CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 1er mars 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5536
CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 1er mars 2016 : RG n° 10/03966
Publication : Jurica
Extrait : « Monsieur X. allègue, en outre, un manquement de la banque à son obligation d'information. Par application de l'article 1147 du code civil, ce manquement ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts et non par la nullité du contrat ou sa résiliation. Monsieur X., ne sollicitant aucune condamnation de la banque à lui payer des dommages et intérêts du fait de la responsabilité de la société Crédit Agricole de ce chef, il convient, uniquement, de rechercher si les obligations souscrites présentent un caractère perpétuel, si la clause de remboursement anticipé s'analyse comme une condition potestative ou si la clause de remboursement au gré de la banque constitue une clause abusive.
En tout état de cause, il est de connaissance commune que le rachat des obligations en bourse est soumis à un aléa à la hausse ou à la baisse, ce dont monsieur X. ne pouvait qu'être conscient. Il avait, de surcroît, de par sa formation, les compétences nécessaires pour comprendre l'ensemble des documents qui lui ont été remis.
La présente souscription des obligations TSDI, pouvant faire l'objet d'un remboursement anticipé, soit par la banque émettrice soit par monsieur X. par rachat en bourse, ne constitue pas un contrat perpétuel mais un contrat à durée indéterminée.
La possibilité pour la banque de vendre à son gré étant contrebalancée par la possibilité pour monsieur X. de vendre, à tout moment, par réintroduction du titre en bourse, l'exécution de la convention ne dépend pas d'un événement que seule la société Crédit Agricole à le pouvoir de faire arriver ou d'empêcher. Ainsi, la clause contestée par monsieur X. ne présente pas le caractère d'une condition potestative.
Concernant le caractère abusif de la clause d'amortissement au regard des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, il convient de relever que la banque est tenue, notamment, du versement d'un intérêt contractuel annuel supérieur au taux des emprunts d'état ainsi que cela est spécifié en page un des contrats litigieux. Ainsi, la modalité de remboursement au gré de la banque s'équilibrant avec les modalités de rémunération annuelle des titres émis, la clause querellée par monsieur X. ne présente pas de caractère abusif.
Monsieur X. n'explique pas, sur quels moyens, il revendique la résiliation des deux contrats ou encore le rachat de ses titres obligataires par le CA pour leur montant nominal. »
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 1er MARS 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 13/03623. Appel d'un jugement (R.G. n° 10/03966) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 13 juin 2013 suivant déclaration d'appel du 6 août 2013.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, Représenté et plaidant par Maître Xavier DELACHENAL de la SCP DELACHENAL AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
Société CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL SUD RHÔNE ALPES
Société Coopérative à capital variable, immatriculée au RCS de GRENOBLE prise en la personne de son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège, Représentée Maître Jean-Luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Maître ABAD, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Philippe ALLARD, Président, Madame Dominique JACOB, Conseiller, Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,
Assistés lors des débats de Françoise DESLANDE, greffier.
DÉBATS : A l'audience publique du 26 janvier 2016 Madame BLATRY a été entendue en son rapport. Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries. Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :
Les 26 juin et 24 décembre 2003, monsieur X. a souscrit auprès de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Centre Est (CA) des emprunts dits Titres Subordonnés remboursables à Durée Indéterminée (TSDI) d'un montant respectif de 50.000,00 euros et 10.000,00 euros.
Suivant exploit d'huissier en date du 23 juillet 2010, monsieur X. a fait citer le CA devant le tribunal de grande instance de Grenoble à l'effet de voir, à titre principal, déclarer nulles ou, en tout cas, inopposables les clauses de durée indéterminée et de possibilité de remboursement au seul gré de l'emprunteur des obligations TSDI qu'il a souscrites, subsidiairement, en résiliation des contrats et, en toutes hypothèses, en paiement de diverses sommes.
Par jugement du 13 juin 2013, le tribunal de grande instance de Grenoble a :
* débouté monsieur X. de l'ensemble de ses prétentions,
* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné monsieur X. aux dépens de la procédure.
Le tribunal a retenu que :
* monsieur X. avait été informé qu'aucune date de remboursement n'était prévue,
* il savait également qu'un rachat en bourse avait nécessairement une incidence possible sur la valeur nominale des titres,
* dès le 31 décembre 2003, monsieur X. était en mesure de constater la variation du cours des capitaux placés et, donc, leur valorisation,
* monsieur X., de par sa formation et sa profession d'avocat, sans être nécessairement un spécialiste de la finance, avait les connaissances utiles pour comprendre le sens des termes techniques utilisés par la banque,
* l'emprunt souscrit ne présentait pas de caractère perpétuel, dès lors que monsieur X. pouvait vendre à tout moment ses titres en bourse ou que l'émetteur pouvait procéder à un remboursement, au pair, à son gré,
* l'engagement de remboursement figurant au contrat ne bénéficiait pas uniquement à la banque, dès lors, que monsieur X. conservait toujours la possibilité de provoquer un rachat en bourse, ce qui ne constituait pas une condition potestative,
* les clauses litigieuses ne sont pas abusives dans la mesure où chacune des parties disposait du droit de choisir le moment de l'amortissement.
Suivant déclaration du 6 août 2013, monsieur X. a relevé appel de cette décision.
Au dernier état de ses écritures en date du 24 décembre 2015, monsieur X. demande de :
1) à titre principal, déclarer nulles ou, en tout cas, inopposables les clauses de durée indéterminée et de possibilité de remboursement au seul gré de l'emprunteur des obligations TSDI qu'il a souscrites en 2003 et portant les références 00XX9268 et 001YY87 pour des montants respectifs de 50.000,00 euros et de 10.000,00 euros, étant précisé que les clauses visées sont les suivantes : « amortissement normal : au pair si liquidation ou à l'échéance de la durée de vie de la société, - Amortissement anticipé : sous réserve de l'accord de la commission bancaire : par rachat en bourse, offres publiques d'achat ou d'échange, possible par remboursement au pair au gré de l'émetteur. »,
2) subsidiairement, prononcer la résiliation des contrats,
3) encore plus subsidiairement, le faire bénéficier du rachat de ses titres obligataires par le CA pour leur montant nominal,
4) en toutes hypothèses, condamner le CA à :
* lui rembourser le montant des obligations susvisées, les intérêts contractuels restant dus jusqu'à parfait paiement,
* lui payer des dommages et intérêts de 5.000,00 euros pour résistance abusive et préjudice moral outre une indemnité de procédure de 8.000,00 euros.
Il fait valoir que :
* il subit un préjudice moral à raison du défaut d'information de la part de la banque de son risque de subir une perte lorsque le souscripteur entend se faire rembourser le montant des obligations souscrites,
* il devait être informé des risques d'exposition aux aléas boursiers alors qu'il lui a été affirmé qu'il pouvait récupérer le capital de ses obligations,
* les documents qui lui ont été remis ne lui permettaient pas, en sa qualité de néophyte, de savoir qu'il s'exposait à un tel risque,
* contrairement à ce que prétend la banque, il doit être fait application des règles générales du droit des contrats et, plus précisément, celles régissant les contrats de prêts,
* la banque qui se prévaut, pour la première fois en cause d'appel, de ces dispositions en fait une mauvaise interprétation sur le caractère perpétuel,
* par application des dispositions de l'article 1174 du code civil, la clause d'amortissement anticipé, s'analysant comme une condition potestative, est nulle,
* les modalités d'amortissement normal consistent en un engagement perpétuel,
* dans ce cas là, l'amortissement du contrat interviendra à la fin de la vie de la société, soit 99 ans, ce qui est considéré par la cour de cassation comme un engagement perpétuel,
* les contrats obligataires qu'il a souscrits ont les caractéristiques d'un engagement perpétuel en droit français,
* la clause de remboursement au gré de l'émetteur constitue une clause abusive par application de l'article L. 132-1 du code de la consommation,
* c'est à tort que le tribunal a écarté cette disposition au regard du déséquilibre existant entre les parties,
* les taux d'intérêts, conformes à ceux du marché, ne sont nullement attractifs et ne peuvent compenser la durée de l'engagement.
Par conclusions récapitulatives du 8 janvier 2016, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Centre Est sollicite la confirmation du jugement déféré, le rejet des prétentions adverses et, y ajoutant, la condamnation de monsieur X. à lui payer une indemnité de procédure de 5.000,00 euros.
Elle expose que :
* les titres subordonnés ont une existence légale et un régime juridique propre qui résultent de l'application des dispositions des articles L. 228-1 et suivants du code de commerce,
* les obligations litigieuses constituent un investissement à long terme émis sur les bases arrêtées par l'Autorité des Marchés Financiers,
* la contrepartie de l'engagement indéterminé est la rémunération par un taux contractuel supérieur au taux des emprunts d'Etat existant à la date de souscription,
* les informations données étaient suffisamment claires et nettes pour permettre à un profane de comprendre le fonctionnement des TSDI, notamment, la possibilité d'un rachat en bourse,
* monsieur X., en sa qualité d'avocat, était à même de comprendre le fonctionnement des produits financiers qui lui étaient proposés,
* les contrats TSDI ne présentent pas un caractère perpétuel mais indéterminé,
* la possibilité de sortie contractuelle existe bien, encore faut-il qu'elle soit sollicitée,
* il n'y a pas de condition potestative mais des modalités contractuelles,
* la clause litigieuse ne présente aucun caractère abusif puisqu'elle s'équilibre avec le versement d'intérêts à un taux attractif.
La clôture de la procédure est intervenue le 12 janvier 2016.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
1/ Sur les demandes de monsieur X. :
Les TSDI sont des obligations caractérisées par la présence d'une clause dite de subordination, laquelle est, suivant l'article L. 228-97 du code de commerce, une modalité assortissant la création de certaines valeurs mobilières représentatives de créances sur la société émettrice, qui conditionne leur remboursement au désintéressement préalable des autres créanciers de l'émetteur et à la dissolution de la société ou à l'échéance de la durée de vie de celle-ci.
Les 26 juin et 24 décembre 2003, monsieur X. a souscrit auprès de la société CA des emprunts TSDI portant les références 00XX9268 et 001YY87, d'un montant respectif de 50.000,00 euros et 10.000,00 euros.
Les contrats litigieux comportent la clause Amortissement 2.5 suivant laquelle :
« Amortissement normal :
Les titres subordonnés de la présente émission ont une durée indéterminée. Ils ne seront remboursables qu'en cas de liquidation ou à l'échéance de la durée de vie qui est indiquée dans les statuts de la société émettrice. Le prix de remboursement sera égal, dans les deux cas, au pair....
Amortissement anticipé :
L'émetteur se réserve le droit avec l'accord préalable du Secrétariat Général de la Commission Bancaire de procéder à un amortissement anticipé des titres soit par rachat en bourse, soit par des offres publiques d'achat ou d'échanges des dits titres, ces opérations étant sans incidence sur le calendrier normal de l'amortissement des titres restant en vie.
Les titres subordonnés à durée indéterminée ainsi rachetés seront annulés... ».
Monsieur X. demande de prononcer la nullité de cette clause, à défaut, son inopposabilité, plus subsidiairement, de prononcer la résiliation des contrats, encore plus subsidiairement, le rachat de ses titres obligataires par le CA pour leur montant nominal aux motifs, d'une part, que les emprunts souscrits présentent un caractère perpétuel, d'autre part, que la clause d'amortissement anticipé s'analyse comme une condition potestative et, enfin, que la clause de remboursement au gré de l'émetteur constitue une clause abusive.
Monsieur X. allègue, en outre, un manquement de la banque à son obligation d'information.
Par application de l'article 1147 du code civil, ce manquement ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts et non par la nullité du contrat ou sa résiliation.
Monsieur X., ne sollicitant aucune condamnation de la banque à lui payer des dommages et intérêts du fait de la responsabilité de la société Crédit Agricole de ce chef, il convient, uniquement, de rechercher si les obligations souscrites présentent un caractère perpétuel, si la clause de remboursement anticipé s'analyse comme une condition potestative ou si la clause de remboursement au gré de la banque constitue une clause abusive.
En tout état de cause, il est de connaissance commune que le rachat des obligations en bourse est soumis à un aléa à la hausse ou à la baisse, ce dont monsieur X. ne pouvait qu'être conscient.
Il avait, de surcroît, de par sa formation, les compétences nécessaires pour comprendre l'ensemble des documents qui lui ont été remis.
La présente souscription des obligations TSDI, pouvant faire l'objet d'un remboursement anticipé, soit par la banque émettrice soit par monsieur X. par rachat en bourse, ne constitue pas un contrat perpétuel mais un contrat à durée indéterminée.
La possibilité pour la banque de vendre à son gré étant contrebalancée par la possibilité pour monsieur X. de vendre, à tout moment, par réintroduction du titre en bourse, l'exécution de la convention ne dépend pas d'un événement que seule la société Crédit Agricole à le pouvoir de faire arriver ou d'empêcher.
Ainsi, la clause contestée par monsieur X. ne présente pas le caractère d'une condition potestative.
Concernant le caractère abusif de la clause d'amortissement au regard des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, il convient de relever que la banque est tenue, notamment, du versement d'un intérêt contractuel annuel supérieur au taux des emprunts d'état ainsi que cela est spécifié en page un des contrats litigieux.
Ainsi, la modalité de remboursement au gré de la banque s'équilibrant avec les modalités de rémunération annuelle des titres émis, la clause querellée par monsieur X. ne présente pas de caractère abusif.
Monsieur X. n'explique pas, sur quels moyens, il revendique la résiliation des deux contrats ou encore le rachat de ses titres obligataires par le CA pour leur montant nominal.
Ainsi, échouant dans ses démonstrations et la légalité des TSDI n'ayant jamais été remise en cause, c'est à bon droit que le tribunal a débouté monsieur X. de l'ensemble de ses prétentions.
2/ Sur les mesures accessoires :
La cour estime ne pas devoir faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur X. sera condamné aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de CMDF Avocats.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne monsieur X. aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de CMDF Avocats.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Monsieur ALLARD, Président, et par Madame DESLANDE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
- 6132 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Durée du contrat - Contrat à durée indéterminée
- 6641 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Bourse et services financiers
- 7288 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Condition potestative