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CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 20 juin 2013

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 20 juin 2013
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 11
Demande : 11/03417
Date : 20/06/2013
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 28/12/2007
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2013-014851
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4589

CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 20 juin 2013 : RG n° 11/03417 

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2013-014851

 

Extraits : 1/ « Il convient de rappeler que la société Tiscali n'était pas en situation de monopole et que la société CGIT pouvait choisir un autre fournisseur d'accès. D'ailleurs, elle était auparavant cliente de la société All Runnet, elle même cliente de la société Tiscali et c'est lorsque la société All Runnet a souhaité résilier son contrat avec la société Tiscali que la société CGIT a sollicité directement cette dernière, de sorte qu'elle a accepté en connaissance de cause l'offre commerciale qui lui a été faite et qu'elle ne peut invoquer une quelconque situation d'exclusivité ou de dépendance économique.

Par ailleurs, les premiers juges ont, à juste titre, souligné que, s'il est courant, dans le cadre de la recherche de relations économiques équilibrées entre les parties, que celles-ci parviennent à une modification de tarifs par rapport aux prévisions contractuelles, ceci ne constitue pas un droit, dont le non-respect appellerait une réparation, quand bien même le tarif initialement convenu se révélerait défavorable à l'une des parties. Au demeurant, en l'espèce, la société Tiscali a accepté, à titre commercial, en cours de contrat, d'entamer des négociations tarifaires, aboutissant à une révision de ses tarifs à la baisse en s'alignant sur les tarifs de la société France Telecom. Pour autant, il ne saurait lui être reproché de ne pas y avoir procédé plus tôt.

En réalité, le fait que la société CGIT ait remis en cause les tarifs acceptés par elle, seulement quatre mois après la signature du contrat, démontre qu'elle a commis une erreur d'appréciation de sa situation, qu'elle ne saurait imputer à son cocontractant qui, de surcroît, a accepté une baisse de ses tarifs dans un délai de négociation raisonnable, puisqu'inférieur à huit mois. Il n'était d'ailleurs pas de l'intérêt de la société Tiscali de voir son unique cliente dans les Dom-Tom avoir des difficultés.

La société CGIT ne peut donc sérieusement reprocher à la société Tiscali une politique tarifaire abusive. »

2/ « L'article 6.2 du contrat du 14 décembre 2004 contient une clause de limitation de responsabilité ainsi rédigée : « dans le cas où la responsabilité de Tiscali Telecom serait recherchée, celle-ci sera limitée à 150.000 euros pour l'ensemble de tous faits dommageables causant tout préjudice survenant à l'occasion de l'exécution du contrat ».

Comme, il l'a été exposé ci-dessus, s'il a existé des difficultés d'exécution du contrat, aucune faute lourde imputable à la société Tiscali, qui justifierait que la clause limitative de responsabilité soit écartée, n'est démontrée par Maître Bes, ès-qualités. En outre, l'article 6.2 alinéa 2 du contrat précise que « Tiscali Telecom ne saurait être tenue pour responsable de tous dommages indirects, les dommages indirects correspondant aux dommages ne résultant pas directement ou exclusivement de la défaillance des Services, non plus que des pertes d'exploitation et des préjudices commerciaux ».

Maître Bes, ès-qualités, soutient qu'il s'agirait d'une clause abusive entre professionnels car elle exclut en fait la réparation de tout préjudice dans la mesure où elle est rédigée de manière « particulièrement large et globalisante », de surcroît entre des partenaires ayant une situation économique très différente.

Cependant, le contrat a été signé par la société CGIT, non pas avec la société Free, un très important opérateur du marché, mais avec la société Tiscali Telecom, qui avait une importance économique bien moindre et qui a été absorbée par la société Telecom Italia, elle-même absorbée par la société Liberty Surf Group, elle-même absorbée par la société Free. Ensuite, la clause qui prévoit qu'un professionnel ne saurait être tenu de réparer les dommages indirects subis par son cocontractant répond aux critères généraux de la responsabilité civile. De plus, une telle clause a pour objet de préciser les exclusions et limites que le constructeur entend apporter à la réparation des dommages et n'exclut pas la réparation des dommages directs. Les dommages indirects sont de même exclus par la clause contenue dans l'article E.5. des conditions générales de services visées par les bons de commande signés par la société CGIT qui prévoit que, « sous réserve de dispositions expresses dans le Contrat, Tiscali ne pourra en aucun cas être tenue pour responsable à l'égard du Client pour une perte de bénéfices, de revenus, d'activités, de contrats, d'économies prévues, de données ou de quelconque autre perte ou dommage indirect ».

Ces clauses ne peuvent être considérées comme abusives ou excessives entre professionnels. Au demeurant, si Maître Bes, ès-qualités, en demande la nullité dans les motifs de ses conclusions, une telle demande n'est pas reprise dans leur dispositif.

Une partie des demandes de Maître Bes, ès-qualités, s'apparente incontestablement à la réparation d'un préjudice indirect, dès lors qu'il est fait état d’ « une marge de profit légitimement prévisible » en fonction de la perte envisagée d'abonnés futurs et potentiels, estimée à la somme de 472.000 euros, ce qui correspond à une perte de chance et donc à un préjudice dont la réparation est exclue par le contrat. L'existence d'un budget de publicité qui n'aurait pas porté tous ses fruits ou de matériel immobilisé ne constitue pas plus un préjudice direct pouvant être indemnisé. Par contre, il est produit de nombreuses lettres de résiliation de clients insatisfaits, dont certains clients importants comme le CHU de Fort de France. La perte de clients constitue bien un préjudice directement lié aux manquements contractuels imputables à l'intimée, listés ci-dessus. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 5

ARRÊT DU 20 JUIN 2103

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 11/03417 (10 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 septembre 2007 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2006047257.

 

APPELANTE :

SARL CGIT

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Ayant son siège social [adresse], Représentée et assistée de Maître Alexandre SECK (avocat au barreau de PARIS, toque : C0586)

 

INTIMÉE :

SAS TELECOM ITALIA

prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège, Ayant son siège social [adresse], Représentée par la SCP FISSELIER en la personne de Maître Alain FISSELIER (avocats au barreau de PARIS, toque : L0044), Assistée de Maître Virginie BENMAYOR (avocat au barreau de PARIS, toque : E 748)

 

PARTIE INTERVENANTE :

SAS FREE venant aux droits de TELECOM ITALIA

prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège, Ayant son siège social, Représentée par la SCP FISSELIER en la personne de Maître Alain FISSELIER (avocats au barreau de PARIS, toque : L0044), Assistée de Maître Virginie BENMAYOR (avocat au barreau de PARIS, toque : E 748)

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 avril 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Patricia POMONTI, Conseillère faisant fonction de Présidente, chargée d'instruire l'affaire et Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Colette PERRIN, Présidente, Madame Patricia POMONTI, Conseillère, Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE :

Le 14 décembre 2004, la SARL CGIT a signé avec la société Tiscali Telecom (ci-après Tiscali) un contrat de distribution pour une durée de 24 mois, aux termes duquel elle recevait de la société Tiscali des prestations de fournitures d'accès à Internet en vue de leur distribution sous sa propre marque et pour ses propres offres commerciales.

La société Tiscali, aux droits de laquelle vient la société Telecom Italia, à la suite d'une fusion absorption par cette dernière, est un opérateur de services ayant comme principale activité la fourniture de services de téléphonie et de services de transport internet. La société Telecom Italia a, par la suite, été absorbée par la société Free.

La société Telecom Italia a réclamé le paiement de différentes factures afférentes à plusieurs bons de commandes qui auraient été souscrits par la société CGIT pour la mise à disposition de services Internet. Par courrier en date du 28 avril 2006, la société CGIT a invoqué, pour s'exonérer du paiement, des problèmes techniques et a résilié le contrat, faisant état d'un important préjudice dont elle a réclamé réparation.

Par ordonnance en date du 3 mai 2006, le président du tribunal de grande instance de Fort de France a autorisé la société Telecom Italia, aux droits de laquelle vient désormais la société Free, à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société CGIT pour garantir sa créance à hauteur de 40.000 euros en principal, intérêts et frais.

Par acte en date du 30 juin 2006, la société CGIT a assigné la société Telecom Italia devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'il constate, à la date du 28 avril 2006, la résiliation du contrat du 14 décembre 2004 aux torts exclusifs de la société Telecom Italia et la condamne au paiement d'une juste et équitable indemnité en réparation de son préjudice. La société Telecom Italia a sollicité reconventionnellement le règlement de ses factures impayées.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 5 septembre 2007 qui a :

- condamné la société Telecom Italia à payer la somme de 50.000 euros à la société CGIT à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société CGIT à payer à la société Telecom Italia la somme de 85.162,65 euros à titre de règlement de factures,

- dit qu'il y a lieu à compensation entre les condamnations ci-dessus et condamne la société CGIT en conséquence à payer à la société Telecom Italia la somme de 35.162,65 euros,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 28 décembre 2007 par la société CGIT contre cette décision.

Vu la liquidation judiciaire de la société CGIT prononcée par jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France du 21 août 2012, désignant Maître Bes, associé de la SCP Bes Ravise, en qualité de mandataire judiciaire.

Vu l'assignation en intervention forcée devant la Cour d'Appel de Paris délivrée à la société Free le 27 février 2013 par Maître Bes, ès-qualités de liquidateur de la société CGIT, aux termes de laquelle il est demandé à la Cour de :

- dire que la fusion absorption de la société Telecom Italia par Liberty Surf Group, puis la fusion absorption de Liberty Surf Group par la société Free est un élément déterminant dans l'évolution du litige qui implique la mise en cause de la société Free,

- dire et déclarer recevable et bien fondée l'action introduite par la société CGIT,

- ordonner la jonction de la présente procédure avec la procédure numéro RG 07/22227 pendante devant la chambre civile de la Cour d'Appel de Paris,

- dire et juger l'action engagée par la société CGIT recevable et bien fondée et y faire droit,

- dire et juger que la créance de la société Free prétendument d'un montant de 85.162,05 euros n'est pas fondée, et qu'elle est en réalité d'un montant de 35.613,53 euros,

- dire et juger que d'une part le défaut de renseignement de la société CGIT par la société Free dans le choix du modèle économique, la politique tarifaire trop longtemps abusive de la société Free mais aussi les retards imputables à la société Free dans la fourniture des services et enfin les multiples dysfonctionnements techniques qui ont affecté la relation contractuelle dès son origine, sont constitutifs de manquements contractuels imputables à la société Free en violation des articles 1147 et 1134 et 1135 du Code Civil,

- constater à la date du 28 avril 2006 la résiliation du contrat conclu en date du 14 décembre 2004 entre les sociétés CGIT et Tiscali, aux droits de laquelle vient désormais Free, et ce aux torts exclusifs de cette dernière,

En conséquence,

- débouter la société Free de toutes ses conclusions, fins et demandes,

- condamner la société Free au paiement d'une juste et équitable indemnité d'un montant de 558.242,86 euros en réparation du lourd préjudice subi par la société CGIT,

- condamner la société Free à payer à la société CGIT, en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 7.000 euros.

Maître Bes, ès-qualités, estime que la société Free a manqué à son obligation d'information sur le choix du modèle économique, ce que cette dernière a reconnu dans un courrier en date du 23 mars 2006 où elle précisait que la liaison fournie n'était pas dimensionnée pour un tel nombre d'abonnés.

Elle considère qu'il appartenait à la société Free, qui était tenue d'un devoir de conseil et de délivrance d'informations spécifiques envers elle, en tant que fournisseur d'un matériel de haute technologie que sont les liaisons à 1 Mbit et 2 Mbit, de pleinement l'avertir sur le ratio nombre d'abonnés/choix de la bande passante.

Elle fait également valoir que la politique tarifaire de la société Tiscali était abusive, puisque le contrat en date du 14 décembre 2004 prévoyait la conclusion de contrats ultérieurs, dont le prix n'était pas déterminé et que celle-ci lui a imposé des prix exorbitants pour ces contrats ultérieurs en la laissant acculée à une situation déficitaire et seule face à son client, ce qui a ruiné son potentiel d'attractivité au regard d'une concurrence bien plus compétitive.

Elle affirme également que la société Tiscali a commis envers elle des manquements contractuels du fait de la livraison tardive de l'interface de création de compte d'accès Tiscali (ISDB), en raison des dysfonctionnements techniques de l'interface lors de la migration des clients de la société Runnet, son ancien prestataire de service, vers elle, ainsi que de la saturation de la liaison à 1 MB.

Elle soutient que la clause de limitation du préjudice à 150.000 euros invoquée par la société Free est inapplicable, d'une part, parce qu'elle limite la réparation du dommage né de la mauvaise exécution du contrat, d'autre part, en raison de la faute lourde de la société Free qui a manqué à son obligation essentielle qui consiste à fournir des services de téléphonie et de transport internet. Par ailleurs, elle soulève le caractère abusif et excessif de cette clause limitative de responsabilité en ce qu'elle exclut la réparation de tout préjudice par la société Free.

Elle fait état des préjudices financier, commercial et d'image subi en raison problèmes techniques causés par la société Free qui l'ont discréditée auprès de ses clients, et qui ont rendu inutile l'ensemble des dépenses qu'elle a exposées pour permettre l'exploitation de l'activité.

Enfin, elle estime qu'elle n'est pas débitrice des cinq factures d'un montant total de 6.217,05 euros correspondant à la prestation de 2 MB, puisqu'elle n'a jamais donné son consentement express sur ces services dans le bon de commande, qu'elle n'a d'ailleurs jamais signé, la prestation n'ayant, au demeurant, pas été fournie.

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 avril 2013 par la société Free, venant aux droits de la société Telecom Italia, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CGIT de sa demande de dommages et intérêts portant sur la somme de 558.242,86 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CGIT à régler à la société Telecom Italia la somme de 85.162,65 euros à titre de règlement de factures,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CGIT de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,

- l'infirmer en ce qu'il a condamné la société Telecom Italia à verser à la société CGIT la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société CGIT au paiement de la somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle considère qu'elle a reconnu et trouvé des solutions aux problèmes techniques rencontrés par la société CGIT pour ce qui concernait le pool d'adresses IP. En revanche, elle estime ne pas être responsable des difficultés de migration entre les sociétés All Runnet et Telecom Italia, puisqu'ils sont dus à un problème de coordination entre les deux sociétés, notamment en raison de l'opération de résiliation pure et simple des lignes en cause par la société All Runnet, alors même que la migration n'était pas effectuée. Par ailleurs, elle affirme que l'interface ISBD permettant la gestion des comptes clients ne présentait aucun dysfonctionnement.

Elle soutient que la société CGIT a souscrit à un débit inférieur à ses besoins en toute connaissance de cause et que la sous dimension de la liaison n'a pas eu pour conséquence de rendre les services inaccessibles et ne peut pas non plus justifier l'absence de règlement des factures émises au titre de services réellement fournis.

Elle ajoute avoir bien mis en place l'ensemble des procédures et des compétences nécessaires à la bonne exécution de ses obligations et qu'elle ne peut être garante de l'infrastructure des réseaux de France Télécom en Guadeloupe et en Martinique dont elle n'est pas propriétaire.

Elle conteste la position de la société CGIT concernant les problèmes de compétitivité de l'offre commerciale de la société Telecom Italia, alors que la société CGIT l'a acceptée en connaissance de cause et qu'aucune situation d'exclusivité ou de dépendance économique de la société CGIT à l'égard de la société Telecom Italia n'a été établie.

Elle fait valoir qu'il ne peut lui être reproché un manquement au titre d'une obligation d'information en ce qui concerne le choix du modèle économique, alors que la société CGIT n'était pas un consommateur profane lorsqu'elle a conclu le contrat, puisqu'elle exerçait son activité dans le même domaine des services Internet et qu'il apparaît peu concevable que celle-ci n'ait pas eu les compétences pour apprécier ses besoins et conclure avec un consentement éclairé avec la société Telecom Italia.

Elle précise qu'aucune de ses prétendues fautes contractuelles ne sont établies et que la société CGIT ne peut chercher à s'exonérer de l'application de la clause limitative de responsabilité, qui a pour conséquence qu'elle ne peut être tenue pour responsable des dommages indirects, des pertes d'exploitation et des préjudices commerciaux, que cette clause n'est pas abusive et qu'elle n'a pas non plus commis de faute lourde envers elle.

Enfin, elle estime que la société CGIT fait preuve de mauvaise foi en prétendant qu'elle n'est pas redevable du paiement des factures émises par la société Telecom Italia alors qu'elle n'a jamais contesté lesdites factures et a accepté l'échéancier mis en place par la société Telecom Italia pour l'aider à les payer.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur les manquements de la société Free à ses obligations contractuelles :

Maître Bes, en qualité de mandataire liquidateur de la société CGIT, reproche à la société Free, venant aux droits de la société Telecom Italia, elle-même venant aux droits de la société Tiscali, divers manquements à ses obligations contractuelles résultant du contrat de fourniture de prestations et services d'accès à Internet ADSL, signé pour une durée de 24 mois avec tacite reconduction pour une durée indéterminée, le 14 décembre 2004.

 

* Obligation d'information sur le choix du modèle économique :

Maître Bes, ès-qualités, soutient que le modèle économique proposé par la société Tiscali à la société CGIT n'était, ni compétitif, ni pertinent, face aux offres concurrentes du marché, dès lors que la liaison à 1 Mbits mise en place n'était pas correctement dimensionnée par rapport au nombre d'abonnés.

Il souligne que la société CGIT n'a pas été mise en garde par son cocontractant sur la nécessité de respecter un ratio nombre d'abonnés/choix de la bande passante et que c'est l'expérimentation de la saturation de la bande passante de 1Mbit qui a entraîné le passage à une bande passante à 2 Mbits, ce qui n'a guère amélioré la situation, entraînant des coûts incompatibles avec un modèle économique viable.

L'existence d'une liaison sous-dimensionnée a été reconnue par la société Telecom Italia qui, dans un courrier du 23 mars 2006, indique : « ...cette commande s'avère elle aussi insuffisamment dimensionnée eu égard au parc d'abonnés de la société CGIT ».

Cependant, comme l'ont justement relevé les premiers juges, la société CGTI, constituée depuis 1996, exerçait son activité dans le domaine informatique et disposait de compétences certaines en matière de hautes technologies. En s'engageant dans l'offre de la fourniture d'accès internet à des particuliers, elle a nécessairement agi en professionnel averti, capable notamment d'apprécier le ratio nombre d'abonnés/choix de la bande passante. Il lui appartenait d'analyser la viabilité économique de l'opération commerciale envisagée avant de s'y engager. Elle ne saurait se défausser de sa propre responsabilité sur son cocontractant et ne peut imputer à la société Tiscali un manquement à son obligation d'information en ce qui concerne le choix du modèle économique.

 

* Politique tarifaire abusive :

Maître Bes, ès-qualités, reproche à la société Tiscali de lui avoir imposé des tarifs trop élevés et d'avoir laissé passer huit mois entre les premiers courriers de la société CGIT l'alertant sur ses tarifs non concurrentiels et sa prise en considération des difficultés rencontrées par cette dernière du fait de ces tarifs non appropriés, tout en continuant à exiger le paiement de sa prestation contractuelle.

Il convient de rappeler que la société Tiscali n'était pas en situation de monopole et que la société CGIT pouvait choisir un autre fournisseur d'accès. D'ailleurs, elle était auparavant cliente de la société All Runnet, elle même cliente de la société Tiscali et c'est lorsque la société All Runnet a souhaité résilier son contrat avec la société Tiscali que la société CGIT a sollicité directement cette dernière, de sorte qu'elle a accepté en connaissance de cause l'offre commerciale qui lui a été faite et qu'elle ne peut invoquer une quelconque situation d'exclusivité ou de dépendance économique.

Par ailleurs, les premiers juges ont, à juste titre, souligné que, s'il est courant, dans le cadre de la recherche de relations économiques équilibrées entre les parties, que celles-ci parviennent à une modification de tarifs par rapport aux prévisions contractuelles, ceci ne constitue pas un droit, dont le non-respect appellerait une réparation, quand bien même le tarif initialement convenu se révélerait défavorable à l'une des parties. Au demeurant, en l'espèce, la société Tiscali a accepté, à titre commercial, en cours de contrat, d'entamer des négociations tarifaires, aboutissant à une révision de ses tarifs à la baisse en s'alignant sur les tarifs de la société France Telecom. Pour autant, il ne saurait lui être reproché de ne pas y avoir procédé plus tôt.

En réalité, le fait que la société CGIT ait remis en cause les tarifs acceptés par elle, seulement quatre mois après la signature du contrat, démontre qu'elle a commis une erreur d'appréciation de sa situation, qu'elle ne saurait imputer à son cocontractant qui, de surcroît, a accepté une baisse de ses tarifs dans un délai de négociation raisonnable, puisqu'inférieur à huit mois. Il n'était d'ailleurs pas de l'intérêt de la société Tiscali de voir son unique cliente dans les Dom-Tom avoir des difficultés.

La société CGIT ne peut donc sérieusement reprocher à la société Tiscali une politique tarifaire abusive.

 

* Dysfonctionnements techniques :

Maître Bes, ès-qualités, fait état d'un retard dans la livraison de l'interface, de dysfonctionnements techniques lors de la migration des clients de Runnet à CGIT et d'une configuration technique gravement imparfaite.

Le contrat signé entre les parties le 14 décembre 2004, qui définit le matériel commandé et décrit l'interface, stipule une date de mise en service de 7 jours ouvrés à compter de la réception du contrat signé en deux exemplaires par la société Tiscali. Or l'interface n'a été livrée que trois mois plus tard, obligeant la société CGIT à solliciter en urgence les services de son ancien prestataire, la société Runnet. La société Tiscali a reconnu ces retards puisqu'elle a émis des avoirs à hauteur de la somme de 9.804 euros à ce titre.

Par ailleurs, la société Telecom Italia (anciennement Tiscali) a reconnu, dans un courrier RAR du 23 mars 2006, que le pool d'adresses IP était insuffisant par rapport au nombre de connexions simultanées effectuées via le réseau de CGIT. Elle est cependant intervenue pour apporter des réponses aux problèmes posés et a proposé à la société CGIT un dédommagement équivalent à deux mensualités complètes, soit la somme de 7.000 euros.

Par contre, s'agissant des problèmes de migration entre l'ancien fournisseur, la société All Runnet, et le nouveau fournisseur, la société Telecom Italia, il n'est nullement démontré qu'ils seraient imputables à cette dernière, alors qu'il y a manifestement eu une absence de coordination entre les sociétés All Runnet et CGIT. Comme elle l'a expliqué dans la lettre susvisée du 23 mars 2006, les lignes devaient être résiliées par la société All Runnet auprès de la société France Telecom et la société CGIT devait recréer les lignes en cause via l'interface ISDF mise à sa disposition par la société Telecom Italia, étant précisé qu'il s'agit de lignes qui dépendent directement du réseau France Telecom, seul présent sur les îles de Guadeloupe et de Martinique. La société Telecom Italia a cependant aidé la société CGIT à récupérer ces lignes et les frais de mise en service associés à cette migration ont fait l'objet d'un avoir de 2.537 euros au mois de septembre 2005.

La société CGIT ne démontre pas que la liaison mise en place aurait été 'gravement imparfaite’et qu'il y aurait eu un « bugg », la seule difficulté n'étant liée qu'au fait qu'elle n'était pas dimensionnée pour le nombre d'abonnés et il a déjà été exposé ci-dessus que la société CGIT ne saurait se défausser de sa propre responsabilité sur son cocontractant à ce sujet.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, s'il existe un préjudice subi par la société CGIT du fait de certains manquements de la société Telecom Italia à ses obligations contractuelles, ces manquements n'ont pas l'ampleur invoquée.

La présente juridiction ne peut que constater la résiliation du contrat à la date du 28 avril 2006, suite à la lettre de résiliation adressée par la société CGIT à son cocontractant. Pour autant, cette résiliation n'est pas intervenue aux torts exclusifs de la société Telecom Italia, mais aux torts partagés des parties, chacune d'entre elles ayant une part de responsabilité dans la rupture des relations contractuelles, la société CGIT restant redevable, de son propre aveu, de certaines factures demeurées impayées.

En conséquence, s'il existe un préjudice pour la société CGIT du fait des manquements relevés ci-dessus, celui-ci est nécessairement limité.

 

Sur le préjudice de la société CGIT :

L'article 6.2 du contrat du 14 décembre 2004 contient une clause de limitation de responsabilité ainsi rédigée : « dans le cas où la responsabilité de Tiscali Telecom serait recherchée, celle-ci sera limitée à 150.000 euros pour l'ensemble de tous faits dommageables causant tout préjudice survenant à l'occasion de l'exécution du contrat ».

Comme, il l'a été exposé ci-dessus, s'il a existé des difficultés d'exécution du contrat, aucune faute lourde imputable à la société Tiscali, qui justifierait que la clause limitative de responsabilité soit écartée, n'est démontrée par Maître Bes, ès-qualités.

En outre, l'article 6.2 alinéa 2 du contrat précise que « Tiscali Telecom ne saurait être tenue pour responsable de tous dommages indirects, les dommages indirects correspondant aux dommages ne résultant pas directement ou exclusivement de la défaillance des Services, non plus que des pertes d'exploitation et des préjudices commerciaux ».

Maître Bes, ès-qualités, soutient qu'il s'agirait d'une clause abusive entre professionnels car elle exclut en fait la réparation de tout préjudice dans la mesure où elle est rédigée de manière « particulièrement large et globalisante », de surcroît entre des partenaires ayant une situation économique très différente.

Cependant, le contrat a été signé par la société CGIT, non pas avec la société Free, un très important opérateur du marché, mais avec la société Tiscali Telecom, qui avait une importance économique bien moindre et qui a été absorbée par la société Telecom Italia, elle-même absorbée par la société Liberty Surf Group, elle-même absorbée par la société Free.

Ensuite, la clause qui prévoit qu'un professionnel ne saurait être tenu de réparer les dommages indirects subis par son cocontractant répond aux critères généraux de la responsabilité civile. De plus, une telle clause a pour objet de préciser les exclusions et limites que le constructeur entend apporter à la réparation des dommages et n'exclut pas la réparation des dommages directs.

Les dommages indirects sont de même exclus par la clause contenue dans l'article E.5. des conditions générales de services visées par les bons de commande signés par la société CGIT qui prévoit que, « sous réserve de dispositions expresses dans le Contrat, Tiscali ne pourra en aucun cas être tenue pour responsable à l'égard du Client pour une perte de bénéfices, de revenus, d'activités, de contrats, d'économies prévues, de données ou de quelconque autre perte ou dommage indirect ».

Ces clauses ne peuvent être considérées comme abusives ou excessives entre professionnels. Au demeurant, si Maître Bes, ès-qualités, en demande la nullité dans les motifs de ses conclusions, une telle demande n'est pas reprise dans leur dispositif.

Une partie des demandes de Maître Bes, ès-qualités, s'apparente incontestablement à la réparation d'un préjudice indirect, dès lors qu'il est fait état d’ « une marge de profit légitimement prévisible » en fonction de la perte envisagée d'abonnés futurs et potentiels, estimée à la somme de 472.000 euros, ce qui correspond à une perte de chance et donc à un préjudice dont la réparation est exclue par le contrat. L'existence d'un budget de publicité qui n'aurait pas porté tous ses fruits ou de matériel immobilisé ne constitue pas plus un préjudice direct pouvant être indemnisé.

Par contre, il est produit de nombreuses lettres de résiliation de clients insatisfaits, dont certains clients importants comme le CHU de Fort de France. La perte de clients constitue bien un préjudice directement lié aux manquements contractuels imputables à l'intimée, listés ci-dessus.

Par ailleurs, il est incontestable que le retard avéré dans la livraison de l'interface et les dysfonctionnements techniques liés au pool d'adresses IP, insuffisant par rapport au nombre de connexions simultanées effectuées via le réseau de CGIT, ont occasionnés un préjudice direct à cette dernière, notamment des dépenses de personnel pour gérer les services de la « Hot Line » et le mécontentement des clients.

Comme l'a justement retenu le tribunal, les propositions de prise en charge des défaillances retenues faites par la société Free ne sont pas en rapport avec le préjudice direct subi par la société CGIT, compte tenu notamment de la réactivité de sa clientèle à la qualité des prestations. Il a fait une juste appréciation de ce préjudice direct en l'évaluant à la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

 

Sur la demande reconventionnelle de la société Free :

Quatre commandes de la société CGIT ont été enregistrées entre novembre 2004 et novembre 2005, correspondant à des demandes de mise à disposition de services internet par la société Telecom Italia. La société CGIT ne conteste pas que la bande passante de 2 Mbits ait été mise en œuvre à sa demande, même si elle en conteste l'efficacité, ce point ayant déjà été examiné plus haut. La société Telecom Italia lui a adressé 20 factures correspondant aux services fournis, qui n'ont pas été réglées.

Ainsi, la société CGIT restait redevable, au mois de novembre 2005, d'une somme de 41.814,24 euros, pour laquelle la société Telecom Italia a accepté la mise en place d'un échéancier permettant le paiement de la somme due en 10 échéances de 4.181,42 euros chacune, entre décembre 2005 et septembre 2006. Cet échéancier a été accepté par la société CGIT qui a commencé à l'exécuter, se reconnaissant ainsi débitrice des montants réclamés, malgré les dysfonctionnements dont elle faisait état. Elle a d'ailleurs également reconnu sa dette dans un courrier électronique du 14 février 2006 dans lequel elle annonce un règlement.

Elle est en définitive redevable de la somme totale de 85.162,05 euros selon arrêté de compte au 21 mars 2006. Cet arrêté tient compte des sommes dues au titre de l'échéancier ainsi que des factures de prestations postérieures. Il a déduit, outre les montants payés par la société CGIT, l'avoir de 2.537 euros consenti par la société Telecom Italia au titre de la récupération des lignes et des frais de mise en service associés à cette migration.

Par contre, les avoirs promis pour le retard dans la livraison de l'interface et les dysfonctionnements techniques liés au pool d'adresses IP, insuffisant par rapport au nombre de connexions simultanées effectuées via le réseau de CGIT, n'ont pas été pris en compte et ne peuvent être déduits de la créance de l'intimée, dès lors que le préjudice lié à ces défaillances est intégré au préjudice de la société CGIT indemnisé dans le cadre de la présente procédure à hauteur de 50.000 euros.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société CGIT à payer à la société Telecom Italia, devenue Free, la somme de 85.162,65 euros.

Il doit également être confirmé en ce qu'il a ordonné la compensation entre les condamnations réciproques des parties, de sorte qu'en définitive, la société CGIT reste redevable envers la société Free de la somme de 35.162,65 euros.

Compte tenu de la liquidation judiciaire de la société CGIT, intervenue depuis lors par jugement du 21 août 2012, il convient de fixer la créance de la société Free à hauteur de cette somme de 35.162,65 euros au passif de la société CGIT, sous réserve de sa production régulière par la société Free, dont il n'est pas justifié dans le cadre de la présente procédure mais qui n'est pas contestée par Maître Bes, ès-qualités.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DONNE acte à la société Free de ce qu'elle intervient aux droits de la société Telecom Italia,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

En tant que de besoin, CONSTATE la résiliation du contrat du 14 décembre 2004, à la date du 28 avril 2006, aux torts partagés des parties,

Y ajoutant, FIXE la créance la société Free à hauteur de la somme de 35.162,65 euros au passif de la société CGIT,

REJETTE les demandes plus amples ou contraires des parties,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Maître Bes, ès-qualités de liquidateur de la société CGIT, aux dépens d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire et recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Le Greffier                La Présidente

E. DAMAREY          C. PERRIN