CASS. COM., 27 février 2001
CERCLAB - DOCUMENT N° 5195
CASS. COM., 27 février 2001 : pourvoi n° 99-15414
Publication : Legifrance
Extrait : « Mais attendu qu’ayant constaté que le litige soumis à la cour d’appel de Besançon portant sur la validité de la clause procédait du caractère abusif de cette clause au regard des principes généraux du droit commercial tenant aux critères de durée et de portée territoriale sur lesquels la cour s’est fondée pour déclarer valable ladite clause, et que le litige qui lui était soumis portait sur la validité de cette même clause au regard de l’article 7 et par application de l’article 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d’appel a à bon droit retenu que ces textes visant des pratiques anticoncurrentielles fondées sur l’ordre public économique entraînent une nullité absolue des actions prohibées de telle sorte que l’instance engagée sur son fondement a une cause différente de celle qui vise de façon relative la protection des cocontractants dans l’équilibre des contrats et en a justement déduit que l’autorité de la chose jugée par l’arrêt de la cour d’appel de Besançon n’était pas opposable à l’action de la société Z. Rémond ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 27 FÉVRIER 2001
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 99-15414.
DEMANDEUR à la cassation : Groupement d’intérêt économique (GIE) Les Tonnelleries de Bourgogne - Société Tonnellerie Vicard - Société Z. Jacques Y - Société Z. Gaston X. et Cie
DÉFENDEUR à la cassation : société Z. Rémond
Premier président : M. CANIVET, président.
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par : 1 / le Groupement d’intérêt économique (GIE) Les Tonnelleries de Bourgogne, dont le siège est [adresse], 2 / la société Tonnellerie Vicard, société anonyme, dont le siège est [adresse], 3 / la société Z. Jacques Y., société anonyme, dont le siège est [adresse], 4 / la société Z. Gaston X. et Cie, société anonyme, dont le siège est [adresse],
en cassation d’un arrêt rendu le 3 mars 1999 par la cour d’appel de Dijon (1re chambre civile, Section I), au profit de la société Z. Rémond, société anonyme, dont le siège est [adresse], défenderesse à la cassation ;
La société Tonnelleries Rémond, défenderesse au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR, en l’audience publique du 30 janvier 2001, où étaient présents : M. Canivet, premier président, président, M. Dumas, président de chambre, Mme Champalaune, conseiller référendaire rapporteur, MM. Leclercq, Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Collomp, Favre, M. Cahart, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, M. Boinot, Mme Gueguen, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller référendaire, les observations de Me Blondel, avocat du GIE Les Tonnelleries de Bourgogne et des sociétés Tonnellerie Vicard, Jacques Y. et Gaston X. et Cie, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Z. Rémond, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, à la suite desquelles le président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi principal que sur le pourvoi incident ;
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, selon l’arrêt attaqué, (Dijon, 3 mars 1999) et les productions, que selon jugement du 20 avril 1990 du tribunal de commerce, statuant sur l’assignation du GIE Les Tonnelleries de Bourgogne (le GIE) la Z. Rémond, ancien membre du GIE, a été condamnée pour violation de la clause de non-concurrence prévue à l’article 10, alinéa 3, du statut de ce groupement ; que la cour d’appel de Dijon a, par arrêt du 23 janvier 1991, confirmé le jugement en ce qui concerne la violation de la clause, et, avant-dire droit sur le préjudice, a ordonné une expertise ; que selon arrêt n° 787 D du 4 mai 1993 de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, cet arrêt a été annulé en toutes ses dispositions, et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Besançon laquelle a, par arrêt du 13 septembre 1994, confirmé le jugement du tribunal de commerce en ce qu’il avait décidé que la Z. Rémond avait violé la clause de non-concurrence, dont la nullité a été écartée, a fixé le préjudice du GIE et d’un agent commercial dont les services étaient utilisés par celui-ci à une certaine somme et dit que tout acte de concurrence déloyale postérieur au jugement donnerait lieu à une astreinte pour chaque infraction constatée ; qu’un nouveau pourvoi de la Z. Rémond, a été rejeté par arrêt n° 2463 D du 9 décembre 1997 de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation ; que parallèlement à cette première procédure, la Z. Rémond a assigné le GIE, la Tonnellerie Vicard, la Tonnellerie Jacques Y. et la Tonnellerie Gaston X. et compagnie (les tonneliers) devant le tribunal de commerce pour voir annuler ledit GIE, et dire et juger que ses statuts et son règlement intérieur lui étaient inopposables ; que dans cette instance, la Z. Rémond a invoqué la nullité de la clause de non-concurrence qui lui était opposée sur le fondement de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; que par jugement du 1er octobre 1993, le tribunal de commerce a débouté la Z. Rémond de son action contre le GIE et les tonneliers ; que la cour d’appel de Dijon a, par arrêt avant dire droit du 6 novembre 1996, consulté le Conseil de la concurrence sur la validité de la clause litigieuse ; que celui-ci a rendu son avis le 15 janvier 1997, selon lequel au regard de sa durée, la clause contrevenait à l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; que par une décision du même jour, statuant sur une saisine de la Z. Rémond, il a décidé que le GIE avait enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et lui a enjoint de modifier la clause litigieuse en ramenant la durée de cette clause, d’une durée de 10 ans, à une durée de deux ans; que la cour d’appel de Dijon a alors décidé que la clause litigieuse était contraire à l’article 7 de l’ordonnance, a prononcé son annulation, et a ordonné une expertise sur le préjudice subi par la Z. Rémond du fait de l’entrave à sa liberté commerciale ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que le GIE et les tonnelleries font grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que par son arrêt du 13 septembre 1994, la cour d’appel de Besançon a rejeté une demande tendant à voir annuler la clause de non-concurrence figurant dans l’article 10 des statuts du GIE et a condamné la Z. Rémond à diverses indemnités et à une obligation de faire assortie d’une astreinte ; que le GIE et les Tonnelleries faisaient alors valoir devant la cour d’appel de Dijon qu’elle ne pouvait revenir sur la chose précédemment jugée et rendre une décision susceptible d’être radicalement incompatible avec les dispositions de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Besançon du 13 septembre 1994 ; qu’en jugeant cependant le contraire, sur le fondement des motifs inopérants tirés d’une prétendue absence de cause au sens de l’article 1351 du Code civil, la cour viole ledit texte, ensemble les règles et principes qui gouvernent l’autorité de la chose jugée ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu qu’ayant constaté que le litige soumis à la cour d’appel de Besançon portant sur la validité de la clause procédait du caractère abusif de cette clause au regard des principes généraux du droit commercial tenant aux critères de durée et de portée territoriale sur lesquels la cour s’est fondée pour déclarer valable ladite clause, et que le litige qui lui était soumis portait sur la validité de cette même clause au regard de l’article 7 et par application de l’article 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d’appel a à bon droit retenu que ces textes visant des pratiques anticoncurrentielles fondées sur l’ordre public économique entraînent une nullité absolue des actions prohibées de telle sorte que l’instance engagée sur son fondement a une cause différente de celle qui vise de façon relative la protection des cocontractants dans l’équilibre des contrats et en a justement déduit que l’autorité de la chose jugée par l’arrêt de la cour d’appel de Besançon n’était pas opposable à l’action de la société Z. Rémond ;
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que le GIE et les tonnelleries font encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1/ que la cour d’appel méconnaît les termes de l’avis et de la décision du Conseil de la concurrence en date du 15 janvier 1997 en annulant la clause de non-concurrence, cependant que le Conseil de la concurrence a estimé que le principe de la clause était licite, seule sa durée était en cause, d’où une violation des articles 7 et 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2/ que le GIE et les tonneliers faisaient valoir qu’en toute hypothèse, le Conseil de la concurrence saisi par la cour d’appel de Dijon n’avait pas sanctionné le principe d’une clause de non-concurrence mais avait à l’inverse estimé que la durée de l’obligation de non-concurrence fixée initialement à dix années était trop longue et devait être ramenée à deux années, la cour d’appel ayant d’ailleurs retenu que le principe même d’une clause de non-concurrence a été admis par le Conseil de la concurrence ; que cependant faisant application de l’article 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d’appel a jugé que la clause de non-concurrence en cause était prohibée et devait être considérée comme nulle et non-avenue, en sorte qu’il convenait de faire droit à la demande de la Z. Rémond quant à ce ; qu’en l’état d’une motivation retenue manquant de cohérence juridique, la cour d’appel ne met pas à même la Cour de Cassation d’exercer son contrôle dans la mesure où le principe même d’une clause de non-concurrence étant jugé valable, le juge tirant de son office la faculté de limiter la durée de la clause dans sa rédaction applicable à la cause, d’où une violation des règles et principes qui gouvernent l’office du juge, de l’article 12 du nouveau Code de procédure civile et des articles 7 et 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
3/ qu’est nul l’engagement ou la clause se rapportant à une pratique prohibée par l’article 7 notamment de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’il ressort de l’avis du Conseil de la concurrence sollicité par la cour d’appel elle-même que le principe même d’une clause de non-concurrence n’était pas contraire à l’article 7 ; qu’en croyant cependant pouvoir annuler purement et simplement ladite clause au visa des articles 7 et 9 cependant que la cour d’appel admet elle-même la licéité de la clause, celle-ci ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations et appréciations, et partant viole par fausse application l’article 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu que l’arrêt énonce que le Conseil de la concurrence a analysé le contenu de la clause dans la rédaction antérieure au 24 juin 1983 et a clairement exprimé qu’en raison de sa durée, telle qu’elle avait été imposée à la société Z. Rémond, une telle clause était prohibée par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l’arrêt relève que si le principe d’une clause de non-concurrence applicable aux membres du GIE a été admis par le Conseil de la concurrence, ce dernier a relevé que ni la nature des produits en cause, ni les particularités de l’action commerciale dans le secteur de la tonnellerie ne justifiait que la durée de cette clause soit fixée à 10 ans ; qu’il ressort de ce qui précède que contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, le Conseil de la concurrence a considéré que la clause litigieuse, était, dans sa rédaction opposée à la Z. Rémond, illicite ; qu’ainsi c’est sans méconnaître ni la décision du Conseil de la concurrence selon laquelle par la clause litigieuse, le GIE avait enfreint l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ni son office qui ne pouvait lui permettre de modifier ladite clause avec effet rétroactif que la cour d’appel en a exactement déduit que cette clause, prohibée par l’article 7 précité devenu l’article L. 420-1 du Code du commerce, était nulle en application de l’article 9 de la même ordonnance devenu l’article L. 420-3 du Code de commerce ; qu’il suit de là que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que la société Z. Rémond fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande tendant à obtenir réparation du préjudice résultant des condamnations prononcées à son encontre sur le fondement de l’article 10, alinéa 3, des statuts du GIE qu’elle a annulé, alors, selon le moyen :
1/ que la nullité emporte l’effacement rétroactif de l’acte et la remise des parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion de cet acte ; que dès lors, la nullité de la clause litigieuse entraînait nécessairement l’obligation pour le GIE de restituer à la société Rémond les sommes qui avaient été mises à sa charge par l’arrêt du 13 septembre 1994 en application de la clause frappée par la suite de la nullité ; qu’ainsi la cour d’appel a violé les articles 1304 du Code civil et 7 et 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2/ que la chose jugée par l’arrêt de 1994 quant à la validité de la clause litigieuse sur un autre fondement ne peut constituer un obstacle à l’effet rétroactif de la nullité résultant de l’arrêt attaqué ; qu’ainsi la cour d’appel a violé les articles 1304 du Code civil, 9 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 1351 du Code civil ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu que l’arrêt énonce à bon droit que l’annulation de la clause de non-concurrence ne peut avoir d’effet sur les condamnations prononcées par l’arrêt irrévocable de la cour d’appel de Besançon qui ne peuvent être constitutives d’un préjudice ; qu’il suit de là que le moyen n’est fondé en aucune de ses deux branches ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois tant principal qu’incident ;
Condamne le GIE Les Tonnelleries de Bourgogne et les sociétés Tonnellerie Vicard, Jacques Y. et Gaston X. et Cie aux dépens de leur pourvoi respectif ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes du GIE Les Tonnelleries de Bourgogne et des sociétés Tonnellerie Vicard, Jacques Y., Gaston X. et Cie et de la Z. Rémond ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille un.