CA VERSAILLES (3e ch.), 4 avril 2013
CERCLAB - DOCUMENT N° 4398
CA VERSAILLES (3e ch.), 4 avril 2013 : RG n° 11/03332
Publication : Jurica
Extrait : « La SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES invoque l'application de la clause contractuelle selon laquelle : « l'acquéreur autorise expressément à pénétrer dans les locaux, même en son absence, après un délai de prévenance d'au moins 10 jours... pour effectuer les travaux de levée de réserves ou de réparation des désordres, procéder à tous réglages, toutes reprises et contrôle... » ; « ...il supportera les troubles de jouissance dus à ces travaux et renonce dès à présent à toute réclamation de quelque nature que ce soit en raison de ceux-ci ». M. et Mme X. considèrent que cette clause crée un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation et qu'il s'agit d'une clause abusive.
Si la première partie de cette clause permettant au vendeur de faire exécuter par ses entreprises les levées de réserves nécessaires à la bonne exécution du contrat, même en l'absence des acquéreurs, est justifiée et opposable à ceux-ci, la suite de la clause a bien pour effet, contrairement à ce que soutient la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES, de limiter la responsabilité du vendeur, dès lors qu'il ne s'agit pas de la levée d'une réserve mineure. Or le vendeur d'immeuble à construire est tenu d'une obligation de résultat qui inclut la garantie de parfait achèvement. Cette clause, limitant sa responsabilité, est en effet de nature à créer un déséquilibre significatif dans l'économie du contrat, puisque par application de cette clause, les malfaçons particulièrement les plus importantes, ne sont pas sanctionnées dans leurs conséquences invalidantes sur la jouissance du bien ; alors même qu'elles n'ont aucune raison d'être supportées par l'acheteur, créancier d'une obligation de livraison d'un bien conforme au descriptif. Les acquéreurs, du fait de cette clause n'ont donc aucun moyen de contraindre le vendeur à supporter les conséquences des malfaçons de l'immeuble vendu, lorsqu'elles causent à l'acheteur un préjudice de jouissance, réel et certain, alors que la venderesse doit à l'acheteur, délivrance et garantie. Il s'agit donc d'une clause abusive. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 4 AVRIL 2013
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11/03332. Code nac : 50C. CONTRADICTOIRE. Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 3 février 2011 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE (7e ch.) : RG n° 10/4865.
LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE TREIZE, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTE :
SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentant : Maître Franck LAFON, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20110396), Représentant : Maître Thierry BENAROUSSE, Plaidant (avocat au barreau de PARIS)
INTIMÉS :
1/ Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française
2/ Madame Y. épouse X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française
Représentant : Maître Emmanuel JULLIEN de la AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20110591) - Représentant : Maître Danielle BEAUJARD, Plaidant (avocat au barreau de PARIS)
Composition de la cour : En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Février 2013 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Annick DE MARTEL, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Marie-José VALANTIN, Président, Madame Annick DE MARTEL, Conseiller, Madame Christine SOUCIET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES est appelante d'un jugement rendu le 3 février 2011 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE dans un litige l'opposant à M. et Mme X.
Par acte notarié du 28 mars 2007, les époux X. ont acheté en l'état futur d'achèvement à la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES, un appartement, une cave et un box-double situés à CHATILLON, pour un montant de 415.000 euros. L'achèvement des travaux était prévu pour le 31 mars 2009 et la livraison deux mois après, soit le 31 mai 2009 au plus tard.
L'acte de vente retenait comme causes légitimes de suspension du délai d'achèvement, les intempéries et les phénomènes climatiques retenus par le maître d'œuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier.
La date de livraison ayant été reportée par la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES, les époux X. n'ont pris possession de leur bien que le 22 décembre 2009, en émettant de nombreuses réserves relatives au défaut de planéité du parquet, fuite sous l'évier, joint baignoire à terminer, carreau de la douche cassé, porte palière qui ne fermait pas et n'était pas adaptée à l'encadrement.
Le 9 avril 2010, les époux X. ont fait assigner la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES en réparation de leurs préjudices. Ils demandaient en principal une somme de 15.000 euros.
Par jugement du 3 février 2011, le tribunal a :
- constaté que la livraison de l'appartement situé à [ville C.] devait intervenir le 31 mai 2009 au plus tard,
- fixé la nouvelle date de livraison du bien, après suspension du délai d'achèvement des travaux en raison des intempéries, au 2 novembre 2009,
- constaté que la prise de possession des lieux était intervenue le 22 décembre 2009,
- déclaré la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES responsable du retard de livraison de l'appartement,
- condamné la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à payer aux époux X. la somme de 2.000 euros au titre du préjudice résultant de la privation de loyers en novembre et décembre 2009 et celle de 5.000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamné la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à payer aux époux X. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- condamné la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
Les premiers juges ont considéré que la livraison étant effectivement intervenue avec retard, la défenderesse devait être déclarée responsable pour manquement à son obligation de délivrance et qu'elle était donc tenue de verser aux époux X. les loyers correspondant au mois de novembre et décembre 2009.
Ils ont considéré que les époux X. avaient subi pendant de nombreux mois après la prise de possession des lieux, l'intervention d'ouvriers dans leur appartement pour remédier aux désordres constatés. N'ayant pu jouir paisiblement de leur bien pendant cette durée, les acquéreurs sont fondés à demander à la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES réparation du préjudice de jouissance.
La SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions visées le 7 janvier 2013, la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES demande à la Cour d'infirmer le jugement ;
- de constater que les acquéreurs ont autorisé expressément l'intervention des constructeurs, pour effectuer les travaux de levée de réserves ou de réparation des désordres de parfait achèvement, en acceptant la gêne induite et en renonçant à toute réclamation de quelque nature que ce soit, en raison de ceux-ci,
- de constater le caractère marginal des réserves alléguées, levées depuis, et le caractère non contradictoire des autres réclamations formulées à son encontre.
Elle soutient que la clause du contrat de vente prévoyant que l'acquéreur supportera les troubles de jouissance dus aux travaux et renoncera à toute réclamation en raison de ceux-ci ne constitue pas une clause abusive, les époux X. ne rapportant pas la preuve d'un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation. Les clauses litigieuses sont parfaitement claires et limitent la responsabilité du vendeur, uniquement dans le cadre strict des travaux de levées de réserves.
Les photographies produites par les intimés pour prétendre que certaines malfaçons perdureraient ne sont ni contradictoires, ni datées, amalgamant les interventions au titre du parfait achèvement (article 1792-6 du Code civil) et la garantie de bon fonctionnement (article 1792-3 du Code civil) non imputable au vendeur. Ils ne rapportent donc pas la preuve, de la persistance des malfaçons.
Dans leurs dernières conclusions visées le 23 janvier 2013, les époux X. demandent à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'appelante à leur payer :
- 2.000 euros au titre du remboursement de loyer,
- 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à les indemniser au titre du préjudice de jouissance,
- en revanche, ce préjudice perdurant depuis plus de 2 ans, et ajoutant au jugement, de condamner l'appelante au paiement de la somme de 13.000 euros à ce titre,
- de condamner la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à leur payer une indemnité mensuelle de 1.500 euros pour troubles de jouissance depuis octobre 2010 jusqu'à la délivrance conforme des lieux.
Ils soutiennent que la clause contractuelle prévoyant que l'acquéreur supportera les troubles de jouissance dus aux travaux et renoncera à toute réclamation en raison de ces derniers, constitue une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 du Code de la consommation en créant un déséquilibre significatif entre les droits du vendeur, professionnel de l'immobilier et l'acquéreur qui n'a pas la qualité de professionnel. Cette clause aboutirait à une 'totale irresponsabilité du vendeur'.
En raison du nombre et de l'ampleur des interventions effectuées en vue de procéder aux travaux nécessaires à la levée des réserves, ils estiment être fondés à solliciter l'allocation de dommages et intérêts pour le préjudice qu'ils ont subi. Ces interventions multiples constituent des troubles de jouissance dont l'appelante ne peut contractuellement s'exonérer.
La cour renvoie à ces conclusions déposées et soutenues à l'audience, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur le retard dans la livraison de l'immeuble :
Le tribunal a considéré que la livraison était intervenue avec un retard de 50 jours ; il a condamné la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à payer à M. et Mme X. la somme de 2.000 euros au titre du remboursement des loyers payés en novembre et décembre 2009. Il n'a pas été relevé appel de cette disposition.
- Sur les dispositions de l'acte de vente relatives aux travaux rendus nécessaires pour la levée des réserves :
La SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES invoque l'application de la clause contractuelle selon laquelle :
« l'acquéreur autorise expressément à pénétrer dans les locaux, même en son absence, après un délai de prévenance d'au moins 10 jours... pour effectuer les travaux de levée de réserves ou de réparation des désordres, procéder à tous réglages, toutes reprises et contrôle... » ; « ...il supportera les troubles de jouissance dus à ces travaux et renonce dès à présent à toute réclamation de quelque nature que ce soit en raison de ceux-ci ».
M. et Mme X. considèrent que cette clause crée un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation et qu'il s'agit d'une clause abusive.
Si la première partie de cette clause permettant au vendeur de faire exécuter par ses entreprises les levées de réserves nécessaires à la bonne exécution du contrat, même en l'absence des acquéreurs, est justifiée et opposable à ceux-ci, la suite de la clause a bien pour effet, contrairement à ce que soutient la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES, de limiter la responsabilité du vendeur, dès lors qu'il ne s'agit pas de la levée d'une réserve mineure. Or le vendeur d'immeuble à construire est tenu d'une obligation de résultat qui inclut la garantie de parfait achèvement.
Cette clause, limitant sa responsabilité, est en effet de nature à créer un déséquilibre significatif dans l'économie du contrat, puisque par application de cette clause, les malfaçons particulièrement les plus importantes, ne sont pas sanctionnées dans leurs conséquences invalidantes sur la jouissance du bien ; alors même qu'elles n'ont aucune raison d'être supportées par l'acheteur, créancier d'une obligation de livraison d'un bien conforme au descriptif.
Les acquéreurs, du fait de cette clause n'ont donc aucun moyen de contraindre le vendeur à supporter les conséquences des malfaçons de l'immeuble vendu, lorsqu'elles causent à l'acheteur un préjudice de jouissance, réel et certain, alors que la venderesse doit à l'acheteur, délivrance et garantie.
Il s'agit donc d'une clause abusive.
Il résulte clairement du constat dressé le 30 mars 2010, 3 mois après l'entrée dans les lieux, et il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES eu égard aux documents photographiques pris par l'huissier, que lors de l'entrée dans les lieux, des malfaçons importantes subsistaient, qui avaient fait l'objet de réserves, particulièrement celles concernant la porte palière - changée deux fois - et les problèmes de planéité du sol qui apparaissent dans les documents photographiques.
Des troubles de jouissance importants ont ainsi subsisté pendant environ 6 mois et donc après le jugement. Mais au-delà de ce délai, il n'est pas établi que les remises en état aient entraîné de graves troubles de jouissance.
Il convient donc de confirmer le jugement qui a condamné le vendeur à payer aux époux X. la somme de 5.000 euros ; le surplus du préjudice de jouissance invoqué n'est cependant pas démontré.
- Sur les frais irrépétibles :
Il est inéquitable de laisser à la charge des époux X. les frais non compris dans les dépens de l'instance. Il leur sera alloué la somme de 2.500 euros.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
- Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 3 février 2011, en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Condamne la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES à payer à M. X. et Mme Y. épouse X. la somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel,
- Condamne la SCI FONTENAY ESTIENNES D'ORVES aux dépens d'appel et autorise leur recouvrement dans les conditions prévues par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-José VALANTIN, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,
- 6031 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Nature du contrat - Economie du contrat
- 6042 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Professionnel - Possibilité de l’exécution
- 6492 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente d’immeuble à construire (1) - Présentation générale