour les autres branches d'assurances.

Enfin, s'agissant toujours de l'intérêt des assurés, il va de soi que ceux-ci ne sauraient être contraints à souscrire une assurance protection juridique alors qu'ils sont déjà garantis de ce risque par un autre organisme.

En conséquence, la compagnie « A. » n'avait aucun motif légal ou légitime, ainsi que l'a dit le premier juge, de violer les dispositions de l'article 30 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 en subordonnant l'octroi d'une garantie responsabilité civile à la souscription d'une garantie distincte.

Il y a lieu, dès lors, l'infraction visée à la prévention étant constituée en tous ses éléments, de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré coupable X., président du conseil d'administration de A. et l'a condamné à 5.000 Francs d'amende, cette peine étant équitable. La pratique reprochée à « A. » s'inscrivant dans le cadre d'une politique générale, qui a d'ailleurs donné lieu à des instructions, de la part des dirigeants de la compagnie, à ses agents généraux, et relevant des pouvoirs discrétionnaires de ces dirigeants, il convient également de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a renvoyé Z., simple préposée de « A. », des fins de la poursuite exercée à son encontre.

 

4 - Discussion sur l'action civile :

Y. a subi, du fait de l'infraction dont X. s'est rendu coupable, un préjudice certain, direct et personnel, résultant notamment du fait, que craignant de ne pas être assuré, il a dû assurer son véhicule auprès d'une autre société. Le premier juge a fait une exacte appréciation de ce préjudice en fixant à 10.000 Francs la somme que X. devra verser à la partie civile à titre de dommages-intérêts ; le jugement sera donc, sur ce point, confirmé. Il convient également de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné X. à payer à Y. la somme de 3.000 Francs en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale et, y ajoutant de condamner le prévenu à verser à la partie civile une somme supplémentaire de 5.000 Francs au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposée en cause d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour

Statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels de X., du ministère public, et de Y., partie civile,

Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions tant pénales que civiles,

Y ajoutant, condamne X. à payer à Y. la somme supplémentaire de 3.000 Francs sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Le tout par application des articles 30 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 33 du décret n° 86-1309 du 20 novembre 1986, 512, 514 du code de procédure pénale.