Trib. prem. inst. Nouméa, 16 avril 2007
CERCLAB - DOCUMENT N° 2576
Trib. prem. inst. Nouméa, 16 avril 2007 : RG n° 04/01474 ; jugement n° 07-955
(sur appel CA Nouméa, 15 mai 2008 : RG n° 07/258)
Extrait : « M. X. a indiqué lui-même avoir signé les contrats en sa qualité de gérant de la SEGCL, pour l'exercice de l'activité professionnelle de la société, mais n'indique pas que ses fonctions de gérant de cette société n'aient pas constitué sa profession. Il en résulte qu'il a signé les contrats dans le cadre de son activité professionnelle, et que les dispositions relatives aux clauses abusives ne peuvent être appliquées, bien que la clause de résiliation entraîne un déséquilibre flagrant dans les contrats, et sans que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il invoque trouvent à s'appliquer. »
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE NOUMÉA
JUGEMENT DU 16 AVRIL 2007
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 04/01474. Jugement n° 07-955.
DEMANDERESSE :
SOCIÉTÉ NOUMEA RENTING
Société en nom collectif, dont le siège social est situé [adresse], représentée par son gérant en exercice, concluant par la SELARL JURISCAL, société d'avocats au barreau de Nouméa
DÉFENDEUR :
M. X.
demeurant [adresse], concluant par la SELARL BERQUET, société d'avocat au barreau de Nouméa
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et du délibéré :
Président : Stéphane THIBAULT, juge au tribunal de première instance,
Greffier : Anne-Marie TEPPE, greffier
DÉBATS : À l'audience publique du 5 mars 2007, le président ayant informé les parties que le dossier serait remis au greffe de la juridiction le 16 avril 2007
JUGEMENT : CONTRADICTOIRE, remis au greffe le 16 avril 2007 et signé par le président et le greffier présent lors de la remise.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte du 4 août 2000, la société Nouméa Renting a donné en location un véhicule Renault camionnette immatriculé XX à la SARL Société d'entreprise générale de construction - location (SEGCL), pour 48 mois moyennant un loyer mensuel de 108.000 francs CFP, cet acte portant la signature de M. X., gérant de cette société, à deux endroits.
Elle a, par un deuxième contrat du 3 avril 2002, donné en location à la SEGCL un véhicule Kia modèle K 2700 immatriculé YY, pour une durée de 60 mois et moyennant un loyer mensuel de 38.500 francs CFP, ce contrat comportant aussi deux fois la signature du gérant.
La liquidation judiciaire de la SEGCL a été prononcée le 3 décembre 2003 et a fait l'objet d'une annonce légale le 14 janvier 2004.
Les deux véhicules ont été restitués par anticipation le 21 janvier 2004, et la société Nouméa Renting a adressé deux lettres recommandées avec accusé de réception à la [SEGCL] les 2 mars et 25 mai 2004 mentionnant la résiliation des contrats et la mettant en demeure de lui verser les sommes correspondantes.
Par une requête déposée au greffe le 30 juin 2004 la société Nouméa Renting a fait citer M. X. devant le tribunal pour obtenir sa condamnation, en sa qualité de co-locataire, à lui payer :
- 324.000 francs CFP en application du premier contrat,
- 1.642.740 francs CFP en exécution du second contrat, comprenant 115.500 francs CFP au titre des loyers échus, 1.463.000 francs CFP au titre des loyers à échoir, 1.100 francs CFP au titre du duplicata de la carte grise, et 63.140 francs CFP au titre de la clause pénale de 4 % sur les loyers échus et à échoir,
- 150.000 francs CFP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que la distraction des dépens au profit de son avocat.
Elle met en avant le fait que la première lettre recommandée mentionne une remise exceptionnelle de 540.000 francs CFP concernant le premier contrat.
Par des conclusions déposées au greffe les 19 octobre 2004 et 18 janvier 2005, M. X. a sollicité :
- à titre principal la nullité du contrat de location le liant à la société Nouméa Renting, seule la SEGCL revêtant la qualité de cocontractante,
- à titre subsidiaire la non application de la clause résolutoire à défaut de mise en demeure préalable et l'injonction faite à la société Nouméa Renting de produire tous justificatifs relatifs à la vente des deux véhicules,
- et à titre infiniment subsidiaire l'octroi de délais de paiement de 24 mois à compter de la signification du jugement en application de l'article 1244 du Code civil.
[minute page 3] Il estime que la société Nouméa Renting a fait preuve de malice pour obtenir sa signature en tant que gérant de la SEGCL et en qualité de colocataire, alors qu'il s'agissait d'un véhicule nécessairement destiné à l'activité professionnelle de la société et qu'il n'avait aucun intérêt à se porter cocontractant.
Il invoque le vice de son consentement en déclarant qu'il n'a signé l'acte, dont il relève les termes ambigus, qu'en sa qualité de gérant de la société ; que le contrat ne comporte que des mentions insuffisantes concernant « le loueur » et ne mentionne « le locataire » qu'au singulier sauf sous sa signature ; qu'il ne mentionne que la SEGCL comme locataire au dessus de ses deux signatures ; qu'il n'a pas paraphé la première page du contrat ni les conditions générales ; que sa qualité de colocataire a donc été minimisée par la société Nouméa Renting.
M. X. ajoute que la société Nouméa Renting a considéré la SEGCL comme unique cocontractant, les deux lettres recommandées avec accusé de réception des 2 mars et 25 mai 2004 n'ayant été adressées qu'à cette société.
Il invoque la mise en liquidation de la [SEGCL] et demande que la société Nouméa Renting atteste de sa déclaration de créance.
Il déclare que cela l'a mis dans l'impossibilité de récupérer la lettre recommandée, qui ne lui avait pas été adressée personnellement, mais l'a été à la boîte postale de la société.
Concernant la revente des véhicules, il indique que la société Nouméa Renting a rejeté la proposition de la SEGCL qui proposait un acquéreur et a préféré revendre à un tiers, et demande qu'elle atteste du prix de revente.
M. X. considère que le fait que la clause prévoyant une résiliation de plein droit sans mise en demeure préalable est nulle, et n'a en outre pas été respectée par la société Nouméa Renting, qui en a adressé une à la SEGCL mais pas à lui-même.
Il demande enfin des délais de paiements, en indiquant être, depuis la liquidation de son entreprise, métreur patenté.
En réplique et par des conclusions déposées au greffe les 8 novembre 2004 et 28 avril 2005, la société Nouméa Renting a maintenu ses prétentions en relevant que M. X. a signé le contrat non seulement en tant que gérant de la SEGCL, mais aussi en qualité de colocataire solidaire, et en contestant un quelconque vice du consentement.
Elle conteste, en tant que propriétaire des véhicules, avoir à justifier de leur prix de revente, et relève que M. X. lui reproche de ne pas avoir accédé à la proposition de sa société alors que celle-ci était déjà dessaisie de ses droits.
S'agissant de la mise en demeure, elle indique qu'elle a été adressée à la [minute page 4] boîte postale mentionnée par M. X. comme la sienne sur le contrat de location.
Elle relève qu'il ne justifie pas du fondement juridique qui entraînerait la nullité de la clause de résiliation pour défaut de mise en demeure, et ajoute que le courrier n'est qu'une simple proposition de solution transactionnelle, à laquelle le colocataire n'a pas cru devoir donner suite.
La société Nouméa Renting s'oppose aux délais de paiement demandés, en indiquant que M. X. ne produit que les pièces qu'il désire.
Elle estime sans incidence le fait qu'elle ait produit sa créance à la liquidation de la SEGCL, M. X. n'étant pas caution de celle-ci mais cocontractant direct de la bailleresse.
Par jugement du 21 novembre 2005, le tribunal a renvoyé l'affaire à la mise en état afin que les parties concluent sur la qualification de la clause de résiliation des contrats et que la société Nouméa Renting complète son dossier.
Par des conclusions déposées les 21 décembre 2005 et 5 mai 2006, la société Nouméa Renting a maintenu ses demandes en produisant les pièces relatives aux envois recommandés.
Elle indique que l'indemnité de résiliation a été calculée conformément à l'article M. X du contrat, le loueur s'étant limité aux loyers à échoir de février 2004 à mars 2007 soit 38 fois 38.500 francs CFP
Elle justifie l'absence de déduction de la valeur de revente ou de la valeur résiduelle du véhicule, de l'indemnité de résiliation, par le fait que son activité consister à louer des véhicules mais pas d'en vendre.
La société Nouméa Renting fait valoir un arrêt de la Cour de cassation du 22 février 1977 qui a précisé que l'indemnité due au titre de la clause pénale stipulée dans un contrat de location de matériel et correspondant à la totalité des loyers à échoir au jour de la résiliation, ne constitue ni un enrichissement injuste du bailleur, ni la continuation du paiement des loyers par le preneur, et atteste de la licéité de cette clause.
Elle ajoute que les dispositions de l'article 1152 du Code civil permettant au juge de réduire la clause pénale ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie.
Par des conclusions déposées au greffe les 21 avril et 4 septembre 2006, M. X. a maintenu ses arguments en invoquant le caractère abusif de la clause qui permettrait à la société Nouméa Renting de résilier le contrat, de récupérer le [véhicule] et de le revendre, tout en demandant la somme [minute page 5] des loyers non encore échus.
Il considère que si le contrat est résilié, les loyers non encore échus ne peuvent être dus, et que ladite clause est léonine.
Il estime que l'arrêt invoqué par la société Nouméa Renting a été rendu dans un cas d'espèce différent, la société ayant ici vendu les véhicule ; au cas où il serait reconnu débiteur, il demande que la société Nouméa Renting atteste du prix de revente des véhicules, et que ce prix soit déduit du montant de l'indemnité éventuellement due, sauf à bénéficier d'un enrichissement sans cause.
M. X. invoque les dispositions des articles 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 1er et 5 du 1er protocole additionnel à cette convention, signé par la France, qui prévoient le droit à la protection effective de ses biens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 décembre 2006, l'affaire audiencée le 5 mars 2007, puis mise en délibéré afin que le jugement soit rendu le 16 avril 2007, le tribunal ayant indiqué que la décision serait remise au greffe avec le dossier à cette date.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
Sur la nullité des contrats :
Il résulte des contrats de location que tant la SEGCL que M. X. sont mentionnés comme « locataires ».
M. X. a signé les deux contrats, à la fois en son nom personnel sous l'intitulé « co-locataire solidaire », et en tant que gérant de la SEGCL en y apposant le tampon de la société, sous l'intitulé « locataire ».
Il ne peut donc invoquer n'avoir pas su qu'il engageait à la fois la société et lui-même en son nom personnel.
M. X. ne prouve pas non plus que son consentement ait été vicié, le manque de paraphe des pages n° 2 étant sans incidence sur l'application des clauses figurant sur les pages n° 3 qu'il a signées.
Il sera donc débouté de sa demande d'annulation des contrats.
Sur la clause abusive :
M. X. a indiqué lui-même avoir signé les contrats en sa qualité de gérant de la SEGCL, pour l'exercice de l'activité professionnelle de la société, mais n'indique pas que ses fonctions de gérant de [minute page 6] cette société n'aient pas constitué sa profession.
Il en résulte qu'il a signé les contrats dans le cadre de son activité professionnelle, et que les dispositions relatives aux clauses abusives ne peuvent être appliquées, bien que la clause de résiliation entraîne un déséquilibre flagrant dans les contrats, et sans que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il invoque trouvent à s'appliquer.
Sur la clause résolutoire :
Les contrats excluent expressément la nécessité de mettre en demeure le preneur pour faire jouer la clause de résiliation.
Le fait que M. X. n'ait pas été mis en demeure est donc sans incidence, d'autant qu'il a lui-même restitué les deux véhicules le 21 janvier 2004, soit après la mise en liquidation de la SEGCL, mais avant les lettres recommandées mentionnant la résiliation des contrats.
Il résulte en outre des dernières pièces versées par la société Nouméa Renting que la lettre du 2 mars 2004, adressée à la SEGCL, l'a été à la boîte postale donnée par M. X. dans le contrat, et qu'il a bien reçu la seconde adressée le 25 mai 2004, le 30 juin 2004, ainsi que cela est attesté par sa signature sur la lettre en cause.
Il n'a fourni aucun argument permettant de ne pas appliquer les clauses résolutoires.
En outre, la société Nouméa Renting n'a pas demandé le versement de l'indemnité prévue à l'article M. X, égale à la différence entre la valeur de restitution prévue au contrat et celle fixée au vu de l'état du véhicule ; elle n'aura donc pas à justifier du prix de revente des deux véhicules.
Sur les délais de paiement :
* Il se déduit de ce qui précède que M. X. devra être déclaré débiteur des sommes demandées par la société Nouméa Renting, hormis celle au titre de la clause pénale, qui ne figurait pas dans la lettre du 25 mai 2004 et qui résulte de l'article VIII du contrat, peu clair à défaut de précision sur son articulation avec l'article M. X sur la résiliation proprement dite.
M. X. devra donc régler un total de 1.903.600 francs CFP
Les intérêts n'auraient pu courir contre lui à compter des mises en demeure, qui n'ont été adressées qu'à la SEGCL et non à lui-même personnellement, mais la société Nouméa Renting ne les a pas demandés.
* En application de l'article 1244-1 du Code civil, le juge peut, en tenant compte de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux [minute page 7] années.
En l'espèce, la société Nouméa Renting a implicitement contesté les pièces versées par M. X. en indiquant qu'il ne produisait que celles qu'il voulait, mais n'a pas fait valoir d'argument permettant de ne pas recevoir ces pièces comme preuve de la situation du débiteur ; il lui sera donc accordé des délais de paiement.
Cependant, M. X. ayant déjà bénéficié de plus de deux années de report en raison de la procédure, sa demande de délai ne sera accueillie que dans la limité d'une année.
Sur les dépens :
En application de l'article 696 du Code de procédure civile, M. X., qui succombe, supportera les dépens de l'instance.
La S.E.L.A.R.L. JurisCal pourra recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile.
Sur les frais dits irrépétibles :
L'article 700 du Code de procédure civile prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée, et qu'il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
M. X. sera donc débouté de sa demande de ce chef.
En l'espèce, l'équité commande de laisser à la société Nouméa Renting la charge des frais exposés et non compris dans les dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCISION :
Par ces motifs, le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Condamne M. X. à payer à la société Nouméa Renting la somme d'un million neuf cent trois mille six cents francs CFP (1.903.600),
Dit qu'il pourra s'en acquitter au moyen de douze versements mensuels, les onze premiers de cent soixante mille francs CFP (160.000) et le douzième du solde restant dû, et qu'à défaut de paiement d'une seule échéance, le solde [minute page 8] restant dû deviendra immédiatement exigible,
Déboute la société Nouméa Renting du surplus de sa demande au fond,
Déboute M. X. du surplus de ses demandes au fond,
Condamne M. X. aux dépens de l'instance, dont la société JurisCal pourra recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Laisse à chaque partie la charge des autres frais exposés.
Jugement remis au greffe le 16 avril 2007 et signé par le président et la greffière présente lors de la remise.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Anne-Marie TEPPE Stéphane THIBAULT