CA COLMAR (3e ch. civ. sect. A), 3 mai 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 2414
CA COLMAR (3e ch. civ. sect. A), 3 mai 2010 : RG n° 08/05211 ; arrêt n° 10/532
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu que les prélèvements automatiques opérés au profit de la société Parfip France au titre des loyers étaient de 262 € et 40 €, et ne distinguaient pas la part des redevances affectée aux loyers proprement dits et celle relative aux prestations de maintenance et de service de la société MCL Distribution (sans aucun doute gratuite) ; que ces différents éléments démontrent que le contrat de location était dans la dépendance directe du contrat de service et que l'un ne pouvait être exécuté indépendamment de l'autre ; qu'en conséquence, les deux contrats doivent être considérés comme interdépendants ; que la société Parfip France ne peut se prévaloir de la clause insérée à l'article 3 du contrat de location selon lequel le locataire a été rendu attentif à l'indépendance juridique existant entre le contrat de location et le contrat prestation, maintenance, entretien, et ne saurait suspendre le paiement des loyers sous prétexte des problèmes liés à l'exécution du contrat de prestation, maintenance, entretien, dès lors que le texte de cette clause est en contradiction avec l'économie générale du contrat ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 3 MAI 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 08/05211. Arrêt n° 10/532. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 octobre 2007 par le tribunal d'instance de SELESTAT.
APPELANTE :
SARL S.
ayant son siège social [adresse], représentée par Maître Serge MONHEIT (avocat au barreau de COLMAR)
INTIMÉE :
SA PARFIP FRANCE
ayant son siège social [adresse], représentée par Maître François DI BELLA (avocat au barreau de COLMAR)
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 8 mars 2010, en audience publique, devant la cour composée de : Madame RASTEGAR, président de chambre, [minute Jurica page 2] Madame MAZARIN-GEORGIN, conseiller, Madame SCHNEIDER, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. UTTARD
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, signé par Madame F. RASTEGAR, président et M. Christian UTTARD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le rapport ;
La SARL S. est appelante d'un jugement rendu par le tribunal d'instance de Sélestat le 29 octobre 2007 qui l'a condamnée à payer à la SA Parfip France la somme de 5.696,49 € avec les intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2007, l'a condamnée à restituer à ses frais le matériel loué, machine à café et fontaine à eau, débouté la SA Parfip France du surplus de ses prétentions, condamné la SA S. aux dépens y compris les frais de la procédure d'injonction de payer.
Selon contrats des 11 mars 2004 et 22 avril 2004, la SA Parfip France a donné en location à la société S. une machine à café et une fontaine à eau moyennant 60 loyers de 262 € HT et 60 loyers de 40 € HT.
La société S. a cessé de payer les loyers au motif que le fournisseur de la machine à café, la société MCL Distribution, qui assurait la maintenance des distributeurs de boissons, a cessé son activité le 30 janvier 2007 après avoir démonté des pièces défectueuses sur la machine à café sans pouvoir les remonter de sorte que le matériel n'a pu être utilisé depuis janvier 2007.
La société MCL Distribution a été placée en liquidation judiciaire le 12 février 2007. La société Parfip France a fourni à la société S. la liste de divers fournisseurs pouvant succéder à la société MCL Distribution par lettre recommandée avec avis de réception du 23 mars 2007 et après mise en demeure infructueuse du 25 juin 2007 a prononcé la résiliation anticipée des deux contrats de location et poursuivi le recouvrement des montants dus par voie d'injonction de payer contre laquelle la société S. a formé opposition devant le tribunal d'instance de Sélestat.
Pour condamner la société S. aux montants réclamés et dire que la résiliation anticipée des contrats de location par la société Parfip France était bien fondée, le premier juge a considéré :
- qu'il existait une totale « interdépendance » juridique entre le contrat de location et celui de prestation, maintenance, entretien, et en a déduit que la société S. ne pouvait pas rompre unilatéralement les contrats de location du seul fait de la défaillance puis de la liquidation de la société MCL Distribution ;
- [minute Jurica page 3] que la société S. ne justifie pas d'une action judiciaire à l'encontre de la société MCL Distribution ni de l'impossibilité de poursuivre la maintenance et l'approvisionnement de la machine à café et de la fontaine à eau par le biais des entreprises dont les coordonnées lui ont été fournies par la société Parfip France par lettre recommandée avec avis de réception du 23 mars 2007 ;
- que d'ailleurs, il n'est pas prétendu que la fontaine à eau ne fonctionnait pas ;
- qu'une machine à café et une fontaine à eau ne sont pas des 'engins' de haute technologie de telle sorte que leur exploitation peut être menée à bien par l'intermédiaire de n'importe quelle entreprise spécialisée.
Par dernières conclusions reçues le 14 décembre 2009, la société S. demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;
- de constater l'indivisibilité de contrats de MCL Distribution et de la société Parfip France ;
- d'annuler les contrats conclus entre la société Parfip France - MCL Distribution et la société S. ;
- de donner acte en conséquence de la restitution du matériel à la société Parfip France contre remboursement des mensualités versées à hauteur de 12.641,65 € ;
- de condamner la société Parfip France au paiement de la somme de 12.641,65 € ;
A titre subsidiaire,
- de déclarer non écrites les clauses abusives que comportent les contrats ;
- de constater la résiliation ou prononcer la résiliation des contrats de location ;
- de dire que la clause pénale est inapplicable et doit en conséquence être privée d'effet, à défaut en minorer le montant ;
- de condamner la société Parfip France aux dépens et au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- les appareils ont subi des pannes récurrentes dès leur installation.
La société MCL Distribution a démonté des pièces sur la machine à café qu'elle n'a jamais remontées puisqu'elle préconisait un changement total de la machine. Puis, elle a cessé son activité le 30 janvier 2007 ;
- la société S. a cessé le paiement des loyers du fait de l'inexécution de ses obligations par la société MCL Distribution et elle en a avisé la société Parfip France à laquelle elle a adressé de nombreux courriers. Les successeurs proposés par Parfip France n'ont pas été en mesure de faire fonctionner la machine et n'ont pas souhaité reprendre le contrat ;
- le contrat de maintenance a nécessairement été résilié par la société MCL Distribution eu [minute Jurica page 4] égard au courrier qu'elle a adressé à la société S. le 30 janvier 2007 par lequel elle l'avisait de sa cessation d'activité et lui communiquait l'adresse de la société Parfip France propriétaire du matériel ;
- la société Parfip France a pris acte de cette résiliation dans son courrier du 22 mars 2007 en précisant que la société MCL Distribution n'était plus à même d'assurer ses obligations contractuelles et lui proposant de nouvelles sociétés pour reprendre le contrat de maintenance.
La société S. est, compte tenu de l'interdépendance existant entre les contrats, fondée à opposer à la société Parfip France l'exception d'inexécution du contrat de services et à solliciter la résiliation du contrat de location au motif que la société MCL Distribution n'a pas exécuté ses prestations, ce qui est admis par la jurisprudence ;
- la société S. est fondée à invoquer l'article L. 132-1 du Code de la consommation sur les clauses abusives. Elle est une entreprise de serrurerie menuiserie et l'installation et l'entretien de machine à café et de fontaine à eau échappe à sa compétence professionnelle ;
- l'article 6 des conditions générales de location constitue une clause abusive.
Par dernières conclusions reçues le 6 novembre 2009, la société Parfip France demande à la cour de :
- déclarer irrecevables les demandes nouvelles de la société S. ;
- la débouter de ses fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- assortir la condamnation à restitution d'une astreinte de 50 € par jour ;
- condamner la société S. aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir pour sa part que :
- le bailleur est identifié sur le contrat de location ;
- la société S. a signé le procès-verbal de réception du matériel sans réserve ni protestation et atteste de son bon fonctionnement ;
- le contrat de prestations conclu entre MCL Distribution et la société S. est totalement distinct du contrat de location ;
- la société S. n'a jamais contesté le bon fonctionnement du matériel avant le mois de janvier 2007 alors que celui-ci a été livré en mars-avril 2004 ;
- la société Parfip France n'a jamais pris acte de la résiliation des contrats de prestations mais a rappelé par lettre du 22 mars 2007 l'indépendance des contrats de location et de prestations ;
- la société S. n'a jamais pris attache avec les fournisseurs proposés par la société Parfip France suite à la liquidation judiciaire de MCL Distribution ;
- [minute Jurica page 5] les demandes de nullité des contrats et de la clause de durée sont irrecevables comme nouvelles devant la cour ;
- dès lors que la location du matériel est intervenue dans un cadre professionnel, la législation sur les clauses abusives n'est pas applicable ;
- selon un arrêt du 11 décembre 2008, la cour de cassation a décidé que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales ;
- en tout état de cause, la clause relative à la durée et aux conséquences d'une résiliation anticipée n'est nullement abusive ;
- selon la cour de cassation, la résiliation du contrat pour cause d'inexécution d'un contrat indivisible ne peut être prononcée que si le débiteur défaillant a été mis en cause ou si en cas de procédure collective ouverte contre ce dernier, les organes de la procédure ont été appelés à l'instance ;
- l'article 3 du contrat de location attire l'attention sur l'indépendance juridique existant entre le contrat de location et le contrat de prestation, maintenance, entretien ;
- la société Parfip France n'a jamais été partie au contrat conclu entre MCL Distribution et la société S. ;
- les contrats de prestations et de location ne sont pas interdépendants et indivisibles en fait et en droit ;
- l'indemnité de résiliation d'un contrat pour rupture anticipée n'est pas une clause pénale.
Seul le paiement des loyers jusqu'au terme convenu permet d'assurer la récupération de l'investissement et la légitime rémunération des capitaux investis.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI ;
Sur l'interdépendance des contrats :
Attendu que le 11 mars 2004, la société S. a conclu avec la société Parfip France un « contrat de location avec prestations intégrées » portant sur une machine à café moyennant le paiement de 60 loyers mensuels de 262 € HT ; que le même jour, elle a signé un bon de commande auprès de la société MCL Distribution pour un contrat de maintenance et de service intitulé « contrat service plus » comprenant la livraison du distributeur de boissons chaudes, la livraison mensuelle de doses de boissons chaudes comprenant gobelets, sucre et agitateurs, le nettoyage et l'entretien de l'appareil et le suivi des livraisons et de l'entretien, ainsi que la location d'un distributeur de boissons et la consommation annuelle de 9.000 boissons chaudes ; que ce contrat était conclu pour un budget mensuel de 262 € HT sur 60 mois ;
Attendu que le 22 avril 2004, la société S. a souscrit deux contrats similaires portant sur la location et l'entretien d'une fontaine à eau, moyennant 60 loyers mensuels de 40 € HT ;
Attendu que les prélèvements automatiques opérés au profit de la société Parfip France au titre des loyers étaient de 262 € et 40 €, et ne distinguaient pas la part des redevances affectée aux loyers proprement dits et celle relative aux prestations de maintenance et de service de la société MCL Distribution (sans aucun doute gratuite) ; [minute Jurica page 6] que ces différents éléments démontrent que le contrat de location était dans la dépendance directe du contrat de service et que l'un ne pouvait être exécuté indépendamment de l'autre ; qu'en conséquence, les deux contrats doivent être considérés comme interdépendants ; que la société Parfip France ne peut se prévaloir de la clause insérée à l'article 3 du contrat de location selon lequel le locataire a été rendu attentif à l'indépendance juridique existant entre le contrat de location et le contrat prestation, maintenance, entretien, et ne saurait suspendre le paiement des loyers sous prétexte des problèmes liés à l'exécution du contrat de prestation, maintenance, entretien, dès lors que le texte de cette clause est en contradiction avec l'économie générale du contrat ;
Sur la nullité des contrats :
Attendu que la société S. demande l'annulation des contrats conclus d'une part avec la société Parfip France et d'autre part avec la société MCL Distribution, mais qu'à défaut d'avoir appelé cette dernière ou son mandataire liquidateur à la cause, le contrat de prestations et de maintenance ne peut être annulé ; qu'il y a lieu de la débouter de sa demande en restitution de loyers payés à hauteur de 12.641,65 € ;
Sur la résiliation des contrats :
Attendu que, certes, la résiliation d'un contrat pour cause d'inexécution d'un contrat indivisible ne peut être prononcée que si le débiteur défaillant a été mis en cause ou si en cas de procédure collective ouverte contre ce dernier les organes de la procédure ont été appelés à l'instance ; que cependant, au cas d'espèce, il résulte d'un courrier adressé par la société MCL Distribution à la société S. le 30 janvier 2007, soit antérieurement à la liquidation judiciaire, que celle-ci a entendu mettre fin aux relations contractuelles puisqu'elle écrivait « depuis 10 jours, comme vous pourrez malheureusement le constater, nous ne pouvons plus assurer les prestations de votre contrat, malgré nos efforts pour trouver une solution, nous vous informons à regret que notre société est contrainte de cesser son activité » ; que la société S. cessait les règlements des loyers à compter du mois de février 2007 et informait la société Parfip France de ce qu'en raison de la cessation d'activité de son fournisseur, elle résiliait les contrats de location ; qu'il y a donc lieu de considérer que la résiliation des contrats de prestations et de maintenance est intervenue le 30 janvier 2007 et qu'en raison de l'indivisibilité des contrats de prestations de service et de location, ces derniers se sont trouvés également résiliés à la même date, de sorte que la société S. n'est plus redevable d'aucun loyer et que la société Parfip France doit être déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité de résiliation ; que le jugement sera donc infirmé en ce sens ;
Attendu qu'en conséquence de la résiliation du contrat de location, le matériel doit être restitué par la société S. à la société Parfip France, que le jugement sera confirmé de ce chef, sans prononcé d'une astreinte, les circonstances ne l'exigeant pas ;
Attendu que la société Parfip France qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de [minute Jurica page 7] première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société S. à restituer le matériel loué à la société Parfip France ;
Statuant à nouveau,
CONSTATE la résiliation des contrats de prestations et de maintenance et des contrats de location à la date du 30 janvier 2007 ;
DÉBOUTE la société Parfip France de sa demande en paiement ;
CONDAMNE la société Parfip France aux entiers dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 1.500 € (mille cinq cents euros) à la société S. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le greffier Le président
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