TI CHERBOURG, 1er JUIN 2006
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 462
TI CHERBOURG, 1er JUIN 2006 : jugement n° 06/171
(sur appel CA Caen (1re ch. sect. civ. et com.), 29 novembre 2007 : RG n° 06/02093)
Extrait : « Attendu en l'espèce que sont insérées simultanément au contrat de crédit une clause de réserve de propriété au profit du prêteur, subrogé dans les droits du vendeur, et une clause selon laquelle l'emprunteur s'engage « à faire assurer le véhicule pendant toute la durée du remboursement du crédit contre le vol, l'incendie et les risques causés aux tiers » ainsi qu'à supporter « les réparations nécessaires » ;
Qu'il est pourtant acquis que le créancier bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété supporte le risque de la perte accidentelle ou de vol de la chose (Cass. 1re civ., 11 juin 1985, Bull. civ. I, n° 190), de sorte que si le bien périt, la dette de l'emprunteur se trouve réduite de la valeur de la chose ;
Que la clause mettant à la charge du consommateur la garantie du bien du prêteur a ainsi été déclarée abusive par la Cour de cassation (1re civ., 17 mars 1998, Bull. civ. I, n° 116) ;
Que cette clause aggrave la situation de l'emprunteur en mettant à sa charge une garantie indue, qui au surplus ne peut manquer de jeter la confusion sur l'étendue de son droit sur le véhicule vendu ;
Qu'il convient au surplus de remarquer qu'une autre clause du contrat autorise le débiteur à faire immatriculer le véhicule à son nom, malgré la réserve de propriété, formalité qui tend à le laisser penser le consommateur qu'il est propriétaire du véhicule financé ;
Qu'au vu de l'ensemble de ces observations, la présence simultanée d'une clause de réserve de propriété au bénéfice de l'organisme prêteur et d'une clause de transfert de garantie de la chose sur le consommateur rompt l'équilibre entre les parties contractantes au détriment de l'emprunteur-consommateur, et justifie la déchéance du droit à intérêts et pénalités, et ce dès l'origine du contrat ».
2/ « Qu'en effet, est considérée comme abusive aux termes des dispositions d'ordre public de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, une clause ayant pour effet de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice par le consommateur, notamment en limitant indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait normalement revenir à une autre partie au contrat ; Et attendu que la clause susmentionnée a pour effet de dégager indûment l'organisme prêteur, subrogé, de la charge de la preuve qui lui incombe normalement, du caractère concomitant du paiement et de la subrogation, et de supprimer toute possibilité pour le débiteur-consommateur, de rapporter la preuve contraire ; Que cette clause doit donc être considérée comme abusive dans le cadre des relations entre le subrogé-professionnel, et le débiteur-consommateur, et partant, réputée non écrite ».
TRIBUNAL D’INSTANCE DE CHERBOURG
JUGEMENT DU 1er JUIN 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Jugement n° 06/171.
PRONONCÉ PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE DU TRIBUNAL D'INSTANCE DE CHERBOURG, tenue le premier juin deux mille six, sous la Présidence de Mademoiselle Anne-Laure MADURAUD, Juge Placé auprès de la Cour d'Appel de CAEN, faisant fonction de Juge d'Instance, assistée de Annick LEROUVILLOIS, Adjoint Administratif Principal assermenté, faisant fonction de Greffier ;
ENTRE :
LA SOCIÉTÉ CREDIPAR
dont le siège social est [adresse], agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général, domicilié en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE NON COMPARANTE, MAIS RÉGULIÈREMENT REPRÉSENTÉE PAR MAÎ TRE BOBIER, AVOCAT AU BARREAU DE COUTANCES, SUBSTITUÉ PAR MAÎTRE DELALANDE, AVOCAT AU BARREAU DE CHERBOURG ; D'UNE PART
ET :
- Monsieur X.
né le [date et lieu de naissance], demeurant [adresse] ;
- Madame Y.
née le [date de naissance], demeurant également [adresse] ;
DÉFENDEURS COMPARANTS EN PERSONNE ; D'AUTRE PART
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte d'huissier du 20 décembre 2005, la société CREDIPAR a fait assigner Monsieur X. et Madame Y. afin d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- la condamnation solidaire des défendeurs à lui payer la somme de 9.845,38 euros avec intérêts conventionnels à compter du 12 décembre 2005, en remboursement du solde d'un prêt affecté à l'achat d'un véhicule automobile contracté le 22 juillet 2003 pour lequel la déchéance du terme a été prononcée suite à divers impayés, selon le décompte suivant :
* 1.037,84 euros au titre des échéances impayées du 10 juin 2005 au 10 septembre 2005
* 8.0005 [8.005 ou 8.000,5 ?] euros au titre du capital restant dû,
* 640,40 euros au titre de la clause pénale incluse au contrat
- la validation de la saisie-appréhension notifiée par acte en date du 26 octobre 2005 à laquelle a été formée opposition, et ce en application des dispositions de l'article 152 du décret 92-755 du 31 juillet 1992 et en vertu de la clause de réserve de propriété au bénéfice du prêteur, subrogé dans les droits du vendeur, insérée au contrat de crédit ;
- la condamnation solidaire des défendeurs aux entiers dépens, en ce compris les frais de la procédure de saisie-appréhension, ainsi qu'a lui verser la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Lors de l'audience du 9 février 2006, Monsieur X. et Madame Y. reconnaissent le principe de la dette ; ils indiquent bénéficier d'un plan de surendettement incluant la créance objet du présent litige.
Ils s'opposent à la restitution du véhicule, et sollicitent un délai, précisant que ce véhicule leur était nécessaire dans le cadre professionnel.
La société requérante s'est opposée à l'octroi d'un tel délai pour restituer le véhicule.
L'affaire avait été mise en délibéré au 2 mars 2006. Par mention au dossier, le Tribunal a alors ordonné la réouverture des débats et le et renvoi à l'audience du 23 mars 2006, afin d'inviter les parties à présenter leurs observations sur :
- [minute page 3] le moyen de droit relevé d'office tiré du défaut de preuve en l'état de la délivrance d'une quittance subrogative par le vendeur à la société CREDIPAR de façon concomitante au paiement, et ce en application des dispositions de l'article 1250, 1° du Code civil,
- le moyen de droit relevé d'office tiré du caractère abusif de la clause insérée au contrat de crédit mettant à la charge de l'emprunteur l'assurance du véhicule financé en présence d'une clause de réserve de propriété jusqu'à parfait paiement,
- l'aggravation de la situation du consommateur résultant de l'existence de cette clause abusive qui l'induit en erreur quant à l'étendue de son droit de propriété sur le véhicule financé, et justifiant le cas échéant la déchéance du droit à intérêts et pénalités pour l'organisme prêteur.
Les parties étaient présentes ou régulièrement représentées lors de l'audience de renvoi, et ont maintenu l'intégralité de leurs demandes.
La décision a été mise en délibéré au 1er juin 2006 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande principale en paiement :
Attendu qu'il est constant que, suivant une offre préalable de prêt en date du 22 juillet 2003, la société CREDIPAR a consenti à la partie défenderesse un crédit d'un montant en capital de 10.886 euros remboursable en 72 échéances mensuelles de 234,77 euros incluant les intérêts au taux effectif global de 12,54 % l'an, et destiné au financement d'un véhicule automobile auprès de la société NORD COTENTIN AUTOMOBILE ;
Que plusieurs échéances n'ayant pas été payées, elle a invoqué la déchéance du terme ;
Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, le demandeur fournit notamment :
- copie du contrat de prêt conclu le 22 juillet 2003
- le tableau d'amortissement ;
- une lettre recommandée du 24 septembre 2005, se prévalant de la déchéance du terme et valant mise en demeure pour les échéances de retard ;
- [minute page 4] et un décompte détaillé des sommes dues au 12 décembre 2005 ;
Attendu qu'aux termes de l'offre de crédit initiale, reprenant les dispositions de l'article L. 311-30 du Code de la Consommation, en cas de défaillance de l'emprunteur, le capital restant dû et les intérêts restés impayés deviennent immédiatement exigibles et produisent intérêts au taux du contrat jusqu'à parfait paiement ;
Que le prêteur peut, en outre, demander une indemnité égale à 8 % du capital restant dû lorsqu'il en exige le remboursement ou des échéances échues impayées dans le cas contraire, augmentée des intérêts au taux légal ;
Qu'il résulte cependant des dispositions de l'article L. 311-33 du Code de la consommation que chaque fois qu'un crédit est accordé sur la base d'une offre préalable qui ne respecte pas les dispositions fixées par les articles L. 311-8 à L. 311-13 du Code de la consommation, le prêteur perd son droit aux intérêts et l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital ;
Que la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt du 1er décembre 1993 (Cass., 1re civ., Bull. civ. I, n° 314), a en outre précisé que le prêteur encourt la déchéance de son droit à intérêts et pénalité dès lors que l'offre contient une clause aggravant la situation de l'emprunteur ;
Qu'il importe peu que le consommateur ait accepté la clause aggravante ;
Attendu en l'espèce que sont insérées simultanément au contrat de crédit une clause de réserve de propriété au profit du prêteur, subrogé dans les droits du vendeur, et une clause selon laquelle l'emprunteur s'engage « à faire assurer le véhicule pendant toute la durée du remboursement du crédit contre le vol, l'incendie et les risques causés aux tiers » ainsi qu'à supporter « les réparations nécessaires » ;
Qu'il est pourtant acquis que le créancier bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété supporte le risque de la perte accidentelle ou de vol de la chose (Cass. 1re civ., 11 juin 1985, Bull. civ. I, n° 190), de sorte que si le bien périt, la dette de l'emprunteur se trouve réduite de la valeur de la chose ;
Que la clause mettant à la charge du consommateur la garantie du bien du prêteur a ainsi été déclarée abusive par la Cour de cassation (1re civ., 17 mars 1998, Bull. civ. I, n° 116) ;
Que cette clause aggrave la situation de l'emprunteur en mettant à sa charge une garantie indue, qui au surplus ne peut manquer de jeter la confusion sur l'étendue de son droit sur le véhicule vendu ;
[minute page 5] Qu'il convient au surplus de remarquer qu'une autre clause du contrat autorise le débiteur à faire immatriculer le véhicule à son nom, malgré la réserve de propriété, formalité qui tend à le laisser penser le consommateur qu'il est propriétaire du véhicule financé ;
Qu'au vu de l'ensemble de ces observations, la présence simultanée d'une clause de réserve de propriété au bénéfice de l'organisme prêteur et d'une clause de transfert de garantie de la chose sur le consommateur rompt l'équilibre entre les parties contractantes au détriment de l'emprunteur-consommateur, et justifie la déchéance du droit à intérêts et pénalités, et ce dès l'origine du contrat ;
Et attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats :
- que le capital emprunté est de 10.886 euros ;
- que les débiteurs ont honoré les échéances du prêt jusqu'au mois de juin 2005, soit ont réglé 21 mensualités d'un montant de 234,77 euros ;
Qu'il convient de condamner solidairement, du fait de la clause de solidarité insérée au contrat, les défendeurs à payer à la société CREDIPAR la somme de 5.955,83 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2005, date de l'assignation, en l'absence de justification d'une mise en demeure préalable pour la totalité des sommes restant dues ;
Sur la demande en restitution du véhicule :
Attendu que, pour solliciter la condamnation des défendeurs à lui restituer le véhicule financé, la société CREDIPAR invoque le bénéfice d'une clause de réserve de propriété par le biais du mécanisme de la subrogation conventionnelle opérée à son profit par le vendeur du véhicule ;
Attendu que figure en effet sur le contrat de crédit produit aux débats une « stipulation d'une clause de réserve de propriété avec subrogation au profit de CREDIPAR », signée par le vendeur comme l'acheteur (soit le consommateur) ;
Qu'aux termes de la clause de subrogation : « Cette subrogation sera effective à l'instant même du paiement effectué au profit du vendeur par le prêteur. La présente quittance constituera à elle seule la preuve valable et suffisante de la subrogation ainsi intervenue » ;
Qu'invitée à présenter ses observations sur le défaut de preuve en l'état de la délivrance d'une quittance subrogative par le vendeur à la société CREDIPAR de façon concomitante au paiement, et ce en application des dispositions de l'article 1250, 1° du Code civil, la société requérante a entendu tirer argument de cette dernière clause, en précisant [minute page 6] que la Cour de cassation admet que la condition de concomitance peut être remplie lorsque le subrogeant a manifesté expressément, fût-ce dans un document antérieur, sa volonté de subroger ;
Mais attendu en premier lieu, que la quittance subrogative ne fait pas preuve par elle-même de la concomitance de la subrogation et du paiement, cette preuve incombant au subrogé (Civ. 1re, 23 mars 1999, Bull. civ. I, n° 105) ;
Qu'en second lieu, le débiteur est en droit d'opposer au subrogé, lequel ne peut avoir plus de droit que le subrogeant, tous les moyens de défense qu'il aurait pu opposer au subrogeant ;
Qu'il convient à cet égard de tenir compte de la particularité liée d'une part à l'application des dispositions du droit de la consommation, et d'autre part à l'ensemble contractuel indivisible qui existe en entre le vendeur, l'organisme prêteur, et l'emprunteur-acheteur ; qu'il sera d'ailleurs remarqué que la jurisprudence vantée par la société requérante relève de la matière commerciale ;
Qu'ainsi, même si, ni le consentement, ni le concours du débiteur à l'acte de subrogation ne sont nécessaires à la validité de cet acte, un tel acte ne saurait valablement avoir pour effet de contourner les règles protectrices du droit de la consommation au détriment d'un débiteur-consommateur ;
Qu'en effet, est considérée comme abusive aux termes des dispositions d'ordre public de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, une clause ayant pour effet de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice par le consommateur, notamment en limitant indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait normalement revenir à une autre partie au contrat ;
Et attendu que la clause susmentionnée a pour effet de dégager indûment l'organisme prêteur, subrogé, de la charge de la preuve qui lui incombe normalement, du caractère concomitant du paiement et de la subrogation, et de supprimer toute possibilité pour le débiteur-consommateur, de rapporter la preuve contraire ;
Que cette clause doit donc être considérée comme abusive dans le cadre des relations entre le subrogé-professionnel, et le débiteur-consommateur, et partant, réputée non écrite ;
Et attendu que la société CREDIPAR ne produit aux débats aucun élément susceptible de rapporter la preuve de la concomitance de la subrogation et du paiement ;
[minute page 7] Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en validation de la saisie-appréhension du véhicule qui avait été diligentée par ses soins, et de sa demande en restitution du véhicule ;
Sur les autres demandes :
Attendu qu'aucune circonstance particulière ne justifie que l'exécution provisoire soit ordonnée ;
Attendu qu'il serait inéquitable de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, s'agissant d'une instance introduite à l'initiative du créancier en présence d'un plan de surendettement déclaré recevable par la commission, et en cours d'élaboration ;
Attendu qu'il apparaît de la même manière équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE solidairement Monsieur X. et Madame Y. à payer à la société CREDIPAR la somme de 5.955,83 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2005,
DÉBOUTE la société CREDIPAR du surplus de ses demandes,
DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire,
DÉBOUTE la société CREDIPAR de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5749 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets de l’action - Autres effets - Déchéance des intérêts
- 6054 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Garanties d’exécution en faveur du professionnel
- 6629 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Crédits spécifiques - Crédit affecté