CA COLMAR (3e ch. civ. sect. A), 28 septembre 2009
CERCLAB - DOCUMENT N° 2411
CA COLMAR (3e ch. civ. sect. A), 28 septembre 2009 : RG n° 08/02113 ; arrêt n° 09/0999
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu que l'article 19 du contrat ayant lié les parties dispose que : « de convention expresse entre les parties, il est convenu que les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier » ; Attendu que les règles de prescription en matière de contrat de déménagement, quelle que soit sa qualification, n'étaient pas d'ordre public de sorte que les parties pouvaient convenir d'une réduction du délai pour introduire une action en responsabilité fondée sur l'exécution dudit contrat ;
Attendu en outre que cette clause n'est pas abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ; Attendu qu'elle ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du non-professionnel ; Attendu que ce dernier est en mesure d'apprécier l'état des biens transportés lors de la livraison tandis que le délai d'un an est un délai raisonnable qui lui permet d'engager une action en justice sans précipitation ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2009
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 08/02113. Arrêt n° 09/0999. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 mars 2008 par le tribunal d'instance de STRASBOURG.
APPELANTS :
1) Monsieur X.
[adresse],
2) SAS FRAIKIN ASSETS
[adresse], représentés par Maître Jean-Louis FEUERBACH (avocat au barreau de STRASBOURG)
INTIMÉ :
DÉMÉNAGEMENTS BULOT, en redressement judiciaire
ayant son siège social [adresse], représenté par Maître Pascal CREHANGE (avocat au barreau de STRASBOURG)
INTERVENANT VOLONTAIRE :
Maître Y., ès qualités d'administrateur de la Société DÉMÉNAGEMENTS BULOT
[adresse], [minute Jurica page 2] représenté par Maître Pascal CREHANGE (avocat au barreau de STRASBOURG)
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 29 juin 2009, en audience publique, devant la cour composée de : Madame RASTEGAR, président de chambre, M. JOBERT, conseiller, M. DAESCHLER, conseiller qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. UTTARD
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, signé par Madame F. RASTEGAR, président et M. Christian UTTARD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le rapport ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon contrat du 12 mai 2006, la SARL Déménagements Bulot a assuré le déménagement de Monsieur X. de [ville O.] à [ville S.], la livraison étant intervenue le 29 juin 2006.
Monsieur X. a refusé de payer le prix des prestations du déménageur en faisant valoir que de nombreuses avaries auraient été constatées sur les biens transportés à leur réception.
La SARL déménagements Bulot a obtenu du tribunal d'instance de Strasbourg une ordonnance d'injonction de payer du 25 janvier 2007 enjoignant Monsieur X. de lui payer le prix convenu, soit la somme de 7.017,09 €, ordonnance à laquelle ce dernier a fait opposition le 7 février 2007.
La SA Fraikin Assets, employeur de Monsieur X., est intervenue volontairement dans la procédure en expliquant qu'il lui revenait de payer les prestations de la société de déménagement.
Monsieur X. a sollicité reconventionnellement la condamnation de la SARL Déménagements Bulot à lui payer la somme de 5.600 € de dommages et intérêts.
La société Fraikin Assets a sollicité la condamnation de la même société à lui payer la somme de 859 € au titre de la location de deux véhicules.
[minute Jurica page 3] Par jugement du 11 mars 2008, le tribunal d'instance de Strasbourg a déclaré prescrite la demande reconventionnelle en dommages et intérêts dirigée contre la SARL déménagements Bulot, dit n'y a avoir lieu à surseoir à statuer pour la mise en cause des assureurs de la SARL Déménagements Bulot, l'action directe à leur encontre étant prescrite et enfin ordonné la réouverture des débats.
Par déclaration reçue le 11 avril 2008 au greffe de la cour, Monsieur X. et la société Fraikin Assets ont interjeté appel de ce jugement.
En cours de procédure d'appel, par jugement du 29 avril 2008, le tribunal de commerce de Dijon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société Déménagements Bulot, Maître Y. étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire.
Selon des écritures récapitulatives reçues le 21 août 2008 au greffe de la cour, les appelants concluent à l'infirmation du jugement entrepris.
Ils demandent à la cour de dire et juger que l'action en réparation de Monsieur X. n'est pas prescrite, de déclarer recevable son action en paiement à l'encontre des assureurs de la SARL Déménagements Bulot, d'enjoindre cette dernière de leur communiquer les copies des polices d'assurance prescrites, de condamner l'intimée à leur payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
A l'appui de leur prétentions, les appelants font valoir en substance que :
- l'article L. 133-6 du Code de commerce (anciennement article 108) n'est pas applicable parce que le contrat de déménagement n'est pas un contrat de transport,
- en tout état de cause, la prescription a été interrompue par l'opposition formée par Monsieur X. à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer du 25 janvier 2007, opposition formée le 5 février 2007, elle a également été interrompue par la reconnaissance par la société de déménagement de son droit à indemnisation,
- l'action directe de Monsieur X. à l'encontre de l'assureur du déménageur est recevable dans la mesure où la prescription a été interrompue par l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer,
- l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité se prescrit en principe par le même délai que l'action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l'assureur tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré, d'où il suit que le délai d'exercice de l'action directe peut aller jusqu'à trois ans : un an pour agir contre le transporteur puis deux ans représentant le délai de recours du transporteur contre son assureur en vertu de l'article L. 114-1 du Code des assurances,
- Monsieur X. est donc recevable à agir à l'encontre de l'assureur du déménageur qui doit lui en fournir les coordonnées sous astreinte.
Selon des écritures récapitulatives parvenues le 26 juin 2008 au greffe de la cour, la SARL Déménagements Bulot et Maître Y., intervenant volontaire ès qualités d'administrateur judiciaire de l'intimée, demandent à la cour de recevoir Maître Y., ès qualités, en son intervention volontaire, déclarer irrecevables les demandes de Monsieur X., subsidiairement, limiter sa réclamation à la somme de 1.414,90 €, de rejeter l'intervention volontaire de la société Fraikin, condamner Monsieur X. à leur payer les sommes de 7017,09 € au titre du prix du déménagement majorée des intérêts au taux légal à [minute Jurica page 4] compter du 26 octobre 2006 et 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de la procédure.
Ils exposent en substance que :
- l'action de Monsieur X. est prescrite en vertu de l'article 19 des conditions générales du contrat de déménagement qui prévoit que les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement, doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier, or, en l'espèce, la livraison est intervenue le 29 juin 2006 et la prescription a été acquise le 29 juin 2007, la demande reconventionnelle n'a été communiquée au conseil de la société Bulot par télécopie du 10 juillet 2007, déposée à l'audience du 10 septembre 2007, soit postérieurement à l'expiration du délai de prescription,
- elle ne sollicite pas l'application des articles L. 133-3 et L. 133-6 du Code de commerce mais seulement de l'article 19 de la convention de déménagement qui n'est pas une clause abusive,
- par la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003, le législateur a disposé que les opérations de transport effectuées dans le cadre d’un déménagement devaient être interprétées comme des opérations de transport de marchandises,
- l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer formée le 5 février 2007 par Monsieur X. n'a pas interrompu la prescription parce qu'elle n'est pas une citation régulière en justice,
- la société Bulot n'a jamais reconnu le droit de Monsieur X.,
- l'action directe de ce dernier contre l'assureur de la société Bulot est prescrite parce que l'action dirigée contre le transporteur est prescrite,
- à titre subsidiaire, la demande de Monsieur X. ne peut prospérer que pour les huit meubles qui ont fait l'objet de réserves sur la lettre de voiture, pour le surplus, elle se heurte à la présomption de livraison conforme, de plus il convient de tenir compte d'un coefficient de vétusté, son indemnisation doit donc être limitée à la somme de 1.414,90 €,
- Monsieur X. est redevable du prix du déménagement,
- l'intervention volontaire de la société Fraikin est irrecevable : elle réclame la condamnation de la société Bulot à lui rembourser les frais de location de deux véhicules, ce qui n'a aucun lien avec le litige relatif au déménagement de Monsieur X.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Attendu qu'il convient de donner acte à Maître Y., ès qualités, de son intervention volontaire dans la procédure à hauteur d'appel ;
Attendu que l'administrateur judiciaire de la société Déménagements Bulot a un intérêt à soutenir la demande en paiement de la débitrice en redressement judiciaire en ce qu'elle est susceptible d'augmenter son actif de sorte que cette intervention volontaire est recevable ;
Attendu que conformément à l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, la présente instance ayant été engagée avant l'entrée en vigueur de ladite loi, ce sont les anciennes dispositions sur la prescription qui s'appliquent ;
Attendu que l'article 19 du contrat ayant lié les parties dispose que : « de convention expresse [minute Jurica page 5] entre les parties, il est convenu que les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier » ;
Attendu que les règles de prescription en matière de contrat de déménagement, quelle que soit sa qualification, n'étaient pas d'ordre public de sorte que les parties pouvaient convenir d'une réduction du délai pour introduire une action en responsabilité fondée sur l'exécution dudit contrat ;
Attendu en outre que cette clause n'est pas abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;
Attendu qu'elle ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du non-professionnel ;
Attendu que ce dernier est en mesure d'apprécier l'état des biens transportés lors de la livraison tandis que le délai d'un an est un délai raisonnable qui lui permet d'engager une action en justice sans précipitation ;
Attendu qu'il est constant que les meubles meublants ont été livrés à Monsieur X. le 29 juin 2006 et cette date constitue le point de départ de la prescription d'un an instauré par l'article 19 de la convention ;
Attendu que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer constitue une citation en justice qui interrompt la prescription de la créance ainsi que le délai pour agir jusqu'à ce que le litige trouve sa solution ;
Attendu toutefois que l'interruption ne joue que pour la créance du requérant à l'ordonnance d'injonction de payer et non pour l'éventuelle contre-créance du débiteur ;
Attendu que l'opposition que ce dernier peut former à l'ordonnance d'injonction de payer n'a aucun effet interruptif de la prescription ;
Attendu en effet que cet acte ne fait pas partie des événements auxquels l'article 2244 [ancien] du Code civil, dont l'énumération avait un caractère limitatif, conférait un effet interruptif de la prescription ;
Attendu que par application des articles 1415, 1416 et 1417 du Code de procédure civile, l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer a pour seul et unique effet juridique de saisir la juridiction devant laquelle elle est formée ;
Attendu ainsi que l'opposition formée par déclaration faite au greffe du tribunal d'instance de Strasbourg le 7 février 2007 n'a pas interrompu la prescription annale instaurée par l'article 19 du contrat ayant lié les parties même si elle est motivée ;
Attendu par ailleurs qu'il n'est pas établi que la SARL Déménagements Bulot ait reconnu sa responsabilité dans les avaries alléguées dans le délai d'un an à compter du 29 juin 2006 ;
Attendu à cet égard que les deux lettres que cette société a adressées respectivement les 10 et 24 juillet 2006 à Monsieur X. ne font que l'informer que le sinistre avait été signalé auprès de ses assureurs et lui réclamer des pièces justificatives sans contenir une reconnaissance non équivoque de responsabilité au sens de l'article 2238 [ancien] du Code civil ;
[minute Jurica page 6] Attendu que la procédure étant orale devant le tribunal d'instance, la demande reconventionnelle en dommages et intérêts a été formée par Monsieur X. uniquement à l'audience du tribunal d'instance de Strasbourg du 7 janvier 2008, date à laquelle l'affaire a été plaidée, soit alors que le délai de prescription d'un an était largement expiré ;
Attendu dès lors que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a constaté la prescription de la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par Monsieur X. à l'encontre de la SARL Déménagements Bulot ;
Attendu par ailleurs que cette demande étant irrecevable par application de l'article 122 du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu à sursis à statuer pour la mise en cause du ou des assureurs de la SARL Déménagements Bulot qui est sans objet ;
Attendu dès lors que le jugement entrepris doit confirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'équité commande que les appelants, partie perdante, soient condamnés à payer à la société Déménagements Bulot et à Maître Y., ès qualités, la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que pour la même raison, ils supporteront les dépens d'appel qui comprendront les frais d'intervention forcée de Maître Y., ès qualités ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
DONNE acte à Maître Y., ès qualités d'administrateur judiciaire de la SARL Déménagements Bulot, de son intervention volontaire dans la procédure à hauteur d'appel ;
DÉCLARE cette intervention volontaire recevable ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE Monsieur X. et la SA Fraikin Assets à payer à la SARL Déménagements Bulot et à Maître Y., ès qualités, la somme de 500 € (cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur Georges X. et la SA Fraikin Assets aux dépens d'appel.
Le greffier Le président