TI LE HAVRE, 13 juin 2007
CERCLAB - DOCUMENT N° 3256
TI LE HAVRE, 13 juin 2007 : RG n° 11-07-00430 ; jugement n° 816/07
(sur appel CA Rouen (ch. prox.), 18 septembre 2008 : RG n° 07/03612)
Extraits : 1/ « Dès lors, le Tribunal a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, ainsi que le lui impose les dispositions de droit communautaire, et de les soumettre à la contradiction. »
2/ « Au surplus, le délai de forclusion opposable à l'emprunteur, tel qu'il résulte de la rédaction de l'article L. 311-37 antérieure au 11 décembre 2001, contrevient à l'esprit et à la finalité de la directive du 22 décembre 1987 en ce qu'il empêche le consommateur de bénéficier des dispositions protectrices et des droits qui lui sont dévolus. […] En conséquence, le juge national est tenu d'assurer l'effectivité de la directive et d'écarter les dispositions qui contreviendraient à ce principe. Dès lors, ce délai de forclusion dot être écarté. »
3/ « Toute clause aggravant la situation de l'emprunteur par rapport aux prévisions du modèle type applicable constitue une irrégularité entraînant la déchéance du droit aux intérêts.
Force est de constater en l'espèce que l'offre de crédit en date du 19 juin 2001 prévoit la résiliation du prêt pour d'autres causes que la défaillance de l'emprunteur, aggravant ainsi la situation de ce dernier par rapport aux prévisions du modèle type. En effet, le contrat prévoit à son article 6 des conditions générales du crédit la faculté pour le prêteur de résilier de plein droit le contrat, sans aucune formalité, dans le cas où l'emprunteur ne signalerait pas immédiatement à MEDIATIS toutes modifications des renseignements fournis, à savoir tout changement d'adresse ou de situation professionnelle.
Il apparaît difficile de justifier en quoi la modification de la situation de l'emprunteur au niveau professionnel ou son changement d'adresse pourrait motiver la résiliation du contrat, le caractère général de cette clause permettant au prêteur de se saisir de tout événement dans la vie du cocontractant, sans même qu'il soit nécessaire que les capacités de remboursement de l'emprunteur se trouvent altérées. »
TRIBUNAL D’INSTANCE LE HAVRE
JUGEMENT DU 13 JUIN 2007
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11-07-00430. Jugement n° 816/07.
DEMANDERESSE :
SA MEDIATIS
dont le siège social est [adresse], représentée par la Société Civile Professionnelle AUNAY, société d'avocats au barreau du HAVRE
DÉFENDEURS :
Monsieur X.
demeurant [adresse], comparant en personne
Madame Y.
demeurant [adresse], comparante en personne
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et du délibéré :
PRÉSIDENT : Aline GAUCI,
GREFFIER : Véronique JOYEUX
DÉBATS : en audience publique du 20 mars 2007 à l'issue de laquelle le délibéré a été fixé au 13 juin 2007
JUGEMENT : - en premier ressort, - contradictoire - prononcé en audience publique par mise à disposition au Greffe de la présente Juridiction, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile
SIGNÉ PAR : Aline GAUCI, Juge au Tribunal de Grande Instance du HAVRE, chargé du service de l'Instance du HAVRE et Véronique JOYEUX Greffier, au siège de ce Tribunal, 70 rue du Maréchal de Lattre de Tassigny au Havre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon offre préalable acceptée le 19 juin 2001, la SA MEDIATIS a consenti à Monsieur X. et Madame Ginette Y. épouse X. un crédit utilisable par fractions d'un montant maximum de 40.000 francs, au taux effectif global variable de 16,62 %.
Par un avenant en date d'avril 2004, le montant du crédit a été porté à la somme de 15.000 euros, au taux effectif global variable de 16,51 %.
La société de crédit a entendu se prévaloir de la déchéance du terme et a mis en demeure le débiteur de s'acquitter du solde de la créance par lettre recommandée avec accusé de réception le 11 février 2006.
Par acte d'huissier en date du 22 février 2007, la SA MEDIATIS a fait assigner Monsieur et Madame X. à comparaître devant le Tribunal de céans afin d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, leur condamnation solidaire au paiement des sommes suivantes :
- 13.458,53 euros avec intérêts au taux contractuel de 15,49 % sur la somme de 12.760,70 euros à compter du 24 janvier 2006,
- 305 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- le paiement des entiers dépens.
A l'audience du 20 mars 2007, la SA MEDIATIS, représentée par son avocat, maintient ses demandes.
En défense, Monsieur X. et Madame Y. épouse X., assignés à l'étude, comparaissent.
Ils ne contestent pas le montant de la dette mais précisent qu'un plan conventionnel de redressement intégrant la dette de la SA MEDIATIS est en cours d'élaboration et demandent à être autorisés à rembourser leur dette selon les modalités mises en place par la Commission de Surendettement du Havre.
Sur le moyen soulevé d'office par le Tribunal tenant à la régularité de l'offre de crédit par rapport au modèle type applicable, la SA MEDIATIS fait valoir que cet argument est forclos eu égard à la date de conclusion du contrat, antérieur à la modification de l'article L. 311-37 du Code de la Consommation, et qu'en tout état de cause il n'appartient pas au Tribunal de soulever un moyen relevant d'un ordre public de protection dont seul le consommateur peut se prévaloir.
Les époux X. ne formulent aucune observation sur ce point.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la forclusion de l'action en paiement :
L'article L. 311-37 du Code de la Consommation dispose que les actions en paiement engagées au titre d'un crédit à la consommation doivent être formées dans les deux ans de l'évènement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion.
Il ressort de l'historique de compte produit au débat que la première échéance impayée non régularisée est intervenue en avril 2005.
Dès lors, l'action en paiement a été introduite dans le délai prescrit, celle-ci ayant été engagée par une assignation en date du 22 février 2007.
Sur l'office du juge :
Conformément à l'article 6 du Code Civil, les parties ne peuvent déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public. D'autre part, l'article 1134 du Code Civil précise que seules les conventions légalement formées ont force obligatoire.
Par ailleurs, en application de l'article L. 313-16 du Code de la Consommation, le consommateur ne peut renoncer aux bénéfices des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du même code qui sont d'ordre public. L'ignorance ou la non comparution de la partie que la loi entend protéger ne saurait par conséquent aboutir à la renonciation de ces dispositions.
En outre, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts n'a d'autre objet que de contester le montant de la créance alléguée par le prêteur. Cette contestation constitue un simple moyen de défense au sens de l'article 71 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Aux termes de l'article 12 du Nouveau Code de Procédure Civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
La défense au fond, qui n'est qu'une catégorie de moyen, peut être soulevée d'office par le juge lorsqu'il s'agit de moyens de droit.
Par ailleurs, il convient de souligner que la législation du crédit à la consommation dérive du droit communautaire, les articles L. 311-1 et suivants du Code de la Consommation transposant en droit interne les dispositions de la directive n° 87/102 du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation.
Ainsi, la Cour de Justice des Communautés Européennes considère que « le juge national, chargé d'appliquer le droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ses normes, en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition de la législation nationale, même postérieure, sans attendre l'élimination de ces dispositions par voie législative ou tout autre procédé constitutionnel » (CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77).
[minute page 4] De même, la Cour de Justice indique qu’« en appliquant le droit national, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer à l'article 189, troisième alinéa du traité » (CJCE, 16 décembre 1993, Marleasing).
Dans son exposé des motifs, la directive souligne que les disparités de réglementation sont susceptibles « d'entraîner des distorsions de concurrence entre les prêteurs dans le marché commun », « influent sur la libre circulation des biens et des services susceptibles d'être affectés d'un crédit et ont ainsi un impact direct sur le fonctionnement du marché commun », et que « les consommateurs, les prêteurs, les fabricants, les grossistes et les détaillants, ainsi que les prestataires de services tireraient tous profits de la création d'un marché commun du crédit à la consommation ».
Il en découle que cette directive n'a pas pour seul objet d'accorder une certaine bienveillance à une catégorie de personnes présumées faibles, auxquelles il appartiendrait ensuite de faire respecter leurs droits, mais bien d'organiser le marché intérieur pour le plus grand profit de l'ensemble des agents économiques.
Cet objectif répond à la définition en droit interne de l'ordre public de direction, lequel permet au juge de relever d'office les moyens tirés de son manquement.
D'autre part, la généralité du principe dégagé par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans son arrêt du 27 juin 2000, Oceano Groupo, selon lequel une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause, doit être transposée à l'application de la directive relative au crédit à la consommation dont l'inspiration et les finalités sont identiques à celles de la directive n° 93/13 du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, à savoir assurer un haut degré de protection de l'emprunteur-consommateur, conformément à l'article 38 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne du 7 décembre 2000.
En effet, l'impératif d'application de la protection du consommateur se heurte au même risque d'ignorance du consommateur, de sorte qu'une protection efficace et conforme aux objectifs de la directive impose la possibilité pour le juge national de soulever d'office les éléments de droit applicables.
Dès lors, le Tribunal a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, ainsi que le lui impose les dispositions de droit communautaire, et de les soumettre à la contradiction.
Sur la forclusion opposable à l'emprunteur :
La vérification de la preuve de l'existence du droit aux intérêts du prêteur qui s'inscrit dans l'objectif légal d'ordre public de protection du consommateur ne pouvant avoir pour seul cadre que le débat de fond sur la preuve de l'existence des obligations au sens de l'article 1315 du Code Civil, la déchéance automatique du droit aux intérêts, telle qu'elle résulte de l'article L. 311-33, ne peut être classée au rang des événements donnant naissance à une action au sens de l'article L. 311-37 et le délai biennal de forclusion ne saurait donc être opposé à l'examen de la régularité formelle de l'offre préalable et y faire obstacle.
[minute page 5] Il convient par ailleurs de rappeler que les irrégularités qui ne concernent pas la formation du contrat de crédit mais son exécution, à travers l'absence de renouvellement de l'offre préalable ou d'information annuelle des conditions de reconduction du contrat, ne constituent pas un événement susceptible de donner naissance à une action en contestation et ne sont pas de ce fait de nature à ouvrir le délai biennal de forclusion.
Au surplus, le délai de forclusion opposable à l'emprunteur, tel qu'il résulte de la rédaction de l'article L. 311-37 antérieure au 11 décembre 2001, contrevient à l'esprit et à la finalité de la directive du 22 décembre 1987 en ce qu'il empêche le consommateur de bénéficier des dispositions protectrices et des droits qui lui sont dévolus.
Ainsi, la Cour de Justice des Communautés Européennes écarte tout délai de nature à restreindre la protection issue du droit communautaire et a jugé dans un arrêt du 16 décembre 1976, Rewe Zentralfinanz, que si « les droits conférés par le droit communautaire doivent être exercés devant les juridictions nationales selon les modalités déterminées par la règle nationale, ces modalités et délais ne doivent pas aboutir à rendre en pratique impossible l'exercice de droits que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder ».
Du reste, c'est après avoir pris conscience de ce que le délai de forclusion empêchait en réalité le consommateur de faire valoir les droits que devait lui offrir la réglementation du crédit à la consommation que le législateur a modifié l'article L. 311-37 du Code de la Consommation pour en limiter les effets aux seules actions en paiement du prêteur.
En conséquence, le juge national est tenu d'assurer l'effectivité de la directive et d'écarter les dispositions qui contreviendraient à ce principe. Dès lors, ce délai de forclusion dot être écarté.
Sur la déchéance du droit aux intérêts :
Aux termes de l'article L. 311-33 du Code de la Consommation, le prêteur qui accorde un crédit sans saisir l'emprunteur d'une offre préalable satisfaisant aux conditions fixées par les articles L. 311-8 à L. 311-13 est déchu du droit aux intérêts et l'emprunteur tenu au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu.
Il résulte des articles L. 311-13 et R. 311-6 du dit code que l'offre préalable est établie selon l'un des modèles types fixés par le comité de réglementation bancaire et correspondant à l'opération de crédit proposée.
Toute clause aggravant la situation de l'emprunteur par rapport aux prévisions du modèle type applicable constitue une irrégularité entraînant la déchéance du droit aux intérêts.
Force est de constater en l'espèce que l'offre de crédit en date du 19 juin 2001 prévoit la résiliation du prêt pour d'autres causes que la défaillance de l'emprunteur, aggravant ainsi la situation de ce dernier par rapport aux prévisions du modèle type.
En effet, le contrat prévoit à son article 6 des conditions générales du crédit la faculté pour le prêteur de résilier de plein droit le contrat, sans aucune formalité, dans le cas où l'emprunteur ne signalerait pas immédiatement à MEDIATIS toutes modifications des renseignements fournis, à savoir tout changement d'adresse ou de situation professionnelle.
[minute page 6] Il apparaît difficile de justifier en quoi la modification de la situation de l'emprunteur au niveau professionnel ou son changement d'adresse pourrait motiver la résiliation du contrat, le caractère général de cette clause permettant au prêteur de se saisir de tout événement dans la vie du cocontractant, sans même qu'il soit nécessaire que les capacités de remboursement de l'emprunteur se trouvent altérées.
Cette clause a donc pour effet d'aggraver la situation de l'emprunteur par rapport au modèle type, qui ne prévoit la faculté de prononcer la déchéance du terme du contrat de crédit qu'en cas de défaillance dans les remboursements.
Dès lors, l'offre de crédit en cause n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 311-13 et R. 311-6 et il y a lieu de déchoir la SA MEDIATIS de son droit aux intérêts depuis l'origine du contrat.
En conséquence, il y a lieu de condamner solidairement Monsieur X. et Madame Y. épouse X. à payer, à la SA MEDIATIS la somme de 3.182,12 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement.
En outre, il convient de dire que les débiteurs seront tenus au remboursement de la dette selon les modalités prévues par le plan conventionnel de redressement établi par la Commission de Surendettement du Havre, conformément aux dispositions de l'article L. 331-6 du Code de la Consommation.
Sur l'exécution provisoire, les dépens et les frais irrépétibles :
Compte tenu de l'ancienneté de la créance, il convient d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision, laquelle est compatible avec la nature de l'affaire.
Monsieur et Madame X. succombant à l'instance, ils seront condamnés aux dépens.
Eu égard à la différence de position économique des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 7] PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort ;
Constate la recevabilité de l'action en paiement de la SA MEDIATIS
Condamne solidairement Monsieur X. et Madame Y. épouse X. à payer à la SA MEDIATIS la somme de 3.182,12 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;
Dit que les débiteurs seront tenus au remboursement de la dette selon les modalités prévues par le plan conventionnel de redressement établi par la Commission de Surendettement du Havre ;
Condamne Monsieur X. et Madame Y. épouse X. aux dépens ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Ordonne l'exécution provisoire.
En foi de quoi le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
Le Greffier Le Président
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