CA RENNES (2e ch.), 24 mai 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7829
CA RENNES (2e ch.), 24 mai 2019 : RG n° 16/01277 ; arrêt n° 321
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « La Sofiap a prononcé la déchéance du terme en se prévalant de l'article 12 du cahier des charges, partie intégrante de l'offre de prêt du 8 décembre 2011 acceptée le 21 décembre 2011.
Cet article 12 stipule que « Le contrat de prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement et intégralement exigibles sans qu'il soit besoin d'autre formalité qu'une simple notification faite à l'emprunteur, par lettre recommandée avec avis de réception, l'emprunteur ne pouvant opposer aucune exception, pas même celle du paiement des intérêts échus : [...]
c) au gré du prêteur quel que soit le type de prêt, dans l'un ou l'autre des cas suivants :
- [...]
- au cas où le bien financé et/ou donné en garantie serait mal entretenu, subirait une dégradation ou détérioration pour quelque cause que ce soit, et plus généralement au cas où son utilisation comporterait des risques anormaux pour le maintien de la garantie,
- si l'une quelconque des obligations résultant de la présente offre (...) n'était pas remplie par l'emprunteur,
- [...] »
Pour prononcer la déchéance du terme, la Sofiap a adressé aux emprunteurs une lettre recommandée datée du 10 décembre 2012 dont la première page est ci-dessous intégralement reproduite :
« Nous faisons suite à nos visites de chantier des mois d'août et novembre 2012 qui ont révélé plusieurs manquements aux dispositions du cahier des charges.
Aussi, en application desdites dispositions annexées à votre offre de prêt REVISIO, nous nous voyons contraints de prononcer la déchéance du terme dudit contrat et d'exiger le remboursement de l'intégralité des sommes restant dues.
Pour rappel, son article 12 dispose notamment que « le contrat sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement et intégralement exigibles (...) au gré du prêteur en cas de changement de la nature ou de la destination du bien financé et/ou donné en garanti (...) au cas ou le bien financé et/ou donné en garantie serait mal entretenu, subirait une dégradation ou détérioration pour quelque cause que ce soit (...) si l'une quelconque des obligations résultant de la présente offre n'était pas remplie (...) ».
Or, il ressort des éléments aujourd'hui en notre possession que d'une part le bien financé a été détruit partiellement, voir totalement sans que vous ne nous en informiez, et d'autre part que les fonds destinés à la rénovation intérieure du bien initialement financé ont en réalité servi, partiellement ou totalement, à la reconstruction du bien de sorte que le plan de financement initial que vous nous avez soumis et que nous avons accepté de financer ne suffit pas à terminer les travaux de rénovation initialement prévus.
Aussi, à défaut de règlement de la somme de 120 236,56 euros, dont le détail figure ci-dessous, dans le délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception des présentes, nous vous informons que nous serons contraints d'initier une procédure aux fins de saisie immobilière de l'immeuble objet du prêt consenti. »
S'il n'est en l'espèce pas discuté qu'au cours des travaux de rénovation de l'immeuble un mur porteur s'est partiellement effondré, de l'ordre de 10 à 15 % selon les consorts X. et Y., le caractère abusif de la clause précitée a été soulevé d'office par la cour, et les parties invitées à s'exprimer sur ce point par note en délibéré. M. X. et Mme Y., qui fondaient leur action sur la rupture abusive de crédit, en soutiennent le caractère abusif, ce que la Sofiap conteste.
L'article L. 132-1 du code de la consommation, alors applicable et dont les dispositions sont d'ordre public, dispose notamment que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
En outre, la Commission des clauses abusives, par une recommandation n° 04-03 du 27 avril 2004, a considéré que « les clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, dès lors, notamment, que l'emprunteur n'a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt [...] sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où elles tendent à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier [...] l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur ».
En l'espèce, il convient tout d'abord de relever le caractère général de la clause critiquée, qui évoque une dégradation ou détérioration pour quelque cause que ce soit et le manquement à une quelconque des obligations de l'emprunteur, lequel ne pouvant opposer aucune exception. Toute dégradation, même la plus modeste, peut donc conduire à la résiliation du contrat, ce que la Sofiap confirme explicitement dans ses écritures en affirmant que le cahier des charges n'impose pas qu'un niveau de gravité soit rempli pour légitimer la déchéance du terme. Le caractère discrétionnaire de la clause doit ensuite être souligné, laquelle peut être mise en œuvre au gré du prêteur. L’absence de réciprocité doit, enfin, être relevée en ce que la clause est uniquement rédigée au bénéfice du prêteur.
Au regard du caractère général et discrétionnaire de la clause, et de l'absence de réciprocité des prérogatives qu'elle génère, la clause critiquée crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Aussi et en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, il convient de déclarer abusive et non-écrite la clause permettant à la Sofiap de résilier le contrat à son gré, au cas où le bien financé et/ou donné en garantie serait mal entretenu, subirait une dégradation ou détérioration pour quelque cause que ce soit, et sans possibilité pour l'emprunteur d'opposer aucune exception, et d'exiger un paiement immédiat et intégral des sommes prêtées pour tout manquement, même mimine, de l'emprunteur à l'une de ses obligations.
Ce faisant et au regard du caractère abusif de la clause réputée non-écrite sur laquelle la Sofiap s'est fondée pour prononcer la déchéance du terme, la rupture du contrat de prêt est nécessairement intervenue de façon abusive et le jugement dont appel sera infirmé en ce qu'il a dit que la Sofiap n'avait pas commis de faute. »
2/ « La Sofiap contestant toute faute de sa part, elle soutient que les préjudices allégués sont totalement infondés et injustifiés, soulignant avoir même, dans la lettre de déchéance du terme, suggéré des solutions pour les emprunteurs comme la vente du bien ou le refinancement auprès d'un autre établissement de crédit ; néanmoins elle estime que la volonté de souscrire un autre prêt est une décision qui relève du choix des appelants et qu'il leur appartient de prendre à leur charge le remplacement des sûretés réelles consenties à la Sofiap par celles de la Bpa, auprès de laquelle ils ont d'ailleurs obtenu rapidement des conditions d'emprunt plus favorables, et que même dans l'hypothèse où la déchéance du terme n'aurait pas été prononcée, ils auraient dû souscrire un nouveau prêt pour leurs travaux supplémentaires.
Compte tenu du caractère abusif de la rupture du contrat, M. X. et Mme Y. font valoir qu'ils ont subi deux préjudices financiers : l'encaissement indu par la Sofiap de l'indemnité de résiliation d'un montant de 1.925,96 euros et le coût de mainlevée et du remplacement des sûretés réelles initiales, transférées à la BPA, à hauteur de 2.950 euros, ainsi qu'un préjudice moral qu'ils estiment à 30.000 euros chacun.
Peu important le refus de la Sofiap d'accorder un prêt complémentaire aux consorts X. et Y., ceux-ci ont été contraints du fait de la déchéance du terme intempestive de recourir à un autre prêt pour la rembourser, l'immeuble en cours de travaux étant invendable « d'urgence » comme la Sofiap le leur suggérait, l'établissement prêteur se disant par ailleurs « contraint » d'initier une procédure de saisie immobilière à défaut de règlement dans le délai de quinze jours.
Aussi la rupture fautive du contrat de prêt a causé les préjudices financiers qui en sont la conséquence directe et immédiate et il sera fait droit aux demandes des appelants sur ces chefs.
Par ailleurs, la Sofiap aurait refusé le déblocage de la dernière somme de 15.651,61 euros alors même que les échéances mensuelles avaient jusqu'alors été honorées ; en tout état de cause, la déchéance du terme intervenue brutalement dans les conditions déjà exposées a nécessairement occasionné divers désagréments dans la continuation du chantier, ainsi et surtout qu'une anxiété pour les emprunteurs quant à la réussite de leur projet immobilier.
Il sera rappelé à cet égard que la mise en demeure du 10 décembre 2012 énonce clairement la menace d'une saisie immobilière à défaut de paiement sous quinze jours, attire l'attention des emprunteurs sur les désagréments qu'engendre une telle procédure, sur les frais de justice élevés qui seront intégralement à votre charge et sur les publicités légales qui en découlent, puis les invite à procéder d'urgence à la vente amiable de votre bien, solution qui vous sera plus favorable financièrement, et enfin leur suggère à défaut d'effectuer les démarches nécessaires auprès d'un autre organisme de crédit, en vue du rachat de votre dette.
Les consorts X. et Y. ayant effectivement obtenu une offre de la Bpa dès le 18 janvier 2013, leur préjudice moral a en définitive été limité et sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 10.000 euros pour chacun des appelants. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 24 MAI 2019
- 5741 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Conséquences sur l’issue du litige - Droits et obligations du professionnel
- 6622 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Griefs généraux
- 6623 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Nature des manquements
- 6638 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit immobilier - Présentation générale