CA RENNES (1re ch.), 4 juin 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7831
CA RENNES (1re ch.), 4 juin 2019 : RG n° 17/03768 ; arrêt n° 251/2019
Publication : Jurica
Extrait : « Aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (...) »
L'acte de vente du 14 septembre 2011 comprend une clause rédigée ainsi :
« Le VENDEUR devra achever les biens et droits immobiliers, savoir au plus tard le 31DECEMBRE 2012.
Le tout, sauf circonstance d'un cas de force majeure, ou plus généralement d'une cause légitime de suspension du délai de livraison.
Pour l'application de cette disposition, pourraient notamment être considérées comme causes légitimes de suspension dudit délai, sans que cette liste soit exhaustive, les cas suivants :
- les intempéries, suivant constat de l'architecte ou du maître d'œuvre d'exécution
- la grève (…)
- retard provenant d'anomalies du sous-sol (...)
- retard provenant de la défaillance d'une entreprise ;
- les faillites, redressements judiciaires, liquidation judiciaires, dépôts de bilan ou déconfiture des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux, y compris celles sous-traitantes et y compris celle des fournisseurs,
- les retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante, et à l'approvisionnement du chantier par celle-ci.
- la résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ;
- les injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou arrêter les travaux (…)
- l'intervention de la direction des monuments historiques ou autre administration (…)
- les troubles résultant d'hostilités (…)
- les retard imputables aux compagnie concessionnaires (…)
- tous les travaux supplémentaires ou modificatifs que le vendeur aurait accepté de réaliser pour le compte de l'acquéreur
- retards de paiement de l'acquéreur (...)
Ces différentes circonstances auront pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier.
Pour l'appréciation des événements ci-dessus évoqués, les parties d'un commun accord déclarent s’en rapporter dès à présent à un certificat établi sous sa propre responsabilité par l'architecte ou le maître d'œuvre d'exécution du programme (...) »
Cette clause n'est pas au nombre de celles répertoriées aux articles R. 132-1 et R. 132-2 alors applicables, et devenus les articles R. 212-1 et R. 212-2, comme devant être regardées de manière irréfragable comme abusives, ou comme étant présumées abusives sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire. Dès lors, son caractère abusif doit en être apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.
Mme X. soutient que le caractère abusif de la clause résulte de ce que le report du délai de livraison est du double de celui effectivement enregistré. Elle expose que « cette multiplication factice par deux des jours de retard prétendument subis au profit du promoteur, c'est à dire en dehors de toute réalité, est dénuée de toute légitimité » et crée un déséquilibre à son détriment.
Dans son avis n° 17-01 du 29 septembre 2016, la commission des clauses abusives considère que le report de livraison d'un bien acquis en l'état futur d'achèvement d'une durée du double des jours d'intempéries ne présente pas un caractère abusif en ce que :
- le relevé desdits jours est réalisé par un tiers au contrat,
- ce report ne paraît pas, au regard des nécessités de réorganisation d'un chantier, manifestement disproportionné,
- le report ne modifie pas les stipulations ne rendant exigibles les obligations de paiement échelonné des sommes dues par le consommateur qu'au fur et à mesure de l'achèvement des étapes de la construction.
Outre le fait que cet avis ne lie pas le juge, il est relatif uniquement aux intempéries, phénomène qui peut être apprécié avec objectivité. Dans la clause de l'espèce, le doublement du temps est fixé par principe sans distinction des causes alléguées, alors que la liste fait état de multiples causes. Elle n'est pas limitative ainsi que le souligne l'emploi du terme « notamment ». Par ailleurs, l'emploi du conditionnel « pourraient » est de nature à entraîner une confusion dans l'esprit du consommateur qui peut ainsi comprendre que les causes énoncées n'entraîneront pas automatiquement une prorogation du double, en fonction des circonstances dans lesquelles elles surviennent. La cour n'ayant pas la faculté de modifier le sens de la clause en remplaçant le conditionnel «pourraient être considérées» par l'affirmation «sont considérées», il en résulte que pour sa totalité, cette clause contredit la portée d'une obligation essentielle du vendeur d'immeuble en l'état futur d'achèvement de livrer le bien acheté à la date convenue, en limitant par avance, l'indemnisation que l'acquéreur pourrait obtenir d'un retard de livraison, et sans que la portée de cette limitation soit énoncée sans ambiguïté.
Elle crée ainsi, dans sa totalité, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat au détriment du consommateur.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a considérée comme abusive et dit qu'elle sera réputée non écrite. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 4 JUIN 2019
- 5737 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Modalités - Remplacement ou modification
- 5806 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (5) - Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 - Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009
- 5999 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Avis de la Commission des clauses abusives
- 6493 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente d’immeuble à construire (2) - Retards de livraison