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TGI NANCY (2e ch. civ.), 5 décembre 2003

Nature : Décision
Titre : TGI NANCY (2e ch. civ.), 5 décembre 2003
Pays : France
Juridiction : TGI Nancy. 2ech. civ.
Demande : 03/02000
Date : 5/12/2003
Nature de la décision : Avant dire droit
Date de la demande : 31/03/2003
Décision antérieure : TGI NANCY (2e ch. civ.), 4 juin 2004
Numéro de la décision : 1052
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CERCLAB - DOCUMENT N° 1443

TGI NANCY (2e ch. civ.), 5 décembre 2003 : RG n° 03/02000 ; jugement n° 1052

(sur appel : TGI Nancy (2e ch.) 4 juin 2004 : RG n° 03/02000 ; jugement n° 623)

 

Extrait  : « Attendu que cette disposition déroge à la fois aux règles de compétence d'attribution et aux règles de compétence territoriale, en contraignant le co-contractant consommateur à renoncer à la saisine de son juge naturel pour pouvoir attraire son co-contractant en justice en se déplaçant devant la juridiction commerciale du lieu de situation du siège social du prestataire professionnel. Que les conséquences induites par cette clause litigieuse justifient que sa validité soit appréciée tant au regard des conditions dans lesquelles elle a été concrètement stipulée et acceptée, qu'à l'aune de la législation nationale et européenne régissant le droit des clauses abusives et notamment, l'article L. 132-1 du Code de la consommation et la directive 93/13 CEE du conseil de l'Europe en date du 05 avril 1993. Attendu qu'en vertu du pouvoir conféré au juge national d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause d'un contrat qui lui est soumis (CJCE 27 Juin 2000), sous réserve de veiller au respect du principe du caractère contradictoire des débats, il y a lieu, avant dire droit, de soulever d'office ce moyen, et d'inviter les parties à s'expliquer sur la validité de la clause litigieuse au regard des dispositions précitées, de la jurisprudence relative à la définition des clauses abusives, et de la recommandation n° 91-02 émise par la commission des clauses abusives le 23 mars 1990, publiée au BOCC du 06 Septembre 1991. Qu'il convient en conséquence d'ordonner la réouverture des débats et de surseoir à statuer sur l'intégralité des demandes des parties, les dépens étant réservés. »                     

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 5 DÉCEMBRE 2003

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 03/02000. Jugement n° 1052.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Madame Nathalie LECLERC-PETIT,

Statuant par application des articles 801 à 805 du Nouveau Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.

GREFFIER : Mademoiselle Ghislaine LACOUR,

 

PARTIES :

DEMANDERESSE :

Mademoiselle X.

représentée par Maître Christophe GUITTON, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro […] du […] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)

DÉFENDERESSE :

SA CHRONOPOST

prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège, dont le siège social est sis [adresse], représentée par la SCP GASSE CARNEL GASSE, avocats au barreau de NANCY, avocats postulants, SCP TINAYRE & Associés, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidants,

[minute page 2] Ordonnance du 25 mars 2003 autorisant à assigner à jour fixe le 17 avril 2003.

Débats tenus à l'audience du : 07 novembre 2003.

Date de délibéré indiquée par le Président : 05 décembre 2003.

 Jugement prononcé à l'audience du 05 décembre 2003.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

RAPPEL DES FAITS DE LA PROCÉDURE :

Le 27 mai 2002 Mademoiselle X. a remis à la Société CHRONOPOST un pli destiné à être livré en express à destination de Madame Y. à SANTIAGO DU CENTRO au CHILI.

Un bordereau de transport numéro XE 107077007 SR a été établi le jour même et signé par Mademoiselle X. en sa qualité d'expéditeur.

Ce pli n'est jamais parvenu à la destinataire désignée et a été retourné à l'expéditrice. Mademoiselle X. a formulé une réclamation avec demande d'explications à la Société CHRONOPOST selon lettre recommandée avec accusé réception en date du 17 juin 2002.

Par courrier en date du 27 juin 2002 la Société CHRONOPOST a adressé à Mademoiselle X. un chèque de 47,15 Euros en remboursement des frais de transport. Par courrier postérieur en date du 17 septembre 2002 adressé à Mademoiselle X. à l'issue des recherches entreprises, cette Société confirmait la livraison, en retour, du pli à sa destinataire, le 7 juin 2002.

Exposant que ce pli contenait un formulaire de demande d'octroi d'une bourse d'études auprès d'une Université Chilienne pour la session 2002-2003, qui devait parvenir à l'Université de SANTIAGO DU CHILI avant la date limite du 31 mai 2002, Mademoiselle X. a, après y avoir été autorisée par ordonnance sur requête en date du 27 mars 2003, fait signifier à la Société CHRONOPOST par acte d'Huissier en date du 31 mars 2003, assignation aux fins d'indemnisation de la perte de chance de bénéficier de la bourse dont s'agit qu'elle considère avoir subie, et qu'elle évalue à la somme totale de 7.681,06 Euros.

[minute page 3] Par conclusions signifiées le 30 avril 2003 emportant constitution d'Avocat, la Société CHRONOPOST a conclu à titre principal à l'incompétence du Tribunal de Grande Instance de NANCY au profit au premier chef du Tribunal de Commerce de PARIS et à titre subsidiairement du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE. Elle a sollicité subsidiairement le rejet des demandes de Mademoiselle X. comme tant irrecevables et mal fondées.

Suite à ses conclusions du 13 juin 2003 Mademoiselle X. a fait signifier le 19 août 2003 des conclusions récapitulatives et rectificatives au terme desquelles elle demande au Tribunal :

« Vu l'Article 1147 du Code Civil, vu l'Article 1150 du Code Civil vu les Articles 46 et 48 du Nouveau Code de Procédure Civile »

- de rejeter les exceptions d'incompétence soulevées par la Société CHRONOPOST

- de constater l'existence d'une faute lourde de la Société CHRONOPOST dans l'exécution du contrat de transport,

- Et en conséquence, de condamner la Société CHRONOPOST à verser à Mademoiselle X. la somme de 7.681,06 Euros,

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir nonobstant appel,

- de condamner la Société CHRONOPOST aux entiers dépens toutes taxes comprises.

 

Au soutien de ses prétentions tendant à voir rejeter les exceptions d'incompétence matérielle et territoriale invoquées par la Société CHRONOPOST, Mademoiselle X. fait valoir :

- d'une part, que la signature des conditions générales du contrat d'adhésion proposé par la Société CHRONOPOST à l'usager qu'elle était, n'a pu emporter renonciation de sa part à l'option de compétence qui lui était offerte en tant que demanderesse, non commerçante, et non professionnelle,

- d'autre part, que le Tribunal de Grande Instance de NANCY ne peut que se déclarer territorialement compétent en application de l'Article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile, comme étant le lieu de livraison effective de la chose, la clause stipulée au contrat et dérogeant aux règles de compétence territoriale, ne pouvant lui être opposée et étant réputée non écrite, eu égard à sa qualité de non commerçante, en application de l'Article 48 du Nouveau Code de Procédure Civile.

[minute page 4] Sur le fond, Mademoiselle X. fait valoir :

- que la livraison du colis à la date convenue constituait une condition substantielle de son paiement et déterminante de son consentement,

- que le manquement commis par la Société CHRONOPOST à ses obligations principales de célérité et de livraison caractérise objectivement la commission d'une faute lourde, l'empêchant de lui opposer toute limitation contractuelle de responsabilité, en application de l'Article 1150 du Code Civil. La demanderesse réclame en conséquence indemnisation de la perte de chance réelle et sérieuse d'obtenir la bourse sollicitée, qu'elle estime avoir subie, s'agissant, selon elle, d'un préjudice futur mais certain.

 

En défense, la Société CHRONOPOST a fait signifier successivement le 10 juin 2003 puis le 24 septembre 2003 des conclusions récapitulatives et responsives tendant :

- à voir le Tribunal, se déclarer incompétent et renvoyer l'affaire : matériellement au bénéfice des Juridictions consulaires, territorialement au profit des Tribunaux de PARIS et à défaut de NANTERRE,

- Subsidiairement, à entendre déclarer Mademoiselle X. irrecevable au moins mal fondée dans toutes ses demandes, fins et conclusions et à l'en voir débouter,

- à la voir condamner à lui payer la somme de 2.000 Euros au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP GASSE-CARNEL-GASSE Avocats.

Au soutien des exceptions d'incompétence territoriale et matérielle qu'elle invoque, la Société CHRONOPOST fait valoir :

A titre principal, qu'en acceptant, la clause attributive de juridiction au Tribunal de Commerce de PARIS, la demanderesse, partie non commerçante a, par avance exercé l'option dont elle disposait, en faveur de la juridiction consulaire et précisément en faveur du Tribunal de Commerce de PARIS, au motif que l'impossibilité de déroger à la compétence de la juridiction civile en matière mixte, ne s'applique que lorsque la partie commerçante est demanderesse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

[minute page 5] A titre subsidiaire qu'à supposer que le Tribunal se déclare compétent matériellement, seul peut être désigné le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE dans le ressort duquel se trouve son siège social de partie défenderesse ; l'option de compétence prévue par l'Article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit du Tribunal de livraison de la chose ou de l'exécution de la prestation de service, étant inapplicable dès lors que la restitution du colis à l'expéditeur caractérise une inexécution de la prestation.

 

Au soutien de sa demande tendant à voir rejeter la demande d'indemnisation de Mademoiselle X., la Société CHRONOPOST fait valoir que les conditions de la faute lourde ne sont pas réunies en l'espèce, celle-ci, ne pouvant se déduire ni de la simple perte du colis, ni du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir donner d'éclaircissements sur les causes et circonstances de la perte.

Elle ajoute qu'en l'absence de preuve par Mademoiselle X. de faits précis caractérisant une négligence d'une extrême gravité confinant au dol, les dispositions de l'Article 1150 du Code Civil excluant l'indemnisation d'un dommage imprévisible au moment du contrat de transport, doivent bénéficier à la Société CHRONOPOST,

Plus subsidiairement, la Société CHRONOPOST oppose à Mademoiselle X. une absence de preuve de son préjudice, faute de démontrer que le pli litigieux aurait contenu la candidature dont l'original n'est pas versé aux débats, et ajoute, qu'en tout état de cause, l'Article 7 des conditions générales du contrat exclut la prise en charge des préjudices immatériels.

A titre encore plus subsidiaire, et s'il par impossible le Tribunal considérait que la demande concerne un préjudice prévisible et justifié, la SA CHRONOPOST expose que l'indemnisation ne saurait dépasser le montant du prix de transport qui lui a déjà été remboursé, en application de la clause limitative stipulée au contrat, et dont les termes reprennent la clause réglementaire du contrat de transport type messagerie.

L'affaire successivement appelée aux audiences les 17 avril, 26 juin, 10 juillet, 05 septembre, 09 octobre a été plaidée le 07 novembre 2003 date à laquelle elle a été mise en délibéré au 05 décembre 2003.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 6] MOTIF DU JUGEMENT :

SUR LA COMPÉTENCE :

Attendu que le demandeur non commerçant partie à un acte mixte dispose d'une option de compétence lui permettant d'attraire le défendeur commerçant devant la juridiction civile ou devant la juridiction commerciale.

Attendu qu'il est admis que la stipulation, dans un acte mixte, d'une clause attributive de compétence à un Tribunal de commerce ne permet pas au commerçant d'attraire le non-commerçant devant cette juridiction, mais emporte par contre pour le non-commerçant, dès lors qu'il est demandeur à la procédure, renonciation au bénéfice de l'option de compétence.

Mais attendu que cette solution qui consiste à consacrer, en l'absence de texte le prévoyant expressément, et avant tout litige, la validité d'une renonciation à l'option de compétence offerte en principe à la partie non commerçante à un acte mixte, suppose non seulement que la règle de compétence à laquelle il est dérogé ne soit par d'ordre public, mais également que la clause dont s'agit ait été réellement connue et acceptée par la partie demanderesse au moment de la formation du contrat.

Attendu qu'en l'espèce, le contrat de transport signé le 27 mai 2002 à NANCY par Mademoiselle X., s'analyse en un contrat d'adhésion conclu entre un commerçant professionnel, la SA CHRONOPOST d'une part et un simple consommateur, d'autre part.

Que ce contrat stipule à l'article 14 de ces conditions générales une clause d'attribution de juridiction rédigée en ces termes : « tous litiges relatifs à l'exécution, à l'interprétation ou à la résiliation du présent contrat relèvent de la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris, même en cas de pluralité de défendeurs ou d'appels en garantie. »

Attendu que cette disposition déroge à la fois aux règles de compétence d'attribution et aux règles de compétence territoriale, en contraignant le co-contractant consommateur à renoncer à la saisine de son juge naturel pour pouvoir attraire son co-contractant en justice en se déplaçant devant la juridiction commerciale du lieu de situation du siège social du prestataire professionnel.

Que les conséquences induites par cette clause litigieuse justifient que sa validité soit appréciée tant au regard des conditions dans lesquelles elle a été concrètement stipulée et acceptée, qu'à l'aune de la législation nationale et européenne régissant le droit des clauses abusives et notamment, l'article L. 132-1 du Code de la consommation et la directive 93/13 CEE du conseil de l'Europe en date du 05 Avril 1993.

[minute page 7] Attendu qu'en vertu du pouvoir conféré au juge national d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause d'un contrat qui lui est soumis (CJCE 27 Juin 2000), sous réserve de veiller au respect du principe du caractère contradictoire des débats, il y a lieu, avant dire droit, de soulever d'office ce moyen, et d'inviter les parties à s'expliquer sur la validité de la clause litigieuse au regard des dispositions précitées, de la jurisprudence relative à la définition des clauses abusives, et de la recommandation n° 91-02 émise par la commission des clauses abusives le 23 Mars 1990, publiée au BOCC du 06 Septembre 1991.

Qu'il convient en conséquence d'ordonner la réouverture des débats et de surseoir à statuer sur l'intégralité des demandes des parties, les dépens étant réservés.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, avant dire droit :

SOULÈVE d'office le moyen tiré de la conformité de la clause attributive de compétence matérielle et territoriale au Tribunal de Commerce de PARIS aux dispositions du droit national et de droit européen régissant les clauses abusives insérées dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

INVITE AVANT DIRE DROIT les parties à s'expliquer contradictoirement sur ce moyen.

SURSOIT À STATUER sur l'intégralité des demandes des parties ainsi que sur les frais irrépétibles.

RÉSERVE les dépens.

ORDONNE la réouverture des débats à l'audience de plaidoiries du 26 mars 2004 à 9 heures et institue préalablement le présent calendrier de procédure valant injonction :

- pour la SELARL JURI'ACT, constituée dans l'intérêt de Mademoiselle X., de conclure sur le moyen soulevé d'office avant le 20 janvier 2004,

- pour la SCP GASSE CARNEL constituée dans l'intérêt de la SA CHRONOPOST de conclure en réponse sur ce même moyen avant le 24 février 2004.

Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.