CA DOUAI (1re ch. sect. 2), 31 octobre 2012
CERCLAB - DOCUMENT N° 4020
CA DOUAI (1re ch. sect. 2), 31 octobre 2012 : RG n° 11/03402
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu que si Monsieur X. indique exercer la profession de chauffeur routier, il précise que l'opération immobilière projetée était destinée à lui procurer un placement ainsi que des revenus locatifs, les appartements à construire étant réservés à l'habitation ; que toutefois le contrat d'architecte conclu avec Monsieur Y. étant destiné à une activité sans lien avec sa profession, l’article L. 132-1 du code de la consommation lui est applicable ;
que l'indemnité de résiliation pour rupture du contrat de maîtrise d'œuvre par le maître d'ouvrage sans qu'une faute ne puisse lui être imputée doit être déclarée non avenue dès lors qu'elle crée un déséquilibre significatif au détriment du non professionnel qu'est le cocontractant puisqu'aucune indemnité de résiliation n'est stipulée à son profit en cas de résiliation abusive du contrat par l'architecte ; que le jugement sera dans ces conditions infirmé de ce chef ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DOUAI
PREMIÈRE CHAMBRE SECTION 2
ARRÊT DU 31 OCTOBRE 2012
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11/03402. Jugement (R.G. n° 10/00340) rendu le 14 avril 2011 par le Tribunal de Grande Instance de LILLE.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], Demeurant [adresse], représenté par Maître Bernard F. de la SCP FRANÇOIS D.-BERNARD F. avocat au barreau de DOUAI, ancien avoué, assisté de Maître Sarah-Laure G., avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
Monsieur Y.
né le [date] à [ville], Demeurant [adresse], représenté par Maître Aliette C. avocat au barreau de DOUAI ès qualités de suppléante de Maître Philippe Georges Q. avocat au barreau de DOUAI, ancien avoué, assisté de Maître Véronique D. avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 6 juin 2012, tenue par Martine ZENATI magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile ). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Martine ZENATI, Président de chambre, Fabienne BONNEMAISON, Conseiller, Dominique DUPERRIER, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2012 après prorogation du délibéré en date du 5 septembre 2012 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Martine ZENATI, Président et Dany BLERVAQUE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 mai 2012
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le jugement rendu le 14 avril 2011 par le tribunal de grande instance de Lille, qui a :
- rejeté la demande de sursis à statuer formulée par Monsieur Y.,
- constaté la résiliation, aux torts du maître d'ouvrage, du contrat d'architecte conclu le 15 juin 2006 entre Monsieur X., maître d'ouvrage, et Monsieur Y., maître d'œuvre,
- débouté Monsieur X. de sa demande de dommages et intérêts formulée au titre du défaut de conseil de l'architecte,
- condamné Monsieur X. à payer à Monsieur Y. la somme de 7.174,88 euros au titre des honoraires et indemnité de résiliation restant dus sur la convention résiliée,
- débouté Monsieur Y. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné Monsieur X. à payer à Monsieur Y. la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
Vu l'appel régulièrement interjeté par Monsieur X.,
Vu les conclusions déposées le 14 novembre 2011 par l'appelant,
Vu les conclusions déposées le 26 mars 2012 par Monsieur Y.,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 mai 2012.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu que Monsieur X. a confié à Monsieur Y., architecte, la réhabilitation complète d'un bâtiment en vue de la création de six logement sis à [...], moyennant des honoraires de 35.531 euros TTC ; que le permis de construire a été délivré le 7 août 2007 ;
Attendu que le 15 décembre 2008, un devis a été signé avec l'entreprise CAPA pour l'exécution des lots de gros et second œuvre, le début des travaux étant fixé au début du mois de janvier 2009 ; que cette société a fait l'objet d'une procédure collective ouverte le 10 mars 2009 puis d'une liquidation judiciaire le 3 juin 2009 ;
Attendu que Monsieur X., qui a résilié le contrat d'architecte le 1er décembre 2009, a fait citer Monsieur Y. devant le tribunal de grande instance de Lille à qui il reproche un manquement au devoir de conseil ; que dans le cadre de ses écritures devant la cour, il lui fait grief d'avoir fait le choix de la société CAPA, de ne pas avoir vérifié la solvabilité de cette société avant de l'autoriser à lui régler 30 % du solde de son marché le 18 mars 2009, lui causant une perte financière de 106.637,11 euros sur l'enveloppe globale de son projet, dont il lui réclame paiement, de ne pas avoir observé les formalités imposées par le code du travail en autorisant une facturation alors que les dossiers administratifs n'étaient pas complets, et de ne pas avoir vérifié l'adéquation entre les sommes versées et les travaux réalisés ;
Attendu que Monsieur Y. conclut à l'absence de faute et à la confirmation du jugement qui a débouté Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes ;
1 - Sur le choix de la société CAPA :
Attendu que le marché de travaux confié à la société CAPA était relatif à la réalisation d'une ossature béton, des dalles et planchers, de l'ensemble des cloisons, murs, revêtements de sols, plafonds, menuiseries intérieures, escaliers, évacuations d'eau, peintures, pose des cuisines, pour un montant total de 323.892,59 euros TTC, selon devis du 15 décembre 2008, accepté le 10 février 2009 ; qu'il y était prévu un versement de 30 % au démarrage des travaux ;
Attendu qu'un second devis était proposé par la société CAPA relatif aux travaux de VRD pour un montant de 22.572,65 euros, accepté le 10 février 2009, prévoyant également un versement de 30 % au démarrage du chantier ;
Attendu que Monsieur Y. indique que le choix de cette entreprise se justifiait par rapport à l'enveloppe budgétaire qui lui était imposée par le maître d'ouvrage et était en adéquation avec le projet de conception générale consistant en la réhabilitation d'un bâtiment existant en 6 logements locatifs sociaux, subventionné à concurrence de 80 % ; que la société CAPA travaillait pour des bailleurs sociaux publics, ce qui constituait un gage de garantie d'être capable de répondre aux exigences d'un bailleur social tel que le CALPACT, principal interlocuteur de Monsieur X. pour s'être substitué à l'ANAH ;
Attendu [que] Monsieur Y. produit aux débats les documents qui lui avaient été remis par la société CAPA lors de la consultation des entreprises par le maître d'œuvre, qui comprennent :
- un extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés,
- un rapport sur les effectifs et le matériel,
- les références des travaux réalisés,
- les attestations d'assurance et certificats de capacité,
- la liasse fiscale 2006-2007 et le bilan 2007-2008 ;
Attendu qu'il en ressort que, nonobstant l'immatriculation récente de la société (2006), elle justifiait de nombreuses références, notamment auprès de collectivités publiques mais aussi de particuliers, pour lesquels elle avait accompli des chantiers de nature similaire pour certains d'entre eux, et plus particulièrement le chantier réalisé pour le groupe CMH, ; que ses clients avaient été satisfaits de ses prestations ; qu'elle bénéficiait des assurances couvrant le chantier dont elle était chargée pour le compte de Monsieur X. ; que ses résultats pour les deux exercices considérés étaient en net progrès ;
Attendu que l'obligation pesant sur le maître d'œuvre ne peut consister dans la surveillance mensuelle des données économiques des entreprises choisies ; que si l'analyse de la gestion de la société a posteriori pourrait conduire à relever quelques déséquilibres, comme tente de le démontrer l'appelant, rien ne permettait au mois de décembre 2008 ni au maître d'œuvre, ni d'ailleurs aux partenaires sociaux et financiers du projet, de mettre en cause la fiabilité de la société choisie ;
Attendu qu'il ressort de ce qui précède qu'Monsieur Y. s'est entouré des renseignements usuels avant de proposer la société Capa au maître d'ouvrage, sans que soient démontrées une quelconque négligence ou insuffisance dans la recherche des informations ; que sauf à interdire au maître d'œuvre de conseiller une jeune entreprise, il n'est caractérisé aucune faute imputable à l'architecte dans la recommandation de la société CAPA à Monsieur X. ;
2 - Sur les appels de fonds :
Attendu que les « bons à payer » concernant les deux devis acceptés ont été signés par l'architecte le 10 février 2009 ; qu'ils ont été réglés par Monsieur X. le 18 mars 2009, alors que le redressement judiciaire de la société CAPA venait d'être prononcé depuis le 10 mars précédent, événement dont le maître d'œuvre a été informé par la lecture du BODACC le 25 mars 2009, fait non contesté ;
Attendu que les devis acceptés prévoyaient le règlement de 30 % de leur montant au démarrage des travaux, ce qui est conforme à ce que réclament les entreprises pour ce type de marchés, ainsi que cela ressort des autres devis émanant des autres entreprises contactées par le maître d'œuvre ;
Attendu qu'il ressort de l'annonce légale de l'ouverture de la procédure collective de la société CAPA que la date de cessation des paiements a été fixée au 10 février 2009 ; que cette date a été déterminée par les magistrats du tribunal de commerce de Lille le 10 mars 2009 à partir d'informations comptables de la société dont aucun de ses cocontractants ne pouvaient être en possession le 10 février 2009 ;
Attendu en outre qu'ainsi que l'ont pertinemment retenu les premiers juges, la demande d'acomptes à l'ouverture du chantier se distingue des situations de travaux payables en fonction de l'avancement du chantier et après visa de l'architecte, de sorte qu'aucune faute n'est caractérisée par Monsieur X. de ces chefs à l'encontre de son maître d'œuvre ;
3 - Sur l'établissement des dossiers administratifs :
Attendu que Monsieur X. fait grief à Monsieur Y. d'avoir autorisé une facturation alors que « les dossiers administratifs n'étaient pas complets » ; qu'il vise les dispositions de l’article L. 4744-5 du code du travail aux termes duquel un plan particulier de sécurité et de protection de la santé doit être adressé au coordonnateur avant le début des travaux ;
Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont relevé qu'aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre l'existence d'un telle faute, même avérée, et le préjudice invoqué par Monsieur X. lié à la déficience de la société CAPA ;
Attendu qu'il ressort de ce qui précède que le jugement mérite d'être confirmé en ce qu'il a conclu que Monsieur X. n'était pas fondé à résilier la convention de maîtrise d'œuvre par lettre recommandé avec accusé de réception du 1er décembre 2009 et l'a débouté de ses demandes de dommages et intérêts et de remboursement des honoraires versés ;
4 - Sur la demande reconventionnelle de Monsieur Y. :
Attendu que l'article G 9.1 des conditions générales du contrat d'architecte stipule qu'en cas de résiliation sur initiative du maître d'ouvrage que ne justifierait pas le comportement fautif de l'architecte, celui-ci a droit au paiement des honoraires et frais liquidés au jour de cette résiliation, des intérêts moratoires et d'une indemnité de 20 % des honoraires restant dûs ;
Attendu que l'article G 5.5 de ces conditions stipule qu'en cas d'interruption définitive de sa mission, les droits acquis sont calculés en fonction de la valeur des missions fixées et de leur avancement ;
Attendu qu'il ressort de la note dressée par l'architecte du solde de ses honoraires qu'au jour où le chantier a été interrompu par la mise en liquidation judiciaire de la société CAPA, 25 % du chantier aurait été réalisé ; qu'il ressort du compte rendu de chantier du 8 octobre 2009 que, contrairement aux allégations de l'appelant, les travaux de gros œuvre avaient effectivement commencé ; que déduction faite des acomptes versés par le maître d'ouvrage sur la note d'honoraire n° 2, et de l'exigibilité de la note d'honoraires n° 3 au prorata de l'avancement du chantier au 3 juin 2009, c'est une somme de 4.664,81 euros HT qui restait due ; que les honoraires revenant ainsi à l'architecte ne sont pas excessifs compte tenu des diligences accomplies par celui-ci depuis l'année 2006 et même au-delà de l'interruption du chantier ;
Attendu que si Monsieur X. indique exercer la profession de chauffeur routier, il précise que l'opération immobilière projetée était destinée à lui procurer un placement ainsi que des revenus locatifs, les appartements à construire étant réservés à l'habitation ; que toutefois le contrat d'architecte conclu avec Monsieur Y. étant destiné à une activité sans lien avec sa profession, l’article L. 132-1 du code de la consommation lui est applicable ; que l'indemnité de résiliation pour rupture du contrat de maîtrise d'œuvre par le maître d'ouvrage sans qu'une faute ne puisse lui être imputée doit être déclarée non avenue dès lors qu'elle crée un déséquilibre significatif au détriment du non professionnel qu'est le cocontractant puisqu'aucune indemnité de résiliation n'est stipulée à son profit en cas de résiliation abusive du contrat par l'architecte ; que le jugement sera dans ces conditions infirmé de ce chef ;
Attendu qu'il sera fait droit à la demande reconventionnelle de Monsieur Y. à hauteur de 4.921,37 euros TTC ;
Attendu que l'équité commande de faire bénéficier l'intimé des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur X. à verser à Monsieur Y. la somme de 7.174,88 euros au titre de ses honoraires et indemnité de résiliation restant dus sur la convention résiliée,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne Monsieur X. à verser à Monsieur Y. la somme de 4.921,37 euros TTC au titre du solde de ses honoraires,
Déboute Monsieur Y. de sa demande au titre de l'indemnité de résiliation,
Confirme le jugement sur le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur X. à verser à Monsieur Y. la somme de 1.200 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur X. aux dépens, distraits conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président,
D. BLERVAQUE M. ZENATI
- 5851 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Absence de lien avec la profession
- 6023 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Réciprocité - Réciprocité des prérogatives - Asymétrie
- 6024 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Réciprocité - Réciprocité des prérogatives - Inégalité
- 6302 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Construction - Architecte et maître d’œuvre