CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 13 juin 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7623
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 13 juin 2018 : RG n° 18/04602
Publication : Jurica
Extrait : « La fourniture à titre gratuit par la société ByeByeRacines à la société Monoprix de 1.800 unités de produits « ByeByeRacines », sollicitée dès le 16 février 2016 par la société Monoprix auprès de la société ByeByeRacines pour les clients de sa « Box Beauté », à savoir un échantillonnage destiné à faire connaître chacune de ses références, constitue un avantage au sens de l'article précité. Si cet avantage a été convenu entre les parties, sans avoir été imposé à la société ByeByeRacines, cette condition n'est pas requise pour appliquer l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce.
Or, cet avantage s'avère disproportionné, tant par rapport aux ventes effectuées en 2015 dans les Beauty Monop, que par rapport aux achats de la société Monoprix auprès de la société BBR en 2016. Cette opération de promotion portant sur 1.800 produits était d'une très grande ampleur pour la société BBR et a engendré pour elle un coût important de 24.200 euros, équivalent à 85 % des ventes réalisées en 2015 dans le réseau d'enseigne « Beauty Monop » (Pièce n°12 : Bon de livraison des 1.800 unités de produits). Pour une entreprise qui avait vendu 2.107 unités sur l'année 2015, soit seulement 400 unités de plus, cette participation ne pouvait se justifier que dans la perspective de la réalisation des prévisionnels visés plus haut en 2016 ; en effet, même s'il n'est pas démontré que la société Monoprix s'était engagée à acheter les 350 000 unités, la société ByeByeRacines ne pouvait s'attendre à une commandes de seulement 11.112 pièces en 2016.
La société Monoprix a donc bénéficié en 2016 de près de 14 % des produits livrés par la société ByeBye Racines à titre gratuit : il s'agit donc d'un avantage disproportionné. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 13 JUIN 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/04602 (12 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 février 2018 - Tribunal de Commerce de PARIS – R.G. n° 2017062553.
APPELANTS :
- SAS BYEBYERACINES
Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : XXX (PARIS), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
- Maître Michel C., ès qualités d'administrateur judiciaire de la SAS BYEBYERACINES
(N° SIRET : YYY - PARIS), désigné à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de PARIS en date du 22 août 2017, Exerçant ses fonctions : [adresse]
- SELAFA MJA, ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS BYEBYERACINES
(N° SIRET : ZZZ - PARIS), désigné à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de PARIS en date du 22 août 2017, Exerçant ses fonctions : [adresse]
Représentés par Maître Pascal W. de la SELAS W. & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024
INTIMÉE :
SAS MONOPRIX
Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : WWW (NANTERRE), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Patricia H. de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, Ayant pour avocat plaidant : Maître Jean-Marie G. de l'AARPI G. & B. Avocats Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R007
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 9 mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur, Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société ByeByeRacines, ci-après « BBR », société spécialisée dans le commerce de gros (commerce interentreprises) de parfumerie et de produits de beauté, créée en janvier 2014, a mis au point un produit de coloration éphémère visant à maquiller les racines et cheveux blancs sous quatre références.
Présentées comme innovantes, les qualités propres à ce produit lui ont valu, au moins dans un premier temps, un certain succès commercial tant en France qu'à l'étranger.
Dès le mois de juin 2015, la société BBR a entamé ses relations commerciales avec la société Monoprix en commercialisant ses produits au sein de dix points de vente cosmétiques « Beauty Monop », une des enseignes de la société Monop Beauty, du groupe Monoprix, qui distribue exclusivement des produits de beauté. Elle a réalisé de juin à décembre 2015 un chiffre d'affaires de 31.140 euros (30 produits en moyenne par mois par point de vente).
Considérant l'intérêt que pouvait susciter le produit auprès du public, une réunion s'est tenue le 7 janvier 2016 entre M. X., responsable des achats de parapharmacie auprès du groupe Monoprix, et M. Y., conseiller commercial de la société BBR, afin d'examiner la possibilité d'étendre la vente du produit aux rayons de parapharmacie présents dans 98 magasins de l'enseigne « Monoprix ».
Dans le prolongement de cet entretien, le 13 janvier 2016, la société BBR a communiqué à Monoprix une proposition commerciale du 12 janvier 2016 reprenant les termes de la réunion qui s'était déroulée le 7 janvier 2016. Il y était fait état d'un « potentiel Monoprix » annuel sur 100 parapharmacies de 372 000 unités (soit 310 produits par point de vente x 12 mois x 100).
Par message électronique des 18 et 25 janvier 2016, la société BBR, alors dans l'attente d'un retour de la société Monoprix, a relancé son interlocuteur et lui a demandé à cette occasion « la quantité d'implantation sans engagement de votre part », l'estimation des quantités pour la commande d'implantation, la couverture de stock, la fréquence des commandes centralisées (courriel du 18) et une « estimation annuelle de la volumétrie » (courriel du 25).
Par message électronique du 5 février 2016, la société Monoprix a adressé « son retour à la proposition de BBR » en ces termes :
« - introduction de la marque chez Monoprix à partir du mois de mars 2016 dans 98 magasins en additionnels de Beauty (i.e. : Beauty Monop),
- passage en commande entrepôt 3 % (il faudra nous envoyer les éléments ci-joints pour que notre approvisionneur puisse commander les produits)
- partenariat 5 % : que mettiez-vous dans cette ligne « Nous pouvons y inclure les statistiques, la PLV (mais sur 40 cm nous n'avons pas plus de linéaire en 2016) et les podiums
- 4 % additionnel meuble stockeur : à date, je ne peux pas vous garantir la possibilité d'implanter 50 meubles dans nos magasins ».
Aux termes de sa réponse du 8 février 2016, le représentant de la société BBR a confirmé l'énoncé des quatre points évoqués par Monoprix, tout en y apportant les compléments d'information sollicités et a relancé Monoprix sur la commande d'implantation, les fréquences et les modes de réassort.
Il n'est pas contesté que la société BBR ait alors lancé la fabrication de 150.000 unités de produits.
Le 16 février 2016, la société Monoprix a demandé à la société BBR la livraison de 1.800 unités de produits pour sa « Box Beauté », soit pour une valeur de 26.000 euros (85 % du chiffre d'affaires de 2015).
Le 29 février 2016, il était conclu entre les parties un contrat-cadre intitulé « accord commercial cadre Monoprix 2016 « Parapharmacie ». Sous la rubrique « remise et ristournes » figuraient les termes suivants : « CA prévisionnel annuel sans engagement d'objectif : 100.000 euros ».
La première commande de Monoprix a été effectuée le 12 avril 2016, soit 8.064 unités pour un prix de 117.573 euros HT. Livrée dans les entrepôts de Monoprix le 18 avril, la commande n'était toujours pas dans les magasins le 16 mai 2016.
Le 22 juin 2016, la société Monoprix a proposé le référencement du produit sur 36 nouveaux points de vente « beauty room », proposition acceptée par la société BBR le 23.
Arguant de retards dans le lancement du produit dans les magasins Monoprix, la société BBR a négocié, en août 2016, un prêt de 120.000,00 euros pour une durée de 24 mois à un taux de 3,16 % avec son établissement bancaire.
Au cours d'une réunion du 6 octobre 2016, la société BBR a constaté que « le sell-out n'est pas du tout à la hauteur des prévisions initiales », le « forecast » (les prévisions initiales), équivalentes à 10 fois le potentiel des Monop Beauty, s'avérant très lointain des ventes effectives constatées.
Le 28 octobre 2016, la société BBR a fait état de sa situation financière déséquilibrée, de l'exclusivité octroyée selon elle à la société Monoprix et d'un besoin urgent que celle-ci lui passe une commande immédiate de 140.000 euros, pour sauver la société.
Au total, 11.112 pièces ont été vendues en 2016 à la société Monoprix, représentant un chiffre d'affaires de 158.548 euros.
Le 28 février 2017, la société Monoprix a adressé à la société BBR le contrat-cadre correspondant au nouvel exercice, lequel, contrairement au précédent, n'a jamais été retourné signé par cette dernière.
Le 10 avril 2017, la société Monoprix aurait cessé de s'approvisionner auprès de la société BBR. Les commandes régularisées en 2017 ont porté sur 1.656 unités.
Le 22 août 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société BBR, nommant Maître C. en qualité d'administrateur judiciaire et la Selafa MJA, prise en la personne de Maître Frédérique L., en qualité de mandataire judiciaire de la société BBR, fixant la date de cessation des paiements de la société BBR au 17 juillet 2017.
Compte tenu de l'urgence de la situation dans laquelle elle se trouvait, la société BBR a été autorisée, par ordonnance du 25 octobre 2017 du président du tribunal de commerce de Paris, à assigner la société Monoprix à bref délai.
Par jugement du 13 février 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société BBR, Maître Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L. ès-qualités de mandataire judiciaire de la société BBR de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné in solidum la société Monoprix BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de BBR à payer à la société Monoprix la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; en déboutant pour le surplus,
- condamné in solidum la société BBR, Michel C. ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L. ès-qualités de mandataire judiciaire de la société BBR aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 122,83 euros dont 20,26 euros de TVA.
LA COUR
Vu l'appel interjeté par la société BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR, et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de BBR, à l'encontre du jugement entrepris,
Vu l'ordonnance autorisant les appelants à assigner à jour fixe,
Vu les dernières conclusions de la société BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de BBR, appelants, déposées et notifiées le 12 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire que les demandes de la société Bye Bye Racines, Maître C. ès-qualités et la SELAFA MJA, ès-qualités sont recevables et bien fondées,
y faisant droit,
- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement déféré,
et statuant à nouveau,
- dire que la société Monoprix a manqué à ses obligations contractuelles,
- dire que la société Monoprix a commis des pratiques restrictives de concurrence en s'étant procuré un avantage injustifié auprès de la société BBR et en ayant, in fine, rompu brutalement ses relations commerciales avec cette dernière,
- condamner la société Monoprix à payer à la société BBR la somme de 557.966,89 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des pertes éprouvées par la société BBR,
- condamner la société Monoprix à payer à la société BBR la somme de 3.079.374,30 euros ou la somme de 1.060.681,24 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du gain manqué,
- condamner la société Monoprix à payer à la société BBR la somme de 100.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'image subi,
- condamner la société Monoprix à payer à la société BBR la somme de 26.244,00 euros au titre de l'avantage indument perçu,
- condamner la société Monoprix à payer à la société BBR à la somme de 54.952,51 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales,
en tout état de cause,
- condamner la société Monoprix à verser la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Monoprix aux entiers dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions de la société Monoprix, intimée, déposées et notifiées le 27 avril 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire la société BBR, Maître C. ès-qualités et la SELAFA MJA ès-qualités mal fondés en leur appel du jugement susvisé.
en conséquence,
- les débouter purement et simplement de toutes leurs demandes,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
y ajoutant,
- condamner in solidum la société BBR, Maître C., ès-qualités et la société MJA ès-qualités au paiement de la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés directement par Maître Patricia H. ‘SELARL 2H AVOCATS et ce, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Sur le prétendu manquement de la société Monoprix à ses obligations contractuelles :
Les appelants soutiennent que la proposition commerciale de la société BBR du 12 janvier 2016 constituait une offre ferme, en ce qu'elle ne contenait aucune réserve, et une offre suffisamment précise, comportant tous les éléments essentiels du futur contrat. Ils considèrent que Monoprix a, sans équivoque et de manière expresse, donné son acceptation à l'offre de la société BBR et notamment, sur un engagement d'acheter 372.000 unités du produit de BBR. Enfin, les appelants exposent qu'étant inséré dans un paragraphe intitulé « remise et ristournes » de l'accord commercial cadre du 29 février 2016, le montant de 100.000 euros ne concernerait pas le volume des commandes, mais ne viserait qu'à déterminer « le seuil de déclenchement des remises et ristournes accordées ».
L'intimée réplique, d'une part, que le chiffre de 372.000 unités ne constituait que l'évaluation, par la société BBR, du potentiel de ventes des magasins Monoprix, et en aucun cas un objectif contractuel de vente et, d'autre part, qu'à supposer même que les projections de M. D. contenues dans son message du 13 janvier 2016 puissent s'analyser comme une offre ferme de BBR, ce qui n'était pas le cas, elle-même ne l'a jamais acceptée, la réponse adressée le 5 février 2016 par le représentant de Monoprix ne se présentant pas comme l'acceptation pure et simple de la proposition de la société BBR, mais, selon le terme employé, comme un « retour ». La preuve de l'absence d'engagement de la société Monoprix résulte d'ailleurs des nombreuses relances de la société BBR au sujet du volume des commandes de Monoprix à venir. Enfin, l'intimée affirme que le contrat-cadre du 29 février 2016 précise, au titre des conditions de l'année 2016, un « CA prévisionnel sans engagement d'objectif » de 100.000 euros.
Ni l'accord-commercial de 2015, ni celui de 2016 ne contiennent de dispositions relatives à un engagement d'achat minimum de la société Monoprix auprès de la société BBR.
Le 29 février 2016, il était conclu entre les parties un contrat-cadre intitulé « accord commercial cadre MONOPRIX 2016 « Parapharmacie ». Outre les conditions commerciales déjà négociées entre les parties, le contrat mentionne au titre des « conditions 2016 » : « CA prévisionnel sans engagement d'objectif : 100.000 euros ». Il est donc clair qu'aucun engagement de volume de commandes n'y figure (pièce Monoprix n° 9). La circonstance que cette phrase figure sous la rubrique « remise » ne permet pas de déduire, comme le fait la société appelante, que ce chiffre d'affaires ne se réfère qu'à un seuil de déclenchement des remises.
Nonobstant l'absence de matérialisation dans un contrat, un accord de volontés peut également résulter de l'acceptation expresse d'une offre claire.
Or, en l'espèce, le courrier du 12 janvier 2016, qui constituerait l'offre de la société ByeByeRacines ne mentionne aucune obligation d'achat minimale à la charge de Monoprix. Ainsi donc, elle ne constitue pas une offre claire faite à Monoprix de s'engager sur ce point.
Par ce courrier, M. D. faisait en effet parvenir à M. Z. une « proposition commerciale » datée du 12 janvier et ainsi annoncée : « Suite à notre rencontre du jeudi 7 janvier dernier, nous vous adressons notre proposition commerciale pour la présence de la marque BYE BYE RACINES au sein des parapharmacies de l'enseigne MONOPRIX ». Il s'en suivait plusieurs rubriques, puis un paragraphe :
« POTENTIEL (c'est la cour qui souligne)
Nous avons bien noté que le potentiel (idem) d'une parapharmacie est en moyenne 10 fois supérieur à celui d'un Monop Beauty. Au regard des échanges statistiques que nous avons avec Monop Beauty, nous avons calculé une vente moyenne mensuelle de 31 produits par point de vente, sachant que les performances mensuelles sont en augmentation.
Potentiel (idem) annuel sur 100 parapharmacies MONOPRIX, en 2016, introduction de la marque en mars
310 produits
10 mois de vente 310 x 12 = 3.720 produits par vente, soit 372.000 unités sur l'année 2016
2 mois de stock
Pour calibrer la commande d'implantation, voici la répartition des ventes selon les teintes de notre marque : Blond clair
Blond foncé 20 %
Châtain clair 30 %
Châtain foncé 40 % ».
Ce terme de « potentiel » se démarque clairement de celui d'objectifs. Il s'agissait donc d'une évaluation reposant sur une simple probabilité, fondée sur le fait qu'en terme de résultat, les ventes en parapharmacie sont « en moyenne » 10 fois supérieures à celles d'un MONOP BEAUTY.
Cette proposition commerciale ne saurait donc constituer une offre d'engagement de la société Monoprix sur l'achat de 350.000 unités.
Les réponses de Monoprix, qui portent sur trois points de ce courrier, ne sauraient davantage constituer un acquiescement à une clause inexistante de cette offre de contracter.
En effet, selon un courriel du 5 février 2016, M. Z. (pièce Monoprix n° 6) a adressé son « retour suite à (la) proposition du 12 janvier dernier ». Sans autres engagements de sa part, sa réponse se limitait aux quatre points suivants expressément mentionnés :
« - introduction de la marque chez MONOPRIX à partir du (mois de) mars 2016 dans 98 magasins en additionnels de BEAUTY (i.e. : BEAUTY MONOP)
- Passage en commande entrepôt 3 % (il faudra nous envoyer les éléments ci-joints pour que notre approvisionneur puisse commander les produits)
- Partenariat 5 % : que mettiez-vous dans cette ligne « Nous pouvons y inclure les statistiques, la PLV (mais sur 40 cm nous n'avons pas plus de linéaire en 2016) et les podiums
- 4 % additionnel meuble stockeur : à date, je ne peux pas vous garantir la possibilité d'implanter 50 meubles dans nos magasins ».
Aucune mention n'y était faite d'un objectif d'achat de 350.000 unités. Ce courrier ne peut donc valoir acceptation d'une offre de s'engager sur ce point.
La circonstance que la relation commerciale se soit engagée entre les parties ne saurait davantage valoir approbation tacite de cette clause inexistante.
Au contraire, il résulte de courriers versés aux débats que la société BBR a demandé à plusieurs reprises à la société Monoprix de lui indiquer le montant de sa première commande.
Aux termes de sa réponse du 8 février suivant (pièce Monoprix n° 7), le représentant de BBR a confirmé l'énoncé des quatre points évoqués tout en y apportant les compléments d'information sollicités. Mais surtout, Monoprix n'ayant toujours pas pris position sur la définition de ses besoins, M. D. revenait sur la question des volumes susceptibles d'être commandés : « nous avons besoin en urgence de votre commande d'implantation pour vous réserver les quantités sur les chaînes de fabrication. Pouvez-vous aussi nous communiquer les fréquences et modes de réassort ».
Cette question a encore été réitérée le 11 février 2016 (pièce n° 8 de Monoprix).
La société BBR ne peut faire valoir qu'elle ne se serait pas engagée sans cet engagement de la société Monoprix, car elle doit rapporter la preuve de celui-ci et non la déduire d'une présomption.
De même, la circonstance que M. Z., responsable des achats chez Monoprix n'ait jamais démenti par écrit l'existence d'un accord de Monoprix sur le volume de la commande 2016 ne saurait permettre d'en inférer qu'il se considérait lié par un engagement de volume, alors que le chiffre de 350 000 lui était présenté comme seulement « prévisionnel ». Tout au plus aurait-il pu appeler l'attention de la société BBR sur le caractère irréaliste de cette prévision.
En conclusion, il convient d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont estimé que la société BBR n'apportait pas la preuve qui lui incombe de l'obligation d'acheter les 372.000 unités dont elle demande l'exécution.
Sur les pratiques restrictives de concurrence :
Sur l'obtention par Monoprix d'un avantage injustifié :
Les appelants soutiennent que la participation du fournisseur à une opération commerciale du distributeur doit lui procurer une contrepartie proportionnée à la somme investie et ne doit pas être l'expression d'un avantage que le distributeur s'est assuré fautivement (CA Rennes, du 26 oct. 2007 : RG n° 07/00244), de sorte que la victime d'une telle pratique n'a pas à prouver que l'avantage obtenu par son partenaire commercial lui a été imposé. Ils en concluent que la participation de la société BBR à la « Beauty Box » de Monoprix, qui a nécessité la remise à titre gratuit de 1.800 unités de produits « ByeByeRacines », alors que Monoprix n'a effectué qu'une commande de 11.112 pièces en 2016, a procuré au distributeur un avantage fautif. Selon eux, l'avantage apparaît totalement disproportionné puisqu'au total, sur l'année 2016, ce seront 12.912 unités de produits qui auront été livrées à Monoprix en 2016, dont près de 14 % d'entre elles à titre gratuit.
L'intimée réplique qu'il résulte des correspondances produites que, résolument confiante dans le potentiel commercial d'un produit considéré comme innovant, la société BBR a sollicité elle-même sa participation à la diffusion des « Beauty Box ». Elle ajoute qu'il est constant que le caractère proportionné de l'investissement publicitaire ne saurait s'apprécier au regard d'un volume de commandes que, par définition, le lancement d'un produit et l'aléa des ventes en résultant ne permettaient pas de connaître.
[*]
L'article L. 442-6-I-1° du code de commerce dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 1° d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial, un avantage quelconque ne correspondant pas à aucun service commercial 11effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale (…) ».
La fourniture à titre gratuit par la société ByeByeRacines à la société Monoprix de 1.800 unités de produits « ByeByeRacines », sollicitée dès le 16 février 2016 par la société Monoprix auprès de la société ByeByeRacines pour les clients de sa « Box Beauté », à savoir un échantillonnage destiné à faire connaître chacune de ses références, constitue un avantage au sens de l'article précité.
Si cet avantage a été convenu entre les parties, sans avoir été imposé à la société ByeByeRacines, cette condition n'est pas requise pour appliquer l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce.
Or, cet avantage s'avère disproportionné, tant par rapport aux ventes effectuées en 2015 dans les Beauty Monop, que par rapport aux achats de la société Monoprix auprès de la société BBR en 2016.
Cette opération de promotion portant sur 1.800 produits était d'une très grande ampleur pour la société BBR et a engendré pour elle un coût important de 24.200 euros, équivalent à 85 % des ventes réalisées en 2015 dans le réseau d'enseigne « Beauty Monop » (Pièce n°12 : Bon de livraison des 1.800 unités de produits). Pour une entreprise qui avait vendu 2.107 unités sur l'année 2015, soit seulement 400 unités de plus, cette participation ne pouvait se justifier que dans la perspective de la réalisation des prévisionnels visés plus haut en 2016 ; en effet, même s'il n'est pas démontré que la société Monoprix s'était engagée à acheter les 350 000 unités, la société ByeByeRacines ne pouvait s'attendre à une commandes de seulement 11.112 pièces en 2016.
La société Monoprix a donc bénéficié en 2016 de près de 14 % des produits livrés par la société ByeBye Racines à titre gratuit : il s'agit donc d'un avantage disproportionné.
Si la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé par le distributeur sur le ou les produits concernés par une action de coopération commerciale pendant la période de référence au regard de l'avantage qui lui a été consenti ou l'absence de progression significative des ventes pendant cette période de référence ne peuvent à elles seules constituer la preuve de la disproportion manifeste, le distributeur n'ayant qu'une obligation de moyen, elles peuvent constituer des éléments d'appréciation de cette disproportion manifeste, à conforter par d'autres indices.
Ces indices sont constitués, en l'espèce, d'une part, par le contexte de l'accord commercial de 2016 et l'absence de réponse de la société Monoprix sur les quantités à commander, malgré les demandes réitérées du fournisseur, qui a pu se croire conforté dans son prévisionnel par le silence du distributeur et, d'autre part, par les chiffres réalisés en 2015.
Le tribunal a comparé, pour déterminer la disproportion, le coût de l'avantage pour la société ByeBye Racines au regard du coût de revient des produits remis à titre gratuit, 5 fois moins élevé que ses prix « au vu de la marge de 80 % avancée par BBR elle-même ». Mais cette comparaison n'est pas pertinente, car il y a lieu de comparer le coût de l'avantage consenti par la société BBR, au bénéfice commercial qu'elle en a retiré, soit de confronter le prix de vente des produits qu'elle a délivrés à titre gratuit à Monoprix, et qu'elle aurait pu vendre à titre onéreux, et son chiffre d'affaires réalisé avec Monoprix en 2016.
Il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société Monoprix n'a pas bénéficié d'un avantage manifestement disproportionné.
Le montant des produits remis à titre gratuit à Monoprix et constituant un avantage disproportionné au profit de cette dernière s'élève à 26.244 euros. Une part de ces produits ayant nécessairement servi à améliorer la distribution des produits ByeByeRacines, il y a lieu de condamner la société Monoprix à payer à la société BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de BBR, la somme correspondant à cette disproportion, que la cour évalue à 20 000 euros.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :
Les appelants soutiennent qu'une relation commerciale de deux ans et demi peut être considérée comme une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, dès lors qu'il peut s'en inférer une perspective de durée (CA Paris, du 7 juin 2017, RG n° 14/22917). Ils considèrent que les relations entretenues entre les sociétés BBR et Monoprix étaient stables, pérennes et continues entre le mois de juin 2015 et le mois d'avril 2017, de sorte que ces relations constituaient des relations commerciales établies. Ils soulignent que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal de commerce de Paris dans le jugement déféré, les contrats-cadres ont bien été signés en 2015 et en 2016 par la société BBR avec la même entité, la société Monoprix, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro XXX et que, depuis le mois d'avril 2017, Monoprix a cessé, sans préavis, de passer des commandes auprès de la société BBR, de sorte que la rupture apparaît comme brutale. Au regard de l'exclusivité et des tarifs particulièrement attractifs accompagnés de participations publicitaires substantielles, consentis à Monoprix au cours de l'année 2016 en application de l'accord du 5 février 2016, ainsi que de la relation commerciale établie de deux années que la société BBR entretenait avec elle, les appelants évaluent à 6 mois minimum le préavis que Monoprix aurait dû respecter.
L'intimée réplique que les conditions d'application de l'article L.442-6-I-5° du code de commerce ne sont pas remplies.
La société Monoprix soutient en premier lieu que l'accord-cadre produit par la société BBR pour 2015, daté du 4 avril 2015, a été établi « pour le compte des sociétés appartenant au Groupe Monoprix », c'est-à-dire, au cas particulier, dans l'intérêt de la filiale « Monop’Beauty », elle-même non présente à la cause, de sorte que les ventes réalisées pour le compte des magasins « Monoprix » n'ont débuté qu'au mois de février 2016, soit dans le prolongement de l'accord-cadre du 29 février 2016. Elle souligne qu'à supposer même que la relation commerciale à prendre en compte ait pu débuter au second semestre 2015 et non en 2016, il n'en est pas moins certain que le produit « Bye Bye Racines », de conception récente, ne se trouvait qu'en phase de lancement sans qu'il soit possible d'en anticiper le développement commercial. La société BBR ne pouvait donc se prévaloir que d'une relation brève, ponctuelle et aléatoire. L'intimée réplique en deuxième lieu que l'existence d'une rupture n'est pas davantage démontrée puisque lorsqu'aucune obligation de garantir un volume de commande minimum n'a été prévue entre les parties, la diminution, même significative, des commandes est insuffisante à caractériser une rupture partielle des relations commerciales (CA Paris, du 29 octobre 2014 ), dès lors que la conjoncture ne permettait plus le maintien d'un quelconque niveau de commande (Cass. com. du 8 nov. 2017, n° 16-15585). Elle ajoute enfin qu'elle a fait parvenir à la société BBR un accord-cadre pour l'année 2017, lequel, s'il n'a pas été retourné signé par cette dernière, témoigne de sa volonté de maintenir la relation, que le produit BBR est toujours offert à la vente dans les parapharmacies de la société Monoprix, et que le faible niveau des commandes sur la période récente s'explique par le fait que le produit ne se vend pas ou peu et qu'elle dispose encore en stock d'une quantité importante d'unités invendues.
Si, aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels », la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, « les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
Les parties s'opposent sur l'existence de relations commerciales établies, sur la réalité et la brutalité de la rupture.
Si l'accord-cadre produit par la société BBR pour 2015, daté du 4 avril 2015, a été établi «pour le compte des sociétés appartenant au Groupe Monoprix », il en résulte que la société Monoprix était concernée par cet accord, de sorte que l'accord-cadre de février 2016 s'inscrit dans son prolongement.
Toutefois, les premiers juges ont à juste titre relevé que le produit « Bye Bye Racines », de conception récente, ne se trouvait qu'en phase de lancement, sans qu'il soit possible d'en anticiper le développement commercial et, qu'ainsi, la relation, loin d'être établie, était encore affectée d'un aléa. De plus, les flux vendus en 2015 et en 2016 ne représentent qu'un volume très faible.
La société BBR ne pouvait donc se prévaloir que d'une relation brève, ponctuelle et aléatoire.
Faute d'établir le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, la société BBR sera donc déboutée de sa demande au titre de la rupture brutale.
Il y a lieu de rappeler de manière surabondante que la société Monoprix n'a pas déréférencé la société ByeByeRacines et n'a pas rompu les relations, ses produits étant encore exposés dans les parapharmacies de Monoprix, de sorte que seule une baisse des commandes pourrait lui être reprochée, de nature à caractériser une rupture brutale partielle. Or, il est constant que lorsqu'aucune obligation de garantir un volume de commande minimum n'a été prévue entre les parties, la diminution, même significative, des commandes est insuffisante en soi à caractériser une rupture partielle des relations commerciales, dès lors que la conjoncture ne permet plus le maintien d'un quelconque niveau de commande.
Or, la société Monoprix justifie le faible niveau des commandes sur la période récente par la désaffection des consommateurs pour le produit, et par le fait qu'elle dispose en stock d'une quantité importante d'unités (9.105 pièces à la date du 31 mars 2018), de nature à satisfaire jusqu'à ce jour et pour les prochains mois l'essentiel des besoins de sa clientèle (pièces Monoprix n° 22-a et 22-b).
Sur les dépens et frais irrépétibles :
La société Monoprix succombant, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel. Elle sera également condamnée à payer à la société BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de la société BBR, la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur la pratique restrictive d'avantage disproportionné ;
L'INFIRME sur ce point ;
et, statuant à nouveau ;
CONDAMNE la société Monoprix à payer à la société ByeByeRacines la somme de 20.000 euros en réparation de la violation de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce ;
CONDAMNE la société Monoprix aux dépens de l'instance d'appel ;
CONDAMNE la société Monoprix à payer à la société BBR, Michel C., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société BBR et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Frédérique L., ès-qualités de mandataire judiciaire de la société BBR, la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier La Présidente
Cécile PENG Irène LUC
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