CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. C), 9 novembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 7263
CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. C), 9 novembre 2017 : RG n° 15/11494 ; arrêt n° 2017/474
Publication : Jurica ; Legifrance
Extraits : 1/ « Que la Cour fonde son raisonnement sur le constat suivant lequel la fixation d’une limite temporelle au pouvoir du juge d’écarter, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, des clauses abusives est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par les articles 6 et 7 de la directive ; Attendu que la généralité des termes employés par la Cour ne peut conduire qu’à appliquer la même solution à la prescription quinquennale de droit commun prévu à l’article 2224 du code civil ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera écartée ».
2/ « Qu’ainsi, les conditions de remboursement du prêt ne revêtent pas un caractère accessoire mais définissent l’essence même du rapport contractuel ; que la clause Monnaie de compte, dont toutes les autres ne sont que la déclinaison ou la conséquence, fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat ; qu’elle n’est dès lors susceptible d’entrer dans le champ d’application des règles régissant l’élimination des clauses abusives que pour autant qu’elle ne soit pas rédigée de manière claire et compréhensible ; […] Qu’il résulte de ce qui précède que les époux X. ont été clairement et objectivement informés, par l’offre de prêt et ses annexes, des caractéristiques du contrat et de l’impact des évolutions du taux de change sur la durée d’amortissement et sur le coût du crédit ; que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère et met le consommateur en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
HUITIÈME CHAMBRE C
ARRÊT DU 9 NOVEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/11494. Arrêt n° 2017/474. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 12 février 2015 enregistré au répertoire général sous le R.G. n° 12/03760.
APPELANTE :
SA BNP Paribas Personal Finance
agissant poursuites et diligences de son représentant légal, dont le siège est sis [adresse], représentée par Maître Philippe KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assistée de Maître Elodie VALETTE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], demeurant [adresse], représenté par Maître Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assisté de Maître Jean-Louis DAVID, avocat au barreau de GRASSE,
Madame X.
née le [date] à [ville], demeurant [adresse], représentée par Maître Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assistée de Maître Jean-Louis DAVID, avocat au barreau de GRASSE,
COMPOSITION DE LA COUR : L’affaire a été débattue le 3 octobre 2017 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Monsieur Dominique PONSOT, Président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de : Monsieur Dominique PONSOT, Président, Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller, Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2017
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2017, Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 12 février 2015 ayant, notamment :
- dit que la SA BNP Paribas Personal Finance a manqué à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde vis-à-vis de M. X. et Mme X.,
- condamné la SA BNP Paribas Personal Finance à leur payer, ensemble, la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouté M. et Mme X. de leurs autres demandes à l’encontre de la SA BNP Paribas Personal Finance,
- condamné la SA BNP Paribas Personal Finance aux dépens de la demande dirigée à son encontre,
- condamné la SA BNP Paribas Personal Finance à payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- débouté les époux X. de leurs demandes à l’encontre de la SCP Postillon-Domengue-Pujol-Touret-Alpini-Bucceri-Caflers-Sauvage,
- débouté SCP Postillon-Domengue-Pujol-Touret-Alpini-Bucceri-Caflers-Sauvage de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné les époux X. aux dépens de leur demande à l’encontre de la SCP Postillon-Domengue-Pujol-Touret-Alpini-Bucceri-Caflers-Sauvage ;
Vu la déclaration du 25 juin 2015, par laquelle la SA BNP Paribas Personal Finance a relevé appel de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 1er septembre 2017, aux termes desquelles la SA BNP Paribas Personal Finance demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 12 février 2015 en ce qu’il a :
- dit que la société BNP Paribas Personal Finance a manqué aux devoirs de conseil et de mise en garde ainsi qu’à l’obligation d’information lors de la conclusion du contrat de prêt en francs suisses,
- dit que la société BNP Paribas Personal Finance devra indemniser M. et Mme X. à hauteur de 60.000 euros au titre de la réparation du préjudice résultant de ces manquements,
Et statuant à nouveau :
- dire et juger que le préjudice subi par M. et Mme X. est constitué par la seule perte de chance de ne pas contracter dont le montant doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égal à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée,
- dire et juger que le préjudice de M. et Mme X. est nécessairement inférieur à la somme de 60.000 euros,
- dire et juger que le préjudice de M. et Mme X. sera limité dans son montant dans la mesure où il est imputable à un événement extérieur à BNP Paribas Personal Finance et imprévisible,
-confirmer le jugement du 12 février 2015 en ce qu’il a :
- débouté M. et Mme X. du reste de leurs demandes,
Et statuant à nouveau :
- dire et juger irrecevables les demandes de M. et Mme X. tendant à voir déclarer abusive la clause de monnaie de compte,
En tout état de cause :
- débouter M. et Mme X. de leurs demandes, fins et conclusions, contraires,
- les condamner au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 29 août 2017, aux termes desquelles M. X. et Mme X. demandent à la cour de :
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance a manqué à ses devoirs d’information et de conseil à leur égard,
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance a manqué à son devoir de mise en garde vis-à-vis d’eux au regard des risques attachés au crédit litigieux,
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance a manqué à son devoir de mise en garde vis-à-vis d’eux au regard de leur âge et situation,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SA Paribas Personal Finance à leur payer, ensemble, la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- réformer le jugement quant au rejet de leurs demandes,
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance ne rapporte pas la preuve de l’envoi d’une offre de crédit complète indépendamment du résumé qu’elle leur a adressé,
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance ne rapporte pas la preuve d’une information aux époux X. des risques inhérents aux fluctuations monétaires en précisant un risque d’augmentation du capital à rembourser,
- dire et juger que la banque sera déchue de l’intégralité des intérêts depuis l’origine du crédit et que toutes les sommes versées s’imputeront sur le capital,
- dire et juger que les clauses du prêt conclu entre les parties et relatives aux opérations de change ou celles relatives à l’indexation sont abusives,
- dire et juger que ces clauses sont réputées non écrites,
En conséquence,
- dire et juger que la banque BNP Paribas Personal Finance devra leur rembourser toutes les sommes perçues du fait de l’indexation,
- dire et juger illicite la clause relative à la variation du taux du crédit sur la base d’une indexation euro / franc suisse s’agissant d’un crédit consenti par une banque française à des ressortissants et résidants français pour le financement d’un bien situé en France,
En conséquence,
- ordonner la déchéance des intérêts au taux contractuel,
- dire et juger qu’ils seront tenus au taux légal pour toute la durée du crédit et ce à compter de 1’octroi du financement,
- condamner la banque BNP Paribas Personal Finance à leur restituer la somme correspondant aux intérêts indûment perçus,
- condamner la SA BNP Paribas Personal Finance à payer aux époux X., au titre des frais de procédure en appel, la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction,
- débouter la BNP Paribas Personal Finance de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
Attendu qu’il sera rappelé que les époux X., retraités, souhaitaient procéder à un investissement immobilier avec défiscalisation de leurs revenus ; qu’ils ont consulté la société Azur Expansion, conseiller en gestion de patrimoine, qui a réalisé, à leur demande, une étude courant 2009 ;
Que le 10 février 2010, ils ont signé un contrat de réservation pour l’acquisition sous le régime de la vente en état futur d’achèvement d’un appartement dans le cadre d’un programme immobilier à [ville E.], pour un montant de 132.667 euros ;
Que pour financer cette acquisition, ils ont sollicité la BNP Paribas Personal Finance (la BNP) qui leur a adressé une offre de prêt « Helvet Immo » le 12 mars 2009, qu’ils ont acceptée le 25 mars 2009 ;
Que le 10 avril 2009, Maître Y., notaire, a reçu l’acte de vente avec paiement du prix selon l’offre Helvet Immo de la BNP d’un montant de 197.945,79 francs suisses / 132.667 euros, sur une durée de 22 ans au TEG de 5,83 % l’an, les 36 premières mensualités (préfinancement) étant de 445,25 euros, et les 228 suivantes, de 904,87 euros, avec possibilité de révision du crédit tous les cinq ans ;
Que les caractéristiques générales du prêt sont les suivantes :
- le prêt est libellé en francs suisses (CHF), monnaie de compte, mais les remboursements s’effectuent en euros, monnaie de paiement indexée ;
- les échéances sont fixes pendant les cinq premières années ; en cas d’évolution du taux de change, celle-ci se répercute sur la durée du crédit, qui est rallongée, si la devise se renchérit par rapport à la monnaie de paiement, ou qui est raccourcie, dans le cas contraire ;
- au terme des cinq premières années, à défaut d’opter pour une conversion du prêt en euros, le taux, à l’origine fixe de 4,45 % l’an, devient un taux variable calculé en additionnant une commission fixe de 2,45 %, correspondant à la rémunération de la BNP, avec la moyenne annuelle du taux « Swap francs suisses 5 ans » du mois civil précédent l’application du nouveau taux, correspondant au coût du refinancement de la BNP sur le marché monétaire ;
- enfin, au terme de chaque période de 5 ans, l’emprunteur peut opter pour une conversion du prêt en monnaie de compte en euros ; il dispose alors d’une option :
- soit en faveur d’un taux fixe (calculé en fonction du taux moyen mensuel des emprunts à long terme + une rémunération fixe), avec calcul d’un nouvel échéancier en fonction de la durée résiduelle restant à courir,
- soit en faveur d’un taux variable, révisable tous les 3 mois ;
Qu’au terme des cinq premières années, les époux X. ont opté pour la conversion du crédit en euros ; que le capital restant dû s’élevait alors à 157.098 euros ; que les époux X. ont par ailleurs choisi l’option du taux fixe ;
Qu’estimant qu’ils n’avaient pas reçu de la banque les informations nécessaires sur les caractéristiques de ce prêt, et qu’ils n’avaient pas été mis en garde contre le risque d’endettement, ils ont, par acte du 27 avril 2014, fait assigner la BNP ainsi que la SCP de notaires, la société Azur Expansion ayant, dans l’intervalle, été mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d’Antibes du 16 avril 2010 ;
Que leur demande indemnitaire à l’encontre de la banque a été accueillie par les premiers juges, qui ont considéré que la BNP avait manqué à obligation d’information sur les risques spécifiques du contrat de prêt lié à la monnaie de compte en devise étrangère, et à son devoir de mise en garde, à l’égard d’emprunteurs non avertis, retraités, faiblement fiscalisés, et n’ayant pas de perspective d’évolution professionnelle ;
Que les premiers juges ont notamment considéré que la banque ne justifiait pas leur avoir remis une simulation concrète illustrant les risques liés à un prêt en devise étrangère, et l’impact d’un renchérissement de la devise sur les mensualités, la durée du prêt, les intérêts et l’évolution du capital à rembourser ;
Que le tribunal a évalué leur perte de chance de ne pas contracter à 60.000 euros ; qu’en revanche, il a débouté les époux X. de leurs demandes de déchéance des intérêts contractuels, en considérant que les règles d’émission et d’acceptation de l’offre de prêt avaient été respectées ; qu’il a également rejeté les demandes relatives au taux effectif global ;
Qu’enfin, le tribunal a rejeté les demandes formées contre le notaire ;
Sur l’existence de clauses abusives :
Attendu que les époux X., se prévalant de la jurisprudence de la CJCE du 4 juin 2009 Pannon C - 234/08, reprise récemment par la Cour de cassation rendue à propos des prêts Helvet Immo, suivant laquelle le juge doit examiner d’office l’existence de clauses abusives dans les contrats proposés aux consommateurs, estiment que la clause d’indexation a pour effet d’allonger la durée du prêt, d’augmenter sans plafond le montant du capital à rembourser, et d’imposer à l’emprunteur une augmentation du montant de ses échéances, sans aucune limite, dans les cinq premières années du prêt ;
Qu’ainsi, le mécanisme rend incertain le terme du contrat, et est de nature à en bouleverser l’économie pour le consommateur ;
Que le risque de change ne pesant que sur les emprunteurs, la clause litigieuse a pour objet ou pour effet de créer à leur détriment un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu’en cas de chute de l’euro, en effet, l’endettement s’accroît ainsi que la durée du crédit, tandis qu’en cas de baisse du franc suisse, la banque ne s’appauvrit pas mais gagne moins ;
Qu’estimant que leur demande ne tombe pas sous le coup de la prescription, ils demandent à la cour de constater que la clause est abusive et de la déclarer non écrite, conformément à l’article L. 212-1 du code de la consommation ;
Qu’en réponse, la BNP oppose tout d’abord la prescription de l’action visant à déclarer abusive la clause de monnaie de compte ; qu’elle note que si la doctrine est divisée sur la prescriptibilité ou non d’une telle action, la jurisprudence des cours et tribunaux se serait clairement orientée en faveur de la prescriptibilité ;
Qu’elle rappelle que l’offre a été acceptée le 25 mars 2009, et donc le contrat conclu à cette date, de sorte que les emprunteurs disposaient jusqu’au 26 mars 2014 pour agir ; que ce n’est que dans leurs conclusions devant le tribunal de grande instance de Nice du 29 octobre 2014 qu’ils ont soulevé le moyen pour la première fois ;
Que, sur le fond, elle considère tout d’abord que la clause litigieuse échappe au contrôle des clauses abusives, dans la mesure où elle porte sur la définition de l’objet principal du contrat ;
Qu’en toute hypothèse, elle considère, au vu de la jurisprudence de la CJUE, que la clause de monnaie de compte ne constitue pas une clause abusive, dans la mesure où le risque de change pèse également sur les deux parties, et qu’il n’y a donc pas de déséquilibre significatif au détriment du non-professionnel entre les droits et obligations des parties ;
Attendu, en premier lieu, que par arrêt de la CJCE du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s’oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat ;
Que la Cour fonde son raisonnement sur le constat suivant lequel la fixation d’une limite temporelle au pouvoir du juge d’écarter, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, des clauses abusives est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par les articles 6 et 7 de la directive ;
Attendu que la généralité des termes employés par la Cour ne peut conduire qu’à appliquer la même solution à la prescription quinquennale de droit commun prévu à l’article 2224 du code civil ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera écartée ;
Attendu, en second lieu, que par arrêt de la CJUE du 30 avril 2014, C-26/13, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 4, paragraphe 2, de la directive susvisée 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doit être interprétée en ce sens que les termes « objet principal du contrat » ne recouvrent une clause, intégrée dans un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère conclu entre un professionnel et un consommateur en vertu de laquelle le cours de vente de cette devise s’applique aux fins du calcul des remboursements du prêt, que pour autant qu’il est constaté, ce qu’il incombe au juge national de vérifier eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations du contrat ainsi qu’à son contexte juridique et factuel, que ladite clause fixe une prestation essentielles de ce contrat qui, comme telle, caractérise celui-ci ;
Que la Cour poursuit en énonçant que l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive doit être interprété en ce sens que, s’agissant d’une telle clause contractuelle, l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ;
Attendu qu’en application de ces principes, il y a lieu de constater que le contrat de prêt souscrit par les époux X. stipule que l’emprunteur souscrit un prêt en francs suisses qu’il doit rembourser, avec intérêts, en euros ; que cette caractéristique est exposée de façon constante dans l’offre de prêt qui précise que le franc suisse constitue la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement ; que l’opération constitue une opération de droit interne pour laquelle, en raison de la prohibition dans les contrat de droit interne d’une monnaie étrangère comme monnaie de paiement, le contrat prévoit expressément que le règlement des échéances par l’emprunteur doit être effectué en euros pour être ensuite converti en francs suisses et permettre le remboursement du capital emprunté en francs suisses ; que le contrat implique, pour la mise en œuvre et pour les obligations qu’il met à la charge des parties, la réalisation d’opérations de change, entraînant pour l’emprunteur le paiement de frais de change, et l’application d’un taux de change dont la variation est susceptible d’entraîner l’allongement ou le raccourcissement de la durée d’amortissement et l’augmentation ou la diminution corrélative de la charge de remboursement ;
Qu’ainsi, les conditions de remboursement du prêt ne revêtent pas un caractère accessoire mais définissent l’essence même du rapport contractuel ; que la clause Monnaie de compte, dont toutes les autres ne sont que la déclinaison ou la conséquence, fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat ; qu’elle n’est dès lors susceptible d’entrer dans le champ d’application des règles régissant l’élimination des clauses abusives que pour autant qu’elle ne soit pas rédigée de manière claire et compréhensible ;
Attendu que l’examen de l’offre de prêt reçue et acceptée par les époux X. mentionne dès la première page que ceux-ci empruntent des sommes libellées en francs suisses comprenant des frais de change ; que les paragraphes intitulés Financement de votre crédit précisent que le montant en francs suisses du crédit permettra de libérer la somme de 132.667 euros chez le notaire le jour de la signature de l’acte de prêt et de payer les frais de change correspondant à cette opération, soit 1.990 euros ; que le contrat décrit ensuite de façon précise, sous la rubrique Ouverture d’un compte interne en euros et d’un compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit, le fonctionnement du prêt en devise et mentionne l’inscription des frais de change au débit du compte ; que sont ensuite détaillées pour chaque compte les opérations effectuées lors du règlement des échéances ; que sous la rubrique Opérations de change, est à nouveau exposé le principe de fonctionnement du prêt, en particulier le fait qu’il s’agit d’un prêt en francs suisses, mais que s’agissant d’une opération qui n’est pas une opération de crédit international, les versements effectués au titre du prêt ne peuvent être effectués qu’en euros pour un remboursement de francs suisses ; qu’il est également précisé qu’en acceptant l’offre de crédit, les emprunteurs acceptent les opérations de change de francs suisses en euros et d’euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit ;
Que les paragraphes placés sous l’intitulé Remboursement de votre crédit exposent de façon non équivoque que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variation du taux de change et décrivent notamment l’impact de cette variation sur la durée d’amortissement du capital ; qu’il est ainsi précisé que s’il résulte de l’opération de change une somme inférieure à l’échéance en francs suisses exigibles, l’amortissement du capital sera moins rapide et l’éventuelle part de capital non amorti au titre de l’échéance concernée sera inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses ; que ceci exprime de façon claire et aisément intelligible que l’impact d’une variation défavorable du taux de change sur le montant du capital restant dû et sur l’allongement corrélatif de la durée d’amortissement et donc le coût du crédit ; que l’offre de prêt décrit ensuite l’impact de la variation des taux d’intérêts sur le montant des règlements en euros à compter de le cinquième année, où le taux fixe devient, sauf option de conversion en euros, un taux variable ; qu’il y est explicitement mentionné que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variation du taux de change, et que l’amortissement du capital sera plus ou moins rapide selon qu’il résulte de l’opération de change une somme somme supérieure ou inférieure à l’échéance en francs suisses exigible ; que tout au long de l’offre de prêt, l’accent est mis sur la variabilité du taux de change et son incidence sur la durée d’amortissement et le coût du prêt ;
Attendu que les trois annexes à l’offre (tableau d’amortissement prévisionnel, notice présentant les conditions et modalités du taux d’intérêt du crédit, informations relatives aux opérations de change) font expressément référence à l’incidence de la variation du taux de change sur la durée d’amortissement et le coût du financement, et rappellent également que le montant de chaque échéance inclut des frais de change ; que dans la notice, des simulations sont présentées, permettant d’apprécier, à partir de différentes hypothèses, l’impact de la variation du taux d’intérêt sur la durée d’amortissement et le coût du prêt ;
Qu’enfin, l’attention des emprunteurs est expressément appelée dans le formulaire d’acceptation de l’offre sur le fait que le crédit comporte des opérations de change pouvant avoir un impact sur son plan de remboursement ;
Qu’il résulte de ce qui précède que les époux X. ont été clairement et objectivement informés, par l’offre de prêt et ses annexes, des caractéristiques du contrat et de l’impact des évolutions du taux de change sur la durée d’amortissement et sur le coût du crédit ; que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère et met le consommateur en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ;
Que les époux X. seront, en conséquence, déboutés de leur demande tendant à voir déclarer abusive la clause de monnaie de compte ;
Sur la licité de la clause de monnaie de compte :
Attendu que les époux X. rappellent que l’article L 112-2 du code monétaire et financier n’admet les indexations que si, et seulement si, elles sont en relation directe avec l’objet de la convention ou avec l’activité de l’une des parties ; qu’il en résulte la prohibition, dans les contrats purements internes, de la fixation en monnaie étrangère, qui constitue une indexation illicite déguisée ; qu’ils estiment qu’il n’existe aucun lien entre, d’un côté, le financement d’un bien situé en France par une banque française à des emprunteurs français, et, de l’autre, le franc suisse ;
Que la BNP rétorque que le contrat est conforme à l’ordre public français, et qu’il n’est pas contraire aux obligations relatives au cours légal en France ; qu’il s’agit d’un contrat stipulant une monnaie de compte en devise, mais dont les échéances sont payées en euros, ce qui est conforme à l’obligation de respecter la monnaie ayant cours légal en France ;
Qu’il s’agit en réalité d’un contrat indexé sur une devise, ce qui est tout à fait licite, dès lors que la clause d’indexation est en relation avec les activités d’une partie au moins, en l’occurrence avec les siennes, en tant qu’établissement de crédit ;
Attendu que c’est à juste titre que la BNP soutient que le contrat de prêt constitue en fait un contrat de prêt indexé sur le franc suisse ; que selon l’article L 112-2 du code monétaire et financier, dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties ;
Attendu que la validité d’une clause d’indexation est soumise à l’existence d’une relation directe avec l’objet de la convention, ou avec l’activité de l’une des parties, ces deux conditions n’étant pas cumulatives mais alternatives ; que la relation directe est suffisamment caractérisée par la seule qualité de banquier de l’une des parties au contrat, en l’occurrence de la BNP, dont l’activité porte entre autre sur des opérations passées sur les marchés internationaux de devises, notamment pour assurer son refinancement ; qu’il sera observé que l’offre de prêt mentionne expressément, sous la rubrique Financement de votre crédit, que le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises ;
Qu’il s’ensuit que la clause de monnaie de compte stipulée dans le contrat est licite et que la demande de nullité présentée par les époux X. sera rejetée ;
Sur le respect du code de la consommation (délai de réflexion) :
Attendu que les époux X. soutiennent que la BNP ne rapporte par la preuve de leur avoir adressé une offre de prêt conforme aux dispositions légales applicables ;
Qu’ils notent que le document intitulé accusé de réception de l’offre de prêt n’est pas daté, tandis qu’ils sont en possession d’un document intitué Résumé des caractéristiques de l’offre de crédit en date du 12 mars 2009 ; que ce document diffère de l’offre de prêt produite aux débats par la BNP ; qu’ils notent des anomalies concernant la numérotation des pages du document produit par la banque ; qu’ils estiment par ailleurs que le tableau d’amortissement est erroné puisque le capital restant dû augmente avec le temps, alors que, dans l’hypothèse de la banque d’un maintien du taux suisse par rapport à l’euro, le remboursement aurait dû entraîner une diminution du capital restant dû ;
Mais attendu qu’ainsi que les premiers juges l’ont exactement relevé au vu des pièces produites, l’offre de prêt a été reçue le 14 mars 2009 par les époux X., qui ne l’ont acceptée que le 25 mars 2009 ; que ceci résulte du document intitulé Accusé de réception et acceptation de l’offre de crédit, dans lequel les époux X. ont coché la case dans laquelle ils déclarent avoir reçu l’offre le 14 mars 2009 et l’accepter le 25 mars 2009, et apposé leur signature ; que les époux X. ne dénient pas la signature figurant sur ce document d’acceptation ; que les prétendues anomalies tenant à la numérotation des pages, ne sont que la conséquence d’une renumérotation manuscrite de l’offre après son annexion à l’acte authentique ; qu’enfin, le prêt ayant été réitéré devant notaire le 10 avril 2009, il en résulte que le délai de réflexion de 10 jours a été respecté, s’agissant d’une offre reçue le 14 mars 2009 ;
Que le jugement sera confirmé ;
Sur le respect des devoirs de conseil, d’information et de mise en garde :
Attendu que la BNP, appelante, fait valoir que, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, le prêt n’était pas spéculatif, en ce qu’il ne vise pas à procurer à court terme un gain résultant d’une évolution des taux de change ; qu’elle rappelle qu’en tant qu’établissement prêteur, elle ne prête pas sur fonds propres mais se refinance sur le marché interbancaire de la devise concernée ; qu’ainsi, pour elle, l’opération est neutre étant rappelé qu’il ne s’agit pas d’une opération de court terme, mais d’une opération s’étalant sur 25 ans ; que la clause de monnaie de compte est assimilable à une indexation, pouvant comporter comme telle un risque de gain ou de perte, mais ne permet pas de qualifier l’opération de spéculative ; qu’elle rappelle également que le décrochage du franc suisse par rapport à l’euro est dû à la crise de la dette souveraine de certains pays de la zone euro (Grèce...), mais n’a rien à voir avec la crise des subprimes ;
Qu’elle fait par ailleurs valoir qu’elle est tenue à un devoir de non-immixtion et n’était pas débitrice d’une obligation de conseil ;
Qu’elle estime d’autre part avoir rempli son obligation d’information par la remise d’une offre de prêt, qui comportait une information complète sur les risques de variation du taux de change et sur le fait qu’un renchérissement du CHF entraînait un allongement de la durée d’amortissement, c’est à dire une augmentation de la contrevaleur en euros du capital restant dû en CHF ; que les époux X. ont bien reçu l’offre et l’ont signée ; qu’elle ajoute que l’offre comportait une notice dans laquelle était simulé l’impact d’une variation du taux d’intérêt ;
Qu’elle convient enfin, qu’à l’égard des emprunteurs non avertis tels que les époux X., elle est certes tenue d’une obligation de mise en garde, mais considère qu’au cas particulier, il n’existait pas de risque d’endettement excessif, au regard de la situation des emprunteurs ; qu’en effet, ceux-ci disposaient de 3.400 euros de revenus mensuels, constitués de pensions de retraite ; qu’ils étaient propriétaires de leur résidence principale et bénéficiaient de placements à hauteur de 100.000 euros ; que leurs charges fixes mensuelles s’élevaient à 834 euros ;
Que le prêt comportait une première phase de 36 mois où le montant des mensualités était de 444,25 euros, avant de passer à 904,87 euros, au moment où le bien était censé procurer un revenu de 400 euros ; qu’ainsi, l’effort mensuel de remboursement n’excédait jamais 500 euros environ ;
Attendu, en premier lieu, qu’en vertu du principe de non-immixtion dans les affaires de son client, le banquier dispensateur de crédit n’est pas tenu d’un devoir de conseil sauf s’il a joué un rôle actif dans l’élaboration du projet et a fourni un conseil inadapté à la situation de son client qu’il connaissait ; qu’en l’espèce, il n’est pas établi une quelconque intervention de la banque dans le choix de l’investissement opéré par les époux X., en sorte qu’il ne peut être reproché à la BNP un manquement à son devoir de conseil ;
Attendu, en deuxième lieu, que pour les raisons précédemment exposées à propos de la possibilité d’examiner la clause de monnaie de compte au regard des règles relatives à l’élimination des clauses abusives dans les contrats conclus par des consommateurs, il y a lieu de constater que les époux X. ont reçu sous la forme de l’offre de prêt et de ses annexes une information complète sur les caractéristiques du prêt consenti, et notamment sur le fait qu’il s’agissait d’un prêt en francs suisses remboursable en euros, dans lequel une variation du taux de change était susceptible d’influer sur la durée d’amortissement et sur le coût du crédit ; que conformément à l’article L 312-8, 2°, ter, du code de la consommation, une notice concernant les conditions et modalités de variation du taux d’intérêt, accompagnée de simulations, était annexée à l’offre ;
Qu’il s’ensuit que la BNP s’est valablement acquittée de son obligation d’information à l’égard des époux X. ;
Attendu, en dernier lieu, que l’établissement bancaire qui consent un crédit est tenu d’une obligation de mise en garde envers l’emprunteur non averti au regard des capacités financières de celui-ci et du risque de l’endettement né de l’octroi du prêt ; que le manquement à cette obligation ne peut se résoudre qu’en l’octroi de dommages et intérêts ;
Attendu qu’il est constant que les époux X. n’étaient pas des emprunteurs avertis ; que c’est, cependant à juste titre que la BNP fait valoir qu’au regard de leurs revenus, de 3.400 euros par mois, de leur charges mensuelles fixes, de 834 euros, et de l’absence de charges de logement et de l’existence d’un patrimoine mobilier de 100.000 euros, le prêt souscrit, dont la charge mensuelle n’excédait pas 500 euros en prenant en compte les revenus escomptés, ne créait pas un risque d’endettement contre lequel la banque aurait dû les mettre en garde ;
Que le jugement sera, en conséquence infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de la banque et l’a condamnée à des réparations ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Attendu que les époux X., qui succombent dans leurs prétentions, doivent supporter les dépens de première instance et d’appel
Attendu que l’équité justifie d’accorder à la BNP une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement rendu le 12 février 2015 par le tribunal de grande instance de Nice en ce qu’il a condamné la SA BNP Paribas Personal Finance à payer aux époux X. la somme de 60.000 euros et l’a condamnée au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
STATUANT à nouveau,
- DÉBOUTE les époux X. de l’ensemble de leurs demandes ;
- CONDAMNE M. X. et Mme X. à payer à SA BNP Paribas Personal Finance la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande des parties,
CONDAMNE M. X. et Mme X. aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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