TGI NANCY (2e ch.), 17 juin 1999
CERCLAB - DOCUMENT N° 1457
TGI NANCY (2e ch.), 17 juin 1999 : RG n° 97/04634 ; jugement n° 610
(sur appel : CA NANCY 1re ch. civ. 28 janvier 2003, RG n° 99/02440, arrêt n° 218/03)
Extrait : « Que les articles § 22 b et § 23 du titre B IV des conditions spéciales consacré au risque du vol prévoient un cas d'exclusion de garantie à savoir : § 22 b « sauf convention contraire mentionnée aux conditions particulières, toute disparition, détérioration, destruction résultant d'un vol commis ou tenté ou d'un acte de vandalisme commis au cours d'une période d'inhabitation, alors que les locaux ont déjà été inhabités pendant 90 jours depuis le début de l'année d'assurance en cours », § 23 « Par inhabitation, on entend l'abandon complet des locaux dans lequel ne couche pas pendant plus de trois nuits consécutives ni l'assuré, ni aucun membre de sa famille, les périodes d'habitation n'excédant pas trois jours n'étant pas considérées comme interrompant une inhabitation » ;
Attendu que tout l'objet et l'intérêt de cette assurance est de prémunir l'assuré contre un risque de vol, qui est par hypothèse accru avec l'absence de son propriétaire ; Que dès lors le contrat « multirisques – habitation » est précisément souscrit en prévoyance d'absences pour couvrir le risque garanti ; Attendu qu'une telle clause prévoyant une exclusion en cas d'inhabitation de 90 jours cumulés sur une année d'assurance constitue un seuil particulièrement aisé à atteindre et place l'assureur dans une position favorable face à l'assuré ; Qu'elle oblige l'assuré à tenir un décompte précis sur une année du nombre de jours d'inhabitation et à défaut, le met dans l'impossibilité pratique de savoir s'il est ou non assuré ; Qu'en définitive, elle a pour effet de faire perdre très facilement tout l'effet du contrat et de la garantie contre le risque en vertu duquel l'assuré a entendu se protéger ; Attendu par ailleurs qu'une telle disposition contractuelle met l'assuré face à des difficultés de preuve quasi inextricables quant à l'occupation des locaux assurés puisque la notion d'habitation pendant 90 jours qui entraîne l'exclusion de la garantie s'entend de toutes les périodes d'inhabitation cumulées sur la durée d'une année d'assurance ;
Que dès lors, dans l'optique d'un éventuel contentieux avec son assureur, l'assuré doit être capable non seulement de comptabiliser ses absences mais encore de les prouver, fussent-elles brèves ; Attendu qu'en outre, aucune pièce du dossier ne permet de dire que l'attention de Mme X. a été précisément attirée sur cette clause d'exclusion qui aujourd'hui la prive contre toute attente d'une garantie qu'elle entendait faire jouer ; Qu'étant victime d'hospitalisations répétées et longues en raison de son âge, elle aurait sans aucun doute accepté une modification de son contrat, si elle avait eu en mémoire cette clause ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 17 JUIN 1999
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 9704634. Jugement n° 610. Codification 584 Demande en paiement de l’indemnité AS. dans une assurance de dommages.
DEMANDEURS :
Nom et prénom ou dénomination : Mme X.
Domicile ou siège social : [adresse] - Représenté par La SCP BUISSON BEHR MULLER au barreau de Nancy
DÉFENDEURS :
Nom et prénom ou dénomination : Cabinet BERTHEMIN et LEMOINE
Domicile ou siège social : [adresse]
Nom et prénom ou dénomination : Compagnie Assurance CONCORDE
Domicile ou siège social : [adresse]
Représenté par Maître JOFFROY Yves-Pierre, avocat au barreau de Nancy
[minute page 2]
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Président : G. SCHAMBER. Juges : D. MARTINO, C. ROUCAIROL.
GREFFIER : C. MISSEY.
MINISTÈRE PUBLIC : Auquel le dossier a été communiqué : -/-
Représenté aux débats par -/-
DÉBATS : à l'audience publique du 6 mai 1999, le Président a déclaré que le jugement sera rendu le 17 juin 1999, sur le rapport de C. ROUCAIROL.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, prononcé publiquement et signé par G. SCHAMBER, Président et C. MISSEY, Greffier, laquelle a assisté à son prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Mme X. a déposé plainte auprès des services de Gendarmerie de FROUARD pour un vol commis à son domicile, le 12 novembre 1995, et a déclaré le sinistre auprès de la SA CONCORDE l'assurant suivant contrat n° XX Q.
La SA CONCORDE a refusé de l'indemniser et lui a opposé une exclusion de garantie pour inhabitation de plus de 90 jours prévue à l'article § 22 b des conditions spéciales de la police.
Par acte d'huissier en date des 29 août 1997 Mme X. a fait assigner la SA CONCORDE et le Cabinet BERTHEMIN et LEMOINE, son agent d'assurance, demandant au Tribunal de :
- déclarer abusive et, par conséquent, nulle et non écrite la clause d'inhabitation prévue au contrat,
- condamner la SA CONCORDE à payer les sommes de 235.389 francs avec intérêts de droit à compter de la demande, au titre de l'indemnisation de son préjudice, 11.769,45 francs au titre des frais d'expertise amiable, 10.000 francs à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi que les dépens,
- à titre subsidiaire, condamner in solidum la SA CONCORDE et le Cabinet d'assurance au paiement des mêmes sommes sur le fondement du manquement aux devoirs de conseil et de renseignement de l'agent d'assurance,
- le tout assorti de l'exécution provisoire.
[minute page 3] Attendu enfin que la Commission des Clauses Abusives a dans une recommandation N° 85-04 du 20 septembre 1985 déclaré abusive une telle clause d'inhabitation, qui doit disparaître des contrats d'assurance ;
Que si cet avis n'a pas une valeur obligatoire, il n'en a pas moins une force incitative sur laquelle peuvent se fonder les juges pour qualifier le caractère abusive d'une clause ;
Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces constatations, que la clause contractuelle litigieuse a pour conséquence de créer au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Que dès lors, en application de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation, cette clause doit être réputée non écrite ;
Sur l'étendue du préjudice :
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X. a fait appel au Cabinet expertise Y. et la SA CONCORDE au Cabinet Z. ;
Que l'article 9 § 37 des conditions générales impose à Mme X. de justifier de l'existence et de la valeur des biens, qui correspond à la valeur de remplacement vétusté déduite ;
Que si l'état préparatoire au règlement effectué par le Cabinet Y. indique un préjudice de 235.389 francs, il n'en reste pas moins que le montant du préjudice pour lequel la demanderesse apporte des justificatifs s'élève à 130.159 francs ;
Qu'après déduction de la vétusté 25 %, le préjudice de Mme X. s'élève à la somme arrondie à 97.620 francs outre intérêts au taux légal à compter du 26 août 1997, date de l'assignation ;
Attendu que les dispositions du titre B relatives au vol prévoient que les honoraires d'expert font partie intégrante des dommages donnant lieu à indemnisation ;
Que la somme de 11.769,45 francs devra être allouée à Mme X. au titre des frais d'expert restés à sa charge ;
Attendu qu'il convient de rappeler que seule la Compagnie GENERALI FRANCE ASSURANCES (anciennement dénommée la CONCORDE) doit être condamnée au règlement des indemnités, le Cabinet BERTHEMIN et LEMOINE n'ayant été assigné qu'à titre subsidiaire ;
Attendu que Mme X. n'apporte pas la preuve d'un préjudice autre que celui résultant du simple retard de paiement d'ores et déjà sanctionné par l'allocation des intérêts moratoires ;
[minute page 4] Dans ses écritures, Mme X. expose [que] la clause d'inhabitation est abusive au sens de l'article L. 132 du Code de la Consommation, conformément à l'avis rendu par la Commission des Clauses Abusives en date du 6 décembre 1985 et qu'elle est de surcroît inapplicable, son absence étant due à un cas de force majeure.
A titre subsidiaire, Mme X. invoque la responsabilité de la Compagnie d'Assurance et de son agent qui ont failli à leurs devoirs de conseil en ne l'informant pas de la nécessité de prévoir une disposition particulière pour faire échec à cette clause, alors qu'ils étaient parfaitement renseignés sur son état de santé dans le cadre de relations contractuelles privilégiées.
Dans ses conclusions signifiées le 30 avril 1998, les défendeurs ont sollicité le débouté des demandes en application de la clause d'exclusion de garantie.
Ils exposent que cette disposition classique et clairement indiquée dans le contrat ne peut être considérée comme abusive, la recommandation invoquée n'ayant aucune valeur impérative et que la preuve d'une faute quelconque de leur part n'est pas rapportée.
Ils contestent, à titre subsidiaire, l'évaluation du préjudice, indiquant que Mme X. ne peut réclamer une somme supérieure à 60.459 francs, ni les frais d'expertise amiable n'étant pas restés à sa charge.
Dans ses écritures ultimes, Mme X. a maintenu l'ensemble de ses demandes.
L'ordonnance de clôture a été rendue, le 23 février 1999 et l'affaire a été mise en délibéré à l'audience du 6 mai 1999.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS ET DÉCISION :
Sur la validité de la clause :
Attendu que l'article L. 132-1 du Code de la Consommation dispose que : « dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.... les clauses abusives sont réputées non écrites » ;
Qu'en l'espèce, Mme X. a conclu avec la SA CONCORDE un contrat dénommé « tout en un » dont l'objet est de garantir son souscripteur contre les risques d'incendie, de vol, d'accidents d'eau et de responsabilité civile ;
Que les articles § 22 b et § 23 du titre B IV des conditions spéciales consacré au risque du vol prévoient un cas d'exclusion de garantie à savoir :
[minute page 5] § 22 b « sauf convention contraire mentionnée aux conditions particulières, toute disparition, détérioration, destruction résultant d'un vol commis ou tenté ou d'un acte de vandalisme commis au cours d'une période d'inhabitation, alors que les locaux ont déjà été inhabités pendant 90 jours depuis le début de l'année d'assurance en cours »,
§ 23 « Par inhabitation, on entend l'abandon complet des locaux dans lequel ne couche pas pendant plus de trois nuits consécutives ni l'assuré, ni aucun membre de sa famille, les périodes d'habitation n'excédant pas trois jours n'étant pas considérées comme interrompant une inhabitation » ;
Attendu que tout l'objet et l'intérêt de cette assurance est de prémunir l'assuré contre un risque de vol, qui est par hypothèse accru avec l'absence de son propriétaire ;
Que dès lors le contrat « multirisques – habitation » est précisément souscrit en prévoyance d'absences pour couvrir le risque garanti ;
Attendu qu'une telle clause prévoyant une exclusion en cas d'inhabitation de 90 jours cumulés sur une année d'assurance constitue un seuil particulièrement aisé à atteindre et place l'assureur dans une position favorable face à l'assuré ;
Qu'elle oblige l'assuré à tenir un décompte précis sur une année du nombre de jours d'inhabitation et à défaut, le met dans l'impossibilité pratique de savoir s'il est ou non assuré ;
Qu'en définitive, elle a pour effet de faire perdre très facilement tout l'effet du contrat et de la garantie contre le risque en vertu duquel l'assuré a entendu se protéger ;
Attendu par ailleurs qu'une telle disposition contractuelle met l'assuré face à des difficultés de preuve quasi inextricables quant à l'occupation des locaux assurés puisque la notion d'habitation pendant 90 jours qui entraîne l'exclusion de la garantie s'entend de toutes les périodes d'inhabitation cumulées sur la durée d'une année d'assurance ;
Que dès lors, dans l'optique d'un éventuel contentieux avec son assureur, l'assuré doit être capable non seulement de comptabiliser ses absences mais encore de les prouver, fussent-elles brèves ;
Attendu qu'en outre, aucune pièce du dossier ne permet de dire que l'attention de Mme X. a été précisément attirée sur cette clause d'exclusion qui aujourd'hui la prive contre toute attente d'une garantie qu'elle entendait faire jouer ;
Qu'étant victime d'hospitalisations répétées et longues en raison de son âge, elle aurait sans aucun doute accepté une modification de son contrat, si elle avait eu en mémoire cette clause ;
[minute page 6] Attendu que la demande présentée à titre de dommages et intérêts complémentaires doit être rejetée comme injustifiée et non fondée ;
Attendu que l'exécution provisoire doit être ordonnée comme étant nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire;
Attendu qu'il y a lieu d'allouer à Mme X. la somme de 8.500 francs, au titre des frais de procédure non compris dans les dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort.
DIT que la clause § 22 b du TITRE B des conditions spéciales du contrat « tout en un » souscrit par Mme X. auprès de la SA CONCORDE doit être déclarée abusive et réputée non écrite.
En conséquence, CONDAMNE la Compagnie GENERALI FRANCE ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme X. les sommes de :
- QUATRE VINGT DIX SEPT MILLE SIX CENT VINGT FRANCS (97.620 francs) au titre de l'indemnité d'assurance,
- ONZE MILLE SEPT CENT SOIXANTE NEUF FRANCS QUARANTE CINQ CENTIMES (11.769,45 francs) au titre des frais d'expertise, les deux sommes portant intérêts au taux légal à compter du 26/08/1997.
RAPPELLE que le Cabinet BERTHEMIN et LEMOINE est mis hors de cause pour les demandes présentées à titre subsidiaire.
ORDONNE l'exécution provisoire.
CONDAMNE la Compagnie GENERALI FRANCE ASSURANCES à payer à Mme X. la somme de HUIT MILLE CINQ CENTS FRANCS (8.500 francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
CONDAMNE la Compagnie GENERALI FRANCE ASSURANCES aux dépens distraits au profit de la SCP BUISSON ET BEHR.
Rejette toutes prétentions plus amples ou contraires.
Ainsi fait, jugé et statué en audience publique du Tribunal de céans les jour, mois et an susdits.
Le Greffier Le Président,
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- 5816 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Illustrations : Loi n° 95-96 du 1er février 1995
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