CASS. CIV. 1re, 12 mai 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 2848
CASS. CIV. 1re, 12 mai 2010 : pourvoi n° 09-11872 ; arrêt n° 468
Extrait : « Mais attendu que, selon le principe compétence compétence, il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sous le contrôle du juge de l’annulation, sur sa propre compétence, le juge étatique étant sans pouvoir pour le faire, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause ; que l’arrêt retient d’abord que l’opération économique considérée porte, entre autres, sur la cession à une société danoise des droits d’auteur de Y. et des revenus en résultant dans tous les pays et ensuite que cette opération implique un mouvement de biens et de paiements à travers les frontières ; que la cour d’appel, retenant le caractère international de la clause d’arbitrage, valable sans condition de commercialité, l’article 2061 du code civil étant sans application dans l’ordre international, a, à bon droit, renvoyé les parties à mieux se pourvoir ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 12 MAI 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 09-11872. Arrêt n° 468.
DEMANDEUR à la cassation : Monsieur X.
DÉFENDEUR à la cassation : Sociétés Nest A/P et I-Sys ApS
M. Charruault (président), président. Maître Spinosi, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en ses diverses branches :
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que M. X. a conclu le 11 juillet 2006 un contrat, dit accord cadre, avec trois sociétés dont la société danoise Nest, ayant pour objet l’achat, la cession ou la location de biens immobiliers ayant appartenu à M. Y., et la cession des droits de propriété intellectuelle de celui-ci ; qu’une convention d’arbitrage clause compromissoire, prévoyant un arbitrage au Danemark y était incorporée ; que le même jour il a cédé les droits d’auteur et d’artiste-interprète de Y. ainsi que les revenus générés par l’exploitation de ces droits dans tous les pays ; que M. X. ayant saisi un tribunal de grande instance d’une action en annulation des deux contrats et de la convention d’arbitrage, les sociétés danoises Nest et I-SYS APS ont conclu à l’incompétence de la juridiction étatique en l’état de la convention d’arbitrage ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que M. X. fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué (cour d’appel de Paris, 21 janvier 2009) d’avoir rejeté son contredit et de l’avoir renvoyé à mieux se pourvoir alors, selon le moyen :
1°/ qu’en vertu de l’article 1492 du code de procédure civile et des principes généraux de droit international privé, le caractère international de la clause d’arbitrage s’apprécie au regard des mouvements de flux et reflux qu’implique le contrat pour lequel elle a été convenue ; qu’ainsi que M. X. l’avait souligné dans ses conclusions, l’accord cadre du 11 juillet 2006, signé en France, n’emportait par lui-même aucun transfert de droits, de services, de fonds ou de biens puisque cet accord se bornait à définir le cadre de contrats devant intervenir de façon séparée et qu’il concernait des biens immobiliers sis en France et la cession de droits détenus en France par le vendeur, M. X. ; qu’en affirmant néanmoins que la clause d’arbitrage contenue dans cet accord cadre qui n’emportait aucun mouvement transfrontalier présentait un caractère international de sorte qu’elle échappait à la prohibition de l’article 2061 du code civil, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés, ainsi que l’article 3, alinéa 3, du code civil ;
2°/ qu’en vertu du point q de l’annexe à l’article L. 132-1 et de l’article L. 135-1 du code de la consommation issu de la loi du 25 février 2005, en vigueur au jour où les contrats contenant la clause compromissoire ont été conclus, une telle clause d’arbitrage, fût-elle internationale, ne pouvait être imposée à un consommateur ou à un non professionnel résidant dans un pays de l’Union européenne dès lors que le contrat y a été proposé, conclu ou exécuté ; qu’en l’espèce, M. X. avait souligné dans ses conclusions que les deux conventions du 11 juillet 2006 n’avaient, à son égard, aucun caractère professionnel de sorte que la clause d’arbitrage devait être réputée non écrite ; qu’en ne recherchant pas, ainsi qu’il lui était demandé, si effectivement, la qualité de non professionnel de M. X. ne rendait pas abusive la clause compromissoire insérée dans les conventions du 11 juillet 2006 conclues en France en ce qu’elle contraignait ce consommateur résidant en France à recourir impérativement à un arbitrage danois en cas de litige, la cour d’appel a privé, à cet égard encore, sa décision de base légale tant au regard des articles L. 132-1 et L. 135-1 du code de la consommation que de l’article 3, alinéa 3, du code civil et des principes généraux du droit international privé ;
3°/ en vertu de l’article R. 132-2 du code de la consommation issu du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009, à le supposer applicable aux contrats en cours, est présumée abusive une clause obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ; qu’en vertu de l’article L. 135-1 du même code, une telle clause d’arbitrage, fût elle internationale, ne peut être imposée, sauf pour le professionnel de démontrer qu’elle n’est pas abusive, à un consommateur ou à un non professionnel résidant dans un pays de l’Union européenne dès lors que le contrat y a été proposé, conclu ou exécuté ; qu’en faisant application en l’espèce de la clause compromissoire insérée dans les deux contrats du 11 juillet 2006 sans relever que M. X. était un professionnel ou que les sociétés défenderesses avaient rapporté la preuve, exigée par ce texte, que la clause ne présentait pas un caractère abusif, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard tant de l’article R. 132-2 que de l’article 3, alinéa 3, du code civil et des principes généraux du droit international privé ;
4°/ le droit à un procès équitable implique, pour chaque justiciable, le droit d’accéder effectivement au juge chargé de statuer sur sa prétention ; qu’en se dispensant de rechercher, lorsque M. X. faisait expressément valoir qu’il n’avait aucune qualification, était dépourvu de tout lien avec le Danemark et était actuellement sans profession, donc sans ressource, si l’importance des frais de déplacement, d’avocat, d’interprète et de traduction qu’il devrait exposer, seulement pour que le tribunal arbitral danois statue sur sa compétence, avant même que soit examinée la demande, n’était de pas de nature à faire objectivement obstacle à son libre accès à la justice, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu que, selon le principe compétence compétence, il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sous le contrôle du juge de l’annulation, sur sa propre compétence, le juge étatique étant sans pouvoir pour le faire, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause ; que l’arrêt retient d’abord que l’opération économique considérée porte, entre autres, sur la cession à une société danoise des droits d’auteur de Y. et des revenus en résultant dans tous les pays et ensuite que cette opération implique un mouvement de biens et de paiements à travers les frontières ; que la cour d’appel, retenant le caractère international de la clause d’arbitrage, valable sans condition de commercialité, l’article 2061 du code civil étant sans application dans l’ordre international, a, à bon droit, renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X. aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille dix.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOYEN ANNEXÉ au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour M. X.
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté le contredit de M. X. et affirmé l’incompétence de juridictions françaises pour connaître de ses demandes à l’encontre des sociétés Nest A/P et I-Sys ApS ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Aux motifs que l’article 10 de l’accord cadre signé entre lui et la société NEST stipule que l’accord sera régi par les lois danoises et que tout conflit entre les parties qui ne pourra être résolu à l’amiable sera réglé de manière définitive et obligatoire par l’arbitrage de l’Institut Danois de l’Arbitrage ; que pour contester le caractère international de l’arbitrage, M. X. fait valoir que l’accord cadre, qui se borne à renvoyer les parties à conclure des accords séparés pour l’achat et la location de chacun des biens concernés et l’achat de droits, ne met pas en cause les intérêts du commerce international en ce qu’il n’opère pas un transfert de biens, de service ou d’argent d’un Etat à l’autre ; que cependant, le caractère international de l’arbitrage s’apprécie en fonction de la nature des relations économiques des parties à l’origine du litige, la nationalité, le lieu de l’arbitrage et la loi applicable au fond du litige étant inopérants ; qu’il n’est pas sérieusement contesté par M. X. que l’opération économique considérée consiste pour celui-ci comme légataire universel et seul héritier de Y. à restructurer le patrimoine qu’il a reçu et à aménager l’ensemble des dettes qu’il a contractées en transmettant les biens immobiliers et les droits d’auteurs sur l’œuvre à des sociétés, notamment à la société NEST de droit danois, constituée le 10 mars 2006, et dont la société de droit danois I-SYS APS, qui a notamment comme activité celle de holding d’investissement, détient une partie du capital ; que l’objet de la société NEST est de protéger le patrimoine de Y., de développer différentes activités autour de sa notoriété, de protéger ou d’acquérir le patrimoine de Y. « vendu » ou « disparu » après son décès, d’assurer une vie décente à M. X. ; que compte tenu des obligations pesant sur la société NEST, l’opération économique mise au point par M. X. et ses partenaires implique un mouvement de biens ou de paiements à travers les frontières, la circonstance que des accords séparés ont été conclus pour l’achat et la location des biens immobiliers et l’achat des droits ne la privant pas de son caractère international tel qu’il résulte de la nature des relations entre les parties et peu important que M. X. soit un ressortissant français ou qu’il prétende n’avoir aucun lien avec le Danemark ; qu’en l’état d’une clause d’arbitrage internationale, qui est par principe valable sans condition de commercialité, les moyens de M. X. pris de sa nullité en matière civile et en matière mixte sont inopérants, l’article 2061 du Code civil étant sans application dans l’ordre international ; que M. X. ne démontrant pas que la clause d’arbitrage est nulle ou manifestement inapplicable, celle-ci doit recevoir application en vertu de l’indépendance d’une telle clause en droit international, sous la seule réserve des règles d’ordre public international qu’il appartiendra à l’arbitre de mettre en œuvre, sous le contrôle du juge de l’annulation, pour vérifier sa propre compétence spécialement en ce qui concerne l’arbitrabilité du litige ; que le contredit sera en conséquence rejeté, les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Alors, d’une part, qu’en vertu de l’article 1492 du code de procédure civile et des principes généraux de droit international privé, le caractère international de la clause d’arbitrage s’apprécie au regard des mouvements de flux et reflux qu’implique le contrat pour lequel elle a été convenue ; qu’ainsi que M. X. l’avait souligné dans ses conclusions, l’accord cadre du 11 juillet 2006, signé en France, n’emportait par lui-même aucun transfert de droits, de services, de fonds ou de biens puisque cet accord se bornait à définir le cadre de contrats devant intervenir de façon séparée et qu’il concernait des biens immobiliers sis en France et la cession de droits détenus en France par le vendeur, M. X. ; qu’en affirmant néanmoins que la clause d’arbitrage contenue dans cet accord cadre qui n’emportait aucun mouvement transfrontalier présentait un caractère international de sorte qu’elle échappait à la prohibition de l’article 2061 du code civil, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés, ainsi que l’article 3, alinéa 3, du code civil ;
Alors, d’autre part et subsidiairement, qu’en vertu du point q de l’annexe à l’article L. 132-1 et de l’article L. 135-1 du code de la consommation issu de la loi du 25 février 2005, en vigueur au jour où les contrats contenant la clause compromissoire ont été conclus, une telle clause d’arbitrage, fût-elle internationale, ne pouvait être imposée à un consommateur ou à un non professionnel résidant dans un pays de l’Union européenne dès lors que le contrat y a été proposé, conclu ou exécuté ; qu’en l’espèce, M. X. avait souligné dans ses conclusions que les deux conventions du 11 juillet 2006 n’avaient, à son égard, aucun caractère professionnel de sorte que la clause d’arbitrage devait être réputée non écrite ; qu’en ne recherchant pas, ainsi qu’il lui était demandé, si effectivement, la qualité de non professionnel de M. X. ne rendait pas abusive la clause compromissoire insérée dans les conventions du 11 juillet 2006 conclues en France en ce qu’elle contraignait ce consommateur résidant en France à recourir impérativement à un arbitrage danois en cas de litige, la cour d’appel a privé, à cet égard encore, sa décision de base légale tant au regard des articles L. 132-1 et L. 135-1 du code de la consommation que de l’article 3, alinéa 3, du code civil et des principes généraux du droit international privé ;
Alors encore, et à titre plus subsidiaire, qu’en vertu de l’article R. 132-2 du code de la consommation issu du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009, à le supposer applicable aux contrats en cours, est présumée abusive une clause obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ; qu’en vertu de l’article L. 135-1 du même code, une telle clause d’arbitrage, fût-elle internationale, ne peut être imposée, sauf pour le professionnel de démontrer qu’elle n’est pas abusive, à un consommateur ou à un non professionnel résidant dans un pays de l’Union européenne dès lors que le contrat y a été proposé, conclu ou exécuté ; qu’en faisant application en l’espèce de la clause compromissoire insérée dans les deux contrats du 11 juillet 2006 sans relever que M. X. était un professionnel ou que les sociétés défenderesses avaient rapporté la preuve, exigée par ce texte, que la clause ne présentait pas un caractère abusif, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard tant de l’article R. 132-2 que de l’article 3, alinéa 3, du code civil et des principes généraux du droit international privé ;
Alors, enfin, et à titre infiniment subsidiaire, que le droit à un procès équitable implique, pour chaque justiciable, le droit d’accéder effectivement au juge chargé de statuer sur sa prétention ; qu’en se dispensant de rechercher, lorsque M. X. faisait expressément valoir qu’il n’avait aucune qualification, était dépourvu de tout lien avec le Danemark et était actuellement sans profession, donc sans ressource, si l’importance des frais de déplacement, d’avocat, d’interprète et de traduction qu’il devrait exposer, seulement pour que le tribunal arbitral danois statue sur sa compétence, avant même que soit examinée la demande, n’était de pas de nature à faire objectivement obstacle à son libre accès à la justice, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.