CASS. CIV. 1re, 27 novembre 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8245
CASS. CIV. 1re, 27 novembre 2019 : pourvoi n° 18-19678 ; arrêt n° 998
Publication : Legifrance
Extraits : 1/ « Mais attendu que c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes ambigus du paragraphe 5.3.2 des contrats de prêt stipulant que tout remboursement en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d’assurance auraient lieu dans la devise empruntée, les échéances étant débitées sur tout compte en devises, puis, que la monnaie de paiement était le franc français ou l’euro, enfin, que les échéances seraient débitées sur tout compte en devises, que la cour d’appel a estimé que la devise étrangère était utilisée comme monnaie de paiement, de sorte que les contrats étaient nuls ; que le moyen ne peut être accueilli. »
2/ « Mais attendu, d’une part, qu’ayant estimé que le franc suisse était utilisé comme une monnaie de paiement et non comme une monnaie d’évaluation, de sorte que les trois contrats de prêts étaient entachés de nullité absolue, la cour d’appel a exactement déduit, de ces seuls motifs, que les contrats étaient nuls dans leur ensemble ; Attendu, d’autre part, qu’après avoir justement énoncé que l’annulation de contrats de prêt implique de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces actes, elle a décidé, à bon droit, que les emprunteurs devraient rembourser le montant du capital reçu selon sa valeur à la date des prêts ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 27 NOVEMBRE 2019
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 18-19678. Arrêt n° 998.
DEMANDEUR à la cassation : Caisse de crédit mutuel Mulhouse Saint-Paul
DÉFENDEUR à la cassation : Monsieur et Madame X.
Mme Batut (président), président. SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 16 mai 2018), que, par actes authentiques des 22 mai et 20 octobre 2003, la Caisse de crédit mutuel Mulhouse Saint-Paul (la banque) a consenti à M. et Mme A. (les emprunteurs) trois prêts immobiliers en francs suisses ; qu’invoquant l’irrégularité de ces contrats, les emprunteurs ont assigné la banque, en vue, notamment, de leur annulation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la banque fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande, alors, selon le moyen, que les contrats de prêt litigieux stipulaient : « la monnaie de paiement est l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement » ; qu’il résultait ainsi des termes clairs et précis des contrats de prêt que le paiement en devises n’avait aucun caractère obligatoire pour l’emprunteur, le prêteur ne pouvant refuser un remboursement en euros, lequel remboursement avait un caractère libératoire ; qu’en retenant pourtant que « les emprunteurs n’avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses », la cour d’appel a dénaturé les prêts litigieux, en violation de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Mais attendu que c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes ambigus du paragraphe 5.3.2 des contrats de prêt stipulant que tout remboursement en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d’assurance auraient lieu dans la devise empruntée, les échéances étant débitées sur tout compte en devises, puis, que la monnaie de paiement était le franc français ou l’euro, enfin, que les échéances seraient débitées sur tout compte en devises, que la cour d’appel a estimé que la devise étrangère était utilisée comme monnaie de paiement, de sorte que les contrats étaient nuls ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen :
Attendu que la banque fait grief à l’arrêt de déclarer nuls les contrats et de dire que chacune des parties devra restituer l’intégralité des prestations qu’elle a reçues, alors, selon le moyen :
1°/ que la nullité de clause espèces monnaie étrangère n’entraîne la nullité du prêt en son entier qu’à la condition qu’elle ait été la condition impulsive et déterminante de l’engagement des parties ; qu’en retenant pourtant en l’espèce que les contrats de prêts seraient « nuls en leur ensemble et de façon rétroactive », sans aucunement caractériser en quoi la clause monnaie étrangère aurait été la cause impulsive et déterminante de l’engagement des parties, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1234 du code civil ;
2°/ que la nullité a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement, de sorte que l’emprunteur doit restituer le capital, entendu comme la somme qu’il a reçue ; qu’il n’y a pas lieu de limiter le montant de sa dette de restitution à la valeur qu’avait cette somme au jour de la conclusion du contrat de prêt ; qu’en retenant pourtant que les emprunteurs « devront rembourser le montant des sommes empruntées en francs suisse ou leur contrevaleur en euros, étant précisé que le franc suisse devra être évalué à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision », la cour d’appel a violé l’article 1234 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Mais attendu, d’une part, qu’ayant estimé que le franc suisse était utilisé comme une monnaie de paiement et non comme une monnaie d’évaluation, de sorte que les trois contrats de prêts étaient entachés de nullité absolue, la cour d’appel a exactement déduit, de ces seuls motifs, que les contrats étaient nuls dans leur ensemble ;
Attendu, d’autre part, qu’après avoir justement énoncé que l’annulation de contrats de prêt implique de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces actes, elle a décidé, à bon droit, que les emprunteurs devraient rembourser le montant du capital reçu selon sa valeur à la date des prêts ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse de crédit mutuel Mulhouse Saint-Paul aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. et Mme A. la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Caisse de crédit mutuel Mulhouse Saint-Paul.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Il est fait grief à la décision infirmative attaquée d’avoir déclaré bien fondée l’action en nullité formée par les époux A. des trois contrats de prêt consentis par la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Saint-Paul le 22 mai 2003 et le 20 octobre 2003 ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
aux motifs propres qu’ « au paragraphe 5.3.2 des contrats de prêts, il est indiqué ; « tout remboursement en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d’assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. La monnaie de paiement est le franc français ou l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises(ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur (...) » ; que dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie ; qu’en l’espèce, il est constant que le contrat litigieux est un contrat interne, s’agissant d’un prêt conclu entre des parties toutes domiciliées en France, destinés à financer l’acquisition d’un immeuble situé en France, [...], un appartement situé à [...] et des travaux d’amélioration de cet appartement, dont le capital prêté était mis à disposition en France et dont les remboursements devaient s’effectuer également dans ce pays ; que selon les offres, le crédits portaient sur des sommes en francs suisses et remboursables par des échéances dont le montant mensuel était déterminé en francs suisses et il était ainsi prévu que les remboursements s’effectueront dans la devise figurant dans l’offre ; qu’il en résulte que les échéances du prêt portaient non sur des sommes en euros mais sur la contre-valeur en francs suisses d’une certaine somme d’argent en euros et que le remboursement du prêt tant des échéances qu’à titre anticipé était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères ; qu’il était par ailleurs prévu que si le compte en devises ne présentait pas la provision suffisante au jour de l’échéance, le prêteur était en droit de convertir le montant de l’échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur ; que cette clause confirme que le contrat obligeait au jour de l’échéance à un remboursement en francs suisses ; qu’il ressort de ces éléments que le franc suisse a été utilisé comme monnaie de paiement et que, contrairement à ce que soutient le Crédit Mutuel, les emprunteurs n’avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses ; que la devise étrangère étant utilisée comme monnaie de paiement et non comme monnaie d’évaluation, les trois contrats de prêts sont entachés de nullité absolue » ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
alors que les contrats de prêt litigieux stipulaient : « la monnaie de paiement est l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement » ; qu’il résultait ainsi des termes clairs et précis des contrats de prêt que le paiement en devises n’avait aucun caractère obligatoire pour l’emprunteur, le prêteur ne pouvant refuser un remboursement en euros, lequel remboursement avait un caractère libératoire ; qu’en retenant pourtant que « les emprunteurs n’avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses » (arrêt, p. 7, alinéa 4), la cour d’appel a dénaturé les prêts litigieux, en violation de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Il est fait grief à la décision infirmative attaquée d’avoir déclaré bien fondée l’action en nullité formée par les époux A. des trois contrats de prêt consentis par la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Saint-Paul le 22 mai 2003 et le 20 octobre 2003, d’avoir en conséquence déclaré nuls le contrat de prêt n° [...] d’un montant de 88 000 CHF, le contrat de prêt n° [...] d’un montant de 70 000 CHF, et le contrat de prêt n° [...] d’un montant de 400 000 CHF, d’avoir dit que chacune des parties devra restituer à l’intégralité des prestations qu’elle a reçues, quelque soit la nature et le montant des sommes perçues et remboursées et que notamment les époux A. devront restituer le montant du capital reçu dont la valeur sera celle de la date des prêts, et que le Crédit Mutuel devra restituer aux époux A. l’intégralité des sommes reçues de ceux-ci, ainsi que toutes les commissions qui ont été perçues ;
aux motifs que « la devise étrangère étant utilisée comme monnaie de paiement et non comme monnaie d’évaluation, les trois contrats de prêts sont entachés de nullité absolue ; que les contrats de prêts étant nuls en leur ensemble et de façon rétroactive, ils sont censés n’avoir jamais existé et il ne saurait donc être donné effet à l’une quelconque de ses clauses ; qu’ainsi, la Cour n’appréciera pas les demandes présentées à titre plus subsidiaire sur le caractère abusif des clauses d’indexation et d’intérêts conventionnels et celles présentées à titre encore plus subsidiaire, sur le défaut d’information et de mise en garde du banquier, ni les moyens développés au soutien de ses prétentions, en raison de la nullité des contrats de prêts et de l’effet rétroactif de la nullité ; qu’il appartient au contractant dont la demande de nullité du contrat a été accueillie et qui réclame des dommages et intérêts à l’autre partie de prouver conformément aux règles de la responsabilité extracontractuelle qu’il subit un préjudice spécifique non réparé par l’annulation et la restitution qu’il obtient, étant souligné que la restitution à laquelle il est lui-même condamné en conséquence de l’annulation d’un contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable ; que la nullité ayant un effet rétroactif, elle implique de remettre les parties dans l’état où elles étaient avant l’acte ; qu’elle entraîne donc nécessairement l’obligation pour chacune des parties de restituer l’intégralité des prestations qu’elle a déjà reçues, quelque soit la nature et le montant des sommes perçues ou remboursées ; que Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. soutiennent que le Crédit Mutuel ne peut prétendre au remboursement de l’intégralité des sommes versées aux appelants et qu’ils ne devront restituer que le capital emprunté soit 346 670 euros ; qu’il convient de rappeler que la Cour a déclarée prescrite l’action fondée sur le démarchage illicite et que ce moyen ne peut étayer la demande présentée par Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. ; que par ailleurs, le contrat est annulé en raison de son illicéité sans que son immoralité ait été invoquée et dans ces conditions la caisse de Crédit Mutuel ne perd pas son droit à restitution ; que Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. devront rembourser le montant des sommes empruntées en francs suisse ou leur contre-valeur en euros, étant précisé que le franc suisse devra être évalué à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision ; que le Crédit Mutuel devra restituer à Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. l’intégralité des sommes reçues de Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. et notamment le montant du principal, déjà remboursé, des intérêts versés par Monsieur E... A. et Madame N... B..., épouse A. ainsi que de toutes les commissions qui ont été perçues » ;
alors 1/ que la nullité de clause espèces monnaie étrangère n’entraîne la nullité du prêt en son entier qu’à la condition qu’elle ait été la condition impulsive et déterminante de l’engagement des parties ; qu’en retenant pourtant en l’espèce que les contrats de prêts seraient « nuls en leur ensemble et de façon rétroactive » (arrêt, p. 7, alinéa 6), sans aucunement caractériser en quoi la clause monnaie étrangère aurait été la cause impulsive et déterminante de l’engagement des parties, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1234 du code civil ;
alors et en tout état de cause 2/ que la nullité a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement, de sorte que l’emprunteur doit restituer le capital, entendu comme la somme qu’il a reçue ; qu’il n’y a pas lieu de limiter le montant de sa dette de restitution à la valeur qu’avait cette somme au jour de la conclusion du contrat de prêt ; qu’en retenant pourtant que les époux A. « devront rembourser le montant des sommes empruntées en francs suisse ou leur contrevaleur en euros, étant précisé que le franc suisse devra être évalué à la date de souscription des prêts et non à la date de la présente décision » (arrêt, p. 8, alinéa 4), la cour d’appel a violé l’article 1234 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause.