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CA DIJON (1re ch. civ.), 21 janvier 2025

Nature : Décision
Titre : CA DIJON (1re ch. civ.), 21 janvier 2025
Pays : France
Juridiction : Dijon (CA), 1re ch. sect.1
Demande : 22/00495
Date : 21/01/2025
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 15/04/2022
Décision antérieure : T. com. Mâcon, 8 avril 2022 : RG n° 2021J26
Décision antérieure :
  • T. com. Mâcon, 8 avril 2022 : RG n° 2021J26
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23692

CA DIJON (1re ch. civ.), 21 janvier 2025 : RG n° 22/00495

Publication : Judilibre

 

Extrait : « L'appelante invoque d'une part les dispositions du code de la consommation. Dans la version de ce code applicable au 28 avril 2017, date de souscription du contrat liant les parties, il résulte des articles L. 212-1 et L. 212-2 que dans les contrats conclus entre d'une part des professionnels et d'autre part soit des consommateurs soit des non-professionnels, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur ou du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'article liminaire du code de la consommation définit : - le consommateur comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole - le non-professionnel comme toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles. En l'espèce, le contrat du 28 avril 2017 a été souscrit par M. X., viticulteur, aux fins d'assurer différents risques susceptibles de diminuer ses récoltes. En conséquence, qu'il ait signé le contrat en qualité de personne physique ou en qualité de représentant légal d'une personne morale, il ne peut pas se prévaloir de celle de consommateur ou de non-professionnel. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que les dispositions du code de la consommation n'étaient pas applicables en l'espèce.

L'appelante invoque d'autre part les dispositions de l'article 1171 du code civil selon lesquelles Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

Elle soutient en premier lieu que l'article 6.1 des conditions générales du contrat est abusif car il accorde exclusivement à l'assureur, « le droit de déterminer si la chose livrée ou les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat » et confère à l'assureur « le droit exclusif d'interpréter une quelconque clause du contrat ». Ce moyen est manifestement inopérant, le premier droit étant sans rapport avec la nature et l'objet du contrat et de la clause litigieuse et cette clause n'ayant ni pour objet, ni pour effet d'accorder au seul assureur le droit d'interpréter le contrat.

En second lieu, l'appelante rappelle qu'une clause qui impose à une partie la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie est abusive. Elle soutient qu'en ce qu'il oblige l'assuré, auquel l'assureur a accordé la possibilité de procéder à sa récolte avant que l'expert ne passe, à laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées, l'assureur met à la charge de l'assuré une preuve qui lui incombe, celle de prouver le sinistre soumis à garantie. Ce moyen n'est pas fondé dès lors qu'en droit des assurances, il incombe à l'assuré d'établir que les conditions de mise en œuvre de la garantie, dont l'application est demandée, sont réunies.

En troisième et dernier lieu, l'appelante soutient que l'article 6.1 des conditions générales du contrat assujettit l'exécution des obligations de l'assureur à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté. Il est exact qu'en vertu de l'article 6.2 des conditions générales du contrat, c'est l'assureur qui prend l'initiative de l'expertise, cette mesure n'étant pas une condition, mais une modalité d'exécution du contrat, destinée à apprécier le montant de l'indemnité susceptible d'être servie à l'assuré dans un cadre amiable. En outre, il n'est ni soutenu, ni a fortiori démontré, que l'assuré serait dans l'impossibilité en cas de défaillance de l'assureur à mandater un expert, à établir les conséquences du sinistre déclaré par tout autre moyen.

En toute hypothèse, la stipulation qui permet de lever les récoltes sans attendre le passage de l'expert est favorable à l'assuré dont les contraintes d'exploitation ne sont pas ignorées. La charge de laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées est une mesure conservatoire prescrite à des fins probatoires, dans son intérêt, ce d'autant qu'il apprécie unilatéralement quels sont ces témoins. Le fait que cette possibilité soit soumise à l'accord de l'assureur s'inscrit dans le cadre d'une exécution loyale du contrat et ne suffit pas à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

La SA La Rurale a donc valablement opposé l'article 6.1 des conditions générales du contrat à l'appelante. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DIJON

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 21 JANVIER 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

N° RG 22/00495 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F53N. Décision déférée à la Cour : jugement du 8 avril 2022, rendu par le tribunal de commerce de Mâcon - RG : 2021J26.

 

APPELANTE :

SCEA [Adresse 4] X. ET FILS

prise en la personne de son représentant légal en exercice, M. X., domicilié es qualités : [Adresse 7], [Localité 2], Assistée de Me Jean-Philippe BELVILLE, avoat au barreau de LYON, plaidant, et représentée par Me Georges BUISSON, membre de la SELARL CABINET COTESSAT-BUISSON, avocat au barreau de MACON, postulant

 

INTIMÉE :

SA LA RURALE

prise en la personne de son représentant légal en exercice, [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Me Myriam KORT CHERIF, membre de la SELARL BLKS & CUINAT AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de MACON

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 novembre 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de : Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, Leslie CHARBONNIER, Conseiller, Bénédicte KUENTZ, Conseiller, qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 14 janvier 2025 pour être prorogée au 21 janvier 2025,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 28 avril 2017, M. X., exploitant un domaine viticole à [Localité 9], a souscrit une assurance « Garantie multirisques des récoltes-Pack R3- GMR Socle » auprès de la SA La Rurale. Ce contrat couvrait notamment les événements climatiques comme la sécheresse. Il s'est reconduit tacitement.

M. X. expose qu'il s'est rendu compte, le 10 septembre 2019, des dégâts provoqués sur son domaine par la sécheresse. Il a donc effectué une déclaration de sinistre auprès de La Rurale qui lui en a accusé réception par courriel du 12 septembre 2019.

Le 17 septembre 2019, M. [K] [N], expert mandaté par l'assureur, s'est rendu sur l'exploitation mais M. X. a refusé l'expertise au motif qu'elle ne pouvait porter que sur les 2,5 ha restant à vendanger.

Le 19 septembre 2019, MM. [K] [N] et [E] [B], experts mandatés par l'assureur, ont pu constater, en présence de M. X., qu'une parcelle de [Localité 8] rouge d'une surface de 3,63 ha était sinistrée à hauteur de 18 % et qu'une parcelle de [Localité 8] blanc d'une surface de 0,74 ha l'était à hauteur de 52 %.

Le 2 février 2020, la SA La Rurale a fait parvenir à M. X. un chèque d'indemnisation de 14 703 euros.

Le 20 mars 2020, M. X. a formé une réclamation, estimant que l'indemnisation ne portait que sur une part infime de la récolte, la majeure partie ayant été vendangée au jour de l'expertise. Il demandait à l'assureur de considérer que sa déclaration de récolte officielle ne représentait qu'une demie récolte.

Par courrier du 30 avril 2020, la SA La Rurale a refusé de compléter l'indemnisation, opposant à son cocontractant le paragraphe 6.1 des conditions générales, intitulé 'Vos obligations en cas de sinistre', stipulant notamment ceci : 'Vous devrez différer jusqu'à l'expertise l'enlèvement des récoltes sinistrées. Vous pourrez nous demander un accord pour l'enlèvement de celles-ci, mais dans ce cas, vous serez dans l'obligation de laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées et vous ne devrez pas procéder à des façons culturales sur ces parcelles avant le passage de l'expert. Les récoltes sinistrées enlevées avant l'expertise, sans accord préalable de notre part, ne pourront donner lieu à indemnité.'

Par acte du 25 mars 2021, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) [Adresse 4] X. a fait assigner la SA La Rurale devant le tribunal de commerce de Mâcon auxquelles elle demandait essentiellement de :

- dire et juger que les demandes de M. X. sont recevables et bien fondées,

- dire et juger que les stipulations de l'article 6.1 des conditions générales du contrat sont abusives et par conséquent, réputées non écrites,

- condamner la défenderesse à verser à M. X. la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices financiers et moraux qu'il a subis.

La SA La Rurale concluait au rejet des demandes présentées à son encontre.

Par jugement du 8 avril 2022, le tribunal de commerce de Mâcon a débouté la SCEA [Adresse 4] X. de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens et à payer à la SA La Rurale la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 15 avril 2022, la SCEA « Domaine X. et fils » a relevé appel de ce jugement.

[*]

Aux termes du dispositif de ses conclusions n°2 notifiées le 4 novembre 2022, les demandes de l'appelante étaient les suivantes :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- dire et juger que les demandes de M. X. sont recevables et bien fondées,

- dire et juger que bien qu'étant une personne morale, le Domaine X. est bien-fondé à se prévaloir des dispositions du code de la consommation, eu égard à sa qualité de non-professionnel en l'espèce,

En conséquence,

- dire et juger que les dispositions de l'article 6.1 des dispositions générales du contrat de garantie n°24303 sont abusives et par conséquent, réputées non écrites,

- dire et juger que la SA La Rurale demeure défaillante dans l'administration de preuves du respect de ses obligations contractuelles,

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale à verser à M. X. la somme de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices financiers et moraux qu'il a subis,

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale à verser à M. X. la somme de 3 000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- 'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir',

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale aux entiers dépens de l'instance.

[*]

Par arrêt du 11 juin 2024, la cour a soulevé d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la SCEA [Adresse 4] X. à demander que la SA La Rurale soit condamnée à payer à M. X., qui n'est pas partie au litige, essentiellement la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis et a ordonné la réouverture des débats afin que les parties présentent leurs observations sur ce point.

[*]

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 29 juillet 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la SCEA [Adresse 4] X. & Fils, prise en la personne de son représentant légal M. [D] X., demande à la cour :

‘sur la fin de non-recevoir, constater que M. X. agit bien en tant que représentant légal de Ia SCEA [Adresse 4] X. et qu'à ce titre il n'y a pas de 'défaut à agir',

‘sur le fond,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- dire et juger que les demandes de M. X., en tant que représentant légal de la SCEA Domaine X. & fils, sont recevables et bien fondées,

- dire et juger que bien qu'étant une personne morale, la SCEA [Adresse 4] X. & fils, est bien-fondée à se prévaloir des dispositions du code de la consommation, eu égard à sa qualité de non-professionnel en l'espèce,

En conséquence,

- dire et juger que les dispositions de l'article 6.1 des dispositions générales du contrat de garantie n°24303 sont abusives et par conséquent, réputées non écrites,

- dire et juger que La Rurale demeure défaillante dans l'administration de preuves du respect de ses obligations contractuelles,

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale à verser à M. X., en tant que représentant légal de la SCEA Domaine X. & fils, la somme de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices financiers et moraux qu'il a subis,

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale à verser à M. X., en tant que représentant légal de la SCEA Domaine X. & fils, la somme de 3 000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; y ajoutant la somme de 3 000 euros pour les frais d'appel,

- 'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir',

- condamner la compagnie d'assurance La Rurale aux entiers dépens de l'instance et d'appel.

La SA La Rurale n'a pas conclu sur la fin de non-recevoir.

[*]

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 7 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, elle demande à la cour d'appel, au visa de l'article 1101 du code civil, de :

- confirmer le jugement querellé en l'ensemble de ses dispositions,

- débouter la SCEA [Adresse 5] de l'ensemble de ses demandes,

- y ajoutant, condamner la SCEA [Adresse 4] X. aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

[*]

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 septembre 2024.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIVATION :

Sur la recevabilité des demandes présentées par M. X.

Il ressort des dernières conclusions de la SCEA Domaine X. et fils que les demandes présentées par M. X. ne le sont pas en son nom personnel, mais en sa qualité de représentant légal de l'appelante et donc au nom et pour le compte de celle-ci.

La cour relève par ailleurs que la société La Rurale ne soutient nullement que les demandes présentées par M. X. seraient irrecevables, ce qui révèle qu'elle a manifestement considéré qu'il n'agissait pas en son nom personnel mais ès qualités pour la SCEA Domaine X. et fils.

 

Sur le fond :

A titre liminaire, la cour observe que les demandes de l'appelante tendant à 'dire et juger que...’ne constituent qu'un rappel de moyens mais ne contiennent aucune prétention au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile. La cour n'a donc pas à statuer sur ces 'demandes'.

La seule prétention de l'appelante tend à la condamnation de la SA La Rurale à lui payer 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers et moraux subis du fait du 'retard de réparation partielle’du sinistre de septembre 2019 et du 'refus d'indemnisation totale’de ce sinistre caractérisant un comportement déloyal de l'assureur dans l'exécution du contrat souscrit le 28 avril 2017.

Ainsi, l'appelante ne sollicite pas l'exécution du contrat d'assurance et le paiement d'une indemnité calculée sur la base de sa déclaration de récolte 2019, étant observé par ailleurs que la part de la somme de 50 000 euros correspondant à l'indemnisation du seul préjudice financier allégué n'est ni précisée, ni a fortiori explicitée notamment par référence à la somme qui aurait dû être versée par l'assureur si le sinistre avait été totalement garanti.

L'appelante entend engager la responsabilité contractuelle de la SA La Rurale.

Il lui appartient donc de démontrer que l'assureur a commis les deux fautes qu'elle lui reproche d'avoir commises dans l'exécution du contrat.

 

Sur le retard d'indemnisation partielle

Il résulte de l'article 6.3 des conditions générales du contrat que le paiement de l'indemnité devait intervenir :

- lorsque le contrat prévoit une cotisation payable d'avance, dans les 30 jours soit de l'accord amiable, soit de la décision judiciaire exécutoire,

- dans les autres cas, dans les deux mois suivant l'échéance de la cotisation.

En l'espèce, il est exact que la somme de 14 703 euros n'a été adressée à M. X. que le 2 février 2020.

L'appelante reproche à l'intimée de ne l'avoir indemnisée que 5 mois après sa déclaration de sinistre.

Ce seul argument est insuffisant à établir que la SA La Rurale a tardé à servir l'indemnité due au titre des deux parcelles expertisées, dès lors que la déclaration de sinistre ne constitue pas l'un des deux points de départ des délais fixés dans l'article 6.3 des conditions générales du contrat.

 

Sur le refus d'indemnisation totale

Ce refus est fondé sur l'article 6.1 des conditions générales du contrat en ce qu'il est ainsi rédigé : 'Vous devrez différer jusqu'à l'expertise l'enlèvement des récoltes sinistrées. Vous pourrez nous demander un accord pour l'enlèvement de celles-ci, mais dans ce cas, vous serez dans l'obligation de laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées et vous ne devrez pas procéder à des façons culturales sur ces parcelles avant le passage de l'expert. Les récoltes sinistrées enlevées avant l'expertise, sans accord préalable de notre part, ne pourront donner lieu à indemnité.'

L'appelante reproche tout à la fois à l'intimée de :

- se prévaloir de cette clause dont elle soutient qu'elle est abusive et qu'elle ne peut pas lui être opposée,

- ne pas avoir loyalement appliqué cette clause.

La cour considère que le second grief n'est développé qu'à titre subsidiaire pour le cas où elle ne retiendrait pas le caractère abusif de la clause litigieuse.

 

Sur le caractère abusif de l'article 6.1 des conditions générales

‘L'appelante invoque d'une part les dispositions du code de la consommation. Dans la version de ce code applicable au 28 avril 2017, date de souscription du contrat liant les parties, il résulte des articles L.212-1 et L.212-2 que dans les contrats conclus entre d'une part des professionnels et d'autre part soit des consommateurs soit des non-professionnels, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur ou du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'article liminaire du code de la consommation définit :

- le consommateur comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole

- le non-professionnel comme toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles.

En l'espèce, le contrat du 28 avril 2017 a été souscrit par M. X., viticulteur, aux fins d'assurer différents risques susceptibles de diminuer ses récoltes.

En conséquence, qu'il ait signé le contrat en qualité de personne physique ou en qualité de représentant légal d'une personne morale, il ne peut pas se prévaloir de celle de consommateur ou de non-professionnel.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que les dispositions du code de la consommation n'étaient pas applicables en l'espèce.

‘L'appelante invoque d'autre part les dispositions de l'article 1171 du code civil selon lesquelles Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

Elle soutient en premier lieu que l'article 6.1 des conditions générales du contrat est abusif car il accorde exclusivement à l'assureur, 'le droit de déterminer si la chose livrée ou les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat’et confère à l'assureur 'le droit exclusif d'interpréter une quelconque clause du contrat'.

Ce moyen est manifestement inopérant, le premier droit étant sans rapport avec la nature et l'objet du contrat et de la clause litigieuse et cette clause n'ayant ni pour objet, ni pour effet d'accorder au seul assureur le droit d'interpréter le contrat.

En second lieu, l'appelante rappelle qu'une clause qui impose à une partie la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie est abusive.

Elle soutient qu'en ce qu'il oblige l'assuré, auquel l'assureur a accordé la possibilité de procéder à sa récolte avant que l'expert ne passe, à laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées, l'assureur met à la charge de l'assuré une preuve qui lui incombe, celle de prouver le sinistre soumis à garantie.

Ce moyen n'est pas fondé dès lors qu'en droit des assurances, il incombe à l'assuré d'établir que les conditions de mise en oeuvre de la garantie, dont l'application est demandée, sont réunies.

En troisième et dernier lieu, l'appelante soutient que l'article 6.1 des conditions générales du contrat assujettit l'exécution des obligations de l'assureur à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté.

Il est exact qu'en vertu de l'article 6.2 des conditions générales du contrat, c'est l'assureur qui prend l'initiative de l'expertise, cette mesure n'étant pas une condition, mais une modalité d'exécution du contrat, destinée à apprécier le montant de l'indemnité susceptible d'être servie à l'assuré dans un cadre amiable.

En outre, il n'est ni soutenu, ni a fortiori démontré, que l'assuré serait dans l'impossibilité en cas de défaillance de l'assureur à mandater un expert, à établir les conséquences du sinistre déclaré par tout autre moyen.

En toute hypothèse, la stipulation qui permet de lever les récoltes sans attendre le passage de l'expert est favorable à l'assuré dont les contraintes d'exploitation ne sont pas ignorées. La charge de laisser des témoins représentatifs de l'état des parcelles sinistrées est une mesure conservatoire prescrite à des fins probatoires, dans son intérêt, ce d'autant qu'il apprécie unilatéralement quels sont ces témoins. Le fait que cette possibilité soit soumise à l'accord de l'assureur s'inscrit dans le cadre d'une exécution loyale du contrat et ne suffit pas à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

La SA La Rurale a donc valablement opposé l'article 6.1 des conditions générales du contrat à l'appelante.

 

Sur l'application déloyale de l'article 6.1 des conditions générales

L'appelante fait grief à l'intimée de lui opposer l'article 6.1 des conditions générales alors que M. X. avait obtenu l'accord de procéder aux vendanges, pour lesquels il avait déjà mobilisé le personnel et le matériel utiles, sans attendre que l'expert passe. Elle précise que cet accord a été donné verbalement lors de conversations téléphoniques, dans un premier temps par M. [M] [I], signataire du contrat du 28 avril 1997 pour la SA La Rurale, puis par M. [T] [S], inspecteur de l'assureur.

Elle reproche par ailleurs à ces personnes de ne pas avoir rappelé à M. X., lorsque l'accord lui a été donné, qu'il fallait laisser sur les parcelles concernées des témoins représentatifs de leur état.

Pour établir la preuve de cet accord verbal, que la SA La Rurale conteste avoir donné, l'appelante produit trois attestations : elle indique que l'auteur de la première de ces attestations (pièce 23) témoigne de l'accord donné par M. [I] et que les auteurs des deux autres attestations (pièces 24 et 25) témoignent de l'accord de M. [S] : cf page 12 des conclusions de l'appelante.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les attestations constituant les pièces 23 et 24 ne datent pas les faits qui sont rapportés, alors que l'intimée rappelle que le sinistre de septembre 2019 imputable à la sécheresse n'est pas le seul déclaré par M. X., ce que ce dernier ne conteste pas.

En outre l'attestation constituant la pièce 23 évoque un accord émanant de '[T]', si bien qu'elle ne peut pas avoir la portée que lui donne l'appelante, M. [I] se prénommant [M].

Elles sont donc dénuées de force probante.

Si l'attestation constituant la pièce 25 relate de manière circonstanciée une conversation téléphonique remontant à septembre 2019, entre M. X. et M. [S], entendue grâce au haut-parleur 'enclenché', et corroborant parfaitement la position de l'appelante, la cour relève que :

- le corps de l'attestation est dactylographié, le témoin ne l'ayant pas écrit de sa main, mais seulement signé,

- l'attestation a été émise en décembre 2021, soit plus de deux ans après les faits.

Ces éléments conduisent la cour à relativiser la force probante de cette attestation qui ne peut suffire à elle-seule à établir l'existence de l'accord dont l'appelante se prévaut, et a fortiori son contenu ne rappelant pas la nécessité de conserver des témoins représentatifs de l'état de la parcelle.

Dans ces circonstances, l'appelante ne démontre pas que la SA La Rurale aurait exécuté de manière déloyale le contrat.

Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA Domaine X. et Fils échoue à rapporter la preuve des fautes qu'elle impute à la SA La Rurale.

Il convient donc de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire à hauteur de 50 000 euros.

 

Sur les frais de procès :

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par la SCEA Domaine X. et Fils.

Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur de la SA La Rurale. La cour lui alloue la somme de 1 000 euros en sus de celle que lui ont accordée les premiers juges.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SCEA Domaine X. et Fils :

- aux dépens d'appel,

- à payer à la SA La Rurale la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le greffier                                         Le président