CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 13 septembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 6989
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 13 septembre 2017 : RG n° 15/05993
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu cependant que cette disposition ambiguë dans sa formulation n'informe pas suffisamment l'emprunteur que l'assurance prend fin automatiquement à la date de la dernière échéance de remboursement prévue au contrat, même lorsque le prêt n'a pas été intégralement remboursé ;
Attendu que contrairement aux affirmations de la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, il ne relève pas de l'évidence que l'emprunteur cesse d'être garanti par le contrat d'assurance lorsque survient le terme du prêt convenu à l'origine, alors même qu'il continuerait d'être débiteur à l'égard du prêteur ; que Mme X. fait au contraire valoir à juste titre que, comme l'avait relevé la Commission consultative des clauses abusives dans sa recommandation n° 90-01 du 10 novembre 1989, l'objet du contrat d'assurance implique que le consommateur soit couvert par l'assurance dès qu'il est tenu d'obligations à l'égard du prêteur et aussi longtemps que ces obligations subsistent ;
Attendu que la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges ne démontre pas avoir informé M. Y. et Mme X., lors de la conclusion du contrat de prêt, de ce que le bénéfice du contrat d'assurance proposé cesserait dès la date de la treizième échéance prévue au contrat, ni de les avoir mis en garde sur le risque d'une absence de couverture après cette date si le prêt n'était pas remboursé en totalité, alors même qu'il existait un aléa majeur concernant le respect de cette échéance, qui dépendait de la vente d'un bien immobilier appartenant aux emprunteurs ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 15/05993. Décision déférée à la Cour : 27 octobre 2015 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG.
APPELANTE :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES
prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Laurence F., avocat à la Cour
INTIMÉE :
Madame X. épouse Y.
Représentée par Maître Michèle S.-C., avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 22 mai 2017, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, Mme DORSCH, Conseillère, M. ROBIN, Conseiller, entendu en son rapport, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Christiane MUNCH-SCHEBACHER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon acte notarié en date du 30 juillet 2010, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges a consenti à M. Y. et à Mme X., son épouse, un prêt d'un montant de 230.000 euros remboursable à l'issue d'un délai de treize mois. Par lettre du 7 décembre 2011, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges a réclamé aux emprunteurs le paiement d'un solde de 30.469,83 euros, outre 3.840,46 euros au titre d'un prêt distinct, et leur a accordé un délai de neuf mois pour payer ces sommes, sous réserve de versements mensuels de 600 euros. M. Y. est décédé le 11 novembre 2012. Pour le paiement du solde du prêt, d'un montant de 28.375,71 euros, Mme X. veuve Y. a sollicité le bénéfice de l'assurance décès souscrite lors de la conclusion du contrat de prêt, ce qui lui a été refusé au motif que ce contrat d'assurance avait pris fin en septembre 2011, date de l'échéance du prêt.
Mme X. veuve Y. a saisi le Tribunal de grande instance de Strasbourg en réclamant à la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges le paiement de la somme de 28.000 euros à titre de dommages et intérêts, en reprochant à la banque de n'avoir pas attiré l'attention de ses débiteurs sur l'absence d'assurance lorsqu'elle leur a proposé un échéancier de paiement.
Suivant jugement en date du 27 octobre 2015, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges à payer à Mme X.-Y. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a considéré que faute de production de la notice d'information, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges ne démontrait pas que les emprunteurs avaient été avisés de la durée du contrat d'assurance, qu'en tout état de cause la banque était tenue de les informer sur l'adéquation de la garantie souscrite et qu'elle ne justifiait pas d'avoir attiré leur attention sur une limitation de la durée de l'assurance, et que ce manquement à ses obligations avait fait perdre à Mme X. veuve Y. une chance de bénéficier d'une assurance complémentaire.
Le 19 novembre 2015, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges a interjeté appel de cette décision.
* * *
Par conclusions du 14 juin 2016, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter Mme X. veuve Y. de ses demandes et de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges conteste avoir manqué à ses obligations. Elle aurait remis aux emprunteurs la notice du contrat d'assurance qui mentionnerait expressément que les garanties cessent en cas de survenance de l'échéance finale du financement, et elle n'aurait pas été tenue d'attirer spécialement leur attention sur une information qui relève du bon sens. Elle n'aurait pas été tenue d'une obligation de conseil lors de l'octroi du prêt ; de surcroît l'obligation de conseil reposant sur un intermédiaire d'assurance ne concernerait pas les points connus du souscripteur et en l'espèce la durée du contrat d'assurance aurait été une évidence. À l'issue du contrat de prêt, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges n'aurait plus été tenue d'aucune obligation en l'absence de nouveau prêt ; elle aurait seulement accordé des délais de paiement, ce qui n'aurait pas fait peser sur elle une obligation d'information.
La Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges soutient également que Mme X. veuve Y. ne rapporte la preuve d'aucun préjudice, faute de démontrer qu'elle aurait pu s'assurer au-delà du terme du prêt. Enfin, en aucun cas une éventuelle perte de chance ne pourrait être indemnisée à hauteur de l'avantage dont Mme X. veuve Y. prétend avoir été privée.
Par conclusions du 15 avril 2016, Mme X. veuve Y. demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce que celui-ci a retenu la responsabilité de la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, de l'infirmer en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, et de lui allouer la somme de 28.000 euros de ce chef, outre une indemnité de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme X. veuve Y. soutient que la mention de la notice d'information du contrat d'assurance selon laquelle les garanties cessent en cas de survenance de l'échéance finale du financement n'est pas suffisamment précise, alors même qu'une recommandation de la commission des clauses abusives préconisait que le consommateur soit couvert par l'assureur aussi longtemps que ses obligations subsistent à l'égard du prêteur. La Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges aurait omis, lors de la conclusion du contrat, d'éclairer les emprunteurs sur l'adéquation des risques couverts, et elle aurait également failli à son obligation lors de la conclusion de l'accord prévoyant de reporter l'échéance du prêt. De surcroît elle aurait, par sa négligence, créé une apparence trompeuse laissant croire aux époux qu'ils étaient toujours assurés.
Mme X. veuve Y. ajoute que si son mari et elle avaient été informés de la fin du contrat d'assurance, compte tenu des enjeux, ils auraient certainement souscrit une assurance décès complémentaire et le solde du prêt aurait alors été pris en charge lors du décès de M. Y.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 mars 2017.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI :
Sur la responsabilité de la banque :
Attendu que pour démontrer avoir satisfait à son devoir d'information, la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges verse aux débats la notice d'information ADI-01.2008 relative au contrat d'assurance décès-invalidité, remise aux emprunteurs lors de la conclusion du contrat de prêt, et invoque la disposition selon laquelle « les garanties de votre contrat et le versement des prestations cessent en cas (…) de survenance de l'échéance finale du financement » ;
Attendu cependant que cette disposition ambiguë dans sa formulation n'informe pas suffisamment l'emprunteur que l'assurance prend fin automatiquement à la date de la dernière échéance de remboursement prévue au contrat, même lorsque le prêt n'a pas été intégralement remboursé ;
Attendu que contrairement aux affirmations de la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, il ne relève pas de l'évidence que l'emprunteur cesse d'être garanti par le contrat d'assurance lorsque survient le terme du prêt convenu à l'origine, alors même qu'il continuerait d'être débiteur à l'égard du prêteur ; que Mme X. fait au contraire valoir à juste titre que, comme l'avait relevé la Commission consultative des clauses abusives dans sa recommandation n° 90-01 du 10 novembre 1989, l'objet du contrat d'assurance implique que le consommateur soit couvert par l'assurance dès qu'il est tenu d'obligations à l'égard du prêteur et aussi longtemps que ces obligations subsistent ;
Attendu que la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges ne démontre pas avoir informé M. Y. et Mme X., lors de la conclusion du contrat de prêt, de ce que le bénéfice du contrat d'assurance proposé cesserait dès la date de la treizième échéance prévue au contrat, ni de les avoir mis en garde sur le risque d'une absence de couverture après cette date si le prêt n'était pas remboursé en totalité, alors même qu'il existait un aléa majeur concernant le respect de cette échéance, qui dépendait de la vente d'un bien immobilier appartenant aux emprunteurs ;
Attendu en outre que la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, qui n'était pas libérée de ses obligations avant le remboursement intégral du prêt, ne démontre pas davantage avoir informé M. Y. et Mme X. de la cessation des garanties de l'assurance, ni les avoir mis en garde concernant le risque encouru, lorsque les emprunteurs se sont effectivement retrouvés dans la situation d'être débiteurs après la date de la dernière échéance prévue au contrat ;
Attendu que la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges a ainsi manqué à ses obligations, et que Mme X. est fondée à lui demander réparation du préjudice subi ;
Sur le préjudice :
Attendu que du fait des manquements de la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges à ses obligations, M. Y. et Mme X. ont été privés de la possibilité de souscrire dès l'origine une autre assurance décès-invalidité, qui les aurait couverts jusqu'au remboursement effectif du prêt qui leur avait été consenti, et qu'ils ont également été privés de la possibilité de souscrire une telle assurance à l'issue de la durée contractuelle du prêt ;
Attendu que Mme X. a ainsi perdu une chance de bénéficier de la prise en charge de tout ou partie de la somme restant due à la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, lors du décès de M. Y. ;
Attendu que l'équilibre financier précaire de l'opération immobilière et l'âge des emprunteurs rendait très vraisemblable la souscription d'une assurance qui les aurait garantis jusqu'au remboursement total des sommes dues à la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges ; que le choix qu'ils avaient fait lors de la conclusion du contrat démontre également qu'ils se seraient certainement assurés tous les deux pour la totalité du montant du prêt ;
Attendu que la perte de chance subie par Mme X. peut ainsi être estimée à 75 % ;
Attendu qu'il y a lieu cependant de déduire du montant que Mme X. a perdu une chance de percevoir, le coût des primes d'assurance dont les emprunteurs auraient dû s'acquitter au-delà du terme convenu à l'origine ;
Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à Mme X. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Sur les dépens et autres frais de procédure :
Attendu que la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges, qui succombe, a été condamnée à bon droit aux dépens de première instance et sera condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile ;
Attendu que selon l'article 700-1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ;
Attendu que les premiers juges ont fait une application équitable de ces dispositions ; que les circonstances de l'espèce justifient de condamner la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges à payer à Mme X. une indemnité de 2.000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel ; qu'elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la Caisse régionale de crédit agricole Alsace-Vosges aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Mme X. une indemnité de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Le Greffier : la Présidente :
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