CA PARIS (pôle 6 ch. 11), 16 septembre 2025
- Cons. Prud'h. Bobigny, 6 décembre 2022 : RG n° F 20/02298
CERCLAB - DOCUMENT N° 24316
CA PARIS (pôle 6 ch. 11), 16 septembre 2025 : RG n° 23/01510
Publication : Judilibre
Extrait : « Il résulte des éléments versés aux débats que M. X. a été inscrit sur la liste de classement professionnel le 1er avril 2018 au rang 3.926 correspondant à sa date de mise en stage ; que par courrier recommandé avec accusé réception et par mail du 13 janvier 2020, il a contesté son rang de classement faisant valoir que sa mise en stage avait été tardive.
La cour constate que les prétentions du salarié tendent à contester et remettre en cause son rang de classement, en reprochant à son employeur la mise en application des dispositions de l'accord collectif, et à obtenir un nouveau rang ainsi que des dommages-intérêts. Il ne s'agit pas d'une contestation de la légalité de la convention PNT ou de l'accord collectif, mais de la portée de leur application. Dès lors qu'il s'agissait d'une contestation du rang de classement professionnel, le délai prévu à l'article 2.2 de la convention PNT devait être respecté. Or M. X. n'a agi en contestation que le 13 janvier 2020, soit au delà du délai de 45 jours plus une année supplémentaire. En effet, son inscription ayant été réalisée le 1er avril 2018, il avait jusqu'au 15 mai 2019 pour agir, M. X. étant nouvellement inscrit. En outre, il n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 10 septembre 2020.
C'est en vain que le salarié fait valoir que la convention PNT du 5 mai 2006 contreviendrait aux dispositions de l'article 1171 du code civil en instaurant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties alors que comme l'ont retenu les premiers juges, l'article 1171 n'était pas en vigueur le 5 mai 2006 et la convention PNT n'est pas un contrat auquel le salarié serait partie.
C'est en vain également que le salarié prétend que l'article 2.2 lui serait inopposable comme contraire à la compétence d'ordre public du conseil de prud'hommes lorsqu'il est porté atteinte à des droits issus du contrat de travail ou d'un accord collectif alors qu'il lui appartenait de saisir la juridiction prud'homale dans le délai dès son inscription sur la liste classement professionnel.
En conséquence, la cour retient que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que M. X. était irrecevable en ses demandes comme étant forclos pour agir. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 6 CHAMBRE 11
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/01510. N° Portalis 35L7-V-B7H-CHGGL. Décision déférée à la Cour : Jugement du 6 décembre 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F 20/02298.
APPELANT :
Monsieur X.
[Adresse 1], [Localité 3], Représenté par Maître Aksel DORUK, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
SA AIR FRANCE
[Adresse 2], [Localité 4], Représentée par Maître Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0411
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 3 juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de : Madame Isabelle LECOQ-CARON, présidente, Madame Anne HARTMANN, présidente, Madame Catherine VALANTIN, conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. X., né en 1977, pilote de ligne au sein de la compagnie aérienne Airlinair, filiale d'Air France, a vu son contrat de travail transféré en 2013 à HOP, nouvelle filiale d'Air France, résultat de la fusion des compagnies Brit Air, Airlinair et Régional.
Puis à l'issue d'un processus de recrutement, il a été engagé par la SA Air France le 30 novembre 2017 en qualité de pilote de ligne, après avoir occupé les mêmes fonctions au sein de la société HOP! filiale d'Air France.
Les pilotes de ligne ou personnels navigants techniques (PNT) sont divisés en deux catégories : les officiers pilotes de ligne et les commandants de bord.
La société Air France sélectionne ses PNT parmi deux filières principales de recrutement :
- celle des pilotes professionnels exerçant ou pouvant exercer des fonctions de pilote au sein d'une autre compagnie ou de l'armée française ;
- celle dite de la « filière longue » principalement constituée des élèves pilote de ligne diplômés (EPL) de l'[Localité 5] [6] (ci-après l'« ENAC »).
Les différentes étapes d'intégration du pilote au sein de la compagnie Air France sont prévues par la convention d'entreprise du personnel navigant technique.
Tous les PNT Air France débutent comme officier pilote de ligne sur Airbus A320 (avion moyen courrier) et doivent, une fois sélectionnés par la compagnie, suivre une formation dite « QT A320 » (Qualification Type A320) dont le contenu varie selon l'expérience du pilote. Cette formation est réalisée dans le cadre d'une convention de formation dédiée, signée entre le pilote et Air France. Préalablement ou pendant cette formation, le pilote réalise un stage d'intégration dit stage d'adaptation de l'exploitant (SADE). A l'issue de cette formation, le pilote signe un contrat à durée indéterminée avec Air France débutant par un stage d'adaptation en ligne, dans le cadre duquel le pilote participe à des vols sur Airbus A320 avec passagers mais sous le contrôle d'un instructeur. Après validation de ce stage, le pilote est, selon la terminologie en vigueur au sein d'Air France, « lâcher en ligne » (vol sans instructeur). La durée moyenne constatée entre les dates de mise en stage QT et de lâcher en ligne est de 4 mois. Pour tous les PNT, le jour du lâcher en ligne donne lieu à la signature d'un avenant au contrat de travail et à l'inscription sur la liste de classement professionnel (LCP) d'Air France à un rang déterminé en fonction de sa date de mise en stage. Cette liste, établie par la compagnie et mise à jour deux fois par an (à chaque saison IATA, les 1er avril et 1er novembre de chaque année), détermine l'évolution professionnelle (l'accès aux stages QT pour vols long-courrier ou évolution vers le poste de commandant de bord) et salariale du pilote durant toute sa carrière.
Soutenant que la société Air France a manqué à ses obligations en matière d'inscription sur la liste de classement professionnel (LCP) et qu'en conséquence, eu égard au retard pris dans son recrutement, son évolution de carrière en a été affectée, sollicitant son reclassement et l'octroi de dommages-intérêts, M. X. a saisi le 10 septembre 2020 le conseil de Prud'hommes de Bobigny qui par jugement rendu en sa formation de départage le 6 décembre 2022 a statué comme suit :
- Déclare les demandes de M. X. irrecevables ;
- Condamne M. X. à payer à la société Air France la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 17 février 2023, M. X. a interjeté appel de cette décision.
[*]
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le'27 mai 2025, M. X. demande à la cour de :
Concernant la recevabilité des demandes de M. X. :
- Juger que le délai prévu par l'article 2.2 de la Convention PNT n'est pas applicable aux demandes de M. X. ;
- Juger que l'absence de contestation par M. X. de son rang de classement sur la LCP dans le délai prévu par l'article 2.2 de la Convention PNT n'emporte pas renonciation au droit à réparation du non-respect d'accords collectifs par l'octroi de dommages et intérêts ;
- Juger que le délai prévu par l'article 2.2 de la Convention PNT n'est pas opposable à M. X. ;
En conséquence, après avoir fait droit à un ou plusieurs de ces trois motifs :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes de M. X. et statuant à nouveau ;
- Les juger recevables ;
Concernant la violation par la société Air France de ses engagements contractuels en matière de recrutement des pilotes
- Juger que la société Air France a violé ses engagements contractuels en matière de recrutement des pilotes sur la période allant d'avril 2014 à octobre 2016 et d'avril 2017 à mars 2018 ;
Concernant la demande de M. X. à titre principal
- Condamner la société Air France à reclasser M. X. à un rang plus favorable de 104 places au sein de la LCP, sur la première LCP publiée suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
- Condamner la société Air France à payer à M. X. à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique :
* la somme de 67 881 € correspondant au préjudice subi depuis novembre 2017, date de conclusion de son CDI et le mois d'avril 2025, date des présentes ;
* la somme de 763 € par mois entre mai 2025 et le mois de son reclassement effectif, cette somme correspondant au prorata mensuel du préjudice subi depuis novembre 2017 ;
- Juger qu'à défaut de reclassement intervenu sur la première LCP publiée après la signification de l'arrêt à intervenir, la société Air France sera condamnée à réparer l'entier préjudice économique subi par M. X., et donc à lui payer la somme de 226 662 € ;
- Assortir cette condamnation de paiement d'une astreinte de 500 € par jour à compter de la publication de la première LCP suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
Concernant la demande de M. X. à titre subsidiaire
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts dus par la société Air France à Monsieur X. à la somme de 15.000 € ;
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Air France à payer à M. X. la somme de 226 662 € en réparation de son préjudice économique ;
- Assortir cette condamnation de paiement d'une astreinte de 500 € par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
En tout état de cause ;
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande de réparation de son préjudice moral ;
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Air France à payer à M. X. la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- Condamner la société Air France à payer à M. X. la somme de 15.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
[*]
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le'6 mai 2025, (les conclusions notifiées le 27 mai 2025 concernant M. [G]) la société Air France demande à la cour de :
I- nfirmer le jugement entrepris ;
- Débouter l'appelant de ses demandes ;
A titre principal,
- Juger irrecevable l'appelant ;
A titre subsidiaire ;
- Juger les demandes infondées ;
En conséquence,
- Débouter l'appelant de ses demandes ;
En tout état de cause,
- Condamner l'appelant à payer à la société Air France la somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Le condamner aux dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
L'ordonnance de clôture a rendue le 28 mai 2025 et l'affaire a été fixée à l'audience du'3 juin 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il convient de rappeler à titre liminaire que par application de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties en cause d'appel, ce que ne sont pas au sens de ces dispositions des demandes visant seulement à « dire » ou « juger » un principe de droit ou une situation de fait.
Sur l'irrecevabilité :
Pour infirmation de la décision entreprise, M. X. soutient en substance qu'il a valablement contesté son classement ; qu'en outre la société Air France a violé ses obligations en ne saisissant pas la commission paritaire de sa contestation, ni ne justifie que la commission aurait donné un avis ayant donné lieu à une décision qui lui aurait été notifiée ; que l'éventuelle décision de la société Air France ne peut priver le salarié d'un recours devant un juge dès lors qu'il est porté atteinte à des droits issus de son contrat de travail ou de l'application d'un accord collectif ; que l'article 2.2 de la Convention PNT qui, selon Air France, imposerait aux pilotes qui souhaiteraient contester leur rang de classement, conséquence du retard dans leur embauche par Air France en violation des accords collectifs applicables, de soumettre leur demande à une commission paritaire dans un délai à l'expiration duquel il perdra sauf éléments nouveau, tout droit à contestation et de faire trancher en « dernier ressort » leur demande par la Direction par voie de notification dans un délai de 30 jours suivant la date de la réunion de la Commission, est moins favorable que la loi applicable et déroge en tout état de cause aux lois et règlements en vigueur ; que cette clause est donc inopposable au salarié.
La société Air France réplique au soutien de sa demande de voir juger irrecevable l'appelant, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, que le salarié est forclos en sa demande pour ne pas avoir contesté son classement dans un délai de 45 jours suivant la diffusion de la liste de classement professionnel ; que la liste de classement a donc été définitivement adoptée.
Vu l'article 122 du code de procédure civile
L'article 2.2 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique (TNT) dite convention pilotes stipule que :
« La liste de classement professionnel se constitue au fur et à mesure des entrées et sorties de liste.
Au 1er avril et au 1er novembre de chaque année, les projets de listes, mis à jour par la Compagnie, sont publiés afin de pouvoir être consultés par chaque Officier navigant et transmis aux délégués du Personnel Navigant Technique, aux organismes d'affectation ainsi qu'aux Organisations syndicales représentatives du PNT.
A compter de ces mêmes dates, tout Officier navigant dispose de 45 jours pour contester par écrit son rang de classement s'il s'agit d'un nouvel inscrit, ou les modifications apportées à son classement pour tous les autres Officiers navigants.
Tout Officier navigant n'ayant pas contesté son classement ou les modifications apportées à celui-ci dans un délai de 45 jours, sera forclos et perdra, sauf éléments nouveaux, tout droit à contestation.
Toutefois, les Officiers navigants nouvellement inscrits disposent d'un délai supplémentaire d'une année.
Les éventuelles contestations sont examinées par une Commission paritaire (cf. chapitre 3 - carrière - article 7) qui siège avant le 1er août (liste du 1er avril) ou le 1er janvier (liste du 1er novembre). Cette Commission donne son avis à la Direction qui décide en dernier ressort et notifie sa décision individuellement à l'intéressé dans les 30 jours qui suivent la date de la réunion de la Commission. »
Il résulte des éléments versés aux débats que M. X. a été inscrit sur la liste de classement professionnel le 1er avril 2018 au rang 3.926 correspondant à sa date de mise en stage ; que par courrier recommandé avec accusé réception et par mail du 13 janvier 2020, il a contesté son rang de classement faisant valoir que sa mise en stage avait été tardive.
La cour constate que les prétentions du salarié tendent à contester et remettre en cause son rang de classement, en reprochant à son employeur la mise en application des dispositions de l'accord collectif, et à obtenir un nouveau rang ainsi que des dommages-intérêts. Il ne s'agit pas d'une contestation de la légalité de la convention PNT ou de l'accord collectif, mais de la portée de leur application.
Dès lors qu'il s'agissait d'une contestation du rang de classement professionnel, le délai prévu à l'article 2.2 de la convention PNT devait être respecté. Or M. X. n'a agi en contestation que le 13 janvier 2020, soit au delà du délai de 45 jours plus une année supplémentaire. En effet, son inscription ayant été réalisée le 1er avril 2018, il avait jusqu'au 15 mai 2019 pour agir, M. X. étant nouvellement inscrit. En outre, il n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 10 septembre 2020.
C'est en vain que le salarié fait valoir que la convention PNT du 5 mai 2006 contreviendrait aux dispositions de l'article 1171 du code civil en instaurant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties alors que comme l'ont retenu les premiers juges, l'article 1171 n'était pas en vigueur le 5 mai 2006 et la convention PNT n'est pas un contrat auquel le salarié serait partie.
C'est en vain également que le salarié prétend que l'article 2.2 lui serait inopposable comme contraire à la compétence d'ordre public du conseil de prud'hommes lorsqu'il est porté atteinte à des droits issus du contrat de travail ou d'un accord collectif alors qu'il lui appartenait de saisir la juridiction prud'homale dans le délai dès son inscription sur la liste classement professionnel.
En conséquence, la cour retient que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que M. X. était irrecevable en ses demandes comme étant forclos pour agir.
La décision déférée sera donc confirmée.
Sur les frais irrépétibles :
M. X. sera condamné aux entiers dépens. Vu l'équité, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'indemnité de la société Air France en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, la condamnation prononcée à ce titre par les premiers juges étant cependant confirmée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE M. X. aux entiers dépens ;
DIT n'y avoir à indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE