CA LYON (1re ch. civ. B), 30 mai 2012
CERCLAB - DOCUMENT N° 3875
CA LYON (1re ch. civ. B), 30 mai 2012 : RG n° 11/01437
Publication : Jurica
Extrait : « La société P. O., qui ne connaissait de ce fait pas les lieux et ses sujétions techniques ressortant notamment de la situation des arrivées et évacuations d'eau, ou de leur absence, ainsi que des contraintes électriques qu'elle n'avait pu vérifier, et qui n'avait effectué elle-même aucun métré précis ou étude de faisabilité, ne pouvait assurer à sa cliente avant la signature du contrat que les meubles et le matériel électroménager dont elle faisait l'acquisition pourraient s'intégrer dans l'espace prévu, et qu'ils seraient ainsi conformes à l'usage auquel ils étaient destinés.
Elle ne pouvait pas davantage l'informer « avec précision de la nature, de l'étendue et des conditions techniques d'exécution des prestations, ainsi que de la répartition entre celles qui sont comprises dans le prix indiqué et celles qui, bien qu'indispensables à la réalisation et à l'utilisation de l'installation proposée, ne sont pas comprises dans ce prix », conformément à la recommandation n° 82-03 de la Commission des clauses abusives.
Dans ces conditions, à défaut de disposer d'une information suffisante de la part de la société venderesse, qui ne l'a pas mise en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service que celle-ci entendait lui apporter, Madame X. n'a pu émettre un consentement éclairé à la vente.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de LYON doit dès lors être confirmé en ce qu'il a considéré que la nullité du contrat de vente était encourue en application du texte précité [L. 111-1 C. consom.] »
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 30 MAI 2012
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11/01437. Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON (1re ch.), Au fond, du 21 juillet 2010 : R.G. n° 2008/01444
APPELANTE :
SARL P. O.
représentée par la SELARL MONOD-TALLENT, avocats au barreau de LYON,
INTIMÉS :
M. X.
né le [date] à [ville], représenté par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assisté de Maître Martine RICARD, avocat au barreau de LYON
Mme Y. épouse X.
née le [date] à [ville], représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assistée de Maître Martine RICARD, avocat au barreau de LYON
Date de clôture de l'instruction : 24 avril 2012
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 3 mai 2012
Date de mise à disposition : 30 mai 2012
Audience présidée par Christian RISS, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré : - Jean-Jacques BAIZET, président, - Michel FICAGNA, conseiller, - Christian RISS, conseiller
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Monsieur et Madame X. ont signé le 22 mars 2006 à la Foire de Lyon avec la société P. O. un bon pour la commande d'une cuisine équipée de marque VENETA modèle STING d'un montant de 16.000,00 euros TTC, la livraison devant intervenir à la fin du mois de juin 2006 dans un appartement qu'ils projetaient d'acquérir [adresse]. Ils ont également remis un chèque d'un montant de 2 000,00 euros, à titre de garantie selon leurs dires et à titre d'acompte selon la société venderesse, qui a été encaissé par cette dernière avant d'être re-crédité au profit des acquéreurs.
Par lettre du 8 avril 2006, les époux X. ont procédé à l'annulation de leur commande, qui a été refusée par la société P. O. en raison du caractère ferme et définitif de la vente, les acquéreurs ayant été priés de respecter leurs engagements et de procéder non seulement au règlement de l'acompte contractuel convenu de 2.000,00 euros mais encore de communiquer toutes informations utiles sur les modalités de livraison de la cuisine commandée.
En l'absence de réponse de leur part, la société P. O. leur a fait délivrer le 7 juin 2006 une sommation de payer qui est restée infructueuse, puis les assignés devant le tribunal de grande instance de Lyon par acte d'huissier du 28 décembre 2007 pour les voir condamnés solidairement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer la somme de 16.000,00 euros en exécution de leurs obligations contractuelles, celle de 2.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à leur mauvaise foi et à la désorganisation de la société, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile élevée à 1.500,00 euros au terme de ses dernières écritures.
Monsieur et Madame X. se sont opposés à ces demandes en invoquant la nullité de la vente du fait de la réticence dolosive du vendeur et du manquement de la société à ses obligations contractuelles d'information et de conseil. À titre subsidiaire, ils ont soutenu que la demande en paiement était dépourvue de cause. Ils ont demandé reconventionnellement au tribunal de condamner la société P. O. à leur payer la somme de 2.500,00 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 22 juillet 2010, le tribunal de grande instance de Lyon a annulé la vente conclue le 22 mars 2006 entre les parties, a débouté la société P. O. de ses demandes, a débouté Monsieur et Madame X. de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et a condamné la société P. O. à leur payer la somme de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que le bon de commande signé le 22 mars 2006 ne comportait aucun numéro de contrat ni la signature du vendeur et que le solde du prix restant à payer n'était pas clairement mentionné. En outre, il n'était complété par aucun plan comportant des cotes précises, de sorte que les acheteurs n'avaient pas eu à leur disposition l'ensemble des caractéristiques des meubles achetés et ne pouvaient être considérés comme s'étant valablement engagés au terme d'un bon de commande incomplet et irrégulier ne répondant pas aux exigences du code de la consommation.
Il a surabondamment observé que la condition implicite de l'acquisition par les époux X. de l'appartement dans lequel devait être installée la cuisine n'avait pas été réalisée, dans la mesure où ces derniers n'ont pu obtenir le prêt sollicité, de sorte que la livraison étant impossible, le contrat devait être résolu.
La société P. O. a relevé appel de cette décision, dont elle demande l'infirmation par la cour, en prétendant la commande du 22 mars 2006 valable, ferme et définitive, et ne pouvant être annulée. Elle demande en conséquence la condamnation solidaire des époux X. à lui payer la somme de 16.000,00 euros en application de leurs obligations contractuelles, outre celle de 1.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi lié à leur mauvaise foi et à la désorganisation de la société et un montant de 1.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait observer que la juridiction de première instance a statué ultra petita en se saisissant de moyens qui n'avaient pas été clairement développés et qui sont en tout état de cause mal fondés.
Elle prétend à cet égard que les acheteurs avaient une parfaite connaissance des caractéristiques essentielles de la cuisine achetée ainsi que de son prix de 20.733,97 euros, ramené après remise à la somme de 16.000 euros, sur lequel ils ont versé un chèque d'acompte de 2.000,00 euros. En outre, un descriptif très précis, mobilier par mobilier de la cuisine commandée, était annexé au bon de commande. Par ailleurs, un projet d'implantation avec plan et mesures détaillées a bien été réalisé ultérieurement en présence d'un agent immobilier en charge de la vente de l'appartement où devait être effectuée de livraison, et celui-ci a encore été signé par Monsieur et Madame X.
Elle ajoute que la condition suspensive d'acquisition de l'appartement, à laquelle s'est référé le tribunal, n'est nullement indiquée dans les actes intervenus entre les parties et qu'elle ne peut se présumer. En outre, les époux X. sont de mauvaise foi pour avoir commandé une cuisine le 22 mars 2006 alors les crédits pour l'acquisition de leur appartement leur avaient été refusés les 7 et 16 février 2006, ainsi qu'ils l'ont déclaré dans le cadre de la procédure judiciaire les ayant opposés au vendeur de l'appartement.
Elle prétend encore qu'ils sont mal fondés à invoquer l'ensemble des vices du consentement pour échapper à leurs obligations et soutient que le contrat de vente et de prestation régularisé entre les parties a bien un objet et une cause réelle et licite, la volonté d'achat de la cuisine, de sa livraison et de son installation, celle-ci devant être appréciée au jour de la commande. Enfin, ils ne peuvent arguer de la méconnaissance d'un délai de rétractation de 7 jours, aucun crédit n'ayant été visé au titre de l'achat de la cuisine.
A titre subsidiaire, elle demande la condamnation des époux X. à lui payer la somme de 16.000,00 euros au titre de la réparation de son préjudice ressortant de la perte de chance d'exécution du contrat et de la perception du prix.
Monsieur et Madame X. soutiennent pour leur part que la société P. O. n'a pas visité les lieux et n'a pas réalisé le moindre métré ni relevé ni aucune étude de faisabilité du projet d'aménagement de la cuisine envisagée, et que Monsieur X. n'a pas signé les documents intitulés devis et commande du 22 mars 2006.
Ils demandent la confirmation du jugement entrepris et le rejet des prétentions de la société P. O. en se prévalant de l'irrégularité du bon de commande et de l'absence de consentement non vicié et éclairé de Madame X., la société venderesse n'ayant pas négocié loyalement la vente avec elle pour ne pas lui avoir clairement indiqué qu'elle s'engageait de manière ferme et définitive et lui avoir au contraire laissé croire qu'il ne s'agissait que d'un engagement de principe, se rendant ainsi coupable de réticence dolosive.
En outre, ils reprochent à la société P. O. d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil, en n'alertant pas suffisamment Madame X. sur les conséquences de son acte, alors que le vendeur professionnel est tenu d'effectuer lui-même les mesures avant toute commande, et qu'il ne saurait proposer la conclusion d'un contrat avant d'avoir visité les lieux destinés à recevoir les équipement pour apprécier leur adéquation.
A titre subsidiaire, si le bon de commande venait à être déclaré régulier, ils prétendent la demande en paiement non causée dans la mesure où ils ne pourront jamais bénéficier de la livraison de la cuisine pour n'avoir pu acquérir l'appartement qu'ils projetaient.
Ils s'opposent également à la demande présentée à titre subsidiaire pour perte de chance, en la prétendant radicalement injustifiée, la société P. O. ne s'étant pas rendue sur place pour prendre les mesures, n'ayant pas entrepris la fabrication, alors que la non réalisation d'une vente est un aléa normal pour ce type d'activité.
Ils prétendent la demande de dommages et intérêts à hauteur de 1.000,00 euros tout aussi infondée.
Ils forment enfin un appel incident en sollicitant la condamnation de la société P. O. à leur payer la somme de 4.500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 2.500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la consommation à présent invoqué devant la cour, « tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service ».
Il ressort en l'espèce d'un bon de commande signé le 22 mars 2006 à la Foire de LYON par Madame X., que la société P. O. s'est engagée à livrer à la fin du mois de juin 2006 aux époux X. dans l'appartement qu'ils projetaient d'acquérir [adresse] « une cuisine équipée VENETA CUCINE, modèle STING, laqué brillant ardoise, selon plans, dessins et descriptifs joints, livrée, posée et installée» pour le prix total de 16.000,00 euros, un acompte de 2.000,00 euros ayant été remis par chèque à la commande.
La société P. O. prétend qu'un projet d'implantation, avec plan et mesure, a été réalisé à l'occasion d'une visite sur place effectuée postérieurement en présence d'un agent immobilier en charge de la vente du bien acquis par Monsieur et Madame X., ce plan détaillé ayant encore été signé et validé par Monsieur et Madame X.. Ces derniers réfutent catégoriquement de telles affirmations, corroborées par aucun élément de preuve.
Ces documents ne comportent toutefois que la seule signature de Madame X. et la date de la commande du 22 mars 2006. En outre, les mesures indiquées sont celles des meubles et des équipements à livrer et non des mesures relevées dans la pièce où ils devaient être installés.
Mais surtout, il s'agit des seuls plans, dessins et descriptifs versés aux débats par la société P. O., de sorte qu'ils doivent être considérés comme ayant été joints au bon de commande précité du 22 mars 2006, selon l'indication de ce dernier.
Par conséquent, le plan d'implantation de la cuisine a été réalisé à la Foire de LYON, le jour même de la commande et alors que les époux X. n'étaient pas encore propriétaires de l'appartement où elle devait être installée, sur les seules indications de Madame X., suite à l'idée émise par Madame A. qui l'accompagnait alors, de créer une cuisine « dans une pièce autre que la pièce d'origine afin de gagner une chambre », selon l'attestation de cette dernière produite aux débats.
La société P. O., qui ne connaissait de ce fait pas les lieux et ses sujétions techniques ressortant notamment de la situation des arrivées et évacuations d'eau, ou de leur absence, ainsi que des contraintes électriques qu'elle n'avait pu vérifier, et qui n'avait effectué elle-même aucun métré précis ou étude de faisabilité, ne pouvait assurer à sa cliente avant la signature du contrat que les meubles et le matériel électroménager dont elle faisait l'acquisition pourraient s'intégrer dans l'espace prévu, et qu'ils seraient ainsi conformes à l'usage auquel ils étaient destinés.
Elle ne pouvait pas davantage l'informer « avec précision de la nature, de l'étendue et des conditions techniques d'exécution des prestations, ainsi que de la répartition entre celles qui sont comprises dans le prix indiqué et celles qui, bien qu'indispensables à la réalisation et à l'utilisation de l'installation proposée, ne sont pas comprises dans ce prix », conformément à la recommandation n° 82-03 de la Commission des clauses abusives.
Dans ces conditions, à défaut de disposer d'une information suffisante de la part de la société venderesse, qui ne l'a pas mise en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service que celle-ci entendait lui apporter, Madame X. n'a pu émettre un consentement éclairé à la vente.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de LYON doit dès lors être confirmé en ce qu'il a considéré que la nullité du contrat de vente était encourue en application du texte précité.
Les époux X. ne justifient cependant pas de l'existence d'un dommage qui leur aurait été occasionné du fait de la procédure diligentée à leur encontre par la société P. O. distinct des dépens d'ores et déjà mis à la charge de la partie adverse et des frais irrépétibles et non compris dans les dépens qu'ils ont du engager et pour les lesquels ils ont obtenu l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En outre, le droit d'ester en justice appartenant à la société P. O. ne saurait être remis en cause, sauf abus de sa part, qui n'est pas démontré en l'espèce.
Ils ne peuvent en conséquence qu'être déboutés de leur demande de dommages et intérêts présentée à l'encontre de la société P. O. pour procédure abusive.
Par ailleurs, le contrat de vente ayant été annulé pour manquement de la société P. O. à son obligation d'information préalable conformément aux exigences du code de la consommation, celle-ci est mal fondée à se prévaloir de la perte d'une chance pour solliciter l'octroi de dommages et intérêts.
Elle ne peut en outre obtenir la réparation du préjudice tenant à la désorganisation de son entreprise qu'elle dit avoir subi du fait de la prétendue mauvaise foi des époux X., de sorte qu'elle doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Enfin, l'article 700 du code de procédure civile commande que soit versée à Monsieur et Madame X. une indemnité au titre des frais irrépétibles qu'ils se sont vus contraints d'exposer du fait de la présente procédure d'appel. L'équité commande toutefois d'en limiter le montant à la somme de 1.500,00 euros.
La société P. O., qui ne voit pas aboutir ses prétentions devant la cour, est déboutée de sa demande présentée sur le fondement du même article et supporte la charge des entiers dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 juillet 2010 par le tribunal de grande instance de LYON ;
DÉBOUTE la SARL P. O. de l'intégralité de ses demandes ;
DÉBOUTE pareillement Monsieur X. et Madame X. de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la SARL P. O. à payer en cause d'appel à Monsieur X. et à Madame X. la somme de 1.500,00 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
LA CONDAMNE enfin aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avocats, sur son affirmation de droit.
Le greffier Le président
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