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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 11 mars 2020

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 11 mars 2020
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 18/17522
Date : 11/03/2020
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8408

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 11 mars 2020 : RG n° 18/17522 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « La société Totem menuiserie se plaint que l'article 3.13 de la convention unique signée en 2015 et renouvelée en 2016 caractérise un déséquilibre significatif à son détriment, en violation des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce. Cette clause prévoit que le distributeur pourra demander au fournisseur le paiement d'une pénalité dont le montant résulte d'un barème et se calcule en pourcentage de la valeur hors taxes des marchandises non livrées, en fonction du « taux de services sur quantité » calculé et transmis périodiquement par le distributeur, représentant le pourcentage de lignes de commandes livrées en conformité avec la quantité commandée.

Toutefois, le jour même de la signature de la convention unique, la société Totem menuiserie a également signé avec le distributeur un avenant, aux termes duquel un certain nombre de clauses ne serait applicable qu'à compter du 15 septembre 2015, au lieu du 1er janvier 2015. Ce report négocié d'applicabilité a porté, notamment, sur les clauses qui permettent à la société Brico Dépôt de demander au fournisseur une indemnisation forfaitaire suivant barème pour : - le non-respect des délais de livraison convenus (3.13 B) ; - le non-respect des quantités convenues, faisant l'objet, précisément, du paragraphe 3.13 C.

La négociation par avenant à l'occasion même de la convention unique prévue par la loi démontre en l'espèce, et en l'absence de toute autre circonstance établissant une pression exercée par la société Brico Dépôt, que la puissance économique prétendue du distributeur n'a pas empêché en l'espèce le fournisseur, qui appartient d'ailleurs à un groupe de sociétés important, de discuter les clauses de la convention unique. Or, rien ne démontre que la société Totem menuiserie ait tenté une discussion pour s'opposer aux mécanismes d'indemnisation forfaitaires proposés par le distributeur.

La Cour estime, en conséquence, que s'agissant de la signature de la clause 3.13 C, la société Totem menuiserie n'a pas été soumise par la puissance économique de la société Brico Dépôt.

C'est pourquoi, en l'absence de soumission, toute demande au titre du déséquilibre significatif doit être nécessairement rejetée. »

2/ « En conséquence, la Cour retient que n'est établie en l'espèce aucune faute de la société Brico Dépôt de nature à avoir privé le fournisseur d'un service commercial effectif en contrepartie de la réduction litigieuse de 5 % sur le chiffre d'affaires ou de nature à avoir rendu ce service commercial manifestement disproportionné à cette réduction.

La Cour retient au contraire que la société Brico Dépôt a mis en œuvre, conformément aux prévisions de la clause de réduction litigieuse, de suffisants moyens ou actions qualitatifs ayant permis de renforcer la visibilité et la pertinence de l'offre du fournisseur, et ayant justifié la participation financière de celui-ci à hauteur de 5 % de son chiffre d'affaires réalisé avec le distributeur. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 11 MARS 2020

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 18/17522 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B6BNX. Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 mai 2018 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2016065475.

 

APPELANTE :

SAS TOTEM MENUISERIE

Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : XXX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Anne G.-B. de la SCP G. B., avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Ayant pour avocat plaidant : Maître Gaël G. D., avocat au barreau de PARIS, toque : E371

 

INTIMÉE :

SASU BRICO DÉPÔT

Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : YYY, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Jeanne B. de la SCP Jeanne B., avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, Ayant pour avocat plaidant : Maître Karine T., avocat au barreau de PARIS, toque : L0003

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 janvier 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère, Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Dominique GILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

Par convention d'approvisionnement signée pour l'année 2015, la société Totem Menuiserie s'est engagée à fournir la société Brico Dépôt en fenêtres en bois exotique.

Par lettre du 26 mars 2015, la société Brico Dépôt a informé la société Totem Menuiserie du lancement d'un appel d'offres pour l'ensemble des prestations de fournies, auquel celle-ci a participé.

Par lettre du 17 novembre 2015, la société Brico Dépôt a informé la société Totem Menuiserie d'un retard dans la procédure d'examen de l'appel d'offres.

Par courriel en date du 2 décembre 2015, la société Brico Dépôt a informé la société Totem Menuiserie que sa candidature n'avait pas été retenue et que la totalité des approvisionnements cesserait au 26 avril 2016.

La société Totem Menuiserie n'ayant pas accepté cette décision, elle a assigné la société Brico Dépôt en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner à celle-ci, à peine d'astreinte, de passer commande de 37.457 fenêtres entre mars et septembre 2016. Par ordonnance du 14 avril 2016, le Président du tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de la société Totem Menuiserie, estimant n'y avoir lieu à référé.

La société Totem menuiserie, qui conteste l'issue de l'appel d'offres et considère avoir dû mettre en production un nombre élevé de fenêtres qui n'ont finalement pas été écoulées, a assigné en responsabilité la société Brico Dépôt, par acte extrajudiciaire du 31 octobre 2016.

C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 28 mai 2018, a :

- débouté la SAS Totem menuiserie de sa demande de communiquer au débat l'intégralité des documents concernant l'offre retenue dans le cadre de l'appel d'offres lancé le 26 mars 2015,

- dit que les relations qui ont lié la SAS Totem menuiserie à la SASU Brico Dépôt, de janvier 2015 au 16 décembre 2015, étaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce,

- dit qu'il n'y a pas eu de rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce,

- débouté la SAS Totem menuiserie de sa demande de la somme de 807.923 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- dit que la SAS Totem menuiserie n'a pas été placée dans une situation de dépendance économique et que les obligations contenues dans la convention unique Brico Dépôt n'ont pas créé de déséquilibre significatif au détriment de la SAS Totem menuiserie

- débouté la SAS Totem menuiserie de sa demande de nullité des clauses 3.13 C de la convention unique,

- dit que les clauses de la convention unique Brico Dépôt 2015 et 2016 relatives au non-respect des quantités convenues et à la réduction spécifique « plan d'affaires », ne sont pas abusives et ne sont pas dépourvues de contreparties, et que la SASU Brico Dépôt n'y a pas manqué,

- débouté la SAS Totem menuiserie de sa demande de remboursement des sommes de 285.160,50 euros majorés de la TVA et 116.841,53 euros majoré de la TVA réglées au titre de la remise spécifique « plan d'affaires » sur les années 2015 et 2016,

- condamné la SAS Totem menuiserie à payer à la SASU Brico Dépôt la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leur demande autres, plus amples ou contraires ;

- ordonné d'office l'exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;

- condamné la SAS Totem menuiserie aux dépens.

[*]

Par dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2020, la société Totem menuiserie, appelante, demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-1° à 5° du code de commerce ;

Vu l'article L. 442-6-III du code de commerce ;

Vu l'article 1134 alinéa 3 ancien du code civil ;

Vu la convention unique Brico Dépôt SASU 2015, renouvelée en 2016, signée avec la société Totem menuiserie SAS ;

Vu la lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 décembre 2015 de la société Brico Dépôt notifiant à la société Totem menuiserie SAS l'arrêt de leur relation avec effet au 26 avril 2016 ;

- réformer le jugement entrepris en son intégralité ;

- en conséquence, statuant à nouveau :

- dire que la société Brico Dépôt SASU a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle a établies avec elle au sens de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce ;

- ordonner à la société Brico Dépôt SASU de communiquer au débat l'intégralité des documents concernant l'offre qu'elle a retenue dans le cadre de l'appel d'offres pour le modèle de fenêtre en bois exotique qu'elle a lancé le 26 mars 2015 avec une décision prévue au 31 juillet 2015 et prorogée au 31 novembre 2015 ;

- dire qu'à défaut de communication de cette offre au débat par la société Brico Dépôt SASU, l'annonce, puis la prorogation de l'appel d'offre, n'ont pas fait courir un délai de préavis au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ;

- condamner la société Brico Dépôt SASU à lui payer la somme de 807.923 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- subsidiairement, si la Cour estime que la relation ne revêt pas un caractère établi au sens de l'article 442-6 du code de commerce :

- condamner la société Brico Dépôt SASU, à raison des manquements de celle-ci à la loyauté et la bonne foi contractuels commis à son préjudice, à lui payer la somme de 807.923 euros ;

- plus subsidiairement :

- condamner la société Brico Dépôt SASU à lui reprendre les produits fabriqués et restés en stock avec le gencod Brico Dépôt, dont la liste est versée au débat sous pièce n° 73, d'une valeur de 2.236.453 euros ;

- en tout état de cause :

- dire qu'elle a été placée dans une situation de dépendance économique et que les obligations contenues dans la convention unique Brico Dépôt ont créé un déséquilibre significatif au détriment de la concluante ;

- dire que les clauses de la convention unique Brico Dépôt 2015 et 2016 relatives au non-respect des quantités convenues et à la réduction spécifique « plan d'affaires » sont abusives et dépourvues de contreparties ;

- en conséquence :

- prononcer la nullité de ces clauses ;

- condamner la société Brico Dépôt SASU à lui rembourser les sommes de 285.160,50 euros outre la TVA et de 116.841,53 € outre TVA, réglées indûment au titre de la remise spécifique « plan d'affaires » sur les années 2015 et 2016 ;

- dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, avec capitalisation année par année dès que les conditions seront réunies ;

- débouter la société Brico Dépôt SASU de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Brico Dépôt SASU à lui payer la somme de 10.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP G. B., conformément à l'article 699 du même code.

[*]

Par dernières conclusions notifiées le 6 janvier 2020, la société Brico Dépôt, demande à la Cour de :

- à titre principal, sur l'absence de faute de Totem menuiserie :

- constater que l'absence de caractère établi des relations entre elle-même et Totem menuiserie fait obstacle à l'application de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce et infirmer sur ce point le jugement entrepris ;

- constater en toute hypothèse que Totem menuiserie a bénéficié d'un préavis suffisant de rupture d'a minima 9 mois ;

- constater qu'elle n'a commis aucune rupture brutale à l'égard de Totem menuiserie ;

- confirmer en conséquence le jugement entrepris et débouter en conséquence Totem menuiserie de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, sur les demandes de Totem menuiserie :

- constater que les demandes d'indemnisation de Totem menuiserie, à titre principal et à titre subsidiaire, sont « totalement fantaisistes » ;

- confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes financières de Totem menuiserie ;

- en toute hypothèse :

- condamner Totem menuiserie à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Totem menuiserie aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

Sur la rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, l'abus, la mauvaise foi et la déloyauté allégués :

Un courriel du 27 novembre 2014 adressé par M. S., de la société Totem menuiseries, à des interlocuteurs de la sociétés Brico Dépôt et à Mme D., directrice générale de la société Totem menuiserie, dresse le compte rendu d'une réunion tenue la veille entre les deux futurs partenaires commerciaux (pièce appelant n° 34).

Il en résulte notamment, à la lumière des autres circonstances de l'espèce, que lors de cette réunion :

- la société Brico Dépôt a indiqué choisir la société Totem menuiseries pour son approvisionnement en fenêtres et portes fenêtres en bois exotique, aux conditions et tarifs précisés dans des courriels (non produits) datant de quelques jours, ce nouveau fournisseur succédant à la société Simpa, placée en liquidation judiciaire par jugement du 30 septembre 2014 ;

- la société Brico Dépôt a expliqué que le prix d'achat était plus cher de 20 % par rapport à son ancien fournisseur, exprimant la crainte de provoquer une baisse des ventes en volume et l'émergence d'une nouvelle concurrence ;

- la société Brico Dépôt a demandé à la société Totem menuiserie de réfléchir à son positionnement en prix pour limiter ce risque ;

- la société Brico Dépôt a demandé à la société Totem menuiserie un planning précis pour la mise en place de la production en bois certifié FSC, une information sur le différentiel de prix induit par cette qualité supérieure de bois, et un échange entre les parties sur le prix FOB d'un châssis ;

- la société Brico Dépôt a dit qu'elle souhaitait visiter courant 2015 l'usine de Manille où se réalise la fabrication des produits, cette usine appartenant à la société Awic du groupe D. ;

- la société Brico Dépôt a annoncé qu'elle ferait « un appel d'offre 2016 » avec les nouvelles caractéristiques des fenêtres conformes aux normes à venir.

Le principe que le renouvellement du partenariat pour l'année 2016 serait soumis à un appel d'offres était donc connu du fournisseur, et celui-ci en a été d'accord lorsqu'il a signé le 15 janvier 2015 la convention unique établie avec le distributeur en application de l'article L. 441-7 du code de commerce, laquelle a pris effet à compter du 1er janvier 2015 et a été stipulée applicable jusqu'au 31 décembre 2015.

Par conséquent, dès avant que la relation commerciale litigieuse ne soit nouée, le fournisseur savait qu'elle était essentiellement précaire.

Le fournisseur n'a donc vu remettre en cause aucune croyance légitime dans la pérennité de cette relation commerciale lorsque, dans le courant du mois de mars 2015 et par lettre du 26 de ce même mois, le distributeur lui a notifié l'organisation de l'appel d'offres.

Or, cette lettre précise qu'elle doit être considérée « comme faisant débuter un préavis d'une durée de 9 mois qui marquera le terme [des] relations commerciales au 26 décembre 2015 ».

Si, par lettre du 17 novembre 2015, la société Brico Dépôt a informé la société Totem menuiserie que la procédure d'appel d'offres n'était pas finalisée, elle a également précisé à cette occasion : « ainsi, dans le cas où vous ne seriez pas retenu, la prise d'effet de l'arrêt de nos approvisionnements interviendra au 26 avril 2016. Le préavis que nous vous avons signifié est donc prolongé de 4 mois, soit un délai préavis total de 13 mois ».

Il résulte de ce qui précède que non seulement la société Totem menuiserie ne peut se prévaloir d'avoir eu avec la société Brico Dépôt des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, d'où il suit que le jugement entrepris doit être réformé sur ce point, mais encore et ainsi que l'ont retenu par ailleurs les premiers juges, que la société Totem menuiserie n'a pas subi de rupture brutale de la relation commerciale litigieuse.

Il se déduit également de ce qui précède que le distributeur, qui était libre d'adapter ses approvisionnements aux nécessités de son commerce, même au préjudice de tout produit fourni par la société Totem menuiserie, ne peut se voir valablement reprocher un abus de rupture pour avoir organisé en l'espèce un appel d'offres portant sur un type de fenêtre spécifique aux caractéristiques différentes de celles concernées par le contrat d'approvisionnement.

Il s'ensuit que les conditions prétendument douteuses et critiquables de l'appel d'offres litigieux, telles qu'alléguées par la société Totem menuiseries, sont sans conséquence en l'espèce s'agissant de la responsabilité de la société Brico Dépôt.

En particulier, il ne peut être tiré aucune conséquence :

- ni de l'absence apparente d'autre candidat déclaré à l'appel d'offres ;

- ni de la prorogation non motivée de la décision d'appel d'offres ;

- ni de l'annonce que la société Totem menuiserie n'était pas retenue, bien que cette annonce ait été concomitante de la négociation de la convention unique pour 2016, étant relevé au demeurant que le distributeur a bien précisé en adressant la convention pour 2016 : « l'envoi de ce contrat ne remet pas en cause la décision de ne pas retenir la société Totem dans le cadre de l'appel d'offres et par conséquent l'arrêt de nos relations au 26 avril 2016 ».

Le caractère frauduleux du recours au préavis pour se soustraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-5° n'est pas établi, non plus que l'abus de droit de la société Brico Dépôt, ni ses prétendus manquements à l'obligation de loyauté et de bonne foi.

La contestation de la procédure d'appel d'offres est mal fondée en l'espèce et la société Totem menuiseries doit être déboutée tant de sa demande en communication de pièces que de ses demandes en dommages-intérêts, principale et subsidiaire, formées à hauteur de 807 923 euros.

La société Totem menuiserie ne fonde pas mieux sa demande en reprise de stock des produits fabriqués avec le gencod de Brico Dépôt et non écoulés, dès lors que nul manquement ou faute de ce distributeur n'est en relation avec la constitution de ce stock.

 

Sur le déséquilibre significatif :

La société Totem menuiserie se plaint que l'article 3.13 de la convention unique signée en 2015 et renouvelée en 2016 caractérise un déséquilibre significatif à son détriment, en violation des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Cette clause prévoit que le distributeur pourra demander au fournisseur le paiement d'une pénalité dont le montant résulte d'un barème et se calcule en pourcentage de la valeur hors taxes des marchandises non livrées, en fonction du "taux de services sur quantité" calculé et transmis périodiquement par le distributeur, représentant le pourcentage de lignes de commandes livrées en conformité avec la quantité commandée.

Toutefois, le jour même de la signature de la convention unique, la société Totem menuiserie a également signé avec le distributeur un avenant, aux termes duquel un certain nombre de clauses ne serait applicable qu'à compter du 15 septembre 2015, au lieu du 1er janvier 2015.

Ce report négocié d'applicabilité a porté, notamment, sur les clauses qui permettent à la société Brico Dépôt de demander au fournisseur une indemnisation forfaitaire suivant barème pour :

- le non-respect des délais de livraison convenus (3.13 B) ;

- le non-respect des quantités convenues, faisant l'objet, précisément, du paragraphe 3.13 C.

La négociation par avenant à l'occasion même de la convention unique prévue par la loi démontre en l'espèce, et en l'absence de toute autre circonstance établissant une pression exercée par la société Brico Dépôt, que la puissance économique prétendue du distributeur n'a pas empêché en l'espèce le fournisseur, qui appartient d'ailleurs à un groupe de sociétés important, de discuter les clauses de la convention unique.

Or, rien ne démontre que la société Totem menuiserie ait tenté une discussion pour s'opposer aux mécanismes d'indemnisation forfaitaires proposés par le distributeur.

La Cour estime, en conséquence, que s'agissant de la signature de la clause 3.13 C, la société Totem menuiserie n'a pas été soumise par la puissance économique de la société Brico Dépôt.

C'est pourquoi, en l'absence de soumission, toute demande au titre du déséquilibre significatif doit être nécessairement rejetée.

 

Sur la demande au titre d'un avantage sans contrepartie :

La société Totem menuiserie se plaint que la réduction de prix de 5 % sur les commandes facturées payable mensuellement, telle que prévue par la clause 2.1.2.1 intitulée « Plan d'affaires » de la convention unique, engage la responsabilité du distributeur au titre des dispositions de l'article L. 442-6-I-1°, en ce qu'elle constituerait un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.

Les parties sont contraires tant sur l'existence des contreparties fournies par le distributeur conformément aux clauses du contrat, que sur le caractère proportionné ou non des montants en cause par rapport aux contreparties alléguées : 285.160,50 euros outre TVA pour 2015 et 116.841,53 euros outre TVA en 2016.

La convention unique prévoit que cette réduction de prix est consentie au distributeur en contrepartie du fait que, dans le cadre du Plan d'affaires établi entre lui-même et le fournisseur, le distributeur « met en œuvre différents moyens et actions qualitatifs permettant de renforcer la visibilité et la pertinence de l'offre du fournisseur, mais également la présentation des produits de celui-ci au sein des linéaires de Brico Dépôt ».

Si le fournisseur affirme désormais que le plan d'affaires a été inexistant et qu'il ne devait pas les sommes acquittées à ce titre, la Cour rappelle que la présente action en responsabilité délictuelle contre la société Brico Dépôt requiert de la société Totem menuiserie de rapporter la preuve que la réduction de prix litigieuse constitue un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.

Le corps de la convention unique (2.1.2.1) donne des exemples de service commercial au titre du plan d'affaires, tout en précisant qu'une telle liste n'est pas limitative, tandis que les annexes de ladite convention, en particulier l'annexe 3, ne précisent pas davantage les actions et moyens mis en œuvre par le distributeur.

Il est mentionné à la clause 2.1.2.1 déjà indiquée de la convention unique que la société Brico Dépôt transmet au fournisseur, à la fréquence et aux conditions définies entre les parties, un fichier contenant les éléments chiffrés « sorties caisses » relatives à la commercialisation de tous les produits du fournisseur, lui permettant d'analyser les performances des magasins Brico Dépôt.

Le fournisseur conteste la réalité de cette contrepartie.

Toutefois, s'il est constant que la société Totem menuiserie n'a jamais bénéficié de ce service commercial, cela ne peut être imputé en l'espèce à la faute du distributeur, qui n'a été saisi, pour la mise en œuvre de cet avantage, que d'une seule demande par le fournisseur, celle-ci ayant toutefois porté sur les chiffres de 2014 (pièce n°7 5 de la société Totem Menuiserie), correspondant à une période antérieure à la prise d'effet de la convention unique.

Il est mentionné par cette même clause que la société Brico Dépôt dispose d'un site internet consulté par un très grand nombre de consommateurs, sur lequel les produits du fournisseur sont référencés toute l'année et/ou de manière ponctuelle dans le cadre d'une opération particulière.

Le fournisseur se plaint d'une absence de contrepartie de ce chef.

Toutefois, si la société Brico Dépôt explique qu'elle ne peut fournir de pièce justificative de la réalité de cette contrepartie, parce qu'elle n'a pas en temps utile fait réaliser de copie d'écran d'ordinateur, elle conteste néanmoins toute faute ou manquement de ce chef, tandis que le fournisseur, qui, en a la charge, ne démontre pas que le distributeur aurait omis de mettre en avant ses produits sur le site internet.

Nulle faute n'est donc caractérisée de ce chef.

Il est mentionné par cette même clause que la société Brico Dépôt met en place en rayon une signalétique étudiée, spécifique aux produits, délivrant aux clients les informations qui leur seraient utiles et les guideraient dans leurs achats, « relatives, par exemple, à la composition, fonctionnement, utilisation, compte tenu de leurs spécificités techniques ».

A cet égard, le distributeur explique, en premier lieu, qu'il a réalisé en 2015 et 2016 des « Guides d'achat menuiseries » sur lesquels apparaissent les fenêtres bois de Totem Menuiserie. Il précise que : « ces guides sont constitués à l'attention des clients et sont disponibles au comptoir menuiserie en magasin. En effet, les produits de menuiserie sont spécifiques dans la mesure où les clients n'y ont pas accès directement comme au reste des produits. Ces produits sont stockés dans une pièce dédiée visible par les clients, mais dans laquelle ils ne peuvent pas rentrer. Un comptoir est installé à l'entrée avec un vendeur dédié. Le guide d'achat menuiserie est disponible à ce comptoir. »

La Cour observe que si le simple fait d'interdire aux clients en magasin l'accès direct aux fenêtres ne peut suffire à caractériser une opération de vente justifiant une participation financière du fournisseur, il n'en va pas de même de l'élaboration et de la remise au client, en magasin, de tracts mettant en avant les produits du fournisseur, une telle action étant bien de nature à justifier la participation financière du fournisseur.

Le distributeur explique également avoir fait figurer les produits fournis par la société Totem menuiserie dans ses catalogues 2015 et 2016 ou « Books », dénommés « L'Officiel du bricolage ».

Le fait de faire figurer les produits d'un fournisseur sur les catalogues diffusés aux clients potentiels constitue bien une contrepartie effective à l'avantage litigieux.

Cependant, le fournisseur conteste le fait que les produits figurant sur ces documents, books ou guides d'achat, aient été ceux qu'elle a fournis ; elle soutient que ce sont ceux fournis par le précédent fournisseur, la société SIMPA ou, en tous les cas, que ce ne sont pas les siens.

Le fournisseur se fonde sur les mentions de ces documents relatives au coefficient UW des fenêtres (mesurant le pouvoir d'isolation), qui ne correspondraient pas aux spécifications des produits qu'elle a livrés, s'agissant en particulier des fenêtres battantes (à distinguer des portes-fenêtres), en ce que les documents litigieux mentionneraient un coefficient de 1,6, alors qu'elle aurait fourni des produits présentant un coefficient de 1,5, soit une qualité supérieure à celle indiquée sur ces documents.

Le fournisseur se fonde, ensuite, sur les mentions relatives au bois exotique mis en œuvre pour la fabrication des fenêtres, en ce qu'elle aurait livré des produits en meranti, alors que les documents en cause mentionneraient d'autres bois exotiques, tel l'eucalyptus qui, selon elle, était employé par le précédent fournisseur.

La société Totem Menuiserie se fonde, enfin, sur l'épaisseur du dormant des fenêtres qui, selon elle, pour se rapporter aux produits qu'elle a fournis, devrait être de 46 mm, alors que les fenêtres de son prédécesseur faisaient 43 mm d'épaisseur de dormant, cette côte figurant sur les documents contestés.

Toutefois, la Cour retient que la société Totem menuiseries ne prouve pas que les commandes de la société Brico Dépôt ont uniquement porté depuis le début de la relation commerciale sur des fenêtres battantes exclusivement réalisées en bois meranti et munies d'un dormant de 46 mm.

En effet, la société Totem Menuiserie ne précise aucun document contractuel de nature à établir l'accord des parties depuis l'origine de la relation sur ces spécifications. Elle se borne à invoquer sa « fiche de produit de fenêtres » sans produire un tel document, qui ne figure pas avec ou dans la convention unique, alors que la preuve d'un échange sur ces points entre les parties antérieur à ce contrat n'est pas rapportée, et alors que l'essence du bois ou le coefficient UW n'apparaissent pas dans les échanges entre les parties avant le mois de novembre 2015 (pièce n°24 du fournisseur), dans un courriel relatant le contenu d'un rapport FCBA.

Mais encore, si les catalogues 2015 et 2016 (voir p.74 et 75 de chaque catalogue) présentent des fenêtres en bois exotique, précisant que ce peut être du meranti, du tuari ou de l'eucalyptus, le dernier catalogue indiquant un dormant de 46 mm d'épaisseur alors que le premier indique 43 mm, il n'est pas valablement soutenu que ces indications seraient fautives, et il n'est pas davantage établi qu'elles ne se rapporteraient pas aux productions de la société Totem menuiserie.

En outre, les tracts intitulés « guides d'achat » dans la production de pièces du distributeur (sa pièce n°31) consistent notamment en une dizaine de fiches destinées au client final intitulées « Bien choisir sa fenêtre ».

Lorsque ces tracts précisent le bois mis en œuvre - à savoir, les 20ème, 28ème, 36ème, 44ème, 52ème et 60ème pages de ce document non paginé - ils présentent des produits ayant les caractéristiques techniques voulues par la société Totem menuiserie dans le cadre de la présente instance, s'agissant du dormant de 46 mm et du coefficient UW de 1,5, tandis qu'ils précisent que le bois mis en œuvre peut être le meranti.

Par ailleurs, rien ne permet de retenir que les autres fiches établies par la société Brico Dépôt pour les fenêtres proposées à la vente, dont celles qui mentionnent un coefficient UW de 1,6, sont étrangères aux fournitures livrées par la société Totem Menuiserie ou fautives.

Enfin, le distributeur justifie, pour plusieurs produits de la gamme de la société Totem Menuiserie, que les « codes produit » des différents types de fenêtre et figurant sur les catalogues déjà mentionnés ou sur les planogrammes utilisés pour la mise en rayon dans les magasins, sont identiques à ceux utilisés par le la société Totem Menuiserie dans des bons de commande ou dans ses propres références de stockage.

Eu égard à ces éléments, il importe peu que les planogrammes invoqués par le distributeur aient été à l'usage purement interne des équipes des magasins, du fait du choix du distributeur de ne pas laisser les clients accéder directement aux produits de menuiserie. Ce choix n'a été nullement fautif, dès lors qu'il a rendu inapplicable à l'ensemble des produits de menuiserie - et non aux seuls produits de la société Totem menuiserie - les exemples de services commerciaux listés dans la convention unique et se rapportant à toute opération de disposition des produits dans les rayons, de « merchandising » ou de « cross merchandising ».

En conséquence, la Cour retient que n'est établie en l'espèce aucune faute de la société Brico Dépôt de nature à avoir privé le fournisseur d'un service commercial effectif en contrepartie de la réduction litigieuse de 5 % sur le chiffre d'affaires ou de nature à avoir rendu ce service commercial manifestement disproportionné à cette réduction.

La Cour retient au contraire que la société Brico Dépôt a mis en œuvre, conformément aux prévisions de la clause de réduction litigieuse, de suffisants moyens ou actions qualitatifs ayant permis de renforcer la visibilité et la pertinence de l'offre du fournisseur, et ayant justifié la participation financière de celui-ci à hauteur de 5 % de son chiffre d'affaires réalisé avec le distributeur.

La demande de la société Totem menuiserie au titre d'un avantage dénué de contrepartie sera donc rejetée.

 

Sur les frais et dépens :

La société Totem Menuiserie, qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens.

En équité, elle versera à la société Brico Dépôt une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif du présent arrêt.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,                              

RÉFORME le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a dit que la relation commerciale était établie au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce,

pour le surplus et y ajoutant,

CONFIRME le jugement entrepris,

DÉBOUTE la société Totem Menuiserie de toutes ses demandes,

LA CONDAMNE à payer à la société Brico Dépôt une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

CONDAMNE la société Totem menuiserie aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande.

Le Greffier                Le Président

Cécile PENG             Marie-Laure DALLERY