CA PAU (2e ch. 1re sect.), 30 avril 2009
CERCLAB - DOCUMENT N° 2299
CA PAU (2e ch. 1re sect.), 30 avril 2009 : RG n° 08/01933 ; arrêt n° 1926/09
Extrait : « En l'espèce, il est certain que l'acquisition du matériel de torréfaction était destinée à une exploitation commerciale, ce que corrobore la remise de kits publicitaires et l'étude économique prévisionnelle ; Cette seule constatation suffit à écarter la vente litigieuse des dispositions légales applicables en matière de démarchage, peu important que l'activité susceptible d'être développée au moyen de cette acquisition ne présenterait pas de rapport avec l'activité commerciale existante au moment de l'acquisition ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAU
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 30 AVRIL 2009
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 08/01933. Arrêt n° 1926/09.
Nature affaire : Demande en nullité de la vente ou d'une clause de la vente.
ARRÊT : Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 avril 2009, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de Procédure Civile.
DÉBATS : Audience publique tenue le 26 février 2009, devant :
Monsieur DARRACQ, magistrat chargé du rapport, assisté de Madame SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes. Monsieur DARRACQ, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Monsieur LARQUE et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur LARQUE, Président
Monsieur FOUASSE, Conseiller
Monsieur DARRACQ, Vice-Président placé, désigné par ordonnance du 30 janvier 2009 [minute Jurica page 2] qui en ont délibéré conformément à la loi.
APPELANTE :
SARL CONCEPTICA
[adresse], agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour, assistée de Maître BERL, avocat au barreau de TOULOUSE.
INTIMÉE :
Madame Y. épouse X.
née le [date] à [ville], [adresse], (bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2008/XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU), représentée par la SCP P. et C. LONGIN, P. LONGIN-DUPEYRON, O. MARIOL, avoués à la Cour, assistée de la SCP BERRANGER - BURTIN PASCAL, avocats au barreau de TARBES.
Sur appel de la décision en date du 28 AVRIL 2008 rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE TARBES.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 23 février 2006, Madame X., exploitante d'un fonds de commerce de vente de produits naturels à [ville V.] a été démarchée dans son magasin par un représentant commercial de la société CONCEPTICA qui commerciale notamment des appareils de torréfaction.
Suivant bon de commande du même jour, Madame X. a acquis une unité de torréfaction, un moulin « santos », et un kit de matériels publicitaires et commerciaux moyennant le prix de 15.127 euros TTC, et a tiré un chèque de 2.479 euros 'à titre d'acompte'.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 2 mars 2006, Madame X. a [minute Jurica page 3] dénoncé sa commande.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 mars, la société CONCEPTICA a mis Madame X. en demeure d'honorer ses engagements.
Suivant exploit du 1er août 2007, Madame X. a fait assigner la société CONCEPTICA en restitution de la somme de 2.479 euros.
La société défenderesse s'opposait à cette demande et concluait reconventionnellement au paiement du solde du prix de vente.
Par jugement en date du 28 avril 2008, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance, comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le tribunal de commerce de Tarbes a :
- prononcé la résolution de la vente, en application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation,
- condamné la société CONCEPTICA à restituer à Madame X. la somme de 2.479 euros outre les intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné la société CONCEPTICA à payer à Madame X. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la société CONCEPTICA de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société CONCEPTICA aux dépens.
La société CONCEPTICA a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 mai 2008, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.
Par conclusions déposées le 11 décembre 2008, Madame X. a demandé à la Cour de :
- débouter la société CONCEPTICA de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris,
- y ajoutant, condamner la société CONCEPTICA au paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner la société CONCEPTICA au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
A titre principal, Madame X., qui se présente comme une commerçante âgée, affaiblie par la maladie et dans une situation économique précaire, aujourd'hui à la retraite, a conclu à la résolution du contrat sur le fondement de l'article L. 121-21 du Code de la consommation en soutenant que l'acquisition du matériel litigieux n'avait aucun rapport direct avec son activité commerciale qu'elle envisageait même de cesser pour prendre sa retraite.
[minute Jurica page 4] Subsidiairement, l'intimée demande à la Cour de juger qu'elle a été trompée par les manœuvres abusives et déloyales de la société CONCEPTICA aux motifs que :
- le bon de commande a été obtenu d'une personne fragile et à la suite de longs pourparlers achevés vers 23 heures,
- le matériel litigieux ne rentre pas dans le domaine d'activité habituel,
- son engagement a été obtenu en toute connaissance de l'absence de financement de l'achat litigieux,
- le chèque de 2.479 euros lui a été abusivement soutiré,
- la société CONCEPTICA n'a pas exécuté des prestations,
- la société CONCEPTICA a méconnu son obligation d'information en ce que :
- les arguments économiques présentés dans le prévisionnel ne sont pas sérieux ; ils sont même irréalistes pour une « création » d'activité totalement nouvelle et sans relation avec l'activité exercée, le tout dans un magasin implanté en zone rurale,
- le chiffre d'affaires prévu est sans commune mesure avec les possibilités du magasin et le fait qu'elle exerce seule son activité dans des locaux trop exigus pour y accueillir ce matériel
- les 2000 prospectus PTT présentés par la société CONCEPTICA ne sont que des promesses dans le cadre d'un projet économique nébuleux et peu sérieux
- la société CONCEPTICA n'ignorait pas son intention de prendre la retraite, du fait qu'elle ne disposait d'aucun crédit compte tenu de sa maladie et de son âge et de la modicité de revenus de son activité commerciale,
- la société CONCEPTICA, professionnel averti dans la commercialisation d'appareils professionnels par démarchage se devait d'entendre le déséquilibre économique que cette vente abusive provoquait et proposait une solution économiquement viable,
- elle est recevable à demander en appel une indemnité de 5.000 euros sur le fondement d'une procédure abusive, sinon à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Par conclusions déposées le 3 novembre 2008, la société CONCEPTICA a demandé à la Cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- condamner Madame X. à régler la somme de 12.648 euros représentant le solde du prix de vente, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2006,
- condamner Madame X. à rembourser la somme de 4.639,22 euros réglée en exécution du jugement déféré assorti de l'exécution provisoire,
- condamner Madame X. à régler la somme de 1.420,52 euros à titre de dommages-intérêts par application de l'article 7-c des conditions générales,
- condamner Madame X. à payer à la société CONCEPTICA la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
[minute Jurica page 5] L'appelante fait valoir que :
- la vente litigieuse est exclue du champ des dispositions légales applicables en matière de démarchage puisque fondée sur un objet commercial destinée à développer une clientèle complémentaire,
- si le matériel n'a pas été livré et les prestations non fournies c'est précisément en raison de l'inexécution par Madame X. de son obligation d'honorer la commande,
- la demande de dommages-intérêts « tirée du dol » est irrecevable comme nouvelle en appel,
- suite à la prospection et à de longs pourparlers, Madame X. a donné son consentement en pleine connaissance de cause,
- la vente étant parfaite au sens de l'article 1583 du Code civil, Madame X. est tenue d'en exécuter tous les termes.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 2 février 2009.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
SUR LE DÉMARCHAGE :
Au terme de l'article L. 121-22, 4° du Code de la consommation, sont exclues du champ d'application des dispositions légales en matière de démarchage, les ventes ou prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle ou artisanale ou de toute autre profession ;
En l'espèce, il est certain que l'acquisition du matériel de torréfaction était destinée à une exploitation commerciale, ce que corrobore la remise de kits publicitaires et l'étude économique prévisionnelle ;
Cette seule constatation suffit à écarter la vente litigieuse des dispositions légales applicables en matière de démarchage, peu important que l'activité susceptible d'être développée au moyen de cette acquisition ne présenterait pas de rapport avec l'activité commerciale existante au moment de l'acquisition ;
Par conséquent, le jugement entrepris sera infirmé ;
SUR LE DOL :
Il faut ici requalifier la demande de « résolution de la vente » en demande de nullité pour dol ;
En l'espèce, « aux termes de longs pourparlers », selon l'expression des parties, achevés vers 23 heures le jour même du démarchage, selon Madame X., non démentie sur ce point, cette dernière, née en 1952, classée en catégorie « travailleur handicapé » par la COTOREP en septembre 2005, profane de la vente de café torréfié, a acquis un matériel de torréfaction et son kit publicitaire pour un montant de 15.127 euros TTC alors que son activité commerciale de vente de produits naturels, exercée dans un local de 25 m², était des plus limitée comme en témoigne le bénéfice net de 1.200 euros dégagé pour l'année 2006 ;
Pour emporter la conviction de Madame X., le représentant commercial lui a remis une étude prévisionnelle faisant ressortir une marge bénéficiaire mensuelle de 2.537,60 euros qui ne repose sur aucun élément étayé par une quelconque documentation mais des [minute Jurica page 6] postulats démographiques et économiques arbitraires et généraux inadaptés aux spécificités socio-économiques et au marché local compris dans une zone rurale peu dynamique tout en faisant abstraction des charges d'exploitation, autres que l'achat du café, et notamment les charges financières liées au financement de l'acquisition auquel l'acquéreur est renvoyé ;
En outre, selon ce prévisionnel, le torréfacteur doit développer des « parts de marché extérieur » au niveau des restaurants, des brasseries, des collectivités locales, des maisons de retraite mais n'attire aucunement l'attention de l'acquéreur sur les caractéristiques du marché du café et les modes de distribution concurrents tandis qu'il ignore encore les caractéristiques du fonds de commerce dont l'exploitation personnelle et sans assistance est incompatible avec les exigences d'une politique commerciale dynamique nécessaire, selon l'étude prévisionnelle, à la conquête des parts de marché ;
En sa qualité de professionnel de la commercialisation de matériel de torréfaction au notamment moyen du démarchage de commerçants profanes du commerce du café torréfié, tenue d'une obligation pré-contractuelle d'information et de conseil à la mesure de la compétence de son contractant, la société CONCEPTICA a commis une faute en cherchant à obtenir le consentement de Madame X. au moyen d'une étude prévisionnelle irréaliste, déconnecté de la réalité humaine et économique d'une micro-entreprise dégageant des résultats commerciaux limités rendant, de surcroît, hautement aléatoire l'obtention d'un prêt finançant, a posteriori, un investissement onéreux et incertain ;
Malgré les risques persistants quant à l'obtention d'un financement et à l'impact des charges financières sur le prévisionnel présenté, la société CONCEPTICA a finalisé une vente ferme assortie du versement immédiat d'un d'acompte qui lui restait acquis, à titre de clause pénale, en cas d'inexécution du bon de commande, en application des conditions générales de vente ;
Il ressort des considérations qui précèdent que la société CONCEPTICA a non seulement méconnu son obligation pré-contractuelle de conseil et d'information mais intentionnellement mis en œuvre un ensemble de procédés déloyaux destinés à emporter le consentement immédiat et sans réserve de Madame X. sans lui permettre d'appréhender justement l'opportunité et les risques de son acquisition ;
Par conséquent, il convient d'annuler la vente litigieuse sur le fondement de l'article 1116 du Code civil ;
En conséquence de l'annulation, la société CONCEPTICA sera condamnée à restituer à Madame X. la somme de 2.479 euros ;
La demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par la société CONCEPTICA est recevable en appel comme étant la conséquence de l'admission du moyen de nullité fondé sur le dol soulevé en première instance ;
La société CONCEPTICA sera condamnée à payer à Madame X. une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
La société CONCEPTICA sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme X. une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
[minute Jurica page 7] INFIRME le jugement entrepris, et statuant à nouveau,
DÉBOUTE Madame X. de sa demande de « résolution du contrat de vente » fondée sur les dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation,
ANNULE le contrat de vente litigieux portant sur l'acquisition du matériel de torréfaction suivant bon de commande du 23 février 2006, pour dol,
CONDAMNE la société CONCEPTICA à restituer à Madame X. la somme de 2.479 euros (DEUX MILLE QUATRE CENT SOIXANTE DIX NEUF EUROS) versée à titre d'acompte,
CONDAMNE la société CONCEPTICA à payer à Madame X. une somme de 2.000 euros (DEUX MILLE EUROS) à titre de dommages-intérêts,
CONDAMNE la société CONCEPTICA aux dépens de première instance et d'appel,
CONDAMNE la société CONCEPTICA à payer à Madame X. une indemnité de 1.500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que les dépens seront recouvrés en matière d'aide juridictionnelle.
Arrêt signé par Monsieur LARQUE, Président et par Madame SAYOUS, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5900 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Indices - Finalité du contrat - Amélioration des résultats financiers
- 5913 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus en vue d’une activité - Adjonction d’une activité supplémentaire : principes
- 5914 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus en vue d’une activité - Adjonction d’une activité supplémentaire : matériels de cuisine