CA VERSAILLES (14e ch.), 2 février 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 3044
CA VERSAILLES (14e ch.), 2 février 2011 : RG n° 10/00758
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant qu'ainsi que l'a pertinemment énoncé le premier juge, il n'appartient pas à la juridiction des référés, saisie sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, mais au juge du fond de se prononcer sur le caractère licite ou non de la clause d'approvisionnement exclusif stipulée à l'article 6.2 de la convention de partenariat conclue le 11 décembre 1998, étant rappelé que la mise en œuvre de ces dispositions n'impose pas la démonstration préalable du bien fondé de l'action dans la perspective de laquelle les mesures d'instruction sont sollicitées ; Qu'au regard des éléments dont se prévaut la société INTER CAVES et comme l'a aussi estimé le premier juge, ce caractère illicite n'apparaît, en tout état de cause, pas établi avec l'évidence requise en référé ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
QUATORZIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 2 FÉVRIER 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 10/00758. Code nac : 00A. Contradictoire. Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 20 janvier 2010 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES : RG n° 2009R699.
LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE ONZE, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTE :
SA INTER CAVES
représentée par Maître Claire RICARD - N° du dossier 2010066, assistée par Maître Jean-Louis HECKER substitué par Maître Isabelle REICH (avocats au barreau de STRASBOURG)
INTIMÉE :
EURL LES CAVES DE L'OUEST et non pas EURL LA CAVE DE L'OUEST
représentée par la SCP BOITEAU PEDROLETTI - N° du dossier 00019931, assistée de Maître Marc DIZIER (avocat au barreau de NANTES)
Composition de la cour : En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 décembre 2010 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe BOIFFIN, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Monsieur Jean-François FEDOU, président, Madame Ingrid ANDRICH, conseiller, Monsieur Philippe BOIFFIN, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Pierre LOMELLINI,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société INTER CAVES qui a pour activité la commercialisation de vins et spiritueux, a conclu le 11 décembre 1998 avec l'EURL LES CAVES DE L'OUEST un contrat dit « de partenariat » accordant notamment à celle-ci le droit exclusif d'usage de son enseigne et de distribution de ses produits sur un territoire donné, en contrepartie de quoi ce partenaire avait l'obligation de s'approvisionner exclusivement auprès de la centrale d'achats INTER CAVES, sauf autorisation préalable donnée par la société INTER CAVES.
La société LES CAVES DE L'OUEST a notifié le 9 juin 2009 à la société INTER CAVES sa décision de résilier ce contrat à son échéance du 11 décembre 2009.
Exposant que la société LES CAVES DE L'OUEST ne lui avait plus passé de commande depuis septembre 2009, ce qui laissait présumer qu'en violation de ses engagements contractuels, elle se fournissait sans autorisation auprès de tiers et commercialisait des produits extérieurs au réseau INTER CAVES, la société INTER CAVES a sollicité par requête et obtenu, suivant une ordonnance rendue le 6 octobre 2009 par le président du tribunal de commerce de Versailles, la désignation d'un huissier de justice avec pour mission de :
- « procéder dans les lieux au [...] (surface de vente + réserves et toutes les annexes et bureaux attenants) à toutes constatations établissant la violation des obligations contractuelles à la charge de l'EURL LES CAVES DE L'OUEST et notamment celle tenant à la commercialisation, sans autorisation, de produits d'une origine autre que celle de la société INTER CAVES,
- dresser la liste des produits concernés et la conserver en qualité de séquestre jusqu'à ce qu'il en soit autrement décidé,
- procéder à ces constatations en étant accompagné des membres désignés par la société INTER CAVES,
- se faire communiquer in situ, ou par tout tiers détenteur - et si besoin sous astreinte - l'ensemble de la comptabilité de l'EURL LES CAVES DE L'OUEST (notamment factures fournisseurs) afin de déterminer l'acquisition de produits extérieurs qui se trouveraient - et de ceux qui ne se trouveraient pas sur les lieux de ses opérations,
- en prendre copie et la conserver en qualité de séquestre jusqu'à ce qu'il en soit autrement décidé,
- requérir le concours de la force publique et d'un serrurier si besoin,
- se faire accompagner, le jour des constatations, de membres de la société INTER CAVES - en l'occurrence du directeur de réseau, Monsieur X., du chef des ventes, Monsieur Y. et de Madame Z., juriste du groupe, pour le constat y afférent ».
L'ordonnance a été exécutée le 5 novembre 2009.
Le 17 novembre 2009, la société LES CAVES DE L'OUEST a assigné la société INTER CAVES afin d'obtenir la rétractation de l’ordonnance du 6 octobre 2009 et la restitution de l'ensemble des documents saisis sur son fondement.
Par ordonnance contradictoire en date du 20 janvier 2010, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a :
- ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 6 octobre 2009 et dit que celle-ci ne produirait aucun effet,
- ordonné « la restitution de tous documents qui auraient pu être appréhendés par l'huissier instrumentaire et l'annulation de tous actes subséquents »,
- dit que « l'huissier ne devra délivrer aucun constat, ni copie d'un quelconque document établi au titre de l'ordonnance rétractée »,
- condamné la société INTER CAVES aux dépens, ainsi qu'à payer à l'EURL LES CAVES DE L'OUEST la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel de cette ordonnance formé par la société INTER CAVES,
Vu les dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2010 par lesquelles la société INTER CAVES, poursuivant l'infirmation de l'ordonnance entreprise, demande à la cour de « confirmer l’ordonnance du 6 octobre 2009 en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ayant confié à l'huissier commis mission de conserver en qualité de séquestre la liste des produits commercialisés par la société LES CAVES DE L'OUEST sans autorisation », et de condamner celle-ci à lui communiquer « l'ensemble de ses factures fournisseurs sur une période de douze mois précédent la cessation du partenariat, ainsi que les bilans établis pendant la durée du contrat de partenariat, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard », ainsi qu'aux entiers dépens et à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières écritures signifiées le 5 novembre 2010 par lesquelles la société LES CAVES DE L'OUEST, intimée, conclut à la confirmation de la décision déférée et sollicite la condamnation de la société INTER CAVES aux entiers dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant que pour solliciter la rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 6 octobre 2009, la société LES CAVES DE L'OUEST soutient tout d'abord, comme devant le premier juge, que la société INTER CAVES ne justifie pas d'un motif légitime au sens des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que la clause d'approvisionnement exclusif qu'elle lui reproche d'avoir enfreint et dont elle entend faire constater la violation dans la perspective d'une future action au fond, est illicite ;
Qu'elle fait valoir que cette clause est, en effet, prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce et le Règlement communautaire 2790/1999, alors que la société INTER CAVES ne justifie d'aucun motif objectif, notamment lié à la nécessité de préserver l'identité et la réputation de son réseau de distribution, autorisant l'interdiction d'approvisionnement auprès de toute entreprise externe, puisque la plupart des produits qu'elle commercialise sont dépourvus de toute spécificité ;
Que la société LES CAVES DE L'OUEST ajoute que ladite clause est également contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 446-6.1.2° du code de commerce qui sont applicables aux contrats en cours, en ce qu'elle crée, à son détriment, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
Mais considérant que la société INTER CAVES a mis en place deux filiales d'approvisionnement, dotées de moyens techniques et humains, afin d'assurer la qualité et l'homogénéité des produits qu'elle distribue ; que plusieurs sentences arbitrales ont retenu que, dans ces conditions, les produits qu'elle distribue ne peuvent être qualifiés de banals ; qu'elle a également défini dans un « pacte d'engagement pour la poursuite du plan qualité approvisionnement » une procédure que ses partenaires doivent suivre afin de pouvoir s'approvisionner en produits extérieurs ;
Qu'elle objecte, de plus, que le Règlement N° 2790/1999 et l'article L. 442-6.1.2° du code de commerce ne sont pas applicables au contrat de partenariat du 11 décembre 1998, conclu avant leur entrée en vigueur ;
Considérant qu'ainsi que l'a pertinemment énoncé le premier juge, il n'appartient pas à la juridiction des référés, saisie sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, mais au juge du fond de se prononcer sur le caractère licite ou non de la clause d'approvisionnement exclusif stipulée à l'article 6.2 de la convention de partenariat conclue le 11 décembre 1998, étant rappelé que la mise en œuvre de ces dispositions n'impose pas la démonstration préalable du bien fondé de l'action dans la perspective de laquelle les mesures d'instruction sont sollicitées ;
Qu'au regard des éléments dont se prévaut la société INTER CAVES et comme l'a aussi estimé le premier juge, ce caractère illicite n'apparaît, en tout état de cause, pas établi avec l'évidence requise en référé ;
Que la société INTER CAVES qui entend obtenir réparation du préjudice commercial que lui aurait causé la violation de cette clause d'approvisionnement, justifie d'un intérêt légitime pour requérir, avant tout procès, des mesures d'instruction destinées à conserver ou établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution de ce litige, soit, en l'espèce, celle d'un recours, sans autorisation, de la société LES CAVES DE L'OUEST à des fournisseurs extérieurs au réseau INTER CAVES ;
Considérant, cependant, que ces mesures doivent être légalement admissibles, ainsi que l'énonce l’article 145 du code de procédure civile ;
Que comme le fait valoir en second lieu la société LES CAVES DE L'OUEST et l'a exactement retenu le premier juge, tel n'est pas le cas des mesures sollicitées par la société INTER CAVES et autorisées par l’ordonnance du 6 octobre 2009 qui, donnant mission à l'huissier commis de procéder à toutes constatations « établissant la violation des obligations contractuelles à la charge de l'EURL LES CAVES DE L'OUEST », conduisent cet huissier à porter des appréciations d'ordre juridique qui ne relèvent pas de son rôle de constatant, en méconnaissance des prescriptions de l’article 249 du code de procédure civile ;
Qu'il en est de même de celles prévoyant la communication « - si besoin sous astreinte - » de « l'ensemble de la comptabilité » de la société LES CAVES DE L'OUEST qui, n'étant pas précisément restreintes à la seule production des pièces relatives à la fourniture et à la vente de produits extérieurs au réseau INTER CAVES ou à celles utiles et nécessaires à la constatation des violations alléguées de la clause d'approvisionnement, s'analysent en une mesure d'investigation générale, d'autant plus critiquable que l’ordonnance du 6 octobre 2009 a autorisé l'huissier à se faire accompagner, dans l'exercice de sa mission, de « membres de la société INTER CAVES », partie à la requête de laquelle sa désignation est intervenue et ainsi susceptible d'orienter sinon diriger cet exercice ;
Qu'enfin, ne pouvait davantage être délégué à l'huissier commis le pouvoir contraignant d'assortir d'une astreinte l'injonction de communication des documents comptables ;
Considérant que c'est donc à juste titre que pour l'ensemble de ces raisons, le premier juge a retenu que les mesures d'instruction ordonnées le 6 octobre 2009 n'étaient pas légalement admissibles et, en conséquence, a rétracté l'ordonnance sur requête rendue à cette date, en ayant dit que tous les documents ayant pu être appréhendés lors de son exécution devraient être restitués ;
Considérant qu'en cause d'appel, la société INTER CAVES demande que la société LES CAVES DE L'OUEST soit condamnée, sous astreinte, à lui communiquer « l'ensemble de ses factures fournisseurs sur une période de douze mois précédent la cessation du partenariat ainsi que des bilans établis pendant la durée du contrat de partenariat », en faisant valoir que cette communication qui, s'agissant des bilans, comptes de résultats et liasses fiscales, était prévue par l'article 6-7-1 du contrat de partenariat, lui est nécessaire « pour pouvoir introduire une procédure au fond en indemnisation de son préjudice » ;
Mais considérant que la saisine, comme dans le cas présent, du juge de la rétractation qui a pour seul objet de soumettre à la vérification d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées par voie de requête, ne peut être étendue au delà de l'objet de celle-ci ;
Que la demande de la société INTER CAVES qui tend, en réalité, à restreindre la portée et les effets de la rétractation de l’ordonnance du 6 octobre 2009 en ce qu'elle entraîne notamment la restitution de tous les documents ayant pu être appréhendés lors de son exécution, ne peut être accueillie ;
Considérant que le premier juge a exactement statué sur les dépens et l'application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que la société INTER CAVES qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel et à verser à la société LES CAVES DE L'OUEST la somme de 2.000 euros par application en cause d'appel de l’article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS ;
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Déboute la société INTER CAVES de sa demande tendant à la condamnation, sous astreinte, de la société LES CAVES DE L'OUEST à lui communiquer « l'ensemble de ses factures fournisseurs sur une période de douze mois précédent la cessation du partenariat, ainsi que des bilans établis pendant la durée du contrat de partenariat » ;
Condamne la société INTER CAVES à payer à la société LES CAVES DE L'OUEST la somme de 2.000 euros (deux mille euros) par application en cause d'appel de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société INTER CAVES aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-François FEDOU, Président et par Madame LOMELLINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,
- 3529 - Définition des clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge des référés : principe
- 6167 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Application dans le temps
- 6241 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Compétence d’attribution