CJUE (6e ch.), 30 avril 2004
CERCLAB - DOCUMENT N° 5003
CJUE (6e ch.), 30 avril 2004 : Affaire C‑280/13
Publication : Rec.
Extrait : « La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et les principes du droit de l’Union relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent être interprétés en ce sens que sont exclues de leur champ d’application des dispositions législatives et réglementaires d’un État membre, telles que celles en cause au principal, en l’absence d’une clause contractuelle modifiant la portée ou le champ d’application de ces dernières dispositions. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
SIXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 30 AVRIL 2014
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑280/13, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia de Palma de Mallorca (Espagne), par décision du 23 avril 2013, parvenue à la Cour le 22 mai 2013, dans la procédure :
Barclays Bank SA
contre
Sara Sánchez García,
Alejandro Chacón Barrera,
LA COUR (sixième chambre), composée de M. A. Borg Barthet, président de chambre, MM. E. Levits, et S. Rodin (rapporteur), juges,
Avocat général : Mme J. Kokott,
Greffier : M. A. Calot Escobar,
Vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
- pour Barclays Bank SA, par Mes J. Rodríguez Cárcamo et B. García Gómez, abogados,
- pour le gouvernement espagnol, par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek, É. Gippini Fournier et L. Banciella, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt :
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Barclays Bank SA (ci-après « Barclays ») à Mme Sánchez García et à M. Chacón Barrera (ci-après les « débiteurs ») au sujet du recouvrement des dettes impayées découlant d’un contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces parties au principal.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Le neuvième considérant de la directive 93/13 est ainsi libellé :
« [...] les acquéreurs de biens ou de services doivent être protégés contre les abus de puissance du vendeur ou du prestataire [...] ».
4. Les treizième et quatorzième considérants de cette directive énoncent en ce qui concerne les dispositions législatives ou réglementaires nationales :
« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les États membres ou la Communauté sont parties ; que, à cet égard, l’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ;
considérant, toutefois, que les États membres doivent veiller à ce que des clauses abusives n’y figurent pas, notamment parce que la présente directive s’applique également aux activités professionnelles à caractère public ».
5. L’article 1er de ladite directive dispose :
« 1. La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
2. Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »
6. L’article 3 de la même directive est ainsi rédigé :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[...]
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »
7. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 :
« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »
8. L’article 6, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
9. L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive énonce :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
10. Le point 1 de l’annexe de la même directive énumère les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de cette dernière. Cette annexe est ainsi rédigée :
« 1. Clauses ayant pour objet ou pour effet :
[...]
e) d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé ;
[...] »
Le droit espagnol
11. L’article 1911 du code civil (Código Civil) dispose :
« Le débiteur répond de l’accomplissement de ses obligations sur l’ensemble de ses biens présents et futurs. »
12. L’article 105 de la loi hypothécaire (Ley Hipotecaria), codifiée par le décret du 8 février 1946 (BOE n° 58, du 27 février 1946, p. 1518), telle que modifiée par la loi 1/2003, dispose :
« L’hypothèque peut être constituée en garantie de tout type d’obligations et ne modifie pas la responsabilité personnelle illimitée du débiteur établie par l’article 1911 du code civil. »
13. Toutefois, l’article 140 de ladite loi autorise la conclusion de conventions contraires limitant la responsabilité du débiteur. Cet article énonce :
« Sans préjudice de l’article 105, il peut être valablement convenu dans l’acte de constitution d’hypothèque volontaire que l’obligation garantie ne soit effective que sur les biens hypothéqués.
Dans ce cas, la responsabilité du débiteur et l’action du créancier sont limitées, en vertu du prêt hypothécaire, au montant des biens hypothéqués, et ne s’étendent pas aux autres biens du patrimoine du débiteur. »
14. Sous l’intitulé « Fin de l’exécution », l’article 570 du code de procédure civile (Ley de enjuiciamiento civil, ci-après la «LEC») est ainsi rédigé :
« L’exécution forcée ne s’achève qu’avec l’entier désintéressement du créancier demandant l’exécution, constaté par acte d’huissier, contre lequel un recours direct en révision peut être introduit. »
15. Aux termes de l’article 579 de la LEC, intitulé « Exécution pécuniaire en cas de biens spécifiquement hypothéqués ou gagés » :
« Si les biens hypothéqués ou gagés sont mis aux enchères et que le produit de leur vente est insuffisant pour couvrir la créance, le demandeur à l’exécution peut demander que l’exécution soit ordonnée, contre qui de droit, pour le montant manquant; l’exécution se poursuit alors conformément aux règles habituelles en matière d’exécution. »
16. Sous l’intitulé « Vente aux enchères sans soumissionnaire », l’article 671 de la LEC, dans sa version issue de la loi 13/2009, du 3 novembre 2009, portant réforme du droit procédural pour la mise en place du nouveau greffe (BOE n° 266, du 4 novembre 2009, p. 92103), était ainsi rédigé :
« Si, lors de la vente aux enchères, aucun soumissionnaire ne se présente, le créancier peut demander l’adjudication des biens pour un montant égal ou supérieur à 50 % de leur valeur d’estimation ou pour le montant qui lui est dû à tous les titres.
[...] »
17. L’article 9 du décret royal 716/2009, du 24 avril 2009, portant application de certains aspects de la loi 2/1981, du 25 mars 1981, réglementant le marché hypothécaire ainsi que d’autres règles du système hypothécaire et financier (BOE n° 107, du 2 mai 2009, p. 38490), disposait :
« Si, pour des raisons dues au marché ou pour toute autre cause, le bien hypothéqué perd plus de 20 % de la valeur d’estimation initiale [...], l’entité créancière, après estimation effectuée par une société habilitée indépendante, peut exiger du débiteur l’extension de l’hypothèque à d’autres biens suffisants pour couvrir la différence exigible entre la valeur du bien et le prêt ou le crédit qu’il garantit.
[...]
[...] Si, dans le délai de deux mois après avoir été sommé de procéder à l’extension, le débiteur ne l’a pas effectuée et n’a pas remboursé la partie du prêt ou du crédit visée au paragraphe précédent, il sera considéré comme ayant choisi de rembourser la totalité du prêt ou du crédit, qui sera immédiatement exigible par l’entité créancière. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18. Le 30 août 2005, les débiteurs ont souscrit un contrat de prêt auprès de la Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Baleares pour un montant de 91.560 euros. Ils ont constitué, pour garantir ce prêt, une hypothèque sur le logement dans lequel ils étaient domiciliés. Les parties ont inclus dans l’acte de constitution de l’hypothèque une clause spécifique stipulant que, dans le cas d’une éventuelle vente judiciaire du bien, la valeur de référence du logement serait de 149.242,80 euros. Selon Barclays, les parties au contrat ont également convenu de la responsabilité personnelle illimitée des débiteurs pour le remboursement du prêt, sans limiter cette responsabilité à la seule valeur du bien hypothéqué.
19. Par acte du 24 juillet 2007, Barclays a été subrogée dans les droits du prêteur. Barclays et les débiteurs ont convenu par un acte du même jour d’une augmentation du capital prêté à un montant de 153.049,08 euros. L’estimation de la valeur du bien hypothéqué et la clause relative à la responsabilité des débiteurs n’ont pas été modifiées. Sur ces points qui n’ont pas expressément été repris dans le nouvel acte, les dispositions du contrat de prêt hypothécaire initial devaient s’appliquer.
20. Selon Barclays, les débiteurs ayant cessé de payer les mensualités du prêt le 24 octobre 2009, la déchéance du terme du prêt hypothécaire est intervenue le 25 mars 2010. À cette date, les montants dus au titre de ce prêt s’élevaient à un total de 150.011,52 euros.
21. Le 10 décembre 2010, Barclays a saisi le Juzgado de Primera Instancia de Palma de Mallorca (tribunal de première instance de Palma de Majorque) d’une demande d’exécution de sa garantie hypothécaire formée contre les débiteurs en faisant état d’une créance de 148.142,83 euros au titre du principal, de 1.689,95 euros au titre des intérêts échus et de 45.003 euros au titre des intérêts et des frais. Le Juzgado de Primera Instancia de Palma de Mallorca a ordonné la saisie de l’immeuble hypothéqué par décision du 15 décembre 2010.
22. Le 25 mai 2011, la vente judiciaire de cet immeuble a eu lieu sans qu’aucun enchérisseur ne se présente. Ledit immeuble a été adjugé au créancier, Barclays, conformément à l’article 671 de la LEC, pour le montant de 74.621,40 euros, soit 50 % de la valeur d’estimation que les parties avaient fait figurer dans l’acte de constitution de l’hypothèque.
23. Le 18 octobre 2012, à la demande de Barclays, une ordonnance en matière d’exécution a été rendue à l’encontre des débiteurs. Cette ordonnance a autorisé la poursuite du recouvrement forcé du solde de la créance de Barclays pour un montant de 95.944,11 euros, soit 75.390,12 euros au titre du principal restant dû, 10.960,50 euros au titre des intérêts arrêtés au 25 mai 2011 et 9.593,49 euros au titre des frais de saisie hypothécaire, ainsi que pour une majoration d’un montant provisoire de 22.617,03 euros au titre des intérêts et des frais afférents aux mesures d’exécution.
24. Dans le délai légalement fixé à cet effet, les débiteurs ont formé opposition contre ladite ordonnance. Ils font valoir que, dès lors que le bien immobilier estimé à 182.700 euros, selon un certificat d’évaluation commandé par Barclays établi le 18 mai 2007, a été attribué à cette dernière pour un montant de 74.621,40 euros, il y a lieu de considérer le crédit comme étant remboursé par l’adjudication et la fraction de la créance de Barclays qui n’a pas été couverte par ce montant comme étant soldée. Ils invoquent également un abus de droit et un enrichissement sans cause de Barclays.
25. Barclays a contesté les motifs de cette opposition en soutenant que sa créance n’avait pas été intégralement remboursée et que le Tribunal Supremo (Cour suprême) avait déjà considéré, dans des cas analogues à celui faisant l’objet de la procédure au principal, qu’il n’y avait ni abus de droit, ni enrichissement sans cause.
26. Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia de Palma de Mallorca a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La directive [93/13] et les principes du droit [de l’Union] relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation espagnole en matière hypothécaire qui, bien qu’elle prévoie que le créancier hypothécaire puisse demander une augmentation des garanties lorsque la valeur d’estimation d’un immeuble hypothéqué diminue de 20 %, ne prévoit pas, dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire, que le consommateur/débiteur/défendeur à l’exécution puisse demander, après évaluation contradictoire, la révision de ladite valeur d’estimation, à tout le moins aux fins prévues à l’article 671 de la LEC, lorsque cette valeur a augmenté dans un pourcentage égal ou supérieur entre la date de constitution de l’hypothèque et l’exécution de cette dernière ?
2) La directive [93/13] et les principes du droit [de l’Union] relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au régime procédural espagnol en matière de saisie hypothécaire, qui prévoit que le créancier demandant l’exécution peut s’attribuer l’immeuble hypothéqué pour un montant égal à 50 % de sa valeur d’estimation (actuellement 60 %), ce qui revient à pénaliser de manière injustifiée le consommateur/débiteur/défendeur à l’exécution à hauteur de 50 % (actuellement 40 %) de ladite valeur d’estimation ?
3) La directive [93/13] et les principes du droit [de l’Union] relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’il y a abus de droit et enrichissement sans cause lorsque, après s’être attribué l’immeuble hypothéqué à 50 % (actuellement 60 %) de sa valeur d’estimation, le créancier demande l’exécution pour le montant encore dû afin d’obtenir le remboursement intégral de sa créance bien que la valeur d’estimation et/ou la valeur réelle du bien adjugé soit supérieure à la somme totale due, en dépit du fait qu’une telle action soit conforme au droit procédural national ?
4) La directive [93/13] et les principes du droit [de l’Union] relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent‑ils être interprétés en ce sens que l’adjudication de l’immeuble hypothéqué dont la valeur estimée et/ou réelle est supérieure à l’ensemble du montant du prêt hypothécaire entraîne l’application de l’article 570 de la LEC, écartant de ce fait celle des articles 579 et 671 de la LEC, et qu’il convient, partant, de considérer que le créancier demandant l’exécution a été entièrement désintéressé ? »
27. Les parties ont été invitées par la juridiction de renvoi à présenter leurs observations sur ces questions. Barclays a fait valoir que la réglementation espagnole n’enfreint pas le droit de l’Union et a demandé la poursuite des mesures d’exécution forcée. La partie s’opposant à l’exécution a exprimé son accord pour le renvoi préjudiciel.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles :
28. Par ces quatre questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 et les principes du droit de l’Union relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent aux dispositions législatives et réglementaires d’un État membre, telles que celles en cause au principal, qui, d’une part, prévoient que, malgré l’adjudication d’un immeuble hypothéqué dont la valeur estimée est supérieure au montant total de la créance garantie pour un montant égal à 50 % de cette valeur au créancier hypothécaire en l’absence de tiers enchérisseur, ce créancier peut poursuivre l’exécution forcée du titre fondant sa créance pour un montant correspondant au solde restant de celle-ci et, d’autre part, permettent l’extension des garanties dudit créancier dans l’hypothèse d’une diminution de 20 % de l’estimation de la valeur de l’immeuble hypothéqué sans prévoir la possibilité d’une réévaluation à la hausse de cette estimation en faveur du débiteur.
29. Conformément à son article 1er, paragraphe 1, la directive 93/13 a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
30. Il importe également de rappeler que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive, « les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ne sont pas soumises aux dispositions de ladite directive ».
31. En outre, conformément au treizième considérant de la même directive, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 « couvre également les règles qui, selon la loi [nationale], s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».
32. Il est de jurisprudence constante que le système de protection mis en œuvre par ladite directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêt Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 44).
33. Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la même directive, prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt Aziz, EU:C:2013:164, point 45).
34. Dans ce contexte, la Cour a déjà considéré à plusieurs reprises que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêt Aziz, EU:C:2013:164, point 46 et jurisprudence citée).
35. La Cour a, par ailleurs, jugé que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier (arrêt Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 57).
36. En outre, la Cour a considéré, au point 64 de l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164), que ladite directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale.
37. À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’absence d’harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de mise en œuvre, d’une part, des motifs d’opposition admis dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire et, d’autre part, des pouvoirs conférés à ce stade au juge de l’exécution pour analyser la légitimité des clauses des contrats conclus avec les consommateurs relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt Aziz, EU:C:2013:164, point 50).
38. Toutefois, l’affaire au principal se distingue de celles ayant donné lieu aux arrêts Banco Español de Crédito (EU:C:2012:349) et Aziz (EU:C:2013:164) dans lesquelles les litiges pendants devant les juridictions de renvoi concernées portaient directement sur des clauses contractuelles et les questions soulevées étaient relatives à la limitation des pouvoirs du juge national pour apprécier le caractère abusif de ces clauses.
39. Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi n’invoque aucune clause contractuelle susceptible d’être qualifiée d’abusive. Les quatre questions portent sur la compatibilité de dispositions législatives et réglementaires nationales avec la directive 93/13. Aucune des dispositions nationales en cause au principal n’est de nature contractuelle. Par ailleurs, à la différence des affaires ayant donné lieu aux arrêts Banco Español de Crédito (EU:C:2012:349) et Aziz (EU:C:2013:164), aucune de ces dispositions n’est relative à l’étendue des pouvoirs du juge national pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle.
40. En effet, les dispositions nationales qui font l’objet du renvoi préjudiciel sont de nature législative ou réglementaire et ne sont pas reprises dans le contrat en cause au principal. Or, de telles dispositions ne relèvent pas du champ d’application de ladite directive qui vise à interdire les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
41. À la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt RWE Vertrieb (C‑92/11, EU:C:2013:180, point 25), dans laquelle, selon les points 29 à 38 de cet arrêt, les parties se sont accordées sur l’extension du champ d’application d’un régime prévu par le législateur national, les dispositions législatives et réglementaires nationales sur lesquelles portent les questions, sont applicables sans qu’une modification de leur champ d’application ou de leur portée soit intervenue au moyen d’une clause contractuelle. Il est donc légitime de présumer que l’équilibre contractuel établi par le législateur national demeure respecté (voir, en ce sens, arrêt RWE Vertrieb, EU:C:2013:180, point 28). Le législateur de l’Union a explicitement décidé de préserver cet équilibre ainsi qu’il ressort des termes du treizième considérant et de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13.
42. En outre, les dispositions législatives et réglementaires nationales en cause au principal s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu. Dès lors, conformément au treizième considérant de la directive 93/13, elles sont couvertes par l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive aux termes duquel elles « ne sont pas soumises aux dispositions de [ladite] directive ». Ainsi, la même directive n’a, en tout état de cause, pas vocation à s’appliquer.
43. S’agissant des principes du droit de l’Union relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel, il y a lieu de constater que la directive 93/13 vise à assurer leur respect en éliminant des contrats conclus avec les consommateurs les clauses abusives en tant que manifestation d’un déséquilibre entre les parties contractantes.
44. Or, ainsi qu’il a déjà été relevé, les dispositions législatives et réglementaires nationales en cause au principal n’entrent pas dans le champ d’application de la directive 93/13 dès lors que l’existence d’une clause contractuelle abusive n’a pas été invoquée. Aussi, en présence d’une lex specialis, telle que la directive 93/13, excluant de son champ d’application un cas tel celui en cause au principal, les principes généraux qui la sous-tendent ne peuvent trouver à s’appliquer.
45. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que la directive 93/13 et les principes du droit de l’Union relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent être interprétés en ce sens que sont exclues de leur champ d’application des dispositions législatives et réglementaires d’un État membre, telles que celles en cause au principal, en l’absence d’une clause contractuelle modifiant la portée ou le champ d’application de ces dernières dispositions.
Sur les dépens :
46. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et les principes du droit de l’Union relatifs à la protection des consommateurs et à l’équilibre contractuel doivent être interprétés en ce sens que sont exclues de leur champ d’application des dispositions législatives et réglementaires d’un État membre, telles que celles en cause au principal, en l’absence d’une clause contractuelle modifiant la portée ou le champ d’application de ces dernières dispositions.
Signatures
- 5720 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Obligation - Droit de l’Union européenne
- 5804 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (3) - Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993
- 5983 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge de l’exécution (JEX)
- 5988 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Lois et règlements - Clause conformes : principes