CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA AMIENS (1re ch. 1re sect.), 19 mars 2009

Nature : Décision
Titre : CA AMIENS (1re ch. 1re sect.), 19 mars 2009
Pays : France
Juridiction : Amiens (CA), 1re ch. sect. 1
Demande : 07/04857
Date : 19/03/2009
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 23/11/2007
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 3431

CA AMIENS (1re ch. 1re sect.), 19 mars 2009 : RG n° 07/04857 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Ainsi, lorsqu'elle a contracté avec les époux X., la SCI Habitat Amiens Sud savait déjà, depuis plusieurs mois, que la société MCB était défaillante dans l'exécution de ses obligations de sorte qu'en stipulant malgré tout dans l'acte authentique du 7 juillet 2006, une clause rédigée dans son seul intérêt et dont elle savait déjà qu'elle serait amenée à se prévaloir, l'appelante a créé, au détriment des intimés, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

 

COUR D’APPEL D’AMIENS

PREMIÈRE CHAMBRE PREMIÈRE SECTION

ARRÊT DU 19 MARS 2009

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 07/04857. APPEL D'UN JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D’AMIENS du 7 novembre 2007.

 

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE :

SCI HABITAT AMIENS SUD

Représentée par Maître Jacques CAUSSAIN, avoué à la Cour et plaidant par Maître GRARDEL, avocat au barreau de LILLE

 

ET :

INTIMÉS :

Monsieur X.

Madame Y. épouse X.

Représentés par la SCP MILLON - PLATEAU, avoués à la Cour et plaidant par la SCP BRIOT-TOURBIER, avocats au barreau d'AMIENS

 

DÉBATS : A l'audience publique du 29 janvier 2009, devant : M. GRANDPIERRE, Président, entendu en son rapport, Mme CORBEL et M. DAMULOT, Conseillers,

qui en ont délibéré conformément à la Loi, le Président a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 Mars 2009.

GREFFIER : M. DROUVIN

PRONONCÉ PUBLIQUEMENT : Le 19 mars 2009 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ; M. GRANDPIERRE, Président, a signé la minute avec M. DROUVIN, Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCISION :

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte authentique du 7 juillet 2005, la société civile immobilière Habitat Amiens Sud a vendu aux époux X., en l'état futur d'achèvement, un maison devant être édifiée sur un terrain sis à Amiens et cadastré section LT n° XX. Il y était stipulé que les travaux seraient achevés au premier trimestre 2006. Par lettre du 14 mars 2006, la SCI Habitat Amiens Sud a informé les acquéreurs que l'immeuble ne serait achevé qu'au premier trimestre 2007.

Par exploit du 16 juin 2006, les époux X. ont fait assigner ladite société devant le tribunal de grande instance d'Amiens afin de voir la défenderesse condamnée à les indemniser des conséquences de ce retard.

Par jugement du 7 novembre 2007, le Tribunal a :

- déclaré réputée non écrite la clause du contrat aux termes de laquelle le délai d'achèvement serait majoré en cas de résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ;

- condamné la SCI Habitat Amiens Sud à payer aux époux X. une indemnité mensuelle de 875 euros pour préjudice matériel, et une autre de 100 euros pour trouble de jouissance, pour la période s'étendant du mois d'avril 2006 jusqu'à la date d'achèvement de l'immeuble ;

- condamné en outre la défenderesse au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, et des dépens.

 

Suivant déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 novembre 2007, la SCI Habitat Amiens Sud a interjeté appel de ce jugement.

Elle demande à la juridiction de céans de l'infirmer en toutes ses dispositions, de débouter les intimés de l'intégralité de leurs prétentions ou, subsidiairement, de ramener leur indemnisation « à de plus justes proportions » et, en tout état de cause, de les condamner à lui payer 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile .

L'appelante se prévaut de la clause prévoyant une majoration du délai d'achèvement des jours de retard consécutifs à la résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ou à un cas de force majeure, dont elle conteste le caractère abusif, au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, et explique que le retard pris par le chantier a pour origine la résiliation du marché de gros œuvre confié à la société MCB, aux torts de celle-ci. Elle souligne que les malfaçons imputables à cette entreprise ont nécessité une déclaration de sinistre et une expertise des multiples désordres et non-conformités, qui ont nécessité des travaux de reprise assimilables à une reconstruction. En ce qui concerne le calcul du retard, elle rappelle que les époux X. ont sollicité des travaux supplémentaires aux termes d'un avenant prévoyant une prolongation de délai de trois semaines, et en conclut qu'aucune indemnité ne peut être réclamée pour la période du 1er au 22 avril 2006. Elle ajoute qu'elle ne peut être tenue à indemnité qu'à compter du jour où elle aurait tardé à confier les travaux à une autre entreprise, et qu'il doit être tenu compte des intempéries.

 

Intimés, les époux X. concluent à la confirmation du jugement, et sollicitent une indemnité de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Ils rappellent qu'ils fondent leur action sur les articles 1134 et 1147 du Code civil, et soutiennent que la clause de prorogation de délai opposée par la SCI Habitat Amiens Sud est abusive dès lors que l'appelante savait déjà, lors de la conclusion du contrat, que la société MCB avait abandonné le chantier et commis de nombreuses malfaçons. Ils contestent également que l’avenant du 28 juin 2005 ait pu proroger de trois semaines le délai de livraison. Ils motivent leur demande d'indemnité pour trouble de jouissance par le fait qu'ils ont dû continuer à louer, un an de plus, un appartement de trois chambres pour une famille de cinq personnes, et dépourvu de jardin contrairement à leur précédent logement.

 

La SCI Habitat Amiens Sud réplique que le caractère abusif d'une clause doit être apprécié au moment de la régularisation du contrat, et non postérieurement, que l'acte authentique a été établi conformément au projet qu'elle a dû notifier au réservataire un mois avant la signature, conformément à l’article R. 261-30 du Code de la construction et de l'habitation, et que la situation de promiscuité alléguée par les intimés ne ressort pas des pièces versées aux débats.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DISCUSSION :

Sur le caractère abusif de la clause de prorogation de délai :

L’article L. 132-1 du Code de la consommation dispose notamment que « le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion (...) ».

En l'espèce, un procès-verbal de constat établi à la demande du représentant de la SCI Habitat Amiens Sud par Maître M., huissier de justice à Amiens, le 6 juillet 2005, veille de la signature de l'acte authentique, révèle que la société MCB, titulaire du lot « gros-œuvre », avait déjà abandonné le chantier à cette date. L'huissier indique même dans son procès-verbal que Monsieur D., responsable technique de la société Marignan, représentant la SCI, lui a déclaré « que non seulement la société MCB a abandonné le chantier depuis plusieurs mois (...), mais également qu'il existe de nombreuses malfaçons sur les travaux déjà réalisés par cette société ».

Ainsi, lorsqu'elle a contracté avec les époux X., la SCI Habitat Amiens Sud savait déjà, depuis plusieurs mois, que la société MCB était défaillante dans l'exécution de ses obligations de sorte qu'en stipulant malgré tout dans l'acte authentique du 7 juillet 2006, une clause rédigée dans son seul intérêt et dont elle savait déjà qu'elle serait amenée à se prévaloir, l'appelante a créé, au détriment des intimés, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Vainement fait-elle valoir qu'en application de l’article R. 261-30 du Code de la construction et de l'habitation, elle devait notifier au réservataire le projet d'acte de vente un mois au moins avant la signature de cet acte, car à la date à laquelle cette notification a eu lieu, soit le courant du mois du juin 2005 selon ses propres écritures, elle connaissait déjà la défaillance de l'entreprise MCB, ainsi que cela ressort des déclarations de Monsieur D. à l'huissier.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré non-écrite la clause de prorogation du délai d'achèvement.

 

Sur l’avenant du 28 juin 2005 :

Cet avenant est antérieur à la signature de l'acte authentique, qui a été rédigé en conséquence, puisque le prix qui y est stipulé, soit 257.085,13 euros se compose des 251.312 euros prévus au contrat préliminaire, et des 5.773,13 euros correspondant au montant des travaux chiffrés dans l'avenant : il n'est donc pas douteux que le délai d'achèvement stipulé dans l'acte authentique tient compte du délai nécessaire à l'exécution de ces travaux supplémentaires et qu'il n'a pas été modifié par rapport à celui mentionné dans le contrat de réservation parce que l'appelante ne l'a pas estimé nécessaire. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que le retard ne doit être apprécié qu'à compter du 22 avril 2006.

 

Sur les indemnisations réclamées par les époux X. :

L’article 1147 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que cette inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, même s'il n'y a aucune mauvaise foi de sa part.

Il appartient donc à la SCI Habitat Amiens Sud, qui était tenue à une obligation de résultat, de justifier que le non-respect du délai de livraison procède d'une cause étrangère, qui doit présenter les caractères de la force majeure, à savoir l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité.

Or la défaillance de la société MCB n'était nullement imprévisible pour la société Habitat Amiens Sud, qui en connaissait déjà les nombreuses carences lorsqu'elle a contracté avec les époux X., ainsi qu'il ressort des éléments factuels rappelés plus avant.

Le retard était donc constitué dès le 1er avril 2006.

Il en résulte que les époux X. sont bien fondés à demander une indemnité correspondant au loyer qu'ils ont dû régler du 1er avril 2006 jusqu'à la date d'achèvement de l'immeuble, soit 875 euros par mois, sauf à déduire de cette période, au prorata temporis, les 102 jours d'intempérie relevés par le cabinet Abscisse Ingénierie, sous-traitant de la société Richard, architecte, conformément à la clause stipulée en page 16 de l'acte authentique.

Sous la même réserve, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a alloué aux époux X. une indemnité de 100 euros par mois pour trouble de jouissance, dans la mesure où il est démontré par les pièces versées aux débats que le logement loué par les intimés entre la vente de leur précédente maison et l'achèvement de la nouvelle était dépourvu de jardin et moins spacieux que leur nouvelle maison.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Bien que le jugement déféré soit partiellement réformé en faveur de la SCI Habitat Amiens Sud, celle-ci n'en succombe pas moins sur l'essentiel du litige, de sorte qu'il y a lieu de la condamner aux entiers dépens, conformément au principe posé par l’article 696 du Code de procédure civile et, en conséquence, de la débouter de la demande d'indemnité qu'elle a présentée sur le fondement de l'article 700 dudit code.

Il serait par contre inéquitable de laisser à la charge des époux X. l'intégralité des frais qu'ils ont dû exposer devant la Cour et qui ne sont pas compris dans les dépens : aussi leur sera-t-il alloué de ce chef une indemnité de 1.000 euros.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,

Réforme le jugement en ce qui concerne la durée de calcul des indemnités allouées aux époux X. au titre du préjudice matériel et du trouble de jouissance ;

Et, statuant à nouveau de ce chef,

Dit qu'il conviendra de déduire de cette durée, au prorata temporis, 102 jours d'intempéries ;

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions non contraires au présent arrêt ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI Habitat Amiens Sud à verser aux époux X. une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne en outre l'appelante aux entiers dépens d'appel, avec application au profit de la S.C.P. Millon-Plateau du droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 dudit code.

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT