CA METZ (1re ch.), 16 octobre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 8130
CA METZ (1re ch.), 16 octobre 2018 : RG n° 17/00987 ; arrêt n° 18/00247
Publication : Jurica
Extrait : « I - Sur la recevabilité des diverses demandes de Monsieur et Madame X. :
* Sur le caractère nouveau de la demande fondée sur une clause abusive : En application de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions des parties ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, la nouvelle demande des époux X., fondée sur le caractère prétendument abusif de la « clause d'indexation » prévoyant qu'ils empruntent des francs suisses remboursables en euros, tend aux mêmes fins que la demande initialement présentée au premier juge, à savoir le remboursement du préjudice subi par M. et Mme X. du fait de l'insertion et de la mise en œuvre d'une telle clause, que ce soit sur le fondement de son caractère abusif, ou sur le fondement du manquement de la banque à un devoir de mise en garde concernant précisément l'existence d'une telle clause très particulière.
Dans ces conditions la demande formée à hauteur d'appel par les époux X., dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que leur demande initiale, ne saurait être considérée comme nouvelle et n'encourt aucune irrecevabilité sur ce point.
* Sur la prescription alléguée de l'action fondée sur le défaut de respect de l'obligation de mise en garde de la banque :
Les époux X., se fondant sur le défaut de respect par la Société BNP PARIBAS Personal Finance de son obligation de mise en garde, concernant tant le prêt souscrit que l'adéquation du contrat d'assurance avec ce prêt, entendent mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de celle-ci pour obtenir des dommages et intérêts.
Selon l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur depuis le 19 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
En application de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, applicable lors de la conclusion du contrat, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent part cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La prescription d'une action en responsabilité court dès lors à compter de la réalisation du dommage, ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu préalablement connaissance.
Par ailleurs, s'agissant d'une action fondée sur le non-respect par la banque de son obligation précontractuelle de mise en garde, le dommage résultant d'un tel non-respect consiste dans la perte de la chance de ne pas contracter, et se manifeste dès la conclusion du contrat, sauf démonstration par l'emprunteur de ce qu'il pouvait légitimement ignorer ce dommage. […]
Dans ces conditions, aucune considération ne justifie qu'une date autre que celle de la conclusion du contrat soit retenue au titre du point de départ du délai de prescription concernant une action en responsabilité contractuelle intentée à l'encontre de la banque pour défaut de respect de son devoir de mise en garde, que ce soit au titre du prêt ou au titre de l'assurance souscrite, à supposer qu'elle ait été tenue sur ce dernier point.
Dès lors il convient de considérer que le point de départ de la prescription quinquennale visée aux articles L. 110-4 du Code de commerce et 2224 du code civil précités, est le 19 juillet 2009 date d'acceptation de l'offre de crédit émise le 7 juillet 2009, de sorte que l'action intentée par les époux X. se trouvait atteinte par la prescription lors de l'assignation délivrée le 3 avril 2015. »
- Sur la prescription alléguée de l'action fondée sur l'existence au contrat d'une clause abusive : Il est constant en application de l'article L. 132-1, alinéa 1er (devenu L. 212-1, alinéa 1er) du code de la consommation, dans sa version en vigueur au jour de l'acte de prêt, que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Toujours selon cet article, « sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre ».
« Les clauses abusives sont réputées non écrites ».
Ces dispositions entrent dans le champ d'application de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.
La Cour de Justice de l'Union Européenne dans son arrêt du 21 novembre 2002 « Cofidis » n° C-473/00, a dit pour droit que « la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l'expiration d'un délai de forclusion de relever, d'office ou à la suite d'une exception de procédure soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat ».
Dans son arrêt du 4 juin 2009, « Pannon », C-243/08, la CJUE a également dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, et que, lorsqu'il considère une telle clause comme abusive il ne l'applique pas sauf si le consommateur s'y oppose.
L'obligation faite au juge national de relever d'office l'existence éventuelle d'une clause abusive, ainsi que la sanction apportée à la présence de celle-ci à savoir son caractère non écrit et le fait que le juge s'abstiendra de l'appliquer, font obstacle à ce qu'un délai de prescription puisse être opposé à l'office du juge.
Partant, un tel délai, dans une action qui tend uniquement à se prévaloir des conséquences de l'existence d'une clause abusive et donc à la voir déclarer non écrite, ne peut davantage être opposé au consommateur.
Il n'y a donc pas lieu en l'espèce de faire application, s'agissant de l'action intentée par les époux X. sur le fondement de la clause abusive, de la prescription quinquennale prévue aux articles L.110-4 et 2224 précédemment cités. L'exception de prescription et l'irrecevabilité en découlant sera donc rejetée. »
II - Au fond : Eu égard à l'irrecevabilité précédemment confirmée, la Cour n'examinera la demande des époux X. qu'au regard de l'allégation du caractère abusif de la clause qualifiée de clause d'indexation.
Il résulte des explications fournies par les emprunteurs qu'ils considèrent en réalité comme abusives les dispositions du contrat prévoyant qu'ils empruntent des francs suisses et remboursent leurs échéances en euros, de sorte qu'ils s'acquittent de la contrevaleur en euros du montant en francs suisses dont ils sont redevables, qu'il s'agisse du capital ou des intérêts, et ce au gré des variations à la hausse ou à la baisse de l'euro par rapport au franc suisse.
Ce faisant, ils critiquent des stipulations contractuelles constituant l'objet même du contrat, et non des dispositions annexes.
Il convient de rappeler qu'aux termes de l'alinéa 7 de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à l'époque de la conclusion du contrat, « l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible »., cette disposition étant la reprise de celle énoncée à l'article 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.
Par arrêt du 20 septembre 2017 (CJUE, affaire C-186/16) la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :
1) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d'« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, couvre une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat. Par conséquent, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible ;
2) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose que, dans le cas des contrats de crédit, les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause. À cet égard, cette exigence implique qu'une clause selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté soit comprise par le consommateur à la fois sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières. Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard ;
3) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle doit être effectuée par référence au moment de la conclusion du contrat concerné, en tenant compte de l'ensemble des circonstances dont le professionnel pouvait avoir connaissance audit moment et qui étaient de nature à influer sur l'exécution ultérieure dudit contrat. Il incombe à la juridiction de renvoi d'évaluer, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire au principal, et en tenant compte notamment de l'expertise et des connaissances du professionnel, en l'occurrence de la banque, en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devise étrangère, l'existence d'un éventuel déséquilibre au sens de ladite disposition.
En outre, dans un arrêt du 20 septembre 2018, affaire C-51/17, la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit que :
3) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause. À cet égard, cette exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières.
4) L'article 4 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'il impose que le caractère clair et compréhensible des clauses contractuelles soit apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entouraient celle-ci, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, nonobstant la circonstance que certaines de ces clauses ont été déclarées ou présumées abusives et, à ce titre, annulées, à un moment ultérieur, par le législateur national.
En l'espèce, et dès lors que la clause, ou plus précisément les stipulations contractuelles, visées par les emprunteurs, portent sur l'objet principal du contrat, ces stipulations ou cette clause ne peuvent être considérées comme abusive, à moins qu'elles n'aient pas été rédigées de façon claire et compréhensible. […]
A l'examen de ces différentes stipulations contractuelles, la Cour ne peut que constater que celles-ci sont complètes, et intelligibles tant au strict point de vue grammatical ou lexical, que dans leur contenu qui, s'il est certes complexe eu égard à la nature même du prêt, n'en reste pas moins compréhensible par l'emprunteur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, ayant recours à ce type d'opération immobilière et de financement immobilier.
Le fait que l'emprunt porte sur des francs suisses, que le montant à rembourser porte sur des francs suisses mais que les versements au titre des remboursement doivent être effectués en euros, est mentionné à plusieurs reprises en diverses occasions des stipulations contractuelles. (« Opérations de change », « remboursement de votre crédit », « Tableau d'amortissement », « informations relatives aux opérations de change qui seront réalisées dans le cadre de la gestion de votre crédit »). Ainsi est-il également expressément expliqué la nécessité de disposer d'un compte interne en francs suisses et d'un compte interne en euros, de même qu'il est expliqué que la variation du taux de change peut entraîner un amortissement plus ou moins rapide du capital prêté, et, compte tenu du caractère fixe de l'échéance payable en euros, un raccourcissement ou au contraire un allongement de la durée du prêt.
Il est expressément indiqué aux emprunteurs que dans cette dernière hypothèse, le rallongement de la durée du prêt, et donc des montants payés, peut aller jusqu'à cinq ans et que la variation du taux de change peut entraîner également des modifications dans le calcul des échéances des années supplémentaires, afin de ne pas dépasser cinq ans de remboursement supplémentaires.
Ces indications sont donc de nature à permettre à l'emprunteur, non seulement de comprendre que la variation du cours de l'euro par rapport au franc suisse va avoir une incidence sur le montant en capital amorti à chaque échéance, mais également de se rendre compte que cette incidence peut être rapidement importante.
En effet le risque inhérent à ce type d'emprunt est explicité par le biais des indications figurant au contrat, et plus concrètement, deux exemples de modification de la durée de remboursement et du coût total du crédit sont donnés dans l'offre préalable de crédit, permettant de se rendre compte de l'ampleur possible des variations des montants dus.
L'examen de ces deux exemples permet ainsi à l'emprunteur de réaliser qu'une baisse de valeur de l'euro par rapport au franc suisse de 0,08 point (de un euro valant 1,5228 francs suisses à un euro valant 1,4428 franc suisse) a déjà à elle seule pour conséquence de faire passer le nombre des échéances de remboursement, hors période de différé, de 288 à 309 mois outre une mensualité de 367,96 euros pour un dernier mois, ce qui représente une différence de (609,28 X 309) ‘(609,28 X 288) = 12.794,88 euros supplémentaires, plus 367,96 euro résiduels.
A l'inverse, une hausse de la valeur de l'euro de 0,08 point fait baisser le nombre d'échéances de remboursement de 288 à 269 plus une résiduelle de 601,52 euros.
Enfin, une baisse de valeur de l'euro de 0,16 point (de 1,6028 francs suisses pour un euro à 1,4428 francs suisses) a pour conséquence de faire passer le coût total du crédit, assurance comprise, de 61.637,50 euros à 85.971,16 euro soit une différence de 24.333,66 euros.
Ces exemples chiffrés illustrent suffisamment qu'une variation de cours pouvant paraître de peu d'importance a immédiatement une répercussion importante sur le montant du capital amorti, sur la durée de remboursement du prêt, et sur le coût total du crédit.
Au vu de ces exemples chiffrés et des indications données dans l'offre et précédemment rappelées, la cour considère que la clause dite « d'indexation » en réalité d'emprunt en franc suisse, et l'ensemble des modalités de remboursement en découlant, est rédigée de façon suffisamment claire, intelligible et détaillée, est illustrée de façon suffisamment concrète, notamment en ce que les exemples donnés permettent de se rendre compte de la réalité et de l'importance des conséquences de la variation de taux, et répond ainsi aux exigences telles qu'elles résultent de la jurisprudence de la CJUE précédemment rappelée.
Elle contient en l'occurrence des informations suffisamment claires et complètes pour qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en particulier eu égard à la nature de l'opération immobilière envisagée, puisse évaluer les conséquences économiques pouvant découler d'une clause d'emprunt de francs suisses sur ses obligations financières.
Dans ces conditions, la clause critiquée apparaissant claire et compréhensible, et dès lors qu'elle concerne l'objet principal du contrat, il n'y a pas lieu de la considérer comme abusive, au sens de la jurisprudence de la CJUE comme de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la signature du contrat. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2018
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