TGI NANCY (2e ch. civ. sect. imm. et ass. civ.), 21 novembre 2008
CERCLAB - DOCUMENT N° 1434
TGI NANCY (2e ch. civ. sect. imm. et ass. civ.), 21 novembre 2008 : RG n° 08/02076 ; jugement n° 889
Publication : Annales de Faculté de Droit de Nancy n° 2
Extraits : 1/ « Le 23 mars 2007, le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY a souscrit auprès de l'agence de voyage PRÊT A PARTIR un contrat de vente de forfait touristique portant sur un voyage en MARTINIQUE, en demi-pension, pour 18 adultes et 2 enfants, au prix de 28.735,00 euros. Le voyage devait se dérouler du 25 octobre 2007 au 1er novembre 2007. Faisant état d'une épidémie de Dengue survenue en MARTINIQUE suite au passage du cyclone DEAN courant août 2007, le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY a assigné la SA PRÊT A PARTIR à jour fixe devant le Tribunal de Grande Instance de NANCY, afin d'obtenir avec exécution provisoire : - la résolution du contrat du 23 mars 2007 pour cas de force majeure et, subsidiairement, pour défaut de conseils et d'information… […]
En raison du caractère endémo-épidémique de la Dengue en MARTINIQUE depuis de nombreuses années, la survenance d'une nouvelle épidémie en septembre 2007 n'avait pas un caractère imprévisible. En outre, il y a lieu de relever que s'il n'existe ni vaccin, ni traitement particulier contre la Dengue, des moyens de prévention assez efficaces existent, en particulier l'usage de répulsifs et le port de vêtements longs pour se protéger des moustiques. De même, il convient d'observer que sur l'ensemble de l'épisode épidémique de 2007, moins de 5 % de la population martiniquaise a été contaminée ; que la maladie ne s'est manifestée dans sa forme sévère que dans 1,2 % des cas. Par conséquent, l'épidémie de Dengue de 2007 n'avait pas un caractère irrésistible. […]
Il ne saurait d'une part être valablement reproché à la SA PRÊT A PARTIR de n'avoir pas fourni d'information sur une épidémie inexistante lors de la formation du contrat.
2/ « Il ressort du contrat et de la dernière facture éditée par PRÊT A PARTIR que le prix du voyage s'élève à 29.655,00 euros taxes d'aéroport comprises. Des acomptes ont déjà été versés, à hauteur de 6.420,00 euros. Il convient en conséquence de condamner le comité d'établissement à payer la SA PRÊT A PARTIR la somme de (29.655,00 - 6.420,00) = 23.235,00 euros, au titre du solde de la facture restant dû. »
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE – SECTION IMM. ET ASS. CIV.
JUGEMENT DU 21 NOVEMBRE 2008
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 08/02076. Minute n° 889.
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT: Monsieur Fabien SON, Statuant par application des articles 801 à 805 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.
GREFFIER : Madame Lydie MANGEOT,
PARTIES:
DEMANDERESSE :
SA PRÊT A PARTIR
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est [adresse], représentée par Maître Sophie FERRY-BOUILLON, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 67
DÉFENDERESSE :
COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DE LA CLINIQUE TRAUMATOLOGIE ET D'ORTHOPÉDIE
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [adresse], représentée par Maître Pascal BERNARD, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 10
Clôture prononcée le : 23 septembre 2008.
Débats tenus à l'audience du : 24 octobre 2008.
Date de délibéré indiquée par le Président : 21 novembre 2008.
Jugement mis à disposition au greffe le 21 novembre 2008.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 23 mars 2007, le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY a souscrit auprès de l'agence de voyage PRÊT A PARTIR un contrat de vente de forfait touristique portant sur un voyage en MARTINIQUE, en demi-pension, pour 18 adultes et 2 enfants, au prix de 28.735,00 euros.
Le voyage devait se dérouler du 25 octobre 2007 au 1er novembre 2007.
Faisant état d'une épidémie de Dengue survenue en MARTINIQUE suite au passage du cyclone DEAN courant août 2007, le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY a assigné la SA PRÊT A PARTIR à jour fixe devant le Tribunal de Grande Instance de NANCY, afin d'obtenir avec exécution provisoire :
- la résolution du contrat du 23 mars 2007 pour cas de force majeure et, subsidiairement, pour défaut de conseils et d'information,
- la condamnation de la SA PRÊT A PARTIR à lui payer la somme de 6.200,00 euros au titre de l'acompte versé,
- la condamnation de la SA PRÊT A PARTIR à lui payer la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 24 octobre 2007, le Tribunal de Grande Instance de NANCY a déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir de son représentant l'action introduite par le comité d'établissement.
En définitive, les agents de la clinique ne sont pas partis en voyage et le solde de la facture réclamé par l'agence de voyage n'a pas été réglé.
Par acte du 10 mars 2008, la SA PRÊT A PARTIR a assigné à jour fixe le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY devant le Tribunal de Grande Instance de NANCY, afin d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes suivantes
- 23.235,00 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007, au titre du solde de la facture restant dû,
- 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2008, la SA PRÊT A PARTIR reprend ses demandes initiales.
Elle soutient que la preuve du cas de force majeure n'est pas rapportée ; que le caractère imprévisible de l'événement n'est ainsi pas établi, le virus de la Dengue étant constamment présent dans cette région du monde depuis le 18ème siècle ; que le caractère irrésistible de l'épidémie de Dengue n'est pas davantage caractérisé, dès lors que le risque de contamination est extrêmement faible et qu'il existe des mesures de protection.
[minute page 3] Elle ajoute qu'aucun manquement à l'obligation d'information et de conseil précontractuel ne peut lui être imputé ; qu'en effet, le voyage a été contracté fin mars 2007, alors qu'aucune épidémie de Dengue n'était signalée en MARTINIQUE ; qu'en outre, la présence de moustiques porteurs potentiels du virus en MARTINIQUE est séculaire.
Elle affirme également que le comité d'établissement ne peut invoquer un vice de consentement sur un élément essentiel du contrat, compte tenu de la très faible incidence de ce virus ; qu'informé de la présence du virus de la Dengue en MARTINIQUE le 14 septembre 2007, le défendeur aurait pu, dans le cadre du délai légal et contractuel de 30 jours avant le départ, annuler le contrat ; que son absence de réaction démontre le caractère non essentiel de cette information au moment de la conclusion du contrat.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 juin 2008, le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY demande au Tribunal de :
- prononcer la résiliation du contrat de vente de forfait touristique souscrit le 23 mars 2007 pour cas de force majeure et, subsidiairement, pour défaut de conseils et d'information,
- condamner la SA PRÊT A PARTIR à lui payer la somme de 6.200,00 euros au titre de l'acompte versé,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner la SA PRÊT A PARTIR à lui payer la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la SA PRÊT A PARTIR à lui payer la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il expose que les conditions de la force majeure sont réunies ; qu'en effet, la MARTINIQUE a été considérée comme étant en situation épidémique confirmée le 14 septembre 2007 ; que le voyage était prévu sur l'une des communes les plus touchées par l'épidémie ; que les cas de Dengue étaient de plus en plus nombreux et de plus en plus sévères ; que ce virus peut entraîner la mort et provoquer de fortes fièvres ou des courbatures pendant plusieurs semaines ; qu'aucun traitement préventif ni curatif n'existe à ce jour pour contrer ou soigner la maladie ; que ce n'est pas la Dengue elle-même qui est imprévisible mais l'épidémie dans son ampleur sans précédent; que l'irrésistibilité de l'épidémie réside dans sa nature et son ampleur, le fait d'utiliser des moustiquaires permettant de réduire le risque mais pas de le rendre nul.
Il rappelle ensuite que l'agence de voyage est tenue d'un devoir général d'information et de conseil précontractuel, en vertu des articles L. 111-1 du Code de la consommation et L. 211-1 du Code du tourisme. Or, il fait valoir que l'agence de voyage ne l'a jamais informé de la présence en MARTINIQUE d'un moustique pouvant transmettre le virus de la Dengue ; que pourtant, le risque d'épidémie de Dengue était patent en MARTINIQUE, de tels épidémies ayant déjà été constatées, en 2005 notamment ; que ce risque d'épidémie constituait un élément essentiel dans le choix du voyage.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2008.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] DISCUSSION :
Sur la demande principale de la SA PRÊT A PARTIR :
L'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L'article 1147 du Code civil ajoute que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
L'article 1148 du même Code précise qu'il n'y a aucun dommage et intérêt lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.
En l'espèce, il convient d'examiner les deux moyens invoqués par le comité d'établissement pour être dispensé d'exécuter son obligation de payer le prix du voyage en MARTINIQUE.
Sur le moyen tiré de la force majeure :
La force majeure suppose un événement imprévisible et irrésistible.
En l'espèce, il ressort de l'abondante documentation versée aux débats que la Dengue, maladie virale transmise par le moustique Aedes, est endémique en MARTINIQUE depuis le début des années 1980. Les dernières épidémies de Dengue sont survenues en 2001-2002 (24.000 cas suspects estimés) et en 2005-2006 (14.500 cas suspects estimés).
Le nombre de cas de Dengue a sensiblement augmenté à compter de la fin du mois d'août 2007. Le seuil épidémique a été dépasse en septembre 2007. Du 22 au 28 octobre 2007, 1.400 personnes ont ainsi consulté un médecin généraliste pour un syndrome clinique évocateur de Dengue. Du 29 octobre au 4 novembre 2007, les autorités sanitaires ont recensé 1.945 consultations de même nature.
Sans atteindre le niveau de 2001, l'épidémie de 2007-2008 a dépassé l'épidémie de 2005-2006 en ampleur (18.000 cas estimés contre 14.500) et gravite (1,2 % de formes sévères contre 0,3 %).
En raison du caractère endémo-épidémique de la Dengue en MARTINIQUE depuis de nombreuses années, la survenance d'une nouvelle épidémie en septembre 2007 n'avait pas un caractère imprévisible.
En outre, il y a lieu de relever que s'il n'existe ni vaccin, ni traitement particulier contre la Dengue, des moyens de prévention assez efficaces existent, en particulier l'usage de répulsifs et le port de vêtements longs pour se protéger des moustiques.
De même, il convient d'observer que sur l'ensemble de l'épisode épidémique de 2007, moins de 5 % de la population martiniquaise a été contaminée ; que la maladie ne s'est manifestée dans sa forme sévère que dans 1,2 % des cas.
[minute page 5] Par conséquent, l'épidémie de Dengue de 2007 n'avait pas un caractère irrésistible.
En définitive, le moyen tiré de la force majeure doit être écarté.
Sur le moyen tiré du non respect de l'obligation pré-contractuelle d'information et de conseil :
Aux termes des articles L. 111-1 du Code de la consommation, L. 211-9 et suivants du Code du tourisme) l'agence de voyage est tenue d'un devoir général d'information et de conseil pré-contractuel.
A ce titre, elle ne doit omettre aucune information sur les éléments essentiels du voyage, après d'être assurée que ces informations sont véridiques et conformes à la sécurité des clients.
Elle est ainsi tenue d'aviser le client des risques sanitaires encourus pendant le voyage.
En l'espèce, il est constant que le contrat a été conclu le 23 mars 2007, soit environ cinq mois avant l'apparition de l'épidémie de Dengue en MARTINIQUE.
Il ne saurait d'une part être valablement reproché à la SA PRÊT A PARTIR de n'avoir pas fourni d'information sur une épidémie inexistante lors de la formation du contrat.
D'autre part, le risque d'épidémie de Dengue, apprécié avec les données scientifiques disponibles lors de la conclusion du contrat, n'était certes pas exclu au regard de la présence endémo-épidémique de cette maladie depuis de nombreuses années en MARTINIQUE. Cependant, les deux précédentes épidémies, respectivement survenues en 2001-2002 et 2005-2006, avaient eu des conséquences limitées en terme de santé publique : seule une faible partie de la population martiniquaise avait été affectée (environ 5 % lors de chaque épidémie) par la Dengue, maladie bénigne dans la grande majorité des cas (seulement 0,3 % de formes sévères en 2005-2006). Dans ces conditions, le risque d'épidémie de Dengue ne constituait pas un élément essentiel du voyage lors de la formation du contrat, de sorte que la SA PRÊT A PARTIR n'était pas tenue d'en informer son client.
En conséquence, le second moyen développé par le comité d'établissement sera écarté.
Sur la somme restant due par le comité d'établissement :
Il ressort du contrat et de la dernière facture éditée par PRÊT A PARTIR que le prix du voyage s'élève à 29.655,00 euros taxes d'aéroport comprises.
Des acomptes ont déjà été versés, à hauteur de 6.420,00 euros.
Il convient en conséquence de condamner le comité d'établissement à payer la SA PRÊT A PARTIR la somme de (29.655,00 - 6.420,00) = 23.235,00 euros, au titre du solde de la facture restant dû.
Conformément à ta demande de la SA PRÊT A PARTIR et par application de l'article 1153 du Code civil, cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007, date postérieure a la mise en demeure faite par lettre recommandée avec accusé de réception.
[minute page 6]
Sur les demandes de dommages et intérêts :
La résistance opposée par le comité d'établissement ne révèle ni malice, ni mauvaise foi, ni erreur équipollente au dol. Il convient en conséquence de débouter la SA PRÊT A PARTIR de sa demande de dommages et intérêts.
Sur l'exécution provisoire :
La nature du présent litige ne justifie pas le prononcé de l'exécution provisoire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY succombant à la présente instance, il en supportera les entiers dépens.
L'équité commande cependant de débouter la SA PRÊT A PARTIR de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Il convient enfin de rejeter la demande présentée sur ce même fondement par le comité d'établissement, partie tenue aux dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
Condamne le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY à payer à la SA PRÊT A PARTIR la somme de 23.235,00 euros avec intérêts au taux légal a compter du 18 octobre 2007, au titre du solde de la facture restant dû
Déboute la SA PRÊT A PARTIR de sa demande de dommages et intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile
Condamne le comité d'établissement de la clinique de traumatologie et d'orthopédie de NANCY aux dépens.
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 6082 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Consentement - Permanence du Consentement - Consommateur - Clause de dédit ou d’annulation
- 6337 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Agence de voyages (1) - Formation du contrat